Grande Dépression en France

La Grande Dépression est la période de marasme économique qui suivit le krach de 1929 aux États-Unis. Il s'agit de la plus importante dépression économique du XXe siècle. Elle n'affecte la France que tardivement, à partir de 1931, mais dure jusqu'à la fin des années 1930.

Évolution du revenu par tête (int. $ PPP) de quelques pays entre 1925 et 1940
Évolution du PIB de quelques pays entre 1929 et 1939

Comme dans de nombreux autres pays, elle provoqua chômage, pauvreté et troubles politiques. La spécificité de la France dans cette crise est que si elle démarre plus tard et avec moins d'ampleur qu'ailleurs, elle dure également plus longtemps et s'accompagne d'une confusion persistante quant aux réponses politiques, qui y sont apportées[1].

Contexte historique

Première Guerre mondiale

Carte d'ensemble des zones détruites pendant la Première Guerre mondiale dans le nord et l'est de la France.

La France est le pays le plus touché par la Grande Guerre, avec 1,4 million de morts et de disparus[2], 10 % de la population active masculine. Ajouté à une démographie déjà plus faible que celle de ses voisins avant 1914 et à la grippe espagnole, le pays fait face à un déficit de population que seule l'immigration peut combler. À cela s'ajoute une destruction de l'industrie (réduite à 55 % en 1919 des capacités de 1913) et de l'agriculture (40 %)[3].

Les destructions matérielles sont importantes et affectent durement les habitations, les usines, les exploitations agricoles et les autres infrastructures de communication comme les ponts, les routes et les voies ferrées[4]. Une vaste zone ravagée de 120 000 hectares prend le nom de « zone rouge ». Dans le nord et l'est de la France, 11 départements seront classés en zone rouge. L’agriculture y sera en maints endroits interdite avant le désobusage et déminage. Trois millions d’hectares de terres sont ravagées par les combats[2]. Certains villages de la Meuse, de la Marne et du Nord sont rayés de la carte et ne peuvent être reconstruits à leur emplacement. Des villes sont bombardées comme Reims, qui voit sa cathédrale sévèrement touchée[5].

Situation économique des années 1920

Les années 1920 sont marquées par les querelles sur les dettes interalliées et les dommages de guerres réclamés à l’Allemagne. Le plan Dawes, amendé par le plan Young, met théoriquement fin à la question des réparations mais n'est jamais mis en application[6]. La France, qui a été le lieu du champ de bataille et a connu d’immenses destructions, voit sa dette atteindre 180 % du produit intérieur brut à la fin de la guerre[3].

Si la décennie commence dans la crise, elle s'accompagne aussi d'un boom culturel, notamment à Paris avec la Génération perdue, l'Art déco[7],[8], le surréalisme, le jazz etc. Ce dynamisme parisien et l'apport des colonies aident le pays à se relever.

La dévaluation de Raymond Poincaré en 1928 restaure la confiance et stabilise l'économie sur une trajectoire favorable. La production est à l’indice 127, pour une base 100 en 1913. Le rythme de la croissance annuelle est de 5 % entre 1924 et 1929, plus rapide qu'au Royaume-Uni et aux États-Unis. On compte moins de 1 000 chômeurs en France en 1929.[réf. nécessaire] L'absence de l'[hyperinflation], qui existait alors en Allemagne, et les taux d'intérêt à long terme sur la dette indiquent que le « miracle Poincaré » est en fait un mythe[9],[3].

Le franc-or est rétabli, même si les accords de Gênes de 1922 ont créé un système de Gold Exchange Standard, où les rôles principaux sont tenus par la livre sterling, maîtresse du commerce international depuis le XIXe siècle, et le dollar américain, qui commence à la supplanter.

Krach de 1929

Graphe du Dow Jones, octobre 1928 –octobre 1930

Le krach de 1929, consécutif à une bulle spéculative, est une crise boursière qui se déroule à la Bourse de New York entre le jeudi 24 octobre et le mardi . Cet événement marque le début de la plus grande crise économique du XXe siècle.

Du Jeudi noir à la dévaluation de la livre

Les Français accueillent la crise boursière qui frappe les États-Unis avec la plus grande hauteur[réf. souhaitée]. Rien ne vient ralentir l'expansion française jusqu'à un évènement crucial fait tout basculer :j la dévaluation anglaise.

À la fin de l'été 1931, la crise « anglo-saxonne » parait terminée et devoir suivre le scénario de 1921. Une reprise n'est pas encore perceptible, mais toutes les indices d'une stabilisation s'affichent. Les prix de détail ne baissent plus aux États-Unis, et les cours des matières premières ont cessé leur chute libre.

Cependant, après la nuit du 19 au , la livre sterling est décrochée de l'or avec les trois conséquences relevées par Alfred Sauvy[10] :

« Les conséquences de cette dévaluation ont une immense portée :

  • Avec la répudiation des dettes interalliées et des réparations
  • Elle enfonce l'économie mondiale dans une crise sans précédent d'où sortira la seconde guerre
  • Elle place en porte à faux la France dont les dirigeants et l'opinion sont loin de comprendre la marche des évènements.

Tout se passe comme si la livre était restée la même et que les autres monnaies aient entrepris la folle gageure de se revaloriser d'un quart ou d'un tiers. »

Le Royaume-Uni étant alors le pivot de toute l'économie mondiale, Londres est donc la place financière qui gouverne toute la finance, et tout le commerce international est libellé en livres. En automne 1931, la production industrielle a baissé de 17 %, les prix de gros de 28 %, les prix de détail de 8,5 %, la bourse de 51 % (60 % si on prend le plus haut). « En France comme dans le monde 1931 est vraiment l'année noire ». Le chômage apparait, avec 190 000 demandeurs d'emploi. Le gouvernement du moment réagit par un plan de dépenses alimenté par des « crédits spéciaux » : la loi du prévoit 3 476 millions de nouvelles dépenses, qui sont financées par la même somme en obligations du trésor.

La seule bonne nouvelle est que le coût de la vie a baissé de 10 %, et le niveau de vie n'a pas été affecté. L'or rentre et fuie Londres.

La France reste en bonne position par rapport au reste du monde ; à la fin de 1931, la baisse de la production industrielle sur la moyenne de 1929 est de 42 % en Allemagne, 37 % aux États-Unis, 33 % en Belgique, 27 % en Italie et 23 % en France.

En revanche, la dévaluation permet aux Britanniques de repartir d'un bon pied. La production industrielle est en hausse de 10 %, et le chômage baisse de 300 000 unités.

La perspective des élections générales de 1932 paralyse la vie politique en France et le budget de 1932 est largement déficitaire, ce qui n'est pas admissible pour l'opinion publique de l'époque.[réf. souhaitée] Le , le gouvernement Laval tombe, premier acte d'une accélération de l'instabilité gouvernementale qui marquera toute la période jusqu'à la guerre en 1940. Les élections envoient à la Chambre des députés une majorité pour l'ancien Cartel des gauches, qui est même plus forte que celle de 1924. Le nouveau gouvernement ne prend aucune mesure significative, à l'exception du renforcement des mesures contre la fraude fiscale, qui provoque l'affaire de la Banque commerciale de Bâle. mais l'activité se redresse au milieu de 1932 sans que personne ne s'en aperçoive vraiment. Il aura fallu un an pour digérer les conséquences de la dévaluation de la livre. En juin 1933, la production industrielle est à 91, contre 77 en juin 1932. La production d'acier est passée pendant la même période de 466 000 à 586 000 tonnes. L'indice du chômage, qui a culminé à 132 en août 1932, revient à 124.[réf. souhaitée]

Chômage

Le chômage explose en France en 1931 et 1932 et passe en moins de deux ans dans le secteur industriel de 2 % à plus de 15 %[11]. Néanmoins, le taux de chômage reste moins élevé en 1932 que dans les pays les plus touchés, les États-Unis (36 %) et l'Allemagne (44 %). Les chiffres officiels du chômage sur l'ensemble de la population active au milieu des années 1930 donnent un taux de 7,5 %[11].

1933-1936

La dévaluation du dollar et la rechute dans la dépression

Le , le dollar se détache à son tour de l’or. Le cours du dollar en francs tombe de 25.50 à cette date à 18.25 en juillet.

La dévaluation a un effet bénéfique pour les États-Unis, dont la production industrielle passe de l’indice 54 en mars à 91 en juillet. Toutefois, pour la France et ses partenaires du « bloc-or », le coup est très dur puisque leurs prix augmentent de 25 à 30 % sur le marché mondial. Le retournement de conjoncture est général dès l’été 1933, et les déficits publics commencent à nouveau à enfler en même temps que tous les indices fléchissent. Les gouvernements chutent les uns après les autres, et on fait appel à un revenant « l’ermite de Tournefeuille », Gaston Doumergue, chargé de remettre de l’ordre dans la république, qui est en danger lorsque la rue commence à bouger à la suite de l'affaire Stavisky. Il engage le pays dans une forme de déflation par une suite de décrets lois ( et 34) et une réforme fiscale en mai. Ces derniers prévoient une réduction des effectifs de fonctionnaires et la baisse des salaires nets par l’instauration d’un prélèvement de 5 %. Les pensions des anciens combattants sont diminuées.

Paul Reynaud se singularise en opposant déflation et dévaluation. Notant que toute l’affaire est liée au différentiel des prix entre la France et les marchés internationaux, il propose une dévaluation adaptée pour rétablir les équilibres sans passer par les souffrances de la déflation. En attendant, tous les indices sont à la baisse. Le le gouvernement Doumergue tombe, et le nouveau gouvernement Flandin est opposé, pour des raisons idéologiques, à toute dévaluation. Ce n’est pas le cas ailleurs. Le gouvernement belge se résout à dévaluer de 28 % le . Une fois encore, l’opération est favorable au pays qui dévalue et défavorable aux autres.

La France se trouve dans une situation de plus en plus intenable. Le le cabinet Flandin est mis en minorité.

La frénésie de décrets-lois

Le gouvernement Laval (le quatrième, qui s’installe en ) est contraint de légiférer par décrets-lois et obtient ce droit dès son investiture. L’objectif est clair : résister par tous moyens à une dévaluation et sortir de « la crise de spéculation » par une déflation effective, rigoureuse et annoncée. « Les pouvoirs exceptionnels que le gouvernement a obtenus vont lui permettre de mettre fin définitivement à une crise qui n’a que trop duré, s’il réussit à mettre en œuvre une véritable politique de déflation » indique Jean Tannery, gouverneur de la Banque de France[12].

Les 29 décrets lois sont promulgués le ont pour but de réduire les dépenses publiques drastiquement, de 10 %, en baissant autoritairement le coût de la dette, les salaires des fonctionnaires et les diverses subventions, tout en augmentant massivement les impôts, la tranche haute étant majorée de 50 %. Simultanément, les prix de nombreux produits et des services (loyers et énergie électrique) sont baissés de 10 %. Le prix au kilogramme du pain passe de 1.65 francs à 1.51 en août. Les intérêts d'emprunts publics et privés pourront être convertis. Même un économiste de gauche, comme Alfred Sauvy, admettra que ce plan avait une chance de réussir, mais il note que la perspective des élections générales prévues dans neuf mois ne lui donne pas les chances politiques du succès.

Un second train de mesures (61 décrets) est pris par décret le et étend le dispositif et, dans certains cas,en atténue les effets. Le troisième train sort des cartons le (317) et contient des mesures tous azimuts, qui portent sur la formation des chômeurs, l’organisation de la recherche scientifique, la réforme des assurances sociales, la suppression des heures supplémentaires etc.

Les 407 décrets sont évidemment très mal accueillis par les intéressés, qui voient la perte de revenu nominal, non les baisses de prix et la hausse possible de leur pouvoir d’achat. Ils se nomment « les amputés », en référence aux grands blessés de la guerre de 1914.

La reprise ambiguë de 1935-1936

En été 1935, il apparait rétrospectivement que certains indicateurs passent au vert. Toutefois, ce mouvement a commencé avant les décrets loi, qui ne peuvent donc être à l’origine de ces résultats. La production industrielle dans les douze mois suivants augmente de 11,5 % ; la production d’acier dépasse 600 000 tonnes, la première fois depuis 1931, et la durée du travail est en hausse en même temps que l’emploi salarié. Toutefois, les prix sont à la hausse, bien qu’on visait la baisse. La cause principale est dans le gonflement du bilan de la Banque de France, qui passe de 7 051 millions en à 17 333 millions en . Alors que les décrets lois sont déflationnistes, la politique de la banque centrale est inflationniste et crée de la liquidité à tout va. La contradiction entre ces deux politiques n’est pas réellement comprise et porte en elle des pressions de plus en plus grandes sur la monnaie.

En même temps, les exportations continuent à baisser[13] et le chômage stagne à son plus haut niveau[14].

Agitation politique

Des ligues d'extrême droite (Camelots du roi, Jeunesses patriotes etc.) apparaissent dès la fin des années 1920 mais n'atteignent leur pleine puissance que lors du second Cartel des gauches. L'affaire Stavisky font qu'elles déclenchent des émeutes antiparlementaires. Face à ce danger se crée le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et se dessine une unité des partis de gauche qui donnera le Front populaire.

En commence un mouvement de grève, qui s'amplifie et bloque le pays au début de juin[15].

Le Front populaire

Les élections législatives françaises de 1936 sont remportées par le Front populaire, mené par Léon Blum. La poussée du Parti communiste n'empêche pas le Parti radical de jouer un rôle pivot, et les communistes adoptent la stratégie de soutien, sans participation, au gouvernement.

Les accords Matignon[16]() permettent la fin des grèves et le déblocage des usines (Maurice Thorez, secrétaire général des communistes ayant déclaré « qu'il faut savoir terminer une grève », l'activité repart). Les salaires sont augmentés de 7 à 15 % (politique de la demande), les ouvriers obtiennent des délégués pour les défendre et on ne peut plus licencier les ouvriers sans autorisation de l'inspecteur du travail. C'est la fin des « syndicats jaunes ». Les salariés obtiennent la liberté d'exercice du droit syndical, la création de conventions collectives, le passage de la durée du travail hebdomadaire de 48 à 40 heures et quinze jours de congés payés (treize jours de vacances et deux du week-end) lors de la nuit du 11 au . Les patrons doivent établir des contrats collectifs de travail. Après la victoire du Front populaire, des grèves ont lieu pour pousser les patrons à accepter ces contrats collectifs de travail.

Des mesures structurelles sont prises en grand nombre, comme la réforme de la Banque de France, où les 40 000 propriétaires remplacent les 200 familles à l'assemblée générale ; la création de l'office du blé ; la nationalisation des industries de guerre ; la scolarité obligatoire jusqu'à 14 ans et la remise en cause des décrets lois sur les salaires des fonctionnaires.

Les prix à la consommation s'envolent sur un rythme annuel de 17,5 %, deux fois plus vite que les prix de gros, ce qui annule toutes les hausses de salaires. La loi du instaure un contrôle des prix. L'inflation et une économie qui ne repartit qu'en 1938 affaiblissent le Front populaire. Le régime de Vichy et des économistes comme Alfred Sauvy accuseront plus tard les 40 heures et les congés payés d'avoir affaibli la France, mais cette opinion est aujourd'hui très minoritaire[1],[17]. Des historiens comme Jean-Charles Asselain et Jean Bouvier expliquent que les 40 heures n'ont pas bloqué la reprise, soulignent l'amélioration de la production industrielle et la montée des cours de bourse et pointent vers le vieillissement des structures de l'industrie française pour expliquer le plafonnement de la reprise en 1937[18]. L'essayiste libéral Nicolas Baverez évoque cependant le « mythe de la reprise libérale » de 1939 quand furent assouplis les quarante heures pour « libérer les énergies économiques »[19].

La dévaluation de septembre 1936

La déclaration d'investiture de Blum aborde la question de la dévaluation : « Le pays n'a pas à attendre de nous ni à redouter de nous que nous couvrions un beau matin les murs des affiches blanches de la dévaluation. » Toutefois, le , le franc Poincaré a vécu, et la dévaluation est annoncée, comprise entre 25 et 35 %. Le bloc or suit. Le franc suisse est dévalué de 30 %, et les Pays-Bas dévaluent de 22 %.

Partout, la dévaluation provoque une reprise rapide. La production industrielle remonte à 91[Quoi ?] en décembre (+12 % en trois mois). Le trafic dans les ports passe de 130 à 139[Quoi ?]. Le chômage passe de 756 000 à 588 000.[réf. nécessaire]

L'ennui c'est que ces chiffres, fruit d'un calcul rétrospectif, ne sont pas connus des contemporains. Ce qu'il voient, en revanche, est le cours des rentes, qui se redresse passant de 68,70 à 75 entre septembre et décembre. Les prix sont en forte hausse. L'indice des prix à la consommation (base 100 en mai 1936) passe à 117,8. Selon Alfred Sauvy (opus cité) : « de brillantes perspectives s'ouvrent pour l'industrie française maintenant qu'a sauté la chaîne d'or qui l'amarrait. »

La montée vers la guerre

De Chautemps à Blum 2

La dévaluation qui suit le départ de Blum redonne momentanément des couleurs à l’activité, qui en est revenue à 91,7, contre 89 en juin.

La conjoncture internationale est repartie à la baisse : l’indice de la production industrielle aux États-Unis passe de 103 en juin 1937 à 76 en décembre, une chute équivalente à celle de 1929-1930, mais la France n’est pas encore touchée.

La SNCF est nationalisée en . L'année 1938 commence très mal et poursuit, en les aggravant, les tendances récessives de l’économie. La production industrielle passe à l’indice 83. Le trafic ferroviaire baisse. Le chômage grimpe en particulier le chômage partiel qui explose (en mai, 35 % des travailleurs sont au chômage partiel). Le programme d’un second gouvernement Blum est repoussé en . Tué par une gestion déficiente de l'économie, Le Front populaire a vécu.

Daladier

Le , Édouard Daladier forme son gouvernement. Cette fois, la menace allemande est prise au sérieux, et l'objectif est donc de relever la production par tous les moyens. Dès le , la monnaie est dévaluée. La semaine des quarante heures est assouplie ou abolie (retour aux 48 heures pour les fonctionnaires), de très nombreuses réformes orientées vers l’accroissement de la production sont lancées et la dépense budgétaire est portée à 23,7 % du PIB et financée par les bons de la défense nationale refaisant leur apparition.

Paul Reynaud, ministre des finances, donne une accélération à des réformes d’esprit libéral qui desserrent le carcan du contrôle des prix et des 40 heures. Les décrets lois qu’il prépare sont mal accueillis au sein même du cabinet mais sont promulgués par Daladier en novembre. Ils provoquent une tentative de grève générale, qui est brisée par la réquisition.

La reprise de 1938-1939

La reprise de l’activité est forte et générale mais passe inaperçue. La durée de travail passe de 39,2 heures en à 41,9 en . Cependant, la guerre éclate et bouleverse la situation. Un chapitre économique se ferme, qui est marqué par une régression de dix ans.

Les orientations politiques et économiques de l'après-guerre

À la Libération, l'urgence de la reconstruction du pays dans l'immédiat après-guerre impose à la France des orientations primordiales en matière économique et sociale, mais certaines des mesures qu'elle prend alors sont directement issues des leçons tirées de la crise économique de dix ans qu'elle a traversée avant la guerre.

Correction du manque d’information et de formation économique

Dès avant la fin de la période, des voix s’élèvent un peu partout pour constater le manque d’information économique. La plupart des évolutions ne sont pas constatées clairement et sont encore moins comprises. Ce mouvement mène à la Libération à la refonte de l’ensemble du système statistique national avec la création de l’Insee. L'importance maintenant reconnue aux questions économiques conduit à les introduire dans les cursus menant aux carrières administratives et politiques comme l’Institut d'études politiques. À cette occasion, le keynésianisme s'impose.

La crise vaudra à la France son premier prix Nobel d'économie avec Maurice Allais, qui explique lors de son allocution le , quand il reçoit l'épée d'académicien, sa passion, ses centres d'intérêts en économie en ces termes : « Ma passion pour l'économie, je la dois aux circonstances, aux questions posées par la Grande Dépression dans le monde et par les troubles sociaux de 1936 en France ».

Correction de l’instabilité parlementaire

Les 29 gouvernements se succédant en dix ans ont une durée moyenne de 5 mois entre 29 et l’Occupation :

  • Gouvernement Aristide Briand (1) du au
  • Gouvernement André Tardieu (1) du au
  • Gouvernement Camille Chautemps (1) du au
  • Gouvernement André Tardieu (2) du au
  • Gouvernement Théodore Steeg du au
  • Gouvernement Pierre Laval (1) du au
  • Gouvernement Pierre Laval (2) du au .
  • Gouvernement Pierre Laval (3) du au .
  • Gouvernement André Tardieu (3) du au .
  • Gouvernement Édouard Herriot (3) du au
  • Gouvernement Joseph Paul-Boncour du au
  • Gouvernement Édouard Daladier (1) du au
  • Gouvernement Albert Sarraut (1) du au
  • Gouvernement Camille Chautemps (2) du au
  • Gouvernement Édouard Daladier (2) du au
  • Gouvernement Gaston Doumergue (2) du au
  • Gouvernement Pierre-Étienne Flandin (1) du au
  • Gouvernement Fernand Bouisson du au
  • Gouvernement Pierre Laval (4) du au
  • Gouvernement Albert Sarraut (2) du au .
  • Gouvernement Léon Blum (1) du au
  • Gouvernement Camille Chautemps (3) du au
  • Gouvernement Camille Chautemps (4) du au
  • Gouvernement Léon Blum (2) du au
  • Gouvernement Édouard Daladier (3) du au
  • Gouvernement Édouard Daladier (4) du au
  • Gouvernement Édouard Daladier (5) du au
  • Gouvernement Paul Reynaud du au
  • Gouvernement Philippe Pétain du au

Même si la volatilité des chefs a été partiellement compensée par une certaine stabilité aux postes clefs, la réflexion sur la nécessité d’un changement des règles de fonctionnement du régime parlementaire finit par s’imposer en 1958.

Marginalisation de la banque centrale

La crédibilité de la Banque de France sort au plus bas de la période. Des réorganisations profondes auront lieu à la Libération, et le Trésor prendra désormais la main sur tout le secteur bancaire et financier. Il faudra de longues années avant que la réputation de la Banque centrale ne soit restaurée, à partir de la présidence de Baumgartner.

Craintes des dévaluations compétitives

Les dévaluations font un temps du bien aux uns mais en déstabilisant les autres. Tout le monde finit perdant. La leçon sera retenue à Bretton Woods. Les changes seront définis comme fixes avec des variations concertées, et lorsque les changes deviendront flottant, la mise en place au sein de l'Europe du « serpent monétaire » et de la concertation générale avant dévaluation d'une monnaie.

Promotion de la « technostructure »

Dans la foulée de mouvements comme « X-crise », la haute fonction publique, effarée par l’incurie parlementaire d’avant-guerre entend prendre une place plus grande dans la politique elle-même. Le mouvement prendra son essor avec la promotion politique d’Inspecteurs des Finances comme Félix Gaillard et Bourgès Maunoury sous la Quatrième République et trouvera son débouché sous la Cinquième République avec la promotion politique de générations d’énarques qui s’empareront progressivement des leviers de commandes.

Interventionnisme économique systématique

La passivité gouvernementale de l’avant-guerre et les résultats épouvantables de la période, même s’ils n’ont pas nécessairement été bien compris, justifieront pendant l'après-guerre une montée systématique de la dépense publique et de l’interventionnisme gouvernemental dans tous les recoins de la vie économique. Les dépenses publiques française passeront de 20 % du PIB en 1924 à 56 % en 2007.

La prise de conscience des nécessités de la démographie

Il ne sera plus possible d'oublier la démographie. La France mettra en place une politique nataliste, embryonnaire dès 1938, renforcée par le régime de Vichy et continuée par la suite. La loi 46-1835 du , lançant les allocations familiales, en est emblématique. La natalité pour 1 000 habitants passant de 14 pour 1 000 en 1938 à 18 pour mille en 1956[20], même l'attribution du mérite à la loi est contestable, le mouvement commençant dès 1936, il est bien visible dès 1942[21], et que le baby boom est généralisé en occident.

Une optique productiviste

En réaction à la situation d'avant-guerre, l'après-guerre sera entièrement orientée vers la production. Le langage volontariste et productiviste sera dominant pendant longtemps, symbolisé par la « mystique du Plan »[22] ou son « ardente obligation » (Général de Gaulle). Préparé en 1945 et appliqué en 1946, le plan Monnet crée un Conseil du plan et un Commissaire Général au Plan (voir commissariat général du plan). Les objectifs sont sans ambiguïtés : accroître la production et améliorer les rendements. Il sera suivi pour des périodes successives de quatre ans par le Plan Hirsch (1954-1957), le troisième plan (1958-1961), le quatrième plan (1962-65) et le cinquième plan (1966-1970). Le revenu disponible par habitant évalué en dollars 1938 était de 216 en France en 1938 et de 437 en 1956, soit un doublement. En comparison, les mêmes chiffres pour le Royaume-Uni indiquaient un recul de 465 en 1938 à 422 en 1956. Pour les États-Unis, on passe lors la même période de 521 à 955. Le changement de mentalité en France a donc conduit à un rattrapage par rapport aux États-Unis et le dépassement du Royaume-Uni[23].

Notes et références

  1. Jean-François Sirinelli, La France de 1914 à nos jours, Presses universitaires de France, , 576 p. (ISBN 978-2-13-053843-1, ISSN 0291-0489), chap. IV (« La crise des années 1930 »), p. 106
  2. Pierre Miquel, La Grande Guerre, Fayard, 1983, p. 606.
  3. Jean-François Jamet, « De la Grande guerre à la Grande dépression : les politiques de stabilisation face à l’endettement et l’inflation » [PDF],
  4. Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, La Grande Guerre, p. 121.
  5. (en) Spencer Tucker, World War I : Student Encyclopedia, Santa Barbara, 2005, p. 709.
  6. (en) « Young Plan » in Encyclopædia Britannica, 2006. Consulté le 14 juillet 2006 dans Encyclopædia Britannica Premium Service
  7. (en) Bevis Hillier, Art Deco : of the 20s and 30s, Londres, Studio Vista, (ISBN 978-0-289-27788-1), p. 12
  8. (en) « Art Deco », Kanne and Kruike (consulté le )
  9. Pierre Cyrille Hautcœur et Pierre Sicsic, « Threat of a capital levy, expected devaluation and interest rates in France during the interwar period », European review of economic history, (lire en ligne)
  10. Alfred Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres, Fayard,
  11. (en) Barry J. Eichengreen et T. J. Hatton, Interwar Unemployment in International Perspective, Dordrecht, Springer Science & Business Media avec la Scientific Affairs Division de l'OTAN, , 434 p. (ISBN 978-90-247-3696-6, lire en ligne), p. 6-11
  12. Exposé du 16 juin à Bâle à la Banque des règlements internationaux
  13. François Bernard, « La France des années 1930 », SlideShare,
  14. (en) « France 1929-1939 : the Economy », World History at KMLA,
  15. Serge Berstein, La France des années 30, p. 118
  16. Les accords de Matignon 7 juin 1936 sur le site du Ministère du travail, de l'emploi et de la santé
  17. Jean Vigreux, Que sais-je? Le Front Populaire, Paris, Presses universitaires de France, , 128 p. (ISBN 978-2-13-058848-1)
  18. Jean Bouvier et Jean-Charles Asselain, La France en mouvement, 1934-1938, Champ Vallon, , 349 p. (ISBN 978-2-903528-77-5, lire en ligne), p. 186
  19. N. Baverez : Chômages et marchés du travail dans les années 1930 (1986)
  20. Documents économiques, Themis, PUF 1958.
  21. La pyramide des âges au premier janvier 1946 - Insee, 2006 [PDF] (voir archive)
  22. Philippe Bauchard,Mystique du plan (1963), éditions Arthaud
  23. J F Jeanneney -pour Documents économiques - Thémis - Puf

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Alfred Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres, vol. 1 : De l'armistice à la dévaluation de la livre, 1918-1931, Paris, Fayard, , 566 p.
  • Alfred Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres, vol. 2 : De Pierre Laval à Paul Reynaud, 1931-1939, Paris, Fayard, , 627 p.
  • Alfred Sauvy (avec la collaboration de Anita Hirsch et d'autres auteurs), Histoire économique de la France entre les deux guerres, vol. 3, Paris, Fayard, , 467 p.
  • Géry Coomans, 1929, la crise en France, Belgique, Grande-Bretagne, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, coll. « Influences », , 250 p. (ISBN 2-7061-0340-X)
  • Jacques Marseille, « Les origines « inopportunes » de la crise de 1929 en France », Revue économique, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, vol. 31, no 4 « Histoire économique. La France de l'entre-deux-guerres », , p. 648-684 (ISSN 0035-2764, lire en ligne).
  • Daniel Lefeuvre, « Les lumières de la crise. Les entreprises françaises dans la dépression des années 1930 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Presses de Sciences Po, no 52 « Les crises économiques du XXe siècle », , p. 31-40 (ISSN 0294-1759, lire en ligne).
  • Nicolas Baverez, « La spécificité française du chômage structurel de masse, des années 1930 aux années 1990 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Presses de Sciences Po, no 52 « Les crises économiques du XXe siècle », , p. 41-65 (ISSN 0294-1759, lire en ligne).
  • Serge Berstein, Pierre Milza, Histoire de la France au XXe siècle, tome II 1930–1945, chapitre I « La crise économique et sociale en France (1930–1935) » (ISBN 2870279957)
  • Barry Eichengreen, The Origins and Nature of the Great Slump Revisited, The Economic History Review p. 213-239, .
  • René Rémond, avec la collaboration de Jean-François Sirinelli, Jean Favier (dir.) Histoire de France, tome 6, Notre siècle, de 1918 à 1995, Paris, Fayard, collection : Nouvelles études historiques, 1996, 1109 p., (ISBN 2-213-02716-1)
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