Ernest Naville

Ernest Naville, né le à Chancy et mort le à Genève, est un théologien et philosophe genevois, correspondant dès 1865 de l'Institut de France. Il a publié les œuvres du philosophe français Maine de Biran. Il est l'auteur d'une série d'ouvrages sur la morale protestante, dont Le problème du Mal (1869), auquel se réfère Isidore Ducasse sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont. Très populaire à Genève à la fin du XIXe siècle, il fut un des premiers penseurs de la représentation proportionnelle.

Biographie

Jules-Ernest Naville est né en 1816 à Chancy, dans le canton de Genève, où son père François-Marc-Louis Naville était pasteur[1]. Il grandit dans l'Institut de Vernier (aujourd'hui la mairie de cette commune) que son père loue en 1819 et achète l'année suivante pour y fonder une des premières écoles publiques d'Europe, dont la réputation va dépasser les frontières de Genève et de la Suisse[réf. nécessaire]. La pédagogie y est inspirée des travaux de Pestalozzi à Yverdon, de Zellweger à Trogen et du Père Grégoire Girard à Fribourg[réf. nécessaire]. Ernest y est formé avant de rejoindre l'Académie de Genève en 1833, en section philosophie. Il y étudie l'histoire naturelle avec Augustin-Pyramus de Candolle, les mathématiques avec Abraham Pascalis, la physique avec Auguste de la Rive, la philosophie avec Jacques Denys Choisy, la chimie avec Benjamin de la Planche et la mécanique avec Georges Maurice.

En 1840, au retour d'un séjour à Florence et à Rome, il épouse Albertine Picot. Leur voyage de noces est prévu à Monnetier, sur le flanc du Salève, mais la pluie au Pas de l'Échelle, leur fait rebrousser chemin[2]. Ils auront quatre enfants, Albert Naville (1841-1912), professeur d'histoire qui épouse Louise Turrettini en 1868, Constant-Louis (1843-1916), philosophe formé à Bonn et à Berlin, ambulancier pendant la guerre de 1870, secrétaire de l'école libre des Sciences politiques à Paris et botaniste, Henri-Adrien (1843-1930), qui épouse Isabelle Roguin en 1878, professeur de philosophie et auteur de plusieurs ouvrages de philosophie, de psychologie et de logique, spécialiste de l'histoire des sciences, et enfin Anne-Rose (1847-1859). Le chagrin causé par la mort prématurée de sa seule fille à l'âge de douze ans inspira à Ernest Naville ses conférences religieuses d'apologétique[3]. Adrien Naville a eu pour enfant François Naville, qui joua un rôle de premier plan dans l'identification des auteurs du massacre de Katyn. Le sociologue trotskiste français Pierre Naville (1904-1993) est l'arrière petit-fils de Louis Naville (1812-1895), le frère aîné d'Ernest.

Il est élu le à l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie, avec pour titre académique Correspondant[4].

Ernest Naville meurt le 27 mai 1909, âgé de 92 ans. Les funérailles ont lieu le dimanche 30 mai, jour de Pentecôte. Après le service funèbre, célébré par les pasteurs Martin et Berguer au domicile du défunt, une cérémonie officielle a lieu au cimetière de Vernier en présence du recteur de l'Université et du Doyen de la faculté des lettres et des sciences sociales, qui prononce l'éloge du philosophe. La grande duchesse de Bade s'y est fait représenter par son chambellan. Toutes les sociétés d'étudiants sont représentées, avec leurs drapeaux. Le 1er juin 1909, le Journal de Genève lui consacre un feuilleton, sous la plume de l'écrivain Philippe Monnier. Son texte s'achève ainsi: « La face de Genève a changé. Sa physionomie intellectuelle n'est plus exactement ce qu'elle était hier encore. Un peuple est découronné de ce qu'il pouvait offrir et montrer de plus pur. Avec l'âme du juste qui s'en est allé, un grand pan de son histoire est tombé »[3]

Les conférences d'Ernest Naville

Une partie des ouvrages d'Ernest Naville rassemblent les textes de ses conférences. La première, sur « La vie éternelle »[5], eut lieu en novembre 1859 et fut suivie de six autres discours, sur le même thème. Chacun fut suivi par plus d'un millier d'hommes[réf. nécessaire] (les femmes étaient exclues) au Casino de Saint-Pierre, à la rue de l'Évêché de Genève. L'écrivain Henri-Frédéric Amiel était dans la salle. Voici ce qu'il en dit dans son Journal : « 28 novembre 1859. Ce soir, entendu Ernest Naville. C'était admirable de sûreté, de loyauté, de clarté et de noblesse. Il a prouvé que la question de l'autre vie devait être posée, malgré tout. Beauté de caractère, grande puissance de parole, grand sérieux de la pensée, voilà ce qui éclate dans cette improvisation qui est aussi serrée qu'une lecture et qui ne se détache presque pas de ses citations (Bossuet et Jouffroy) dont elle est entremêlée ».

Ernest Naville sera invité à répéter ses lectures à Lausanne et y remplira la cathédrale Saint-François. Un autre cycle de conférence sera appelé « Le Père céleste », et un troisième, « le Problème du mal »[6].

L'écrivain et professeur Eugène Rambert critique la philosophie de Naville mais constate son incroyable succès. « M. Naville est aujourd’hui l’un des hommes les plus populaires de la Suisse française, celui qui a vu se presser autour de lui les foules les plus compactes », écrit-il en 1874 dans Écrivains Nationaux, cité par Jean de Senarclens[2] : « La parole est nette, les idées fortement enchaînées. Bientôt M. Naville a conquis le respect de ses auditeurs les plus récalcitrants. Il ne veut pas plaire, il veut convaincre ; son discours est une action. Il veut que les adversaires mettent bas les armes devant lui, et reconnaissent la supériorité de ses arguments. Donc il raisonne, distingue, discute, démontre (...). On sent que le professeur est un homme, et que sa vie est engagée dans ses démonstrations. La voix commence à vibrer, la logique devient pressante. Point de coquetteries, point de complaisances, peu de développements oratoires : de la force partout. Le geste est sobre, mais il commande, et une émotion tout intérieure, qui semble venir de la conscience, donne aux arguments une vertu d’autorité. (...) Il reste vrai d’ailleurs que le succès presque inouï des conférences de M. Naville a été le fait le plus saillant de la vie intellectuelle et religieuse de la Suisse romande, depuis la mort d’Alexandre Vinet jusqu’à la première levée de boucliers du protestantisme libéral. »

Eugène Rambert s'amuse surtout de ces femmes de Suisse romande, frustrées de ne pouvoir assister aux conférences d'Ernest Naville[réf. nécessaire], et le lui firent savoir. Le professeur s'inclina et donna deux conférences réservées aux femmes, sur le thème du Devoir.

La proportionnelle

Depuis la révolution de 1846, la République genevoise était gouvernée par le parti radical de James Fazy. Une opposition forte subsistait, surtout dans le quartier de Saint-Gervais. En août 1864, les citoyens devaient élire un conseiller d'État et les Indépendants opposèrent à Fazy la candidature du financier Arthur Chenevière, qui obtint le plus grand nombre de suffrages. L'élection fut déclarée nulle, ce qui provoqua un mouvement populaire et une prise d'armes. Le 22 août, une bataille à Chantepoulet fit des morts et des blessés. Le Conseil fédéral dut envoyer un bataillon pour ramener le calme. Finalement, l'élection d'Arthur Chenevière fut validée[7]. Ernest Naville, qui se montrait sévère avec le régime de James Fazy, rédigea un mémoire intitulé Les élections de Genève, présenté au Conseil fédéral. Il y appelait de ses vœux un « système représentatif tel que toute voix aura sa valeur (et dans lequel) aucun groupe de citoyens ne pourra rester sans représentant ».

Le 9 janvier 1865, dans son salon, est fondée l'« Association réformiste », qui ne cessera de perfectionner cette ébauche de système proportionnel et d'en faire la publicité dans toute la Suisse. En 1891, les cantons du Tessin et de Neuchâtel, et l'année suivante Genève, adoptèrent le nouveau principe, qui allait dès lors se répandre dans le monde entier[réf. nécessaire]. De nombreuses personnalités[8] entretinrent à ce sujet une correspondance avec Ernest Naville, parmi lesquelles Napoléon III, le prince de prince de Bismarck, Don Pedro l'empereur du Brésil, Jules Simon, Yves Guyot, Stuart Mill[réf. nécessaire].

Grange Gaby

Ernest Naville fit en 1853 l'acquisition de terrains au sommet du Salève. Il y fait notamment bâtir à Grange Gaby, à 1 200 mètres d'altitude, un corps d'habitation à côté d'une ferme. Jusqu'à la fin de sa vie, il y passa les étés et y reçut de nombreux amis et personnalités, comme le capitaine Alfred Dreyfus, la grande-duchesse de Hesse et son neveu Guillaume (un garçon turbulent selon Ernest, lequel ignore encore qu’il a affaire au futur Guillaume II, empereur d’Allemagne) ainsi que des membres de la noblesse russe, telles Madame Sacha Bézobrazoff et Madame L.-A. de Polozoff, avec qui il entretient une correspondance suivie, ainsi que Piotr Arkadievitch Stolipine, qui rendit visite à Ernest Naville en 1885. À Grange Gaby venait aussi l’économiste italien Vilfredo Pareto, sans oublier, en 1877, Ulysses S. Grant, le vainqueur de la guerre de Sécession, amené là par James Bates, le fondateur de la Tribune de Genève, un habitué de la maison. Découvrant Genève du haut du Salève, le général s’exclame : « Quelle position pour bombarder la ville ! »[2].

Œuvres

Références

  1. Hélène Naville, Ernest Naville, sa vie et sa pensée, Genève, Librairie Georg, , 345 p. (lire en ligne)
  2. Jean de Senarclens, Drapiers, magistrats, savants, la famille Naville, 500 ans d'histoire genevoise, Genève, Slatkine, , 306 p. (ISBN 2-8321-0250-6)
  3. Paul Naville, Chronique de la famille Naville, Genève, , 201 p., pages 79 à 82
  4. « Etat des Membres de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie depuis sa fondation (1820) jusqu'à 1909 », sur le site de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie et « Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie », sur le site du Comité des travaux historiques et scientifiques - cths.fr.
  5. La vie éternelle
  6. le Problème du mal
  7. François Ruchon, Histoire politique de la République de Genève, Genève, A. Jullien, (lire en ligne)
  8. Dominique Wisler: Ernest Naville ou l invention de la représentation proportionnelle

Source

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