Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde

Philippe de Marnix, baron de Sainte-Aldegonde, né en 1538[1] ou en 1540[2] à Bruxelles et mort le à Leyde, est à la fois homme d'État, militaire, poète, polémiste, théologien et pédagogue.

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Marnix de Sainte-Aldegonde
Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde
Naissance 1538-1540 (?)
Bruxelles
 Pays-Bas des Habsbourg
Décès
Leyde
Provinces-Unies
Activité principale
Auteur
Langue d’écriture néerlandais
français
latin
Mouvement Renaissance
Genres

Il écrivait en trois langues : le néerlandais, le latin et le français.

Biographie

Philippe de Marnix, futur Sainte-Aldegonde, né à Bruxelles pendant le règne de l’empereur Charles Quint, est issu d’une famille noble de Savoie et de Franche-Comté. Il étudie vraisemblablement le droit à Louvain, Paris, Dole et Padoue et sous Jean Calvin et Théodore de Bèze la théologie à Genève. Il est probablement de retour aux Pays-Bas du sud en 1561.

L'histoire de Philippe de Marnix est intimement liée avec celle de Calvin. Dès 1565, en tant que calviniste convaincu, il s’engage, à la suite du prince d'Orange dans la révolte des gueux contre le pouvoir centralisateur de Philippe II, roi d’Espagne et des Pays-Bas, qui a succédé à son père Charles Quint. Philippe II s'efforce de restreindre les libertés des vieilles chartes remontant aux ducs de Brabant et aux ducs de Bourgogne dont Charles Quint et son fils Philippe II descendent directement. Philippe de Marnix rejoint le Compromis des Nobles proclamé à Bruxelles qui aboutit à celui de Bréda, dont il devient un des premiers auteurs. La revendication de la liberté de conscience s'oppose aux thèses de l'Inquisition : le Compromis est donc rejeté par la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite de Parme qui siège à Bruxelles.

À l'arrivée à Bruxelles du duc d'Albe en 1567, Marnix est contraint de quitter le pays et trouve refuge à Brême et au Lütetzburg, chez le drossart d'Emden, où il écrit son pamphlet De Bijencorf der H. Roomsche Kercke (La Ruche de l'Église catholique), plus simplement dénommé de Bijenkorf en 1569[3]. Il ne revient aux Pays-Bas qu'en 1571. Guillaume de Nassau, prince d'Orange le charge de missions diplomatiques, militaires et religieuses, l’employant comme diplomate, propagandiste et polémiste. Il se trouve investi des négociations avec Paris et Londres, et, en 1578, avec la Diète d'Empire. Philippe de Marnix contribue beaucoup à l'édification de l'Université de Leyde, aux traités de la pacification de Gand et de l'Union de Bruxelles en 1576, traités qui, pour un moment, confèrent une unité d'action aux provinces de Belgique (Belgica Regia). Nommé en 1583 au poste de Bourgmestre extérieur d'Anvers, il défend la ville en 1584 pendant treize mois contre Alexandre Farnèse mais, en 1585, il doit finalement la rendre à Farnèse. Il se retire alors de la vie politique active. Après avoir mené une vie retirée cinq ans durant au château West-Souburg en Comté de Zélande, il reparaît comme ambassadeur à Paris en 1590, et vit ensuite à Leyde, où il est chargé de la traduction de la Bible en néerlandais pour l’église réformée néerlandaise. De ce dernier projet, l’homme dont l’adage est « Repos ailleurs » ne peut achever qu’un seul livre.

Œuvre littéraire

Traités polémiques

Son principal ouvrage, De bijencorf der H. Roomsche Kercke[4], non daté mais datable de 1569, fut publié sous un nom fictif ; celui d’Isaac Rabbotenu de Louvain. Le Bijencorf, appartenant au genre alors très en vogue du pseudo-éloge[5], est aussi et surtout un pamphlet de propagande calviniste très satirique, à la fois pointu et comique, sous forme de « parodie complémentaire » d’un petit ouvrage apologétique de l’église catholique romaine de Gentian Hervet : Missyve oft seyndbrief aende verdoolde van den Christen gheloove de 1566. Cette « missive » est la traduction néerlandaise d’un ouvrage sorti de la presse la même année mais déjà publié en 1561 sous un autre titre : Epistre aux desvoyes de la foy.

Dans son Bijencorf, Marnix fait parler un clerc catholique désireux de faire l'éloge de son Église, et la critique des calvinistes. Mais ce clerc maladroit se prend les pieds dans son propre discours. Au lieu de louer les grands docteurs catholiques (le jésuite Bellarmin, le prédicateur François Panigarole, et le controversiste Gentian Hervet), il dévoile involontairement tous leurs vices et toutes leurs manipulations.

Devenant rapidement un grand succès, le pamphlet de Marnix fut réimprimé, à 22 reprises au moins, et cela jusqu’en l’an 1761. Une première traduction allemande parut en 1576, la seconde en 1579 ; en tout il y en a eu quatre différentes, comme en anglais[6]. L’adaptation élaborée, considérablement élargie, s’étendant sur près de 1 500 pages, qu’en fit Marnix lui-même en langue française, est intitulée : le Tableau des differens de la religion (1599-1605). Le ton de Marnix emprunte à Rabelais, à Érasme[7] et à Henri Estienne.

Selon Mathieu de La Gorce, sa très riche invention verbale, qui explique que le Tableau a parfois été décrit comme « une tour de Babel incompréhensible, une aventure linguistique à moitié folle », est loin d'être gratuite. Bien au contraire, elle constitue une arme, aux côtés de la satire, au service des convictions protestantes de l'auteur. Ainsi, paradoxalement, la fantaisie verbale d'inspiration rabelaisienne est employée pour une cause qui souhaite la domestiquer : « pire encore, ces manipulations ont pour première fonction de dénoncer la plasticité de la langue, et de promouvoir une langue pure et stable »[7]. Ainsi, cette langue décalée  tant par rapport à la langue des autres écrits de Marnix, que plus généralement par rapport à la langue commune de l'époque  est-elle une langue inventée, une « langue fictionnelle »[8].

Le Tableau est également la réponse qu’a formulée Marnix sur l’accueil réservé à son Bijencorf par plusieurs auteurs du camp catholique, tels que les prêtres Martinus Donckanus[9] et Jan Coens, le théologien Joannes Molanus[10], le jésuite Jan David et même le célèbre cardinal Belarminus[11]

Psaumes

Comme poète, Marnix est connu par ses traductions précises de la Bible et des psaumes, directement de l'hébreu. Het boeck der psalmen Davids, comprenant l’entièreté du livre des psaumes, parut en 1580. Une seconde édition sort en 1591, ainsi que les cantiques scripturaux ; Het boeck der heylige schriftuerlijcke lofsangen.

Rares étaient avant lui les auteurs néerlandophones luthériens et calvinistes de versifications « lyriques » - c’est-à-dire, qui peuvent se chanter - de l’ensemble des psaumes qui traduisirent à partir de l'hébreu. Ainsi, Petrus Dathenus traduisit le psautier entier en rimes d’après celui de Genève, qui est en langue française. Ses versifications rimées demeurèrent populaires et furent chantées dans la République des Sept Pays-Bas-Unis jusqu'en 1773, jusqu’à ce que leurs paroles, mais non leurs mélodies du XVIe siècle, furent remplacées par une nouvelle versification. Cependant, la versification de Marnix ne put plus remplacer celle de Dathenus qui, en peu de temps, était devenue fort populaire auprès de la communauté réformée des Provinces-Unies, bien que de toutes les versifications rimées et chantées du psautier, produites aux anciens Pays-Bas au XVIe siècle par des poètes tels que Van Zuylen van Nijevelt, Utenhove, De Heere, Dathenus et Van Haecht, la postérité ait considéré celles de Marnix comme les meilleures.

Apologie de l’iconoclasme

En 1567, il publie anonymement sa Vraye narration et apologie des choses passées au  [sic] Pays-Bas, touchant le fait de la religion. La version antérieure en néerlandais de cette justification de l'iconoclasme, Van de beelden afgheworpen in de Nederlanden in Augusto 1566, n'a été imprimée qu'en 1871.

Traité sur l’éducation

Outre ses écrits polémiques, Marnix a laissé un traité en latin intitulé Ratio instituendae iuventutis, de 1583, sur l'éducation des princes et des enfants.

Parenté douteuse de l’hymne national néerlandais

Il serait également l'auteur des paroles du Wilhelmus, l'hymne national néerlandais. Cette attribution traditionnelle est contestée de nos jours, mais remonte aux premières décennies suivant sa mort, car le Wilhelmus figure sous son nom dans un manuscrit datant de 1618[12]. La source la plus ancienne des paroles est un exemplaire du recueil de chansons de gueux que l’on a retrouvé dans la Bibliothèque nationale de France à Paris, non daté mais vraisemblablement, à en juger par son contenu politique qui suit les événements historiques de près, de 1577-1578. Quant à attribuer le Wilhelmus à la célèbre main droite du Taciturne, les philologues de notre temps se montrent plutôt réticents ; la comparaison entre la fameuse chanson de gueux et les œuvres connues de Marnix rend difficile une telle identification compte tenu des différences stylistiques.

Appréciation de l’œuvre

La notoriété de Marnix a été grande dans de nombreux domaines différents. Selon Jan Romein, il a été « le secrétaire de la rébellion » par excellence ; le père spirituel et le propagandiste des calvinistes néerlandais. Pour la littérature néerlandaise, il compte parmi les auteurs les plus importants de son époque. En tant qu’écrivain en langue française et comme disciple accompli d’un Rabelais dans son Tableau, il est très apprécié, notamment par Edgar Quinet et Henri Pirenne[13].

Marnix savait parler espagnol, et celui-ci influa ses écrits.[14]

Liste d’œuvres

Armoiries de Philippe de Marnix

Principales sources pour cet article

  • Alberdingk Thijm, Petrus Paul Maria. La Joyeuse histoire de Philippe de Marnix, seigneur de Sainte Aldegonde, et de ses amis, Paris, Victor Plamé, 1878.
  • Bork (van), Gerrit Jan, et Pieter Jozias Verkruijsse (réd.). De Nederlandse en Vlaamse auteurs van middeleeuwen tot heden met inbegrip van de Friese auteurs, Weesp, De Haan, 1985, p. 373-374.
  • Delassois, Alain. Article dans revues no 38 et 39 du Cercle d'histoire de Leval-Trahegnies, Epinois, Mont Ste Aldegonde (CHLEM).
  • Laan (ter), Kornelis. Letterkundig woordenboek voor Noord en Zuid, 2e tirage, La Haye/Jakarta, G.B. van Goor Zonen's Uitgeversmaatschappij, 1952, p. 334-335.
  • Quinet, Edgar. Marnix de Sainte Aldegonde, Paris, 1858 (téléchargeable sur le site Les Classiques des sciences sociales).

Études littéraires

  • Govaert, Marcel. La Langue et le style de Marnix de Sainte-Aldegonde dans son Tableau des différens de la religion, Bruxelles, 1953, 311 p.
  • La Gorce (de), Mathieu. Une Rhétorique iconoclaste. Ordre et désordre dans le Tableau des différens de la religion de Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, thèse dactylographiée de l'Université Paris 7 - Denis Diderot, 2004, 730 p.

Bibliographie

  • Herman Vander Linden. Philippe de Marnix, seigneur de Sainte-Aldegonde, West-Soeburg et Touwinck, Biographie nationale, Académie royale de Belgique, 1894, T. 13, Bruxelles, col. 800ss.
  • R. Van Roosbroeck. MARNIX, Philips van (1540-1598), heer van St.Aldegonde, Nationaal Biografisch Wordenboek, , Koninklijke Vlaamse Academie van België, 1972, T. 5, col. 591.
  • Charles-Albert de Behault. Le siège d'Anvers par Alexandre Farnèse, duc de Parme, in: Bulletin de l'ANRB, n° 307, juillet 2021.

Divers

À Bruxelles, où il naquit, on lui a rendu honneur par trois statues publiques, l’une d’elles faisant partie de l’ensemble architectural et sculptural du Square du Petit Sablon ; une autre orne la façade d’une école communale au quartier des Marolles.

Notes et références

  1. Voir site web openlibrary.org.
  2. Voir site web test.larousse.fr.
  3. L'année 1568 voit le saccage et la destruction à Mont-Sainte-Aldegonde du manoir d’Escosson (établi dans les environs du cimetière actuel) par les bandes du roi d’Espagne commandée par le comte de Lodron. Ce qui reste du château et de ses dépendances est définitivement détruit en 1572 par les troupes conduites par Frédéric de Tolède contre Mons, lors du long siège de la ville occupée par les franco-hollandais, commandés par Louis de Nassau. Les ruines du manoir marquent longtemps son emplacement. En 1875 encore, la charrue labourant le champ qui recouvre les restes du manoir ramène à la surface de nombreux débris de matériaux, restés enfouis.
  4. La Ruche de la Sainte Église romaine.
  5. Voir : Éloge de la Folie d'Érasme.
  6. Dont la traduction anglaise de 1589.
  7. Mathieu de La Gorce, « Pape... pipopu : l’iconoclasme lexicologique de Marnix de Sainte-Aldegonde, protestant et rabelaisien », dans Migrations, exils, errances et écritures, Presses universitaires de Paris Nanterre, coll. « Sciences humaines et sociales », (ISBN 978-2-8218-5084-2, lire en ligne), p. 219–240
  8. Mathieu de La Gorce, « « Embabouiner » le lecteur : détournements satiriques de la coopération fictionelle : Dans le Tableau des differens de la religion, de Ph. de Marnix de Sainte-Aldegonde », dans Usages et théories de la fiction : Le débat contemporain à l'épreuve des textes anciens (XVIe-XVIIIe siècles), Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », (ISBN 978-2-7535-4582-3, lire en ligne), p. 113–149
  9. Prêtre à Amsterdam qui écrivit son Corte Confutatie ende Wederlegginghe van den Biëncorff ; de 1578.
  10. Son écrit latin est de 1570.
  11. Les conférences à ce sujet qu’il fit à Rome, furent publiées de 1581 à 1592.
  12. Il s’agit d’un manuscrit de la collection Simon de Gorter, qui écrivit sous le Wilhelmus « Ghecomponeert ende Ghemaeckt door ionck-heer philips van marnicx heere van sinte aldegonde excellent poeet » (composée et faite par le gentilhomme Philippe de Marnix, Seigneur de Sainte-Aldegonde, excellent poète) ; voir aussi : le Wilhelmus sur le site Internet literatuurgeschiedenis.nl, avec la page dudit manuscrit..
  13. Gerrit Jan van Bork et Pieter Jozias Verkruijsse (réd.), De Nederlandse en Vlaamse auteurs van middeleeuwen tot heden met inbegrip van de Friese auteurs, Weesp, De Haan, 1985, p. 374.
  14. «Sans doute l'Espagne ne fut représentée dans notre pays que par un petit nombre de fonctionnaires groupés dans le grand centre administratif qu'était Bruxelles et les organismes centraux indigènes, comme les organismes provinciaux et locaux, continuèrent-ils ainsi que par le passé à être gérés par des nationaux et à employer les langues nationales; cependant, à partir du gouvernement de Marguerite de Parme et surtout à l'arrivée du duc d'Albe, l'espagnol fut mis à l'honneur à la Cour et devint plus familier aux grands seigneurs et aux hauts fonctionnaires. Quel effet ce bilinguisme plus ou moins parfait pouvait-il exercer sur le français, il est permis d'en juger par l'apparition de mots espagnols dans le correspondances comme celle de Granvelle, et mieux encore par la prose de Marnix de Sainte-Aldegonde. Contrairement à la plupart des écrivains français de la Renaissance, celui-ci était un excellent connaisseur de l'espagnol, et notamment dans le Tableau des différends de la Religion, des mots et des expressions espagnoles viennent souvent émailler de façon pittoresque ou narquoise le contexte français; pareils traits seraient inexplicables s'ils n'étaient pas destinés à des lecteurs ayant au moins la connaissance de quelques rudiments d'espagnol. A la Cour, des troupes de comédiens espagnols venaient donner des représentations» —Herbillon, Jules. Éléments espagnols en wallon et dans le français des anciens Pays-Bas, 23-24. Mémoires de la Commission royale de toponymie et de dialectologie. Section wallonne 10. Liège: Michiels, 1961.

Voir aussi

Article connexe

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