Acte de Québec

L'Acte de Québec (en anglais : « Quebec Act) est la deuxième loi parlementaire constitutive de l'administration britannique au Canada après la proclamation royale de 1763. Essentiellement, elle reconnaît aux Canadiens français le droit de conserver leur langue, leur droit civil et leur religion catholique. Ayant reçu la sanction royale le , l'Acte de Québec a été abrogé en grande partie pour être remplacé par l'Acte constitutionnel en 1791.

Acte de Québec
Photo de l'acte original[1]
Présentation
Titre ((en) An Act for making for effectual Provision for the Government of the Province of Quebec in North America)
Référence 14 Geo. III chap. 83
Pays Grande-Bretagne
Territoire d'application Province de Québec
Langue(s) officielle(s) Anglais
Type Loi du Parlement de Grande-Bretagne
Branche Droit constitutionnel
Adoption et entrée en vigueur
Sanction 22 juin 1774
Version en vigueur 1774
Abrogation 1791

Lire en ligne

version anglaise et traduction française

Constitution de la province de Québec à la suite de l'entrée en vigueur de la loi constitutive de 1774.

Désignation

On appelle traditionnellement cette loi « Acte de Québec » par calque de son appellation anglaise Quebec Act, qui signifie en fait « Loi sur le Québec ». Ainsi, il ne s'agit pas d'une loi édictée à Québec, comme cette traduction le laisse entendre, mais d'une loi du Parlement de Londres. Comme toutes les lois britanniques, cette loi a un titre abrégé, Quebec Act, et un titre intégral : An Act for making for effectual Provision for the Government of the Province of Quebec in North America. Puisqu'il s'agit d'une loi britannique, il n'y a pas de version française officielle. Le titre long a été traduit de diverses façons :

  • Acte qui règle plus solidement le Gouvernement de la Province de Québec dans l'Amérique Septentrionale[2],[3] ;
  • Acte qui règle plus solidement le Gouvernement de la Province de Quebec, en Amerique Septentrionale[4] ;
  • Acte à l'effet de pourvoir d'une façon plus efficace au gouvernement de la province de Québec dans l'Amérique du Nord[5] ;
  • Loi relative aux dispositions plus efficaces pour le gouvernement de la province de Québec en Amérique du Nord[6].

Contexte et rédaction

L'affaire Campbell v Hall [7] tranchée 1774 par Lord Mansfield a remis en cause l'évincement du droit français dans la province de Québec.

Le gouverneur Murray avait permis d'adapter l'Empire britannique à la culture canadienne, plutôt que d'imposer ses traditions aux habitants. Fléchissant les instructions reçues, Murray permit aux catholiques d'exercer comme juré, et d'être avocat[8]. En 1766, Murray est rappelé à la suite de vives protestations des Britanniques installés au Canada.

L'auteur principal est Alexander Wedderburn, solliciteur général pour l’Angleterre et le pays de Galles. En 1774, celui-ci commence à rédiger un projet de loi afin de remplacer la Proclamation royale[9].

Pour soutenir le zèle du Canada pour le gouvernement britannique, Carleton prend parti pour la restauration du droit civil français et soutient l'Église catholique. En juin 1774, le Parlement approuve les propositions de Carleton en adoptant l'Acte de Québec[8].

Contenu

Carte des colonies britanniques nord-américaines publiée en Angleterre en 1777. En vert (sauf les trois zones au sud), ce qui constitue la Province of Quebec à partir de 1774.

La loi comporte essentiellement les éléments suivants :

  • Élargissement des limites du territoire : La loi agrandit les frontières de la province de Québec, qui comprend désormais, outre la vallée du fleuve Saint-Laurent, tout le territoire allant de Terre-Neuve aux Grands Lacs, le pourtour de ceux-ci ainsi que la vallée de l'Ohio (partie nord de la réserve indienne). La loi accorde par ailleurs un plus large territoire aux Amérindiens afin de prévenir une nouvelle rébellion de leur part (voir Rébellion de Pontiac).
  • Rétablissement du droit civil français et maintien du droit pénal et public anglais : Après la conquête britannique du territoire ayant pris corps en 1763 et l'instauration du droit britannique qui s'est ensuivi, l'Acte de Québec ramène l'usage en droit privé du droit romano-civiliste français, mais conserve en droit public la common law, y compris le droit pénal anglais, moins sévère. Elle restaure les droits des propriétaires des seigneuries et remplace le serment du test par un serment au roi, ce qui permet aux catholiques de devenir conseillers législatifs et juges.
  • Reconnaissance du français comme langue de culte ainsi que dans les cours de justice et les affaires civiles.
  • Organisation du pouvoir : Le gouverneur garde ses pouvoirs discrétionnaires et est assisté par un conseil législatif composé de 17 à 23 membres. La loi n'accorde pas l'assemblée législative que demandaient les marchands anglais, l'Angleterre craignant la répétition des troubles observés dans les Treize colonies. Toutes les décisions prises par le conseil doivent être soumises à l'approbation royale[10]. Par la nomination politique des juges, le gouverneur et son exécutif garde la mainmise sur l'administration de la justice.

Cette loi se révéla globalement efficace et récompensa les deux groupes qui avaient permis aux Britanniques (en collaborant avec ces derniers) de contrôler la population, soit le clergé et les seigneurs, afin qu'ils incitent les Canadiens à soutenir le gouvernement de Londres contre les colons des Treize colonies.

Sens et répercussions

Cette loi a été promulguée par le parlement britannique désireux d'éviter que le mouvement d'agitation en cours dans les Treize Colonies ne se répandît chez les Canadiens de la Province de Québec (l'ancien Canada de la Nouvelle-France), constitués par une population à majorité francophone et catholique.

C'est ainsi que, pour s'allier la population canadienne française (qu'on appelait simplement « canadienne » à l'époque), le gouvernement britannique a adopté une loi « qui renversait la politique d'assimilation dont [il] avait envisagé la mise en application avec la proclamation royale du  »[6]. Pour plusieurs auteurs, cette loi devient ainsi un des « nombreux textes juridiques » qui « sont venus confirmer haut et fort le caractère distinct du Québec »[6].

Réactions

Réactions dans la Province de Québec

Les réactions initiales sont plutôt favorables dans la population canadienne, particulièrement l'élite seigneuriale[5]. Les marchands britanniques, par contre, demandent son abrogation immédiate[5].

Réactions dans les Treize colonies

Par ailleurs, la loi accentua le mécontentement et l'indignation dans les Treize colonies et fut donc une cause indirecte de la révolution américaine. Les colons considérèrent en effet cette loi comme un des « Actes intolérables ». Le New York Journal promeut que l'Ouest devait être colonisé par des Protestants, et non laissé à des Canadiens-français, que l'on dit esclaves d'une religion superstitieuse et idolâtre.

« Le New York Journal s’exclame que « les sauvages des bois n’ont jamais été expulsés pour faire de la place dans cette région, la meilleure du continent, aux idolâtres et aux esclaves ». D’autres craignent aussi que l’Acte soit « un concept et un système prémédités, conçus et exécutés par le ministère britannique afin d’introduire un gouvernement arbitraire dans les dominions américains de Sa Majesté »[9]. »

Plusieurs colons aspiraient à populer l'Ouest d'esclaves d'origine africaine. Certains colons déplorent que le roi soit devenu papiste[8].

Réactions dans les îles Britanniques

En Angleterre, les réactions sont mitigées. En général, les anglicans et les antipapistes voient d'un très mauvais œil la légalisation de la religion catholique au sein de l'Empire, et plusieurs se questionnent sur les motifs ayant conduit à une telle décision[11].

Toutefois, plusieurs juristes sont conscients que le Canada constitue une colonie pré-existante peuplée principalement de Français, et qu'il y aurait lieu pour la poignée d'Anglais présents dans la Province of Quebec d'adopter le droit de cette majorité. Les marchands anglais étaient totalement opposés à cette vision des choses. Ceux-ci militaient même pour l'établissement d'une assemblée législative pouvant servir à promouvoir leurs intérêts. Quant au gouverneur, Guy Carleton, il privilégiait la formule d'un conseil législatif élargi où pourrait siéger quelques Canadiens [français][12]. Lorsque la nouvelle constitution est adoptée, plusieurs Anglais de la province sont étonnés de s'être fait refuser une assemblée législative et de se faire imposer le droit privé français.

Cependant, ceux qui désirent conserver les treize colonies y voient l'occasion d'utiliser le Québec comme frein aux demandes américaines en fomentant les querelles entre eux :

Extrait du London Evening Post, de Londres,

« Le ministère a pensé qu'il était de bonne politique d'implanter de force les principes serviles du papisme et de l'arbitraire sur un immense espace des possessions anglaises en Amériques, en guise de frein pour réprimer le libre esprit et les agitations constitutionnelles de toutes nos autres colonies en cette contrée[13]. »

Extrait du The Gazettier and New Daily Advertiser, de Londres,

« Mes amis, cette loi ne fut pas rédigée pour rappeler ici le “pretender”, ni pour faire croire aux catholiques qu'ils seront traités par nous selon les principes d'une générosité sans pareil; notre ministère n'a pas songé, non plus, à se débarrasser du Canada; ce sont là des idées qu'il est bien inutile d'entretenir. La vérité c'est que les ministres veulent cajoler Louis XVI (par amour ou par crainte, je vous le laisse à décider) et par ce moyen, posséder en Amérique, entièrement à leur dévotion, un sûr refuge pour leurs soldats, afin de surveiller les agissements des colonistes protestants et de les écorcher s'ils hésitent à plier le cou sous le joug britannique[14]. »

Aucune force de loi en droit québécois contemporain

L'Acte de Québec a entre autres déjà été plaidé au XXIe siècle pour défendre l'idée que la protection accordée à la liberté de religion perdurerait de nos jours, soit comme pacte historique, soit comme loi fédérale non abrogée, malgré l'utilisation de la clause nonobstant dans une loi comme la Loi sur la laïcité de l'État. Cet argument a été rejeté par le juge Marc-André Blanchard dans l'affaire Hak c. Procureur général du Québec de 2021[15]. Dans cette décision, le juge indique que cette loi a conservé son statut supralégislatif jusqu'en 1931.

« [517] En l’absence d’une abrogation formelle de l’article V de l’Acte de Québec, quel statut cette disposition impériale possède-t-elle encore?

[518] Jusqu’en 1931, elle conserve son statut supralégislatif dont bénéficiaient les lois impériales par rapport aux lois coloniales. Durant cette période, on pouvait invoquer l’Acte de Québec, comme toute autre loi impériale, pour invalider des lois fédérales ou provinciales. Selon la « doctrine of repugnancy », la législation adoptée par les parlements coloniaux doit se conformer au droit anglais et une loi coloniale non conforme peut se voir invalidée par les tribunaux.

[522] Les dispositions en vigueur de l’Acte de Québec perdent leur nature supralégislative en 1931 par l’adoption du Statut de Westminster, qui abroge l’applicabilité du Colonial Laws Validity Act et confère aux Parlements fédéral et provinciaux le droit de modifier ou d’abroger les lois impériales existantes ou futures, conformément au partage des compétences. Il s’ensuit que l’article V de l’Acte de Québec devient modifiable ou abrogeable par une loi fédérale ou provinciale intra vires. »

Notes et références

  1. Extraits : « Dans la quatorzieme année du regne de George III, roi de la Grande Bretagne, de France, et d'Irelande: au Parlement commencé et tenu à Westminster, le dixieme jour de mai, de l'année de Notre Seigneur mil sept cens soixante-huit, dans la huitieme année du regne de notre Souverain Seigneur George Trois, par la grace de Dieu, roi de la Grande Bretagne, de France, et d'Irelande, défenseur de la foi, &c., et depuis coutinué par differentes remises au treizieme jour de janvier, mil sept cens soixante-quatorze, etant le septieme seance du treizieme Parlement de la Grande Bretagne ». Anno Regni Decimo Quarto Georgii III. Regis. Chap. LXXXIII.
  2. « Acte de Québec (1774) », sur Répertoire du patrimoine culturel du Québec (consulté le ).
  3. [lire en ligne]
  4. « Acte de Québec (1774) », sur Canadiana, Réseau canadien de documentation pour la recherche (consulté le ); dans l'édit de proclamation de la même loi, dans la même édition, le titre indiqué est plutôt Acte qui règle plus solidement le Gouvernement de la Province de Quebec, en l’Amerique Septentrionale.
  5. « Acte de Québec (1774) », sur Assemblée nationale du Québec (consulté le ).
  6. Rodrigue Tremblay, La régression tranquille du Québec, Fides, 2018, p. 128.
  7. (1774) 1 Cowp 204, 98 ER 1045
  8. « American Revolutions: A Continental History, 1750-1804 », sur The SHAFR Guide Online (consulté le )
  9. « Acte de Québec (1774) », sur thecanadianencyclopedia.ca (consulté le )
  10. J. Lacoursière, J. Provencher et D. Vaugeois, Canada-Québec, Synthèse historique, édition du renouveau pédagogique, Montréal, 1976, p. 222.
  11. Lionel-Groulx, notre maître le passé, Éditions 10-10, 1977, p. 66-67.
  12. J. Lacoursière, J. Provencher et D. Vaugeois, Canada-Québec, Synthèse historique, édition du renouveau pédagogique, Montréal, p. 218.
  13. Cité dans : Lionel-Groulx, Notre maître le passé, Éditions 10-10, 1977, p. 65.
  14. Cité dans : Lionel-Groulx, Notre maître le passé, Éditions 10-10, 1977, p. 64.
  15. 2021 QCCS 1466

Voir aussi

Bibliographie

  • Anonyme, « L’Acte de Québec de 1774 et la timide dualité linguistique » [lire en ligne].
  • Acte de Québec 1774 : la version française qui suit est une traduction de François-Joseph Cugnet S.F. (1720-1789), qui fut seigneur, juge, procureur général, grand voyer, traducteur officiel et secrétaire français du gouverneur et du Conseil de Québec [lire en ligne].
  • Louis Le Jeune, « Acte de Québec », Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, vol. 1, p. 16-18 (domaine public).
  • (en) Hilda Neatby, The Quebec Act: Protest and Policy, Scarborough, Ont. : Prentice-Hall of Canada, 1972, 142 p.
  • Séraphin Marion, L'Acte de Québec, concession magnanime ou intéressée ?, Montréal : Éditions des dix, 1963, 147 p.
  • (en) Reginald Coupland, The Quebec Act: A Study in Statesmanship, Oxford : Clarendon Press, 1925, 224 p.
  • (en) Henry Cavendish, Debates of the House of Commons in the Year 1774 on the Bill for Making More Effectual Provision for the Government of the Province of Quebec: Drawn Up from the Notes of the Henry Cavendish, Member for Lostwithiel, Londres : Ridgway, 1839, 303 p. [lire en ligne].
  • Michel Morin, LES DÉBATS CONCERNANT LE DROIT FRANÇAIS ET LE DROIT ANGLAIS ANTÉRIEUREMENT À L’ADOPTION DE L’ACTE DE QUÉBEC DE 1774 (lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes

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