Sept saints fondateurs de la Bretagne

Les Sept saints fondateurs de la Bretagne sont, selon une construction littéraire et hagiographique tardive forgée à partir du XIe siècle, des moines et ermites venus du Pays de Galles et de Cornouailles vers les Ve siècle et VIe siècle, à l'époque de l'émigration bretonne en Armorique. Ils sont considérés comme les fondateurs des sept premières cités épiscopales et du christianisme en Armorique. Cette littérature hagiographique procède de la volonté de donner une origine chrétienne à des éléments païens[1] et résulte d'un enjeu politique et « d'un effort concerté de « mise en texte du passé » destiné à répondre aux éventuelles contestations de la part de l'Église franque des origines historico-légendaires dont se réclamait le monachisme breton[2] ».

Saint-Pol-de-Léon : chapelle Notre-Dame du Kreisker, les sept saints du Tro Breizh.

Historique

L'histoire des Sept Saints est celle du passage de la Gaule Armorique à la Bretagne. Hormis les pays de Rennes, de Nantes et de Retz qui étaient restés en liaison avec la civilisation latine et qui ne furent adjoints à la Bretagne que sous Nominoë (mort en 851), la Bretagne s'organisa, sous l'impulsion de l'immigration des Bretons insulaires, en sept diocèses fondés chacun par un clerc qui fut ensuite proclamé « saint » par le peuple. C'est donc parmi ces nouveaux émigrés, probablement des chefs de clan ou des membres de famille aristocratiques contraints de s'exiler[3], que « les Bretons ont forgé la légende des « sept saints fondateurs et protecteurs de l'Église de Bretagne » : saint Samson à Dol (le seul réellement authentifié), saint Malo sur son rocher, saint Brieuc dans sa baie, saint Tugdual à Tréguier, saint Pol Aurélien qui sera « saint Pol de Léon », saint Corentin à Quimper, saint Patern (un évêque gallo-romain) à Vannes »[4].

Le "missel de Saint-Vougay", qui date du XIe siècle est le plus ancien texte manuscrit à faire référence aux Sept saints fondateurs par le biais d'une prière qui leur est dédiée. Le testament de Guillaume Le Borgne, sénéchal du Goëlo, rédigé en 1215 prévoit une donation de cent livres « aux abbayes de Bretagne et aux églises des Sept saints, à partager entre elles »[5].

Les historiens ne connaissent de leur vie que quelques épisodes importants et surtout des miracles, rapportés dans des vitae tardivement écrites. Ces récits rapportent notamment leur débarquement d'« auges en pierre » (saint Malo, saint Brieuc). Il s'agit en réalité d'esquifs encore utilisés de nos jours en Irlande, les coracles et les currachs[6]. Au cours des siècles, les hagiographes ont émaillé leurs récits de détails sans valeur historique et surtout de nombreux miracles qui confirment leur sainteté[7]. Il semble que « les Sept-Saints de Bretagne figurent au Moyen Âge comme une sorte d'idiotisme sacral propre à l'univers de croyance des anciens Bretons, et que leur individualisation, leur historisation n'est qu'un processus second, et somme toute secondaire, car tardif et aléatoire, qu'il s'agisse d'évêques ou d'obscurs ermites oubliés »[8].

Les sept diocèses d'origine ainsi constitués, formeront avec ceux de Rennes et Nantes, les 9 diocèses bretons[9] qui perdureront sans changement jusqu'à la création des départements par la Révolution française.

Les Sept-Saints

La première mention des "Sept Saints fondateurs de la Bretagne" ("Manuscrit latin" datant de 1275, Bibliothèque nationale de France).

Les Sept-Saints auraient fondé sept cités épiscopales :

Lieux de cultes dédiés aux Sept-Saints collectivement

La fontaine des Sept-Saints à Bulat-Pestivien (Côtes-d'Armor)

La première église connue de Brest se trouvait, au Moyen Âge, dans l'enceinte du château gallo-romain et était à la dédicace des Sept-Saints, mais des Sept-Saints de la Rade de Brest[10], sept enfants abandonnés sur un bateau errant en Rade de Brest, à ne pas confondre avec les Sept saints fondateurs de la Bretagne. Lors de l'intronisation du maire de Brest, avant la Révolution, une cérémonie d'allure archaïque se tenait dans l'église.

Une chapelle dédiée aux Sept-Saints fondateurs existe sur la commune d'Erdeven, dans le Morbihan. Vers 1980, la chapelle a été reconstruite et une fête annuelle, un « pardon », est célébrée de nouveau. Une légende des sept saints propre à Erdeven existe, qui n'est pas sans rappeler celle de la Rade de Brest :

« On raconte qu'une maman mit au monde des septuplés. Effrayée par la charge que représentait pour son foyer une si abondante progéniture, elle commande à sa servante de noyer six d'entre eux. (...) Mis au courant, le père tança sévèrement sa femme et tous deux redoublèrent d'ardeur pour nourrir la maisonnée. Les sept frères apprirent à servir Dieu et devinrent d'illustres évêques[11]. »

Une autre légende des Sept Saints concerne la région de Plestin.

Le pèlerinage aux Sept-Saints de Bretagne

La renommée des Sept-Saints est à l'origine du Tro Breiz (tour de Bretagne, en latin, circuitus Britanniae), souvent appelé aussi « pèlerinage aux Sept Saints », effectué pour les honorer, car les récits populaires sur ces saints sont émaillés d'innombrables miracles produits autour de leurs tombeaux[12].
Le pèlerinage à Saint Patern a laissé une trace dans le procès qui oppose, à la fin du XVe siècle, les paroissiens et les chanoines de la cathédrale de Vannes sur la destination des revenus des offrandes déposés dans l'église Saint-Patern. Une des pièces du procès inclut le nom de Tro Breiz et c'est la plus ancienne trace du nom en breton du pèlerinage.

Le pèlerinage islamo-chrétien

En 1954, au début de la Guerre d'Algérie, l'orientaliste Louis Massignon qui était très soucieux d'œcuménisme entre les chrétiens et les musulmans, a créé un pèlerinage commun réunissant chrétiens et musulmans sous l'invocation des Sept-Saints, en identifiant les Sept-Saints-Fondateurs de la Bretagne aux Sept Dormants d'Éphèse (ou Ahl al-kahf), dont le souvenir s'est conservé dans les textes musulmans (sourate 18 du Coran, dite « La Caverne »), ainsi que chez des auteurs chrétiens de Syrie.

Ce pèlerinage, réunissant depuis lors chrétiens et musulmans, a donc lieu, chaque année, dans la chapelle des Sept-Saints construite sur une crypte et proche d'un dolmen, à Plouaret, actuellement dans la commune du Vieux-Marché dans les Côtes-d'Armor, où un ancien pardon des Sept Saints existait.

Selon Louis Massignon, le culte des Sept-Saints-Dormants serait parvenu au Vieux Marché au IIIe siècle par l'intermédiaire de moines et de missionnaires grecs qui accompagnaient les commerçants d'Orient sur la route de l'étain [13]. Il se fondait sur un cantique en langue bretonne ou gwerz[14], publié par Alexandre Lédan (1777-1855), éditeur à Morlaix, et traduit par Geneviève Massignon, dont il reste 18 strophes dans le Cantique de la procession[15],[16].

Il a repris cette idée d'identifier les Sept-Saints bretons aux Sept-Saints syriens d'un numéro de la revue Mélusine paru en 1878, où François-Marie Luzel et Ernest Renan avaient publié en parallèle deux articles décrivant, pour le premier, la chapelle des Sept-Saints[17] dans la commune du Vieux-Marché (Côtes-d'Armor), pour le second la légende des Sept-Dormants[18].

Sur la partie en français de la plaque informative fixée sur le portail, est mentionné l'hypothèse de marchands musulmans ayant emprunté la Route de l'étain au Moyen Âge. Cette hypothèse ne repose sur aucune source historique. La version du texte en breton, sur cette même plaque, indique une substitution des saints d'Éphèse aux Sept-Saints fondateurs. Elle est contredite par l'histoire et l'origine galloise bien attestée de ces derniers.

Le remplacement par d'autres des saints bretons, auquel il était fait grief de ne pas être mentionnés dans la Tradition latine de Rome et ne pas avoir été canonisés[19], a été une pratique souvent constatée aux XVIIe et au XVIIIe siècle.

Symbolique du chiffre sept

Le nombre « sept » a une valeur symbolique très forte dans les traditions chrétienne :

  • par exemple, sa présence anaphorique dans l'Apocalypse : Les sept anges qui sont devant Dieu (Ap 8,2), que l'on assimile généralement aux archanges, le Livre roulé scellé de sept sceaux (Ap 5,1), les sept trompettes (Ap 7,2), annonçant les sept malheurs puis la voix paradoxalement mystérieuse des sept tonnerres (Ap 10,3), au message demeuré caché, viennent ensuite sept anges portant sept fléaux (Ap 15,1)... sans oublier, bien sûr et surtout, les sept Églises (Ap 1,4) auxquelles est envoyé le petit livre sacré, et qui représentent l'ensemble des communautés chrétiennes, ensemble symbolisé par la figure de la Grande Ourse : sept étoiles reliées selon un lien immuable, formant un chariot qui chaque nuit parcourt le ciel autour de l'étoile polaire.
  • il évoque aussi les sept dons du Saint-Esprit ou les sept sacrements.

Galerie

Notes et références

  1. Georges Minois, Histoire religieuse de la Bretagne, Éditions Jean-Paul Gisserot, , p. 41.
  2. Bernard Merdrignac, Les saints bretons entre légendes et histoire. Le glaive à deux tranchants, Presses universitaires de Rennes, , p. 195.
  3. Les hagiographes les lient souvent à l'aristocratie britto-romaine, car certains portent des noms latins gentilices, comme Paulus Aurelianus, saint Pol Aurélien
  4. Joël Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, Le Seuil, , p. 133.
  5. Alain Guigny, "La grande histoire du Tro Breiz", éditions Ouest-France, 1997, (ISBN 2-7373-2159-X)
  6. Ces frêles embarcations faites de peaux tendues sur une armature de lattes, étaient lestées de grosses pierres afin de tenir la mer. Certaines de ces pierres étaient spécialement creusées pour y emboîter les mâts des voiles, d'où la ressemblance avec des auges. La spéculation rationaliste qui interprète cette auge comme une pierre de lest n'est guère convaincante car les gens de l'époque connaissaient bien ce genre de procédé. Une autre confusion possible vient du fait que la peau recouvrant ces embarcations était colmatée avec une sorte de ciment végétal afin de colmater ouvertures ou déchirures, donnant l'illusion de la pierre lorsque ce ciment est séché. Enfin, l'hypothèse d'une acclimatation tardive en Bretagne du motif de la « barque de pierre » sous l'influence du légendaire de Compostelle, n'est pas exclue. Bernard Merdrignac, Recherches sur l'hagiographie armoricaine du VIIème au XVème siècle, Centre régional archéologique d'Alet, , p. 66 ; Bernard Merdrignac , « Jean-Christophe Cassard, Les Bretons et la mer au Moyen Âge. Des origines au milieu du XIVe siècle [compte-rendu] », Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, t. 106, no 4, , p. 131
  7. Bernard Merdrignac, Recherches sur l'hagiographie armoricaine du VIIème au XVème siècle, Centre régional archéologique d'Alet, , p. 190.
  8. Jean-Christophe Cassard, « Le Tro-Breiz Médiéval, un mirage hagiographique ?», MILIN, G., GALLIOU, P. (éd.), Hauts lieux du sacré en Bretagne, Kreiz 6 – Études sur la Bretagne et les Pays Celtiques, Brest, CRBC, 1997, p. 114.
  9. La tradition des Sept-Saints est entièrement dans le cercle des chrétientés bretonnes influencées par l'Émigration des Bretons venus de Grande-Bretagne. Les évêchés de Rennes et de Nantes qui n'ont été rattachés à la Bretagne qu'au IXe siècle, n'ont pas été partie prenante à cette tradition.
  10. Légende des Sept-Saints sur Wiki-Brest
  11. Bernard Rio, "Pardons de Bretagne", éditions Le Télégramme, 2007, (ISBN 978-2-84833-184-3)
  12. La mémoire des sept anciens évêchés est restée vivante, puisque les Bretons se réfèrent encore au Trégor, au Léon, à la Cornouaille, voire au Clos-Poulet Poulet » venant d'une déformation de Pagus Aletis/Pou-Alet = « pays d'Aleth », aujourd'hui Saint-Servan, dont saint Malo aurait été évêque)
  13. Gwerz des Sept-Saints
  14. Sources et détails et
  15. Gérard Prémel
  16. François-Marie Luzel, "La chapelle des Sept-Saints dans la commune du Vieux-Marché (Côtes-du-Nord)", revue Mélusine, 1878.
  17. Ernest Renan, "La légende des Sept-Dormants", revue Mélusine, 1878.
  18. La canonisation n'a été instituée qu'au début du XIIe siècle.

Voir aussi

Articles connexes

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