Référendum de 2014 en Crimée

Le référendum de 2014 en Crimée est un référendum d'autodétermination non reconnu par la communauté internationale, qui s'est tenu le portant sur le rattachement de la péninsule de Crimée, c'est-à-dire le territoire de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol, ukrainienne puis autoproclamée indépendante sous le nom de République de Crimée, à la Russie. Il se déroule pendant la crise dans la péninsule engendrée par le renversement du gouvernement ukrainien à la suite du mouvement contestataire de 2013-2014 en Ukraine.

Pour un article plus général, voir Crise de Crimée.

Référendum d'autodétermination en Crimée
Type d’élection référendum
 oui »/« non »)
Corps électoral et résultats
Votants 1 274 096
83,1%
Votes exprimés 1 264 999
Votes nuls 9 097
Réunification de la Crimée avec la Russie et adoption du droit de la Fédération de Russie
Pour[1]
96,77%
Rétablissement de la Constitution de la République de Crimée de 1992 et maintien du statut de la Crimée dans le cadre de l'Ukraine (choix contraire du précédent)
Pour[1]
2,51%

Si la population approuve le rattachement à la Russie à une écrasante majorité (96,77%), le résultat n'est pas reconnu par de nombreux pays, dont l'Ukraine.

Contexte

Les manifestations qui se tiennent en Ukraine depuis novembre 2013 aboutissent le à la destitution du président Ianoukovytch, généralement qualifié de pro-russe dans les médias occidentaux. Une grande partie de la République autonome de Crimée, région autonome d'Ukraine majoritairement russophone en proie à des tensions séparatistes, ne reconnaît pas les nouvelles autorités et la région cherche donc à se distancier du reste de l'Ukraine. Le 23 février, le statut du russe comme langue régionale protégée est aboli par le parlement ukrainien, ce qui engendre une vague de manifestations dans toute la partie russophone du pays[2]. Un nouveau président est désigné le puis un nouveau Premier ministre, tous deux issus de l'opposition et pro-européens, et un gouvernement d'union nationale intérimaire est formé le .

Dans la nuit du 26 au 27, à la suite d'affrontements au cours de la journée entre des milliers d'opposants favorables et opposés au nouveau pouvoir pro-européen près des bâtiments officiels de la République autonome, une quinzaine d'hommes armés non identifiés, des commandos pro-russes, s'emparent du siège du gouvernement et du parlement (Conseil suprême) de Crimée, tous deux situés dans la capitale Simféropol, et des drapeaux russes sont hissés aux côtés des drapeaux criméens à la place des drapeaux ukrainiens sur les bâtiments[3]. La prise des bâtiments officiels est confirmée tôt le matin du 27 par le Premier ministre de la république autonome, Anatoli Moguiliov, selon qui les hommes sont porteurs « d'armes modernes »[3].

Dans l'après-midi, le service de presse du Parlement fait savoir qu'à l'issue d'un vote à huis clos le gouvernement local a été limogé et qu'un référendum sur la souveraineté étatique de la Crimée, prévoyant une extension de l'autonomie de la République autonome de Crimée au sein de l'Ukraine, sera tenu le , jour de l'élection présidentielle nationale anticipée[3]. Une députée de la Douma, Elena Mizoulina, propose le au Parlement russe d'adopter une nouvelle loi qui permettrait à la Fédération de Russie d’accepter de nouveaux territoires en son sein via une procédure simplifiée, en précisant que sa proposition était motivée par « la situation actuelle en Ukraine ». Le 1er mars, le nouveau Premier ministre de Crimée, Sergueï Aksionov, annonce que la date du référendum est avancée au . Le matin du , le Parlement de Crimée demande finalement à Moscou son rattachement à la Russie[4], afin de revenir à la situation d'avant le , date à laquelle Nikita Khrouchtchev, secrétaire général du parti communiste de l'URSS et d'origine ukrainienne, détachait l'oblast de Crimée de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), afin de l'« offrir » à la République socialiste soviétique d'Ukraine à l'occasion du 300e anniversaire de la réunification de la Russie et de l'Ukraine. Le décret est signé dès l'après-midi par les dirigeants de la région autonome, et le vice-Premier ministre de Crimée, Roustam Temirgaliev, annonce qu'un référendum sur le statut de la péninsule de Crimée aura lieu le pour valider ce choix, dans lequel il sera demandé aux électeurs s'ils souhaitent que la Crimée continue à faire partie de l'Ukraine ou s'ils préfèrent son rattachement à la Fédération de Russie[4]. Le , préalablement au référendum, le parlement de Crimée, considéré comme illégal par les autorités de Kiev, adopte par 78 voix sur 81 « une déclaration d'indépendance de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol » à l'égard de l'Ukraine[5].

Questions posées

Bulletin de vote du référendum, vierge (l'une ou l'autre case est à cocher, de façon exclusive).

La seule question qui devait être posée lors du référendum sur la souveraineté étatique était : « Êtes-vous pour la souveraineté étatique de la Crimée au sein de l'Ukraine ? »[6],[7].

Celle-ci aurait été approuvée par 61 des 64 députés du parlement de Crimée présents (sur 100 membres au total) l'après-midi du [6]. Si le résultat avait été positif, le gouvernement de Crimée n'excluait pas la possibilité de déclarer ultérieurement l'indépendance de la Crimée ou son rattachement au voisin russe.

Finalement, la question posée le est[8] :

« Cochez la case correspondant à la variante pour laquelle vous votez :

1) Êtes-vous favorable à la réunification de la Crimée avec la Russie dans les droits de la Fédération de Russie ? [trad 1]

2) Êtes-vous favorable au rétablissement de la Constitution de la République de Crimée de 1992 et pour le statut de la Crimée dans le cadre de l'Ukraine ?[trad 2] »

Le bulletin de vote est unique et se présente avec des cases à cocher, conformément à l'usage dans ces pays. Il est précisé que si les deux cases sont cochées, le bulletin sera considéré comme nul. Il est rédigé en trois langues : russe, ukrainien et tatar de Crimée[note 1]. Le bulletin est sur le site officiel du référendum[9]. Les bulletins sont placés directement dans une urne électorale transparente, sans enveloppe[note 2].

D'après des membres du parlement de Crimée, Sébastopol, actuellement administrée séparément du reste de la Crimée, sera aussi comprise dans ce référendum[8].

Réactions

Le matin du , le président ukrainien par intérim, Oleksandr Tourtchynov, a immédiatement mis en garde la flotte russe basée en mer Noire contre toute « agression militaire »[3]. Au Parlement à Kiev, il a précisé « aux dirigeants militaires de la flotte de la mer Noire [que] tous les militaires doivent rester sur le territoire prévu par les accords. Tout mouvement de troupe armé sera considéré comme une agression militaire »[3]. La Pologne, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis, ainsi que l'OTAN, entre autres, font part de leur inquiétude, condamnant la prise des bâtiments officiels de Crimée et rappelant à la Russie son engagement à défendre l'intégrité territoriale de l'Ukraine[3]. Le président du Medjlis, l'assemblée représentant les Tatars de Crimée, Rifat Tchoubatov, a pour sa part dénoncé un « plan de Moscou » dans la prise des bâtiments officiels de Crimée[3]. Le 1er mars, le ministre français Laurent Fabius fait également part de sa préoccupation.

Le , jour de l'annonce de la demande de rattachement de la Crimée à la Russie et du "nouveau" référendum, le Kremlin annonce que le président russe Vladimir Poutine a étudié la demande de la Crimée avec son Conseil de sécurité[4]. Le vice-Premier ministre de la région autonome acte dans l'après-midi que le décret sur le rattachement de la Crimée à la Russie est entré en vigueur et affirme donc que les effectifs de l'armée ukrainienne qui se trouvent sur son territoire sont désormais considérés comme une « force d'occupation » qui va devoir se rendre ou partir[4]. De leur côté, le ministre ukrainien de l'Économie estime que « ce référendum n'est pas conforme à la Constitution » et le Premier ministre ukrainien juge la décision du Parlement de Crimée « illégitime »[4]. Pour leur part, les Américains dénoncent la tenue d'un référendum sans l'accord de Kiev[4] et Barack Obama, président des États-Unis, estime que ce référendum « violerait le droit international »[10]. Kiev annonce pour sa part avoir entamé une procédure de dissolution du parlement local de Crimée[10].

Immédiatement après la déclaration d'indépendance le , le parlement ukrainien menace à nouveau de dissoudre l'assemblée de la République autonome de Crimée si elle n'annule pas le référendum prévu dans la péninsule[5]. Depuis la Russie, le président déchu Viktor Ianoukovitch affirme que « la Crimée se détache » de l'Ukraine en raison de la politique des « néo-fascistes » arrivés au pouvoir à Kiev, avant d'assurer que l'Ukraine allait se ressaisir et « retrouver son unité »[5]. Les autorités russes se félicitent de la déclaration d'indépendance de la Crimée en faisant savoir par la voix de Sergueï Lavrov que « le ministère des Affaires étrangères russe considère la décision du Parlement de Crimée absolument légale »[5]. Dans son communiqué, la diplomatie russe rappelle que dans le cas du Kosovo, l'ONU et plusieurs pays occidentaux avaient estimé « qu'une déclaration unilatérale d'indépendance d'une partie d'un État ne violait aucune norme du droit international »[5]. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel García-Margallo, annonce depuis la Slovénie que la décision des autorités de Crimée de déclarer son indépendance de l'Ukraine est « nulle, illégale et viole les lois et pratiques internationales », tout en appelant toutefois l'Union européenne à coopérer avec la Russie pour résoudre la crise ukrainienne[5]. Théodore Christakis, professeur de droit international à l'université Grenoble Alpes et directeur du Centre d'études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE), affirme que le droit donne ici raison à la Russie en déclarant qu' « un référendum concernant le statut futur d'un territoire n'est pas, en principe, « illégal » du point de vue du droit international, pas plus qu'une éventuelle déclaration d'indépendance à la suite d'un tel référendum »[5]. Il note néanmoins qu'en cas de victoire du oui au rattachement à la Russie, une « tension forte » s'exercerait entre « les faits, l'annexion de facto de la Crimée, et le droit, à savoir le caractère illégal de cette annexion compte tenu de l'intervention militaire de la Russie en violation du droit international »[5]. Il est par ailleurs d'ores et déjà prévu que les députés russes examinent le à la Douma un texte de loi permettant d'incorporer dans la Fédération de Russie un territoire étranger qui en émettrait le souhait en cas de défaillance de l'État auquel il appartient[5]. Le secrétaire d'État américain John Kerry a de son côté averti dès le que toute initiative de Moscou en vue d'annexer la Crimée mettrait fin aux efforts diplomatiques pour régler la crise russo-ukrainienne[5]. Le , l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder concède le parallèle entre la Crimée et le Kosovo quinze ans plus tôt mais déclare soutenir la position d'Angela Merkel en disant que l'action menée par Vladimir Poutine vis-à-vis de la souveraineté de l'Ukraine est illégale tout comme l'avait été celle menée au Kosovo contre la Serbie[11].

Moscou a comparé ce référendum au référendum mahorais de 2009, où la population s'est prononcé avec un score voisin (95,24%) pour que Mayotte devienne le 101ème département français, bien que les Comores clament toujours leur souveraineté sur l'île[12].


Résultat du référendum

Résultats officiels

Le résultat officiel du référendum est de 96,6 % de « oui » au rattachement à la Russie. Le , le parlement de la Crimée a proclamé unanimement l'indépendance de la péninsule ukrainienne et demandé son rattachement à la Russie. Les autorités intérimaires à Kiev, elles, continuent, de parler « d'une grande farce » à propos du référendum adopté. Les 85 députés du parlement de la Crimée ont aussi décrété la nationalisation de tous les biens de l'État ukrainien sur son territoire. Sergueï Neverov, le vice-président de la Douma a déclaré « Les résultats du référendum en Crimée montrent clairement que les habitants de Crimée voient leur avenir seulement au sein de la Russie ». Catherine Ashton a assuré que l'UE allait envoyer « le message le plus fort possible » à la Russie en décidant d'imposer des sanctions[13]. Le dirigeant sécessionniste de Crimée Sergueï Aksionov, commentant le résultat du référendum de rattachement à la Russie, a déclaré le soir même à la foule à Simféropol : « Nous rentrons à la maison. La Russie est notre foyer »[14].

Accusations de fraude

Le taux de « oui » donné par les résultats officiels étant très élevé, des accusations de truquage sont rapidement apparues. Le fait que le président de l’OSCE, Didier Burkhalter, ait indiqué que l'organisation n'entendait pas superviser un scrutin qu'elle juge illégal renforce le soupçon de fraudes tout en le rendant de facto invérifiable[15]

Le , le sous-secrétaire général des Nations Unies aux droits de l'homme Ivan Šimonović, qui a visité la Crimée en mars, déclare que « la manipulation des médias a contribué significativement à un climat de peur et d'insécurité dans la période précédant le référendum, et la présence de paramilitaires et de groupes dits d'auto-défense, ainsi que de soldats en uniforme mais sans insigne, n'a pas amené un environnement dans lequel les votants pouvaient exercer librement leur droit de soutenir des opinions et le droit à la liberté d'expression »[16].

Certaines sources, donnent des estimations qui diffèrent notablement de ces résultats officiels. Le , le site web du Conseil du Président de la Fédération de Russie (Совет при Президенте РФ) pour la société civile et les droits de l'homme publie un rapport sur le référendum de Crimée selon lequel « en Crimée, d'après différentes données, 50-60 % des votants ont voté pour rejoindre la Russie, avec un taux de participation total de 30-50 % »[17]. D'après la déclaration de Moustafa Djemilev, chef de file du Mouvement national des Tatars de Crimée, sur les ondes de Voice of America, le taux de participation n'a pas été de 82 % mais seulement de 32,4 %[18].

Cependant, d’autres sources estiment que le résultat n'aurait pas forcément été différent si le scrutin avait été supervisé par les observateurs de l'OSCE [15]. Ainsi, un sondage réalisé en Crimée par l'institut américain Gallup en montre que 82,8 % des habitants de Crimée (68,4 % pour les Ukrainiens ethniques et 93,6 % pour les Russes ethniques) jugent que les résultats du referendum sont conformes à ce que pensent la majorité des habitants[19]. Par ailleurs, les « soldats [russes] en uniforme mais sans insigne » semblaient relativement bien perçus par la population, qui les a surnommés les « hommes polis (ru) ». Cela s'explique sans doute par le fait que 65,3% de la population est ethniquement russe et par des précédents sécessionnistes (notamment la République de Crimée (1992-1995)).

Notes et références

Traductions

  1. (ru) « «Вы за воссоединение Крыма с Россией на правах субъекта Российской Федерации?» »
  2. (ru) « «Вы за восстановление действия Конституции Республики Крым 1992 года и за статус Крыма как части Украины?» »

Notes

  1. La Pravda ukrainienne du 6 mars reproduit un fac-similé d'un communiqué de presse de la Rada de la République autonome de Crimée de la même date précisant l'organisation du référendum et définissant la question qui sera posée.
  2. On observe cela sur l'ensemble des vidéos et des images de l'événement.

Notes et références

  1. (en) « 96.77 % Crimeans vote to join Russia - 100 % ballots processing data », sur Interfax-Ukraine,
  2. Inna Doulkina, « Ukraine : la Crimée rapproche la date du référendum au 30 mars 2014 », sur lecourrierderussie.com,
  3. « Ukraine: revivez la journée du 27 février 2014 », sur bfmtv.com, 27 février 2014 à 18h53, bfmtv.com, 27 février 2014.
  4. « Ukraine : Kiev veut dissoudre le Parlement local de Crimée », sur francetvinfo.fr
  5. « Le Parlement de Crimée adopte une déclaration d'indépendance à l'égard de l'Ukraine », sur francetvinfo.fr, 11 mars 2014 à 11h37
  6. « Ukraine - Le Parlement de Crimée fixe au 25 mai un référendum pour plus d'autonomie », lalibre.be, 27 février 2014.
  7. « Le Parlement de Crimée fixe au 25 mai un référendum pour plus d’autonomie », lavenir.net, 27 février 2014.
  8. « Crimean parliament votes to join Russia, hold referendum in 10 days on ratifying », RT, (lire en ligne, consulté le )
  9. le choix « 5 » permet de charger le fichier .pdf du bulletin.
  10. Obama : «Un référendum en Crimée violerait le droit international»
  11. (de) « Schröder erklärt Putin. „Er handelt wie ich“ », faz.net, 10 mars 2014.
  12. Moscou compare Mayotte à la Crimée: le département français s'offusque, Le Figaro, 20 juin 2019.
  13. « La Crimée demande officiellement son rattachement à la Russie », sur RTS.ch, (consulté le )
  14. « En Crimée, 95 % des votants en faveur d'un rattachement à la Russie », sur Libération.fr, (consulté le )
  15. L'OSCE invitée en Crimée pour le référendum de dimanche
  16. (en-US) « Unrest in eastern Ukraine risks ‘seriously destabilizing’ entire country – UN rights official », United Nations, (consulté le ) : « "Media manipulation significantly contributed to a climate of fear and insecurity in the period preceding the referendum, and the presence of paramilitary and so-called self-defence groups, as well as soldiers in uniform but without insignia, was not conducive to an environment in which voters could freely exercise their right to hold opinions and the right to freedom of expression" »
  17. Rapport publié le 11 mai 2014, disponible en russe sur le site president-sovet.ru.
  18. (ru) Мустафа Джемилев выступил в Совете Безопасности ООН sur le site de Voice of America en russe
  19. http://www.bbg.gov/wp-content/media/2014/06/Ukraine-slide-deck.pdf

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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