Croissant (linguistique)

Le Croissant (autonyme : Le Creissent) est une aire linguistique de transition entre la langue occitane et la langue d'oïl située dans le centre de la France[1],[2].

Pour les articles homonymes, voir Croissant.

Aire linguistique du Croissant entre langue d'oïl et langue d'oc.
Aire linguistique du Croissant selon l'Atlas sonore des langues régionales (CNRS, 2020).

Les parlers occitans et de langue d'oïl s'y rejoignent, se mélangent et sont intermédiaires entre ces deux ensembles linguistiques[3],[4].

Le nom est dû aux contours de cette zone qui évoquent un croissant. Le premier auteur qui a utilisé le terme de Croissant fut le linguiste Jules Ronjat, dans sa thèse de 1913[5].

Deux grands parlers s'y trouvent. Le marchois, qui se rapproche davantage du limousin, à l'ouest va du Confolentais (Charente) jusqu'à Montluçon et sa région (ouest de l'Allier/Gorges du Cher) en passant par le nord de la Creuse et Guéret[6],[7],[8],[9]. Les deux-tiers est du Bourbonnais méridional sont quant à eux les parlers arverno-bourbonnais, la variété du Croissant qui rapproche de l'auvergnat, centrés autour de Chantelle et Vichy, et reçoivent des influences du francoprovençal[10].

Le territoire

Carte de Tourtoulon et Bringuier, 1875. Les zones A et B sont des sous-dialectes du marchois.

Le territoire du Croissant a approximativement la forme d'un croissant effilé qui rejoint la vallée de la Tardoire en Charente à l'ouest, aux Monts de la Madeleine dans le département de l'Allier à l'est. Ce croissant est très fin entre sa pointe occidentale et Le Dorat (entre 10 et 15 km de large), et s'élargit ensuite jusqu'à l'est : entre 30 km (au niveau de Guéret) et 45 km (au niveau de Culan).

Les villes du Croissant les plus importantes du Croissant sont Guéret[11], Montluçon et Vichy[12].

Classification

Historiographie

Cette zone linguistique a longtemps été considérée comme de langue occitane par l'historiographie du XIXe et XXe siècle (Tourtoulon & Bringuier, Dahmen, Simone Escoffier, & Olivier, Quint). Seul Jules Ronjat exprime un avis plus prudent en refusant de dire explicitement si le Croissant relève plus de la langue d'oc ou de la langue d'oïl (français). À la suite de la prudence de Ronjat, quelques livres de vulgarisation occitaniste (Pierre Bec, Robert Lafont) ont hésité à présenter le Croissant comme une zone intégralement du domaine de la langue d'oc.

Recherches actuelles

Les années 2010 et 2020 ont vu la création de groupe de recherches universitaires centrées sur les parlers du Croissant (CNRS) et ont permis de mieux comprendre la place linguistique qu'occupe le Croissant. Il est actuellement considéré comme une zone linguistique intermédiaire où les parlers occitans et d'oïl se mélangent et possèdent des traits communs aux deux langues.

Ils sont néanmoins à l'origine des parlers occitans où s'est exercé depuis plusieurs siècles une très forte influence de la langue d'oïl, ce qui a abouti à leur situation actuelle de transition entre ces deux langues[13].

L'Atlas des langues régionales de France (CNRS) qui reprend également cette idée[14].

Guylaine Brun-Trigaud est une des spécialistes de cette aire linguistique et y inclut également les parlers d'oïl avec des traits occitans[15].

Évolution historique, territoriale et linguistique

L'occitan limousin et le marchois
Panneau bilingue français-marchois à Oradour-Fanais

Les influences du français sont anciennes dans le Croissant : dès la seconde moitié du XIIIe siècle, les documents administratifs et juridiques y ont été écrits en français et non dans le dialecte local, aussi bien dans la Marche qu'en Bourbonnais.

Dans ce qui deviendra le Bourbonnais, les premiers documents écrits connus en langue vulgaire sont des actes en français avec quelques formes occitanes insérées, à partir du XIIIe siècle. Donc le Croissant a connu une situation de diglossie oïl-oc dès cette époque, bien longtemps avant la pénétration du français dans le reste de l'aire linguistique de la langue occitane.

Il est certain que la limite entre oc et oïl a reculé au fil des siècles et qu'elle se trouvait plus au nord autrefois. Les parlers français situés au nord du Croissant (sud du Berry, nord du Bourbonnais) gardent encore les traces d'un substrat d'oc.

L'avancée du français (oïl) vers le Croissant est un phénomène long et progressif, il est différent de la désoccitanisation assez rapide du Poitou, de la Saintonge et de l'Angoumois qui se fit entre les XIIe et XVe siècles, due principalement aux repeuplements consécutifs aux ravages de la guerre de Cent Ans.

Subdivisions dialectologiques

Les parlers du Croissant sont relativement hétérogènes mais sont souvent généralement découpés en deux « dialectes » différents : le marchois à l'Ouest et le bourbonnais d'oc à l'Est.

Les traits des parlers du Croissant

Les parlers du Croissant sont assez hétérogènes (selon Ronjat) mais on y trouve à la fois des caractéristiques occitanes et d'oïl :

  • Les traits sont intermédiaires entre occitan et langue d'oïl : prononciation, conjugaisons et vocabulaire présentent des éléments propres aux deux aires linguistiques.
  • Les voyelles finales occitanes -a et -e sont souvent remplacées par un  e  comme en français[17]. Ce dernier est d'ailleurs noté à l'écrit, y compris en graphie classique. Par contre il est possible de faire entendre les terminaisons -as [a(:)] et -es [ej/ij] qui peuvent éventuellement attirer l'accent tonique. Malgré ce phénomène, il y a encore des traces de l'accent tonique mobile, qui peut tomber sur l'avant-dernière syllabe d'un mot (mot paroxyton) ou bien sur la dernière syllabe (mot oxyton), contrairement à ce qui se passe en français moderne, où l'accent tonique est toujours sur la dernière syllabe.
  • Les recours expressifs (par ex. était fait concurrence à èra), gardent un grand nombre de traits d'oc authentiques et même une grande créativité lexicale et idiomatique (Escoffier).

Graphies

Chansou par lou petiots de Marcel Rémy (parler de La Souterraine, graphie française), Patoiseries de La Soutrane (1944).

Plusieurs grands systèmes d'écritures peuvent être utilisées pour écrire les parlers du Croissant car ils peuvent être assimilés aux deux grandes familles linguistiques voisines, langue d'oc et langue d'oïl, et donc utiliser leurs écritures respectives[18],[19],[20]. Ces graphies sont encouragées par le groupe de recherche sur les parlers du Croissant (CNRS) :

  • L'alphabet phonétique international permet de retranscrire au mieux la langue pour enregistrer les prononciations.
  • La graphie occitane classique est celle traditionnelle et utilisée depuis que la langue est écrite au Moyen Âge. Elle possède une adaptation locale précise pour le marchois[17]. Tant dans ce parler que celui arverno-bourbonnais le « a » final occitan est fréquemment remplacé par un « e » muet comme en français. Ex. le terme « jornade » (= « journée ») vient remplacer la forme « jornada » des autres dialectes occitans. Cette codification propre à ce dialecte est celle préconisée par l'Institut d'études occitanes et ses sections locales mais aussi le groupe de recherche sur les parlers du Croissant.
  • La graphie française peut aussi être utilisée et permet aux locuteurs de transcrire leurs parlers avec l'écriture de la langue française dont ils ont aussi tous connaissance. Le bourbonnais du Croissant étant un dialecte intermédiaire avec la langue d'oïl il peut donc également s'appliquer, d'autant plus que cette graphie permet de souligner les prononciations qui lui sont propres.

Notes et références

  1. « Atlas sonore des langues régionales de France », sur https://atlas.limsi.fr/ ; site officiel de l'Atlas sonore des langues régionales de France,
  2. Maximilien Guérin, « Transmission et dynamique des parlers du Croissant », Cahiers du Groupe d'études sur le plurilinguisme européen, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, no 12, (ISSN 2105-0368, lire en ligne) :
    « Plusieurs travaux récents tendent à montrer qu’il s’agit de parlers historiquement d’oc ayant subi une importante influence de l’oïl : le lexique fondamental et la morphologie sont d’oc, alors que le lexique moderne, la phonologie et la syntaxe sont plutôt d’oïl. Les parlers du Croissant forment un continuum dialectal au sein duquel la variation est très importante, particulièrement sur un axe nord-sud. »
  3. Les parlers du Croissant (groupe de recherches universitaires et académiques en linguistiques sur les parlers du Croissant ; CNRS)
  4. Guylaine Brun-Trigaud, « Les parlers marchois : un carrefour linguistique », Patois et chansons de nos grands-pères marchois. Haute-Vienne, Creuse, Pays de Montluçon (dir. Jeanine Berducat, Christophe Matho, Guylaine Brun-Trigaud, Jean-Pierre Baldit, Gérard Guillaume), Paris, Éditions CPE, (ISBN 9782845038271)
  5. Jules Ronjat, Essai de syntaxe des parlers provençaux modernes, par Jules Ronjat,..., Protat frères, , 306 p. Disponible en ligne (University of Toronto - Robarts Library).
  6. Nicolas Quint, « Aperçu d'un parler de frontière : le marchois », Jeunes chercheurs en domaine occitan, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée (Université Paul-Valéry), , p. 126-135 (lire en ligne)
  7. (fr + oc) Patois et chansons de nos grands-pères Marchois (Haute-Vienne, Creuse, pays de Montluçon), Paris, Éditions CPE, , 160 p. (ISBN 9782845038271)
  8. (en) Linguasphere Observatory, The Linguasphere Register - The indo-european phylosector, Linguasphere Observatory, 1999-2000 (lire en ligne), p. 402
  9. Dominique Caubet, Salem Chaker, Jean Sibille, « Le marchois : problèmes de norme aux confins occitans », Codification des langues de France. Actes du colloque Les langues de France et leur codification organisé par l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, Paris, Mai 2000), Paris, Éditions L'Harmattan, , p. 63-76 (ISBN 2-7475-3124-4, lire en ligne)
  10. Karl-Heinz Reichel, Études et Recherches sur les parlers arverno-bourbonnais aux confins de l'Auvergne, du Bourbonnais, de la Marche et du Forez, 2012 Chamalières, Cercle Terre d'Auvergne.
  11. Jean-Pierre Baldit, Les parlers creusois, Guéret, Institut d'études occitanes, (OCLC 799327135)
  12. « 2e rencontres sur les parlers du Croissant », sur https://www.montlucon.com/ ; site officiel de la ville de Montluçon, (consulté en )
  13. Maximilien Guérin, « Les parlers du Croissant : des parlers minorisés et marginalisés », Promotion ou relégation : la transmission des langues minorisées d’hier à aujourd’hui, Université de Poitiers, (lire en ligne)
  14. « Atlas sonore des langues régionales de France - Zone du Croissant », sur https://atlas.limsi.fr/ ; site officiel de l'Atlas sonore des langues régionales de France,
  15. Guylaine Brun-Trigaud, « Les enquêtes dialectologiques sur les parlers du Croissant : corpus et témoins », Langue française, vol. 93, no 1, , p. 23-52 (lire en ligne, consulté le ).
  16. Jean-Pierre Baldit, « Les parlers de la Marche. Extension et caractéristiques », Patois et chansons de nos grands-pères marchois. Haute-Vienne, Creuse, Pays de Montluçon (dir. Jeanine Berducat, Christophe Matho, Guylaine Brun-Trigaud, Jean-Pierre Baldit, Gérard Guillaume), Paris, Éditions CPE, , p. 22-35 (ISBN 9782845038271)
  17. Jean-Pierre Baldit, « Quelle graphie utilisée pour le marchois ? », Patois et chansons de nos grands-pères marchois. Haute-Vienne, Creuse, Pays de Montluçon (dir. Jeanine Berducat, Christophe Matho, Guylaine Brun-Trigaud, Jean-Pierre Baldit, Gérard Guillaume), Paris, Éditions CPE, , p. 84-87 (ISBN 9782845038271)
  18. Maximilien Guérin, Michel Dupeux, « Comment écrire le bas-marchois ? », Mefia te ! Le journal de la Basse-Marche, no 5, (lire en ligne)
  19. Maximilien Guérin, Cécilia Guérin, « Le Croissant : une zone de transition linguistique au nord de l’aire occitane. La question de l'orthographe », Patrimòni, Alrance, no 90, , p. 25-31 (ISSN 1779-0786, lire en ligne)
  20. Bibliographie des productions du groupe de recherche sur les parlers du Croissant ; CNRS, 2020.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Liste non-exhaustive par ordre alphabétique (noms de famille).

  • Pierre Bec, La langue occitane, 1995, coll. Que sais-je ? no 1059, Paris, Presses Universitaires de France [1re éd.1963]
  • Marcel Bonin, Le patois de Langy et de la Forterre (région de Varennes-sur-Allier), 1981, Cagnes sur Mer, Cahiers Bourbonnais
  • Marcel Bonin, Dictionnaire général des patois bourbonnais, 1984, Moulins, impr. Pottier
  • Guylaine Brun-Trigaud, Le Croissant: le concept et le mot. Contribution à l’histoire de la dialectologie française au XIXe siècle [thèse], 1990, coll. Série dialectologie, Lyon: Centre d’Études Linguistiques Jacques Goudet
  • Jean-Pierre Chambon et Philippe Olivier, « L’histoire linguistique de l’Auvergne et du Velay : notes pour une synthèse provisoire », 2000, Travaux de linguistique et de philologie 38: 83-153
  • Wolfgang Dahmen, Étude de la situation dialectale dans le Centre de la France: un exposé basé sur l’‘Atlas linguistique et ethnographique du Centre’, 1985 Paris, CNRS [1re éd. en allemand, 1983, Studien zur dialektalen Situation Zentralfrankreichs: eine Darstellung anhand des ‘Atlas linguistique et ethnographique du Centre’, coll. Romania Occidentalis vol. 11, Gerbrunn bei Würzburg: Wissenschaftlicher Verlag A. Lehmann]
  • Simone Escoffier, La rencontre de la langue d’oïl, de la langue d’oc et du franco-provençal entre Loire et Allier: limites phonétiques et morphologiques, 1958 [thèse], Mâcon, impr. Protat [éd. identique de la même année: coll. Publications de l’Institut de Linguistique Romane de Lyon-vol. 11, Paris: Les Belles Lettres]
  • Simone Escoffier, Remarques sur le lexique d’une zone marginale aux confins de la langue d’oïl, de la langue d’oc et du francoprovençal, 1958, coll. Publications de l’Institut de linguistique romane de Lyon-vol. 12, Paris: Les Belles Lettres
  • Pierre Goudot, Microtoponymie rurale et histoire locale : dans une zone de contact français-occitan, la Combraille, Cercle d'archéologie de Montluçon, Montluçon, 2004, (ISBN 2-915233-01-2).
  • Liliane Jagueneau Structuration de l’espace linguistique entre Loire et Gironde: analyse dialectométrique des données phonétiques de l’‘Atlas linguistique et ethnographique de l’Ouest’ [thèse], 1987, Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail
  • Robert Lafont, Clefs pour l’Occitanie, 1987, coll. Clefs, Paris, Seghers [1re éd. 1971b]
  • Yves Lavalade, Toponymie en Bas-Berry : Lourdoueix-Saint-Michel, Saint-Plantaire, Orsennes, Éditions de l'Esperluette, Limoges, 2014.
  • Yves Lavalade, Les Noms de lieux du canton du Grand-Bourg (Creuse) : Chamborand, Fleurat, Le Grand-Bourg, Lizières, St-Étienne-de-Fursac, St-Pierre-de-Fursac, St-Priest-la-Plaine, Éditions de l'Esperluette, 2014.
  • Yves Lavalade, Dictionnaire occitan / français (Limousin, Marche, Périgord, Bourbonnais) - étymologies occitanes, 2e édition, éditions Lucien Souny, La Geneytouse / Limoges, 2003, (ISBN 2-911551-32-X).
  • René Merlé, Culture occitane per avançar, 1977, Paris, Éditions sociales
  • Nicolas Quint, Le parler marchois de Saint-Priest-la-Feuille (Creuse), 1991, Limoges, La Clau Lemosina
  • Nicolas Quint, Grammaire du parler occitan nord-limousin marchois de Gartempe et de Saint-Sylvain-Montaigut (Creuse), 1996, Limoges, La Clau Lemosina
  • Nicolas Quint, « Le marchois : problèmes de norme aux confins occitans », 2002 [Dominique Caubet, Salem Chaker & Jean Sibille (2002) (dir.) Codification des langues de France, Paris: L’Harmattan, actes du colloque “Les langues de France et leur codification”, Paris, Inalco, 29-31 mai 2000: 63-76]
  • Karl-Heinz Reichel, Études et Recherches sur les parlers arverno-bourbonnais aux confins de l'Auvergne, du Bourbonnais, de la Marche et du Forez, 2012 Chamalières, Cercle Terre d'Auvergne.
  • Jules Ronjat, Grammaire istorique [sic] des parlers provençaux modernes, 1930-1941, 4 vol. [rééd. 1980, Marseille: Laffitte Reprints, 2 vol.]
  • Charles de Tourtoulon & Octavien Bringuier, Étude sur la limite géographique de la langue d’oc et de la langue d’oïl (avec une carte), 1876, Paris, Imprimerie nationale [rééd. 2004, Masseret-Meuzac: Institut d’Estudis Occitans de Lemosin/Lo Chamin de Sent Jaume].

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