Arménien

L'arménien est une langue qui constitue à elle seule une branche de la famille des langues indo-européennes, étant seule de cette famille à être plus agglutinante que flexionnelle[2]. L'arménien classique (ou Grabar : en arménien Գրաբար, littéralement « langue écrite ») est attesté à partir du Ve siècle et véhicule une riche littérature théologique, historique, poétique, mystique et épique. Aujourd'hui coexistent l'arménien oriental, langue officielle de la république d'Arménie, parlée par les habitants de l'Arménie et par les communautés arméniennes d'Iran et de Russie, et l'arménien occidental, parlé par la diaspora arménienne. 2 960 000 personnes le parlent en Arménie en 2013, pour un total de 3 843 000 dans le monde[1].

Cet article concerne la langue arménienne. Pour le peuple arménien, voir Arméniens.

Arménien
Հայերեն (Hayerēn)
Pays Arménie, Artsakh
Nombre de locuteurs Arménie : 3 000 000 (2013)[1]
Total : 7 543 000[1]
Typologie Langue flexionnelle et agglutinante, ordre libre (SOV majoritaire)
Écriture Alphabet arménien
Classification par famille
Statut officiel
Langue officielle Arménie
Haut-Karabagh
Codes de langue
ISO 639-1 hy
ISO 639-2 arm (B), hye (T)
ISO 639-3 hye
IETF hy
Linguasphere 57-AAA-a
Glottolog nucl1235
Échantillon
Article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme (voir le texte en français)

Հոդված 1 : Բոլոր մարդիկ ծնվում են ազատ ու հավասար իրենց արժանապատվությամբ ու իրավունքներով։ Նրանք ունեն բանականություն ու խիղճ — միմյանց պետք է եղբայրաբար վերաբերվեն։

Translittération :
Hodvac 1 : Bolor mardik cnvoum ʸen azat ou havasar irenc̣ aržanapatvouṭyamb ou iravounḳnerov. Nranḳ ounen banakanouṭyoun ou xiłč — mimyanc̣ petḳ ě ʸełbayrabar veraberven.

L'arménien présente des ressemblances nombreuses avec le grec ancien (parallèles étymologiques, utilisation de l'augment, traitement particulier des laryngales de l'indo-européen, etc.), comme l'a souligné le linguiste français Antoine Meillet. D'autre part, les consonnes du proto-arménien ont connu la première mutation consonantique (loi de Grimm), ce qui le rapproche plus des langues germaniques pour sa physionomie phonologique.

L'arménien s'écrit au moyen d'un alphabet spécifique créé au Ve siècle.

Histoire de la langue

Manuscrit arménien.

Classification et origine

La langue arménienne appartient à la famille des langues indo-européennes tout comme le français. Voici une courte liste de mots ayant une racine commune avec le latin et le grec.

FrançaisArménienCorrespondant latinCorrespondant grec Forme supposée en PIE[3]
nuageամպ (amp)nimbus, i[4]νέφος, νέφους *né-(n)-bʰos
lumièreլույս (louys)lux, lucis[4]λευκός, « blanc » *leu̯k-
chevalձի (dzi)equus, i[4]ῐ̔́ππος, ῐ̔́ππου *h₁éḱu̯os
mèreմայր (mayr)mater, ris[4]μήτηρ, μητερός *méh₂tēr
oursարջ (ardš)ursus, i[4]ἄρκτος, ἄρκτος *h₂ŕ̥tḱos
luneլուսին (lusin)luna, ae[4]- *lou̯k-s-neh₂
orphelinորբ (vorb)orbus, i [4]ὀρφανός, ὀρφανoυ *h₃erbʰ-
cœurսիրտ (sirt)cor, dis[4]καρδίᾱ, καρδίας *ḱḗr / *ḱr̥d-

De l'indo-européen au proto-arménien

Comme toutes les familles de langues, l'arménien est défini au sein de la famille indo-européenne par un certain nombre d'évolutions phonétiques intervenues dans la préhistoire de la langue. Parmi ces dernières, on pose ainsi en général :

  • un affaiblissement du *s- initial indo-européen en *h- en proto-arménien (isoglosse partagée avec l'iranien et le grec). Cette aspiration a ensuite disparu à une date antérieure aux premiers textes en arménien classique. On a ainsi : աղտ ałt « sel », parallèlement au grec λς et au latin sal < *seh₂l-. Comme en iranien et en grec, cette aspiration ne disparait pas devant une occlusive ; on a donc : ստանամ stanam « établir », comme le grec στοά « portique » ou l'avestique stāiti- « position » < *steh2-.
  • une mutation consonantique des occlusives, parallèle à celle des langues germaniques (*T > *Th ; *D > * T et *Dh > *D : une sourde devient aspirée, une sonore s'assourdit et une sonore aspirée perd son aspiration). On a ainsi : բերեմ berem « je porte » parallèlement à l'anglais bear ; mais en sanskrit bhárami et en grec φέρω < *er-. Tout comme pour les langues germaniques, cette mutation ne concerne pas les groupes consonantiques avec *s ; on a ainsi ստեղն stełn « tronc », face au grec στόλος, au vieux latin stlocus, et à l'allemand stellen < *stel-. En revanche, cette mutation se produit bel et bien en groupe avec une sonante : on a ainsi աղբեւր ałbewr « source » (avec voyelle prothéique et métathèse) à rapprocher du grec φρέᾱρ, du sanskrit bhúrvan et du gotique brunna < *réh1u̯r̥.
  • une délabialisation des labio-vélaires (traitement satem partagé avec le balto-slave et l'indo-iranien). Leur différence avec la série des vélaires simples est par conséquent perdue. Il n'y a par exemple plus aucune trace de labialisation dans un terme comme կին kin « femme », contrairement au grec γῠνή et au vieil-irlandais bén < *gnéh₂-.
  • une assibilation des palatales indo-européennes suivant la mutation consonantique (traitement satem partagé avec le balto-slave et l'indo-iranien) :
    • *ḱ > *ḱʰ > s. On a ainsi սիրտ sirt « cœur », russe се́рдце (sérdce), avestique zərəd- ; parallèlement au grec καρδίᾱ ou au latin cor < *ḗr / *r̥d-. Cette palatalisation a cependant des traitements particuliers en cas de groupe consonantique. On a ainsi *sḱ- > /tsh/. On a par conséquent ցիւ c̣iw « toit » parallèlement au latin ob-scūrus < *sḱeu̯-. Enfin, même si les exemples manquent, il semble qu'on ait *ḱu̯ > /š/. On a en effet էշ ēš « âne », au regard du latin equus, du grec éolien ἴκκος, du tokharien B yakwe, du lituanien ašvà, du sanskrit áśva-, et du vieil-anglais eoh < *h1éḱu̯os. De même pour շուն šun « chien », en grec κύων, latin canis, gotique hunds, hittite ku-wa-aš, letton suns, vieux-slave сѫка (sǫka), sanskrit śvā́ < *ḱu̯ṓ.
    • *ǵ > *ḱ > c. On a ainsi ծնաւղ cnawł « parent », face au latin genitor < *genh1-.
    • *ǵʰ > *ǵ > z. On a ainsi լիզեմ lizem « lécher », parallèlement au latin lingō, au vieil-anglais liccian ou au lituanien laižýti < *lei̯ǵh-.
  • un traitement vocalique triple des laryngales indo-européennes devant consonne (isoglosse partagée avec le grec) :
    • h1C > *eC. On a ainsi երեկ erek « hier », parallèlement au grec ρεβος « obscurité », au sanskrit rájas et au gotique riqis < *h₁rég-o-s
    • h2C- > *aC. On a ainsi արջ arj « ours », parallèlement au grec ρκτος, au latin ursus et au sanskrit kṣá- < *h₂ŕ̥tḱos (la consonne finale est probablement due à une réfection opérée par rapprochement avec l'adjectif արջն arjn « noir »)
    • h3C- > *oC. On a ainsi ատամն atamn < *otann < *odonts « dent », face au grec δούς, au latin dens, au gotique tunþus et au sanskrit dat- < *h₃dónts. Dans cet exemple, on n'observe toutefois que la trace d'un ancien *o devenu ouvert en syllabe fermée (cf ci-après) et le parallèle grec est donc nécessaire pour connaître la nature de la laryngale. D'une manière générale, en raison de la grande usure phonétique survenue avant l'attestation des premiers textes, le nombre d'exemples est assez limité. Les données sont par conséquent fortement débattues, notamment concernant *h3. Du reste, cette vocalisation ne se produit que devant une occlusive, on n'a par exemple aucune vocalisation devant la demi-consonne *u̯ dans գեղմն gełmn, comme en grec λῆνος ou en sanskrit ū́rṇā-, alors que le hittite ulana révèle clairement une laryngale 2 : *h₂u̯ĺ̥h₁neh₂. Enfin, il semble qu'en position de groupe consonantique avec une occlusive, une laryngale indo-européenne entraîne une aspiration ou fricativation ; néanmoins ce point fait encore l'objet de débat.
  • une assibilation de *-s- après *r, *u, *K et *i (règle RUKI, partagée avec l'indo-iranien et le slave) ; on a ainsi : վեշտասան veštasan « seize » et non *վեցտասան *vetasan < proto-arménien *wes-tasn < *su̯(u)és + *déḱm̥t. Néanmoins, cette règle est très peu observable en arménien en raison de nombreuses réfections et apocopes, et son étendue précise est débattue (le mot վեշտասան a d'ailleurs un /v-/ initial problématique). En groupe consonantique avec vélaire, on observe le traitement suivant : *ks > /tʃh/, par exemple : չոր č̣or « sec » au regard du grec ξηρός et du sanskrit kṣāra- < *ksoro-s.
  • une vocalisation en /aR/ des sonnantes indo-européennes en position vocalique : on a ainsi en arménien dialectal կաղց k « lait » (arménien classique կաթն kaṭn, avec finale refaite), parallèlement au grec γάλα et au latin lacte < *gkt- ; ou encore ամ am « année » face au sanskrit sámā ou au vieil-irlandais sam < *s-h₂-ó
  • une réfection de l'accent indo-européen sous la forme d'un accent tonique sur l'antépénultième
  • une fermeture systématique de *ē en /i/ ; on a ainsi միս mis « chair » face au latin membrum, au sanskrit māṃsa, au vieux-slave мѧсо (męso), ou au gotique mimz < *mḗms. Toutefois, ce i étant fréquemment réduit à cause de l'accent, on n'observe en général qu'une trace de son existence (comme dans les exemples հայր hayr « père » ou այն ayn « homme »)
  • une ouverture de *o en /a/ en syllabe ouverte prétonique (sauf en contexte de labialisation) : on a ainsi par exemple ակն akn « œil » en face du grec κκον < *h₃ek-
  • un renforcement de *i̯ en /d͡ʒ/ à l'initiale et après une consonne liquide. On a ainsi ջուր jour « eau » parallèlement au lituanien jūra « mer » < *i̯uHr- ; ou encore ստերջ sterj < *steri̯os, cf sanskrit sta, grec στεῖρα ou latin sterilis
  • une simplification des groupes *KH en une fricative sourde /χ/. On a ainsi խոյլ xoyl « gonflement », cognat du grec κήλη , du vieux-norrois haull et du russe кила (kila) < *kh₂ul-ieh₂
  • un renforcement du *u̯ initial indo-européen en proto-arménien *g() et en arménien classique /g/. On a ainsi գեղձ gełẓ « désir » parallèlement au latin volō ou au gotique wiljan < *elh₁-. On a en outre *du̯ > *rku en proto-arménien (/εrk/ en arménien classique), *tu̯ > /kh/ et *su̯ > /kh/. On a ainsi երկու erkou « deux », parallèlement au grec δύο < *du̯óh₁ ou երկար erkar « long » ; à rapprocher du latin , du sanskrit ra- et du grec δηρός < *δϝηρός < *du̯éh2ros. De même, on a քո o « ton », correspondant au grec σός < *σϝός, au latin tuus et au sanskrit tvam < *tu̯os. Enfin, on a de même քուն un « sommeil », en face du grec πνος, du latin somnus ou du sanskrit svapiti < *su̯ép- ; ou encore քոյր oyr « sœur », en latin soror, en gotique swistar, en sanskrit svásṛ < *su̯ésōr. Ces raitements, étant particulièrement étonnants et difficilement explicables au niveau diachronique, font encore l'objet de débat.

Du proto-arménien à l'arménien classique

Par la suite, on observe également une série de changements phonétiques survenus entre la naissance du proto-arménien et les premiers textes en arménien classique :

  • la disparition totale des syllabes post-toniques (syllabes finales). Par conséquent, l'accent tonique en arménien classique est toujours sur la finale. On a par exemple հերու her « l'an dernier » < *perúti en proto-arménien ; lequel correspond au grec πέρυσι. À cause de cette érosion phonétique et des nombreuses réfections qui l'ont accompagnée, la formation originale des mots est souvent difficile à analyser en arménien.
  • une lénition de *mn# en /wn/. On a ainsi : անուն anoun « nom » < *anown < *onomn̥, à comparer au grec ὄνομα et au sanskrit nā́man < *h3néh3-mn̥
  • une disparition de *nu̯ en /w/ et *ni̯ en /y/. On a ainsi աւձ aw « serpent » < *anu̯gi <*h₂éngu̯his, face au latin anguis, au vieux-haut-allemand ung et au vieux-prussien angis ; et այր ayr « homme » < *ani̯ir, à rapprocher du grec ἀνήρ, du sanskrit nṛ́, du vieil-irlandias ner, et du latin nerō < *h2nḗr ; la palatalisation étant causée par la fermeture *ē > /i/ (cf ci-avant).
  • une métathèse systématique du groupe *CR en *RC (<C> notant une consonne occlusive et <R> une sonante). On a ainsi եղբայր ełbayr « frère » (avec voyelle initiale épenthétique) parallèlement au grec φρᾱ́τηρ et au gotique brōþar < *bʰréh₂tēr ; ou encore ըմպեմ əmpem « je bois » < *hi-pn̥-mi < *pi-ph3-n-mi, face au latin bibō, au sanskrit pibami ou au grec πῑ́νω
  • une métathèse systématique de *-Ci̯- en -yC- ; on a ainsi այլ ayl « autre » au regard du grec ἄλλος, du latin alius, du vieil-irlandais aile et du gotique aljis < *h₂éli̯os
  • une seconde palatalisation devant les voyelles d'avant, donnant naissance à plusieurs affriquées, à savoir :
    • *ki̯ et *ti̯ > /t͡ʃ/ : on a ainsi աճեմ ačem « je grandis » < *a(u̯)ki̯e-mi < *h₂eu̯g-e-mi (cf latin augeo, grec αὐξάνω, sanskrit ukṣati, gotique aukan, lituanien áugti, etc.)
    • *gi̯ et *di̯ > /d͡ʒ/ : on a ainsi ջերմ jerm « chaud » < *gi̯ermos < *gʰermós (cf grec θερμός, latin formus, albanais zjarm, vieux-prussien gorme, sanskrit gharmá, etc.) et մէջ j < *me(i)di̯os < *médʰi̯os « milieu » (cf sanskrit mádhya-, grec ancien dorique μέσσος, gotique midjis, vieux-slave межда (mežda), latin medius, etc.)
    • *khi̯ et *thi̯ > /t͡ʃh/ : on a ainsi կոչեմ koč̣em « je crie » < *koth-i̯e-mi < *got-i̯e- (cf gotique qiþan)
    • *zi̯ > /d͡z/ : on a ainsi ձիւն iwn « neige » < *zi̯om < *ǵʰéyōm, vieux-slave зима (zima), lituanien žiemà, grec χιών, sanskrit himá-, avestique ziiā̊, latin hiems* un affaiblissement de certaines occlusives du proto-arménien :
    • *pʰ devient en /h-/ en position initiale et /-w-/ dans les autres contextes. On a ainsi հետ het « pied », parallèlement au latin pes, pedis < *ped- ; mais ևւթն ewṭn « sept », parallèlement au grec ἑπτά < *septḿ̥. En groupe consonantique avec liquide en revanche, il semble que *pʰ soit parfois conservé : on peut ainsi rapprocher յղփանամ yəłpʿanam « je suis satisfait » du grec πίμπλημι et du sanskrit piparti, en supposant une forme proto-arménienne *hi-pl-an-mi < *pi-pleh1-n̥-mi, avec métathèse sonnante-occlusive et ajout d'un préverbe յ-. Ce traitement n'est cependant pas systématique et son étendue est par conséquent encore débattue.
    • *b devient /-w-/ en intervocalique (on a ainsi աւել awel « balai » parallèlement au grec ὀφέλλω « balayer » < *h3ebʰel-)
    • *th :
      • disparaît fréquemment (mais pas systématiquement) s'il est situé après l'accent : on a ainsi հերու her « l'an dernier » < *perúti
      • donne /-y-/ devant une voyelle d'avant suivie d'une liquide (on a ainsi հայր hayr « père », parallèlement au grec πατήρ et au latin pater < *ph₂tḗr)
      • donne /-w-/ devant sonnante (on a ainsi արաւր arawr « champ non labouré » parallèlement au grec ἄροτρον et au latin arātrum < *h₂érh₃trom)
  • une vocalisation de certaines vélaires suivant une liquide. On a ainsi : երգ erg « chant » < *erkhos < *h₁erk-o- (cf sanskrit arcati, hittite ārku-zi, tokharien B yarke, etc.)
  • un durcissement de /l/ en /ɫ/ (noté <ղ>) devant consonne et dans certains contextes, qui sont difficiles à isoler avec certitude
  • un durcissement de /r/ en // (noté <ռ>) devant consonne et dans certains contextes, qui sont difficiles à isoler avec certitude. Il est à noter que la différence entre ces deux liquides est parfaitement phonémique, ce qu'illustre notamment la paire minimale սեռ se « genre » / սեր ser « crème »
  • une élimination des semi-consonnes *-j et *-w du proto-arménien après les voyelles *i et *u. On a ainsi dans la conjugaison նստի nəsti « il était assis », alors qu'on attendrait en synchronie une forme du type *նստիյ *nəstij
  • une fermeture des voyelles devant sonnante :
    • *oN > uN (on a ainsi հւն hun « gué » face au grec πόντος < *pontos)
    • *eN > iN (on a ainsi հինգ hing « cinq » parallèlement au grec πέντε < *pénke)
  • une chute des nasales devant sibilante (traitement partagé avec le grec, le slave et l'indo-iranien) : *-ns > -s. On a ainsi ամիս amis « mois » (avec un a- secondaire analogique du nom de l'année) parallèlement au grec μείς, au sanskrit mā́sa-, au vieux-slave мѣсѧць (měsęcĭ) mais au latin ns < *mḗh₁n̥s. Ce traitement est manifestement postérieur à la fermeture des voyelles devant sonnante, comme l'illustre le mot ուս ous < *ómsos < *h₃ómsos (cf grec ὦμος, latin umerus, sanskrit áṃsa, gotique ams)
  • une ouverture généralisée de *ŏ à /ɔ/ et de *ĕ à /ε/ noté <ե> par opposition à /e/ noté <է> (voir ci-dessous)
  • une perte de la distinction entre voyelles longues et brèves
  • une altération des voyelles selon leur position au regard de l'accent
  • la production systématique d'une voyelle prothétique /e-/ en position prétonique (parfois /a-/ au voisinage d'une labiale) et /ə/ en position finale devant *r, *r̥ et *l̥. On a ainsi par exemple Ռև ew dans les premiers textes dont nous disposons, mais Երեւան Erewan dans la grande majorité des manuscrits, ce qui reflète le moyen-perse Rēw(ēn).
  • une simplification de la diphtongue *ei̯ en *ē puis /e/ noté <է> ; on a ainsi dans la conjugaison de l'imparfait բերէ berē « il portait », alors qu'on attendrait *բերեյ *berey en synchronie. Ce phénomène est peut-être récent, car on a dans certains manuscrits du IXe siècle des formes du type բերեի berei dont le statut fait encore l'objet de discussion.

De l'arménien classique à l'arménien moderne

Enfin, l'arménien classique a naturellement connu une certaine évolution avant de donner naissance à l'arménien moderne. Au niveau phonétique, on note notamment :

  • une monophtongaison de /aw/ devant consonne en une voyelle /o/ écrite <օ> par opposition à /ɔ/ écrit <ո>. Cette lettre, en général transcrite <ō> a été introduite dès le XIe siècle, révélant une monophtongaison plus ancienne. Ainsi, le nom propre Աւգոստոս Awgostos est aujourd'hui toujours écrit Օգոստոս Ōgostos.
  • l'altération de /w/ en /v/ en position intervocalique ou finale
  • l'altération systématique de /ɫ/ en /ʁ/ (qui se prononce comme un <r> français). Ainsi, un mot comme ղեկ łek « gouvernail » est aujourd'hui prononcé ['ʁεk]. Pour cette raison, cette lettre est aujourd'hui fréquemment translittérée <ġ> en alphabet latin.
  • l'altération de /y-/ à /h-/ en position initiale : on a ainsi en arménien moderne հոլով holov « beaucoup », mais յոլով yolov en arménien classique (ce mot est d'ailleurs peut-être, selon Martirosyan, à rapprocher du grec πολύς ou du sanskrit purú < *polh1-u-s, avec un préfixe յ-).
  • une disparition de /h-/ à l'initiale. Néanmoins, il est à noter que ce traitement n'est pas systématique dans tous les dialectes : on a ainsi en arménien oriental հորս hors au lieu du standard որս ors « chasse » ; à rapprocher du grec πόρκος)
  • le développement de consonnes prothétiques y- et v- (non écrites) aux voyelles /ε/ (notée <ե>) et /ɔ/ (notée <ո>). Ainsi, en arménien moderne, le nom de la capitale Երեւան Erevan, se prononce [jɛɾɛˈvɑn], tandis que le terme ոսկի oski « or » se prononce [vɔsˈki]. Il est cependant à noter que le verbe être : եմ em fait exception à cette règle, car il n'est prononcé avec consonne prothétique que s'il suit un mot finissant par une voyelle
  • dans certains dialectes de l'arménien moderne, on observe la palatalisation allophonique (non notée) de /r/ en position finale. On prononce ainsi մայր mayr « mère » ['mayɾʂ]

Il est enfin à noter que la plupart des spécialistes de l'arménien classique, surtout en République d'Arménie, adoptent en permanence la prononciation moderne à la lecture des textes classiques ; ce qui n'est pas sans rappeler la prononciation italiénisante du latin en Italie ou la prononciation moderne du grec ancien en Grèce.

Éléments de grammaire

On trouvera ci-après quelques caractéristiques grammaticales générales de l'arménien[5].

L'ordre des mots est en général de type SVO (sujet - verbe - objet) mais reste assez libre. L'attribut se place entre le sujet et le verbe.

Ponctuation et intonation

Le double-point [ : ] équivaut au point final du français, mais concerne aussi les phrases exclamatives ou interrogatives. Le point [ . ] équivaut au point-virgule ou au deux-points du français. La virgule [ , ] s'utilise comme en français. Le bout [ ' ] se place devant un mot ou un groupe de mots qu'il met en relief. Les signes d'interrogation et d'exclamation, qui ont des formes propres, se placent sur la dernière syllabe du mot concerné. Le chécht se place sur la dernière syllabe d'un mot mis en apostrophe ou en relief.

L'accent tonique se trouve toujours sur la dernière syllabe du mot, avant le e final éventuel.

Le nom et l'adjectif

Il n'y a pas de genre grammatical féminin ou masculin en arménien. La déclinaison des noms comprend 6 à 8 cas grammaticaux, selon les points de vue :

Seuls le cas direct et le datif peuvent avoir l'article défini en fin de mot ; l'article défini s'applique également aux noms propres.

Il existe sept types de déclinaisons, qui se partagent en deux catégories :

  • déclinaisons intérieures (présence au génitif et au datif d'une voyelle différente de celle du cas direct) ;
  • déclinaisons extérieures (désinences s'ajoutant à la dernière lettre du mot).

Deux noms ont une déclinaison particulière : aghtchik fille ») et sér amour »).

L'arménien utilise des prépositions, mais aussi un grand nombre de postpositions ; les unes et les autres régissent des cas particuliers.

L'adjectif ne s'accorde pas avec le nom.

Le verbe

Il existe trois groupes de verbes :

  • groupe I : les verbes en -ել [-él] (exemple : խմել - khemél, « boire ») ;
  • groupe II : les verbes en -իլ [-il] (exemple : խօսիլ - khosil, « parler ») ;
  • groupe III : les verbes en -ալ [-al] (exemple : կարդալ - kartal, « lire »).

L'arménien oriental a fusionné les groupes I et II. Il n'utilise plus le suffixe [-il] ; խօսիլ (khosil), par exemple, devient donc խօսել (khosél).

Le pronom personnel sujet n'est pas indispensable devant le verbe.

L'arménien connaît les modes personnels : indicatif, subjonctif, obligatif et impératif, plus l'infinitif, le participe (passé, présent et futur) et le concomitant, qui exprime une action accessoire à celle du verbe principal.

Les temps sont voisins de ceux du français. Il n'existe pas de passé antérieur ni de futur antérieur, mais on trouve un passé et un futur de probabilité. L'obligatif présente un passé et un parfait. Les six personnes sont les mêmes qu'en français.

Les temps composés se forment avec le verbe auxiliaire ém je suis »). L'auxiliaire suit normalement la base, mais il la précède si le verbe est négatif ou si l'on veut mettre en relief un terme de la phrase situé avant le verbe. Il existe deux autres verbes « être », l'un signifiant « être habituellement » et dont les formes complètent celles de ém, l'autre signifiant « exister », « être (là) »[6].

Le causatif est marqué par un suffixe placé avant la terminaison de l'infinitif, et le passif par l'insertion d'un [v] entre le radical et la désinence.

Le verbe s'accorde en personne et en nombre avec le sujet ; dans les temps composés, c'est l'auxiliaire qui s'accorde.

D'une façon générale, l'arménien préfère le participe, l'infinitif ou le concomitant aux propositions relatives ou conjonctives.

Différentes formes d'arménien

L'arménien oriental et l'arménien occidental sont, normalement, mutuellement intelligibles pour des utilisateurs instruits ou alphabétisés, tandis que les utilisateurs analphabètes ou semi-alphabètes auront des difficultés à comprendre l'autre variante. Ci-dessous quelques exemples de différences de phonologie.

Quelques exemples de variantes
Arménien orientalArménien occidental
«b»«p»
«g»«k»
«d»«t»
«dj»«tch»

Dialectes avant le génocide

En 1909, le linguiste arménien Hratchia Adjarian a proposé dans sa Classification des dialectes arméniens une répartition des dialectes arméniens en trois branches[7] :

Répartition des dialectes arméniens : dans les tons verts, la branche de -um ; dans les tons jaune-orangé-brun, la branche de - ; et dans les tons gris, la branche de -el.

Linguistique arménienne

Les plus grandes figures de la linguistique arménienne (par ordre chronologique) :

Notes et références

  1. Ethnologue [hye].
  2. Claire Forel, La Linguistique sociologique de Charles Bally : étude des inédits, Publications du Cercle Ferdinand de Saussure, Droz, Genève, 2008, p. 469.
  3. (en) Hrach Martirosyan, Etymological Dictionary of the Armenian Inherited Lexicon, Leiden, Brill, , 988 p.
  4. (la + fr) Henri Goelzer, Dictionnaire de Latin : latin-français, français-latin, Bordas, , 733 p. (ISBN 978-2-04-018398-1)
  5. D'après Rousane et Jean Guréghian, L'arménien sans peine, Assimil, 1999 (ISBN 978-2-7005-0209-1).
  6. Voir article connexe : Copule indo-européenne.
  7. Hratchia Adjarian, Classification des dialectes arméniens, Librairie Honoré Champion, Paris, 1909, p. 14 [lire en ligne sur le site des bibliothèques de l'université de Toronto (page consultée le 19 septembre 2012)].
  8. Hratchia Adjarian, op. cit., p. 15.
  9. Hratchia Adjarian, op. cit., p. 44.
  10. Hratchia Adjarian, op. cit., p. 81.

Annexes

Bibliographie

  • M. Leroy et F. Mawet, La place de l'arménien dans les langues indo-européennes, éd. Peeters, Louvain, 1986 (ISBN 978-90-6831-049-8).

Articles connexes

Liens externes

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