Éminence grise
Éminence grise est une expression désignant un conseiller influent qui reste dans l'ombre d'une personnalité politique ou autre.
Origines
Cette expression fut pour la première fois employée pour désigner Joseph François Leclerc du Tremblay, dit aussi « le Père Joseph » (1577-1638), conseiller officieux du cardinal de Richelieu, « éminence rouge » et principal ministre du roi Louis XIII[1]. Membre des capucins, il portait une robe de bure grise[2]. Parce qu'il fut nommé cardinal peu avant sa mort et que ses détracteurs le considéraient aussi puissant que Richelieu, il eut droit au titre d'« éminence ». Il joua un rôle déterminant dans la dernière phase de la guerre de Trente Ans, notamment par l'intervention de la Suède qu'il provoqua.
Exemples d'éminences grises
Au VIIIe siècle
- Alcuin, conseiller de Charlemagne.
Au XVe siècle
- Tanneguy du Châtel, conseiller de Charles VII, eut ce rôle.
- Olivier Le Daim, conseiller de Louis XI
- Jean de Dunois, grand chambellan de France et lieutenant général du royaume.
Au XVIIIe siècle
- Madame de Pompadour aurait pu avoir ce rôle vis-à-vis de Louis XV[1].
- Johann Christoph von Wöllner auprès de Frédéric-Guillaume II de Prusse.
- Johann Friedrich Struensee auprès de Christian VII de Danemark[1].
Au XXe siècle
- le colonel House auprès du président Woodrow Wilson.
- Harry Hopkins auprès du président Franklin Delano Roosevelt[1].
- Brendan Bracken auprès de Winston Churchill
- Henry du Moulin de Labarthète, auprès de Philippe Pétain à Vichy
- Jean Jardin auprès de Pierre Laval.
- Alexandre Iakovlev auprès de Mikhaïl Gorbatchev[1].
- Martin Bormann auprès d'Adolf Hitler.
- Henry Kissinger, conseiller du président Richard Nixon, qui le fit sortir de l'ombre en le nommant secrétaire d'État en 1973.
- François de Grossouvre auprès de François Mitterrand.
- Georges Albertini, Marie-France Garaud et Pierre Juillet auprès de Georges Pompidou.
Au XXIe siècle
- Patrick Buisson auprès de Nicolas Sarkozy.
- Choi Soon-sil auprès de Park Geun-hye[1].
- Ismaël Emelien auprès d'Emmanuel Macron.
- Steve Bannon auprès de Donald Trump[1].
- Dominic Cummings auprès de Boris Johnson.
Spécificités de l'éminence grise
L'éminence grise se distingue d'un conseiller habituel par l'influence qu'il exerce largement au-delà de ses responsabilités officielles. Ce sont par exemple :
- Madame de Pompadour qui, sollicitée par l'Impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, fait pression sur Louis XV pour signer le traité de renversement des alliances de la France en faveur de l'Autriche et contre la Prusse en 1756 ;
- St. John Philby qui négocie, au nom d'Ibn-Saoud, le Traité de Djeddah, pacte de non-agression entre Ibn Saoud et le Royaume-Uni ainsi que la frontière entre l'Arabie saoudite et le Yémen en 1936/1937 ;
- le colonel House, simple conseiller du Président Wilson, qui prépare les Quatorze points de Wilson et travaille sur la rédaction du traité de Versailles aussi bien que du Pacte de la Société des Nations en 1918/19 ;
- Henry du Moulin de Labarthète, chef du cabinet civil du maréchal Pétain, qui contribua au renvoi de Pierre Laval, le , parce que jugé trop favorable au Reich ;
- Jean Jardin, chef du cabinet de Pierre Laval, puis chargé de mission à l'ambassade à Berne, qui établit les premiers contacts avec le gouvernement d'Alger et les Américains avec l'accord de Pierre Laval en 1942-1943 ;
- Harry Hopkins, simple conseiller de Roosevelt et qui l'incite à une politique d'intransigeance vis-à-vis du Reich pour conduire à l'entrée en guerre des États-Unis en 1941, puis qui devient le lien direct entre Roosevelt, Churchill et Staline ;
- Brendan Bracken, simple secrétaire parlementaire, qui, le , sera à la manœuvre, pour permettre à Churchill d'écarter Lord Halifax afin de remplacer Neville Chamberlain et devenir Premier ministre ;
- Luis Carrero Blanco, sous-secrétaire d'état à la Présidence du Conseil du général Franco, qui lui fait comprendre, en 1940/41, que l'entrée en guerre de l'Espagne aux côtés du Reich impliquerait la défaite et la perte des Canaries, indéfendables contre la Royal Navy ;
- Egon Bahr, Secrétaire d'Etat à la Chancellerie, qui mène l'Ostpolitik du Chancelier Willy Brandt en 1969/74 ;
- Henry Kissinger, Conseiller à la Sécurité Nationale (National Security Adviser) qui mène secrètement du début à la fin le rapprochement entre la Chine et les États-Unis en 1970/1971 ;
- Marie-France Garaud et Pierre Juillet, chargés de mission à l'Elysée, qui incitent Georges Pompidou au renvoi du Premier ministre Chaban-Delmas en 1972 ;
- Ambroise Roux, qui concoit la politique économique de Georges Pompidou pour créer de grands groupes industriels adossés à l'état ;
- Alexandre Iakovlev , simple ambassadeur au Canada, qui fait prendre conscience à Mikhaïl Gorbatchev de la faillite du système soviétique et qui, après être entré au Politburo, l'incite à lancer la Perestroïka en 1986/89 puis le convainc de la nécessité de la réunification allemande en 1989 ;
- Stephen Bannon, qui conseille activement le 45e Président américain Donald Trump tout en étant membre du Conseil de sécurité nationale (États-Unis)[3],[4].
Généralement, la vocation de ces personnages est de rester dans l'ombre.
Pierre Viansson-Ponté, dans le journal Le Monde, qualifia Jacques Foccart d'éminence grise, du fait de ses activités occultes concernant l'Afrique et de ses réseaux secrets, quoiqu'il n'ait pas eu sur le général de Gaulle une influence telle : il n'est pas démontrable que Foccard inspira cette politique, au lieu de se contenter d'appliquer les décisions de de Gaulle.
Notes et références
- « De Raspoutine à Steve Bannon : splendeurs et misères des gourous en politique », Libération, (lire en ligne, consulté le ).
- Arte documentaire, Un âge de fer, la guerre de Trente Ans, épisode 2, octobre 2018
- Gilles Paris, « Stephen Bannon, éminence grise de Trump, sort de l’ombre », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Gilles Paris, « Président Trump, semaine 4 : la Maison Blanche, nid d’emplois », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
Bibliographie
- Henry d'Yvignac, L'Éminence grise (le père Joseph), Librairie du Dauphin, coll. « Les Grands hommes d'État catholiques », Paris, 1931, 164 p.
- Georges Grente, L'Éminence grise, Gallimard, Paris, 1941, 219 p.
- Aldous Huxley, Grey Eminence: A Study in Religion and Politics, Chatto and Windus, Londres, 1941, 288 p., (ISBN 978-0701108021). Ouvrage publié en trois éditions séparées, en France, en 1945 :
- L'Éminence grise : essais et notes (traduction de Jules Castier), Éditions universelles, coll. « Univers » no 1, Paris, 1945, 303 p.
- L'Éminence grise : études de religion et de politique (traduction de Jules Castier), Éditions du Rocher, coll. « L'Hippocampe » no 6, Monaco, 1945, 391 p. – Seule édition ayant continué à être diffusée.
- L'Éminence grise (traduction de Claire et Marthe Gauthier), éditions Charlot, coll. « Les cinq continents », Alger, 1945, 317 p.
- Benoist Pierre, Le père Joseph : l'éminence grise de Richelieu, Paris, Perrin, , 476 p. (ISBN 978-2-262-02244-0 et 2-262-02244-5, présentation en ligne), [présentation en ligne], [présentation en ligne], [présentation en ligne].
- Pierre Assouline, Une éminence grise : Jean Jardin, 1904-1976, Balland, Paris, 1986, 374 p., (ISBN 2-7158-0607-8).
- Christine Fauvet-Mycia, Les Éminences grises, éditions Belfond, coll. « Documents », Paris, 1988, 225 p., (ISBN 2-7144-2112-1).
- Roger Faligot et Rémi Kauffer, Éminences grises, Fayard, Paris, 1991, 432 p. p.-8 p. de planches illustrées, (ISBN 2-213-02956-3).
- Olivier Blanc, L'Éminence grise de Napoléon : Regnaud de Saint-Jean d'Angély, Pygmalion, 2002, 331 p.
- Yves Théorêt et André-A. Lafrance, Les Éminences grises : à l'ombre du pouvoir, Hurtubise HMH, coll. « Cahiers du Québec » no 146 et coll. « Communications et science politique », Montréal, 2006, II−325 p., (ISBN 2-89428-887-5).
- Dimitri Casali, Walter Bruyère, « Les Éminences grises du pouvoir », L'Express, 2011, 255 p., (ISBN 978-2-84343-843-1).
- Charles Zorgbibe, Les éminences grises, Éditions de Fallois, 2020.
- Cédric Michon, Dans la cour des lions, Passés composés, 2020.