Narsharab

Le narsharab est une réduction de jus de grenade qui sert de condiment dans la vaste zone de domestication de la grenade, de la Turquie à la Chine.

Narsharab.

On l'utilise couramment soit comme condiment des marinades, soit comme sauce ou base de sauce, sur les oignons frits (sogar kebab), les viandes, les poissons, sur les salades en Turquie, et parfois dilué en boisson[1]'[2]. Il n'est pas piquant mais doux-acide[3]'[4].

Dénomination

L'étymologie donne le sens du mot : réduction par décoction de (jus de) grenade. Narsharab se retrouve dans la plupart des langues caucasiennes, du Moyen-Orient à l'Asie centrale : russe, kazakh et ukrainien (Наршараб (narsharab)) ; azéri, narşərab (narsherab) ; géorgien, ნარშარაბი (narsharabi) ; arménien, Նարշարաբ (narsharab), etc. Il est adopté par le français, l'anglais et le chinois (纳尔沙拉布 (nà ěr shālā bù)). L'italien adopte le turc nar ekşisi avec ekşisi, « sirop ». L'espagnol utilise melaza de granada (mélasse de grenade), terme moins précis. Il est composé des radicaux :

  • nar qui désigne la grenade, fruit de Punica granatum en azéri, turc, turkmène, etc. ; en persan انار (anâr) ; en kazakh et kirghize, анар et hinar en kurde[5]'[6]'[7] ;
  • et de sharab, en babylonien « chauffer[8] ». En hébreu שָׁרָב « brûler, chaleur brulante[9]'[10] ». Au sens de réduire par décoction donne l'arabe شراب sharab (d'où sirop dans de nombreuses langues), mot au sens variable de « boire, boisson, breuvage », qui traduit le grec ποτημα « potion » et donne « vin ou liqueur » en persan[11]'[12]'[13]'[14]'[15]. L'anglais pomegranate sour est à rapprocher de l'arabe دبس رمّان (dibs rmman) aigre de grenade[16].
Réduction par cuisson du jus de grenade.

En tant que réduction du jus de grenade par cuisson, le terme est imprécis car le narsharab n'est ni une mélasse (grec ancien μέλας melas noir) visqueuse et très concentrée, ni un sirop (pas d'addition de sucre), encore moins d'un vin de grenade puisqu'il n'est pas fermenté. En revanche, le narsharab n'est souvent pas qu'un jus réduit car il est aromatisé, selon les provenances, de coriandre, basilic, cannelle, laurier, poivre, piment[17]. Pour autant, le vocabulaire académique utilise pomegranate molasses indifféremment pour désigner les concentrés de jus de grenade par décoction, le plus souvent sans analyse du degré de concentration ou de la viscosité qui sont extrêmement variables (les valeurs de viscosité mesurée sur des produits du commerce turc vont de 191,35 à 13 000 mPa).[18]'[19].

Histoire

L'Anonyme andalou (XIIIe siècle) donne un sirop de grenade (L490). « On prend des grenades acides et douces, une livre de chaque, et on ajoute leur jus à deux livres de sucre, on fait cuire le tout jusqu’à ce qu’il prenne la consistance d’un sirop, et on le garde jusqu’au moment de son utilisation. Ses bienfaits : protège les fiévreux, coupe la soif, protège des fièvres bilieuses et est purgatif[20]. »

La composition

Jus de grenade concentré au 1/5

Le jus de grenade extrait des arilles pressées est filtré puis réduit par ébullition sur feu doux à 20 % (selon les sources, on trouve jusqu'à 30 %) de son volume initial (réduction au 1/5)[21]'[22]. Le concentré est un liquide rouge sombre. En fin de cuisson, le goût est rectifié selon les usages (sel, sucre, aromates). Le pigment rouge antioxydant des grenades, le lycopène, est concentré sans être détruit par la cuisson[21].

En l'absence de normalisation il n'y a pas de définition pour distinguer du narsharab le sirop de grenade ou la mélasse de grenade, turc nar pekmezi (concentration à 10 %)[23]'[24]. On trouve des sauces avec le nom de narsharab qui sont des jus de grenade additionnés d'un sucre et un acide alimentaire (acide malique ou citrique). Leur mise au point a pour but de limiter la dépense énergétique d'un chauffage prolongé[25]. Une publication libanaise (2017) propose de retenir la teneur en phénols comme critère d'authentification de la mélasse de grenade et met en garde contre des falsifications (au sirop de dattes) et des fraudes au Moyen-Orient[26]. Une publication turque (2020) met en évidence un niveau de bactéries significatif dans certains produits industriels et demande l'élaboration de normes, une autre montre la présence d'extraits d'arbousier[19],[27].

Le choix des variétés de grenade

Les variétés sauvages ou acides sont préférées, les cultivars Goychay, Girmiz Gabig, Lavangi, Abgora, Sujuq et Narsharab en Azerbaïdjan, Rabab-e-Neriz, Malas-e-Saveh en Iran, Naderi-e-Badrud[28]'[29]'[17]'[30]. La grande diversité des grenades acides sources des jus serait, avec les méthodes de production, une des causes de la variabilité des narsharab selon les auteurs académiques[31].

Salade sauce narsharab.

Source de minéraux et d'antioxydants

La teneur élevée en minéraux et phénols fait l'objet de recherches universitaires pour son apport total dans l'alimentation humaine. Selon une publication turque les minéraux présents sont le calcium (280 mg/kg), le phosphore (16 mg/kg), le potassium (20 mg/kg), le fer (16 mg/kg), le zinc (7 mg/kg) et le magnésium (28 mg/kg)[18]. Le niveau de sucre est élevé : sucre inverti de 21,6 à 57,6 g/100 g, sucre total de 44,8 à 65,3 g/100 g, mesuré sur 4 échantillons du commerce en Turquie (2010)[32].

La teneur totale en phénols est importante quoique très variable, les polyphénols varient de 118,3 à 828,1 mg d'équivalent acide gallique par g, et l'activité antioxydante de 560 et 1885 μmol trolox équivalent par g d'échantillon de produits locaux turcs[27]. Des écarts aussi importants se retrouvent dans l'acidité totale (de 4,7 à 9,7 g 100g-1 ; le pH va de 1.7 à 2.9)[27].

Dans une étude comparative sur le modèle murin (2019), l'action sur les signes du stress oxydatif sérique induit par le vieillissement (diminution du cholestérol total et des triglycérides sériques) à partir des grenades, le narsharab se classe après le jus de grenade[33]. Plus probante est l'action anti-bactérienne du narsharab sur Serratia marcescens, pathogène impliqué dans des infections nosocomiales humaines[34].

Aigre de grenade en Turquie, de gauche à droite : nasharab pur et, à gauche, sauce qui en contient (nar ekşili sos).

Selon un site azerbaïdjanais, le narsharab crée une sensation de satiété, 1 cuillère à café 15 min avant chaque repas 3 fois par jour fera perdre 5 kg par mois en moyenne[35].

Le goût, l'usage culinaire

Le narsharab est une sauce qui équilibre douceur, acidité et amertume, il contient 10 % d'acide citrique et 30 à 40 % de sucres[36].

Chicorée en salade (zeytinyağlı en Turquie) : huile d'olive, sel, jus de citron et narsharab.

Le khoresh-e fesenjan (ragoût de poulet  canard à l'origine , noix, narsharab) est une spécialité culinaire iranienne de la province de Gilan qui se mange chaude, la version azerbaïdjanaise (poulet et oignons au narsharab) est proche[37]'[38]. Dans la zone de domestication de la grenade, le narsharab aromatise les viandes et poissons grillés (chachlik, kebab, tika kabab), l'esturgeon grillé et la saucisse se consomment au narsharab[39]'[40]'[41].

Annexes

Bibliographie

  • Ali Sarkhosh, Alimohammad M. Yavari et Zabihollah Zamani, The Pomegranate: Botany, Production and Uses, CABI, 2020, 594 p.[30]. Ce gros ouvrage donne les niveaux d'acidité (TSS) et de sucre des diverses variétés de grenade (par pays), fait une histoire de la domestication. Voir p. 2, la zone de domestication qui correspond à la zone d'utilisation courante du narsharab.
  • Askar Ali, Pomagranate molasses production and exporting - business plan, Ministère de l'Agriculture polonais, 2014.[42] Cette étude datée (faible coût de l'énergie, absence de quantification de la trace carbone) donne une idée des coûts de la production de narsharab.

Liens externes

  • Blog d'un producteur artisanal qui donne des précisions sur le choix de grenades (demi acides à graines dure facilite l'extraction du jus).
  • Vidéo montrant le production domestique de narsharab en Azerbaikan.

Notes et références

  1. (en) T. K. Lim, « Punica granatum », dans Edible Medicinal And Non-Medicinal Plants, vol. 5 : Fruits, Springer Netherlands, (ISBN 978-94-007-5653-3, PMCID PMC7122081, DOI 10.1007/978-94-007-5653-3_10, lire en ligne), p. 136-194.
  2. (it) Tair Amira Slanov, « La Cucina del Karabakh », IRS Karabakh, , p. 14 (lire en ligne).
  3. (en) Steven Raichlen, Planet Barbecue!: 309 Recipes, 60 Countries, Workman Publishing, (ISBN 978-0-7611-4801-2, lire en ligne).
  4. (en) Jennifer Trainer Thompson, Hot Sauce!: Techniques for Making Signature Hot Sauces, with 32 Recipes to Get You Started; Includes 60 Recipes for Using Your Hot Sauces, Storey Publishing, (ISBN 978-1-60342-813-2, lire en ligne).
  5. « Grenade — Wiktionnaire », sur fr.wiktionary.org (consulté le ).
  6. T. K. Lim, « Punica granatum », Edible Medicinal And Non-Medicinal Plants, , p. 136-194 (PMCID 7122081, DOI 10.1007/978-94-007-5653-3_10, lire en ligne, consulté le ).
  7. (en) « Category:Punica granatum - Wikimedia Commons », sur commons.wikimedia.org (consulté le ).
  8. « Accept Terms and Conditions on JSTOR », sur www.jstor.org (consulté le ).
  9. « שָׁרָב (sharab) - Strong 08273 », sur www.lueur.org (consulté le ).
  10. Auguste Latouche, Études hébraïques. Dictionnaire idio-étymologique hébreu et dictionnaire grec-hébreu, chez l'auteur, (lire en ligne).
  11. « Sirop — Wiktionnaire », sur fr.wiktionary.org (consulté le ).
  12. Adrien Timmermans, L'Argot parisien. Étude d'étymologie comparée suivie du vocabulaire, Klincksieck, (lire en ligne).
  13. Liliane Plouvier, « L'introduction du sucre en pharmacie », Revue d'Histoire de la Pharmacie, vol. 87, no 322, , p. 199-216 (DOI 10.3406/pharm.1999.4740, lire en ligne, consulté le ).
  14. Kamil Tchalaev, Parlons lak. Caucase, Daghestan, Éditions L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-49367-4, lire en ligne).
  15. (en) « Sharab - Wiktionary », sur en.wiktionary.org (consulté le ).
  16. (ar) « فوائد دبس الرمان وطريقة تحضيره », sur Webteb (consulté le ).
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  20. Jean-Michel Laurent (traducteur), Traité de cuisine arabo-andalouse dit Anonyme andalou. Traduction du manuscrit Colin ms 7009 - BnF, Suresnes, Les Éditions du net, , 289 p. (ISBN 978-2-312-04291-6), Recette 490.
  21. « Гранатовый соус наршараб. Как его делают и куда добавляют? », sur gastronom.ru (consulté le ).
  22. « Рецепт: Гранатовый соус "Наршараб" на RussianFood.com », sur russianfood.com (consulté le ).
  23. « Гранатовая патока », sur «Гранд Кулинар» кулинарный сайт с простыми рецептами, здоровое питание, пошаговые рецепты шеф-поваров. (consulté le ).
  24. (ru) « Гранат в турецкой кухне », sur Яндекс Дзен | Блогерская платформа (consulté le ).
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  40. (en) Gil Marks, The World of Jewish Cooking, Simon and Schuster, (ISBN 978-0-684-83559-4, lire en ligne).
  41. (en) Feride Buyuran, Pomegranates and Saffron: A Culinary Journey to Azerbaijan, AZ Cookbook, (ISBN 978-0-9961731-0-0, lire en ligne).
  42. (en) Askar Ali, « Pomagranate molasses production and exporting - business plan », Monografia z XXIII Międzynarodowej Konferencji Studentów, , p-17 (lire en ligne).
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