Café-concert
Le café-concert, ou caf'conc comme on l'appelle familièrement (parfois orthographié caf'conç) est, selon le Grand Dictionnaire Larousse du XIXe siècle, à la fois « une salle de concert et un estaminet, réunissant dans son enceinte un public qui paie en consommations le plaisir d’entendre des romances, des chansonnettes ou des morceaux d’opéra ».
Cette définition est toutefois à nuancer, car les consommations peuvent éventuellement disparaître et l’on paie alors sa place à l’entrée. Quant à l’aspect formel de l’établissement, avec le temps, il se rapproche de plus en plus de l'ordonnancement d'un théâtre.
Définition
De nos jours les termes « café-concert » et « music-hall » sont souvent synonymes alors que ce dernier est un anglicisme apparu à la fin du XIXe siècle. Or, si le café-concert est à la base un débit de boissons organisant des concerts musicaux dans l’une de ses salles avec plus ou moins de régularité et dont le développement est favorisé par l'interdiction des goguettes en 1849 par Napoléon III, le music-hall est défini comme une salle proposant des spectacles variés (accueillant une grande partie de la tradition du cirque, par exemple) où le fait de débiter des boissons est devenu secondaire.
Selon Legrand-Chabrier, ce nouveau genre est la « coalition de tous les spectacles qui ne sont pas du théâtre »[1], définition a contrario qui révèle à la fois le flou sémantique pesant sur cette nouveauté et l’extrême diversité des spectacles se disant comme tels : on y trouve des morceaux de musique, des chants, des sketches dramatiques et des tableaux vivants, des revues à grand spectacle avec effets de lumière et grand usage du machinisme, des danses et des acrobaties.
Historique
Naissance et affirmation du café-concert (1800-1864)
Au XVIIIe siècle, on trouve boulevard du Temple à Paris des cafés chantants où se produisent aussi des bateleurs. Pendant la Révolution, l’abolition du monopole des théâtres permet à partir de 1791 l’ouverture de nombreuses salles de spectacle, notamment sous les arcades du Palais-Royal. Ainsi, le Café d’Apollon est l’un des premiers cafés-concerts. Mais cette liberté ne dure pas puisqu’en 1807 sous l'Empire, le rétablissement des théâtres de privilèges marque un arrêt au développement sauvage et spontané de caf-conc'.
Entre 1807 et 1849, seuls quelques établissements accueillent régulièrement des concerts. Certes, des limonadiers organisent ponctuellement des spectacles lyriques sans se soucier des règlements. Cette réglementation interdit normalement tout concert dans un estaminet sans en obtenir une autorisation du préfet de Police. La révolution de février 1848 va, un temps, rendre à ce loisir sa liberté. Mais l’ordonnance du reconduit les mesures précédentes interdisant de donner un spectacle dans un estaminet sans autorisation préalable[3]. Elle va permettre un développement surveillé : 22 autorisations seulement sont accordées entre 1849 et 1859 à Paris.
La réglementation s’attache aussi à organiser le colportage afin d’empêcher la diffusion de chansons sociales. Une censure des spectacles est également remise en place. Tous ces règlements vont contribuer au décollage limité et organisé du phénomène.
C'est d'un incident survenu en mars 1847 au café-concert Les Ambassadeurs où des auteurs refusent de payer leurs consommations, estimant qu'ils ne doivent rien puisque le propriétaire de l'établissement utilise leurs œuvres sans les rétribuer en retour, qu'est née la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique[4].
Le début des années 1860 voit apparaître la construction de nouveaux établissements : en 1860 l’Alcazar d’été, puis l’Eldorado, la Scala, l’Horloge : tous sont situés sur les boulevards ouverts par le baron Haussmann.
Apogée (1864-1896)
Les cafés-concerts sortent de l’ombre des théâtres, tout d’abord avec l’abolition des privilèges des théâtres en 1864. Ainsi, les cafés-concerts se dégagent de la surveillance des directeurs de théâtre pour tomber sous la tutelle des autorités de police. Selon Géo I. Snell, le Café-concert du Géant boulevard du Temple « fut le prototype de ce que l'on était convenu d'appeler en 1860 les cafés-chantants[5] ». L’administration multiplie les décrets et laisse se généraliser ce type d’établissement. En 1867, Camille Doucet, alors directeur de l'administration des théâtres, autorise ainsi les cafés-concerts « à s'offrir des costumes, des travestissements ; à jouer des pièces, à se payer des intermèdes de danse et d'acrobatie [6]» ; ces mesures favoriseront l'essor ultérieur des grandes salles de spectacles parisiennes telles que les Folies Bergère ou l'Olympia.
C’est l’âge d’or de ce loisir. Il se diffuse partout en France. Paris devient le modèle de l’amusement européen. La période de la IIIe République va généraliser ce loisir.
L'un des plus fameux duos d'auteurs est Armand Numès-Édouard Hermil.
Déclin du caf’conc, résistance du music-hall (1896-1914)
Le premier concurrent qui va s’imposer dans toutes les villes après 1896 est le cinéma. Pour la plupart, ce sont d’anciens cafés-concerts ou salles de music-hall : le public semble enthousiasmé par ces salles obscures, ces films, ces documentaires et actualités fortement teintés de nouveauté. Puisque le cinéma est muet, les premiers spectacles sont souvent agrémentés d’un orchestre. Aussi, plutôt qu'un déclin brusque, il s'agit d'un glissement d’un loisir à un autre ou d'une lente mutation. Cependant, le music-hall et l’influence grandissante de la culture anglo-saxonne permettent à ces établissements de résister aux autres modes. De plus, la censure disparaît lentement, le visa quotidien sur le contenu des spectacles devient hebdomadaire. Le genre connaît indiscutablement un nouveau souffle ; en 1906 la censure disparaît complètement (elle réapparaîtra cependant pendant la Première Guerre mondiale).
Le café-concert marque ainsi l’émergence d’une culture populaire qui donnera tout d’abord la riche tradition de la chanson française, mais aussi du music-hall et du cinéma. La filiation de ces différentes formes de spectacle est aisée à voir tant par les parcours de certains artistes, qui passent du caf’conc au music-hall au cinéma, que par les lieux, les anciennes salles caf’conc devenant salle de music-hall puis salle obscure. Ces nouvelles formes de spectacles populaires et universels auront jeté les bases de la culture de masse du XXe siècle, caractérisée par le phénomène de starisation, accentuée par la démocratisation de la TSF et du cinéma, et accompagnée parfois d'une sorte d’uniformisation à l’échelle française et aujourd’hui à l’échelle mondiale.
Notes et références
- Olivier Thomas et Séverine Wuttke, Culture et histoire des spectacles en Alsace et en Lorraine: de l'annexion à la décentralisation (1871-1946), Peter Lang, (ISBN 978-3-03910-764-3, lire en ligne)
- Extrait de : Horace d'Albion et Victor Collodion, La Mi-Carême, Adieux au Carnaval de 1863, placard illustré conservé aux archives de Paris et de l'ancien département de la Seine.
- Ordonnance de police du 17 novembre 1849 (extrait) : ...il est interdit aux propriétaires des Cafés et autres établissements publics situés dans le ressort de la Préfecture de Police, de recevoir dans leur établissements des chanteurs, bateleurs et musiciens, et d’y faire exécuter des chants, déclamations, parades et concerts sans en avoir obtenu l’autorisation.
- Jacques Migozzi, De l'écrit à l'écran. Littératures populaires : mutations génériques, mutations médiatiques, Presses Univ. Limoges, , p. 205
- Géo I. Snell, Le Concert du Géant, article paru dans L'Art lyrique et le music-hall. Journal indépendant des cafés-concerts, concerts et théâtres, 23 octobre 1898, page 6.
- Paulus, Trente ans de Café-Concert, souvenirs recueillis par Octave Pradels, chapitre 3 (1908)
Annexes
Source historique
- Octave Pradels, Trente ans de café-concert : souvenirs de Paulus (recueillis par ; 300 illustrations, 60 chansons), Paris, Société d'édition et de publications, 460 p.
Bibliographie
- Jacques Feschotte, Histoire du music-hall, Puf, Paris, 1965, 128 p. (Que sais-je ?)
- François Caradec et Alain Weill, Le Café-concert, Hachette/Massin, Paris, 1980, 191 p. (ISBN 2-01-006940-4) - Réed. augmentée Fayard, 2007, 412 p. (ISBN 978-2-213-63124-0)
- Jacques Charpenteau et France Vernillat, La Chanson française, Puf, coll. « Que sais-je ? » Paris, 1983, 128 p.
- Concetta Condemi, Le Café-concert à Paris (1849-1914), essor et déclin d’un phénomène social, thèse EHESS, 1989, 556 p. + annexes
- Concetta Condemi, Les Cafés-concerts, histoire d’un divertissement (1849-1914), Éditions Quai Voltaire Histoire, Paris, 1992, 205 p. (ISBN 2-87653-110-0)
- Serge Dillaz, La chanson sous la IIIe République (1870-1940), Tallandier, Paris, 1991, 314 p. (ISBN 2-235-02055-0)
- Jean-Luc Roux, Le Café-concert à Lyon (XIXe et début XXe siècle), Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, Lyon, 1996, 149 p. (ISBN 2-84147-033-4)
- Mathilde Joseph, « Le poilu du music-hall. L’image du poilu dans les music-halls parisiens pendant la Grande Guerre » in Guerres mondiales et conflits contemporains, mars 2000, n° 197, Puf, Paris, p. 21-41
- Jean-Christophe Diedrich, « Les cafés-concerts en Lorraine allemande et française 1870-1914 » in Actes du colloque de l’Université de Tours : Divertissements et loisirs dans les sociétés urbaines à l'époque moderne et contemporaine, Presse universitaire F. Rabelais, Tours, 2005, p. 225-242 (ISBN 2-86906-203-6)
- Jean-Christophe Diedrich, « Les Music-halls à Metz 1919-1939 » in Culture et histoire des spectacles en Alsace-Lorraine de l'annexion à la décentralisation (1871-1946), actes du colloque de l'Université de Metz, Jeanne Benay et Jean-Marc Leveratto (dir.), Peter Lang, Berne, 2005, p. 371-385 (ISBN 3-03910-764-X)
- Olivier Goetz, « La Chanson, ”spectacle” de la Belle Époque », in Le Spectaculaire dans les arts de la scène, du Romantisme à la Belle Époque, ouvrage collectif sous la direction d'Isabelle Moindrot, Arts du Spectacle, CNRS éditions, Paris, 2006 (ISBN 2-271-06424-4)
- Kimminich, Eva, Erstickte Lieder. Zensierte Chansons aus Pariser Cafés-concerts des 19. Jahrhun¬derts. Versuch einer kollektiven Reformulierung gesellschaftlicher Wirklich¬keiten, Tübingen (Stauffenburg) (= Romanica et Comparatistica, Bd. 31), 278 Seiten. (ISBN 3-86057-081-1)