Carte figurative de l'instruction populaire de la France

La Carte figurative de l'instruction populaire de la France est une carte thématique choroplèthe conçue en 1826 par l'ingénieur, mathématicien et homme politique français Charles Dupin et réalisée à Bruxelles[1] par le lithographe Jean-Baptiste Collon. Elle est considérée comme une des toutes premières cartes thématiques jamais réalisées. Elle représente le taux d'élèves masculins scolarisés pour chaque département français.

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La Carte figurative de l'instruction populaire de la France.

Dupin a présenté sa carte lors d'un cours le 30 novembre 1826 au Conservatoire des arts et métiers[2], puis l'a publiée l'année suivante dans sa monographie Forces productives et commerciales de la France[3].

Caractéristiques

La carte est composée d'une planche lithographique monochrome noir sur papier et d'une annexe en trois parties en-dessous, le tout d'un seul tenant.

Les variables visuelles de la carte sont constituées d'un nuancier de hachures de couleur noire à dix classes, sans aplat blanc (même la mer est représentée avec un figuré hachuré concentrique léger), allant d'une saturation faible au noir complet. Les figurés linéaires utilisés sont les contours simplifiés des départements français et des frontières sous leur forme de 1826. Il n'y a pas de légende et les valeurs sont exprimées directement dans les départements. Il s'agit donc à la fois d'une carte à lire et d'une carte à voir.

La légende est la suivante :

« Parallèle statistique relatif à l'enseignement populaire, à l'instruction supérieure, à l'industrie, à la richesse privée, aux revenus publics, entre la France du Nord, la France du Sud et la totalité de la France.

Dans notre carte, la noirceur des teintes correspond à la grandeur des nombres placés au-dessous du nom de chaque Département. Cette teinte et ce nombre indiquent combien il faut de personnes pour fournir un enfant mâle aux écoles. Ainsi le département de la Moselle compte un élève par dix habitants, et celui de la Haute-Loire un par 268 habitants. Les Départements les plus éclairés sur la carte, sont par conséquent ceux qui possèdent l'instruction primaire la plus étendue. J'appelle France du Nord les 32 départements séparés par une ligne presque droite, menée de Saint-Malo jusqu'à Genève. Les 54 autres départements forment la France du Sud. »

Données

Département Nombre d'habitants
par garçon scolarisé
Ain 37
Aisne 13
Allier 140
Basses-Alpes 49
Hautes-Alpes 20
Ardèche 51
Ardennes 13
Ariège 125
Aube 10
Aude 41
Aveyron 77
Bouches-du-Rhône 49
Calvados 27
Cantal 209
Charente 53
Charente-Inférieure 33
Cher 82
Corrèze 128
Côte-d'Or 10
Côtes-du-Nord 152
Creuse 74
Dordogne 104
Doubs 11
Drôme 20
Eure 24
Eure-et-Loir 17
Finistère 199
Gard 21
Haute-Garonne 50
Gers 47
Gironde 63
Hérault 31
Ille-et-Vilaine 111
Indre 74
Indre-et-Loire 229
Isère 20
Jura 12
Landes 26
Loir-et-Cher 132
Loire 66
Haute-Loire 268
Loire-Inférieure 132
Loiret 83
Lot 61
Lot-et-Garonne 40
Lozère 92
Maine-et-Loire 90
Manche 30
Marne 10
Haute-Marne 11
Mayenne 78
Meurthe 14
Meuse 14
Morbihan 222
Moselle 10
Nièvre 54
Nord 20
Oise 11
Orne 42
Pas-de-Calais 14
Puy-de-Dôme 180
Basses-Pyrénées 15
Hautes-Pyrénées 16
Pyrénées-Orientales 66
Bas-Rhin 11
Haut-Rhin 13
Rhône 40
Haute-Saône 11
Saône-et-Loire 35
Sarthe 60
Seine 46
Seine-Inférieure 24
Seine-et-Marne 13
Seine-et-Oise 19
Deux-Sèvres 28
Somme 12
Tarn 82
Tarn-et-Garonne 66
Var 42
Vaucluse 27
Vendée 53
Vienne 70
Haute-Vienne 87
Vosges 18
Yonne 15

Commentaire

Dupin a sans doute été inspiré par les travaux du géographe Conrad Malte-Brun, qui oppose la France du Nord et la France du Sud en ce qui concerne l'instruction[4].

Réactions

La carte de Dupin a provoqué une vive polémique[5].

Postérité

La Carte de France de l'instruction d'André-Michel Guerry (1833).

L'année suivant la publication de la carte originelle, Hartog Somerhausen s'en est inspiré pour sa Carte figurative de l’instruction populaire des Pays-Bas[6]. Adolphe Quetelet fait de même en 1831 avec des données sur la criminalité[7].

Sept ans après la publication de la carte de Dupin, le statisticien André-Michel Guerry propose une série de cartes reprenant le même procédé graphique, dont l'une est également une Carte de France de l'instruction. La diagonale est beaucoup plus visible et le nuancier est continu. La donnée indiquée dans chaque département est son rang.

George Sand, extrêmement opposée à la Commune de Paris et aux Républicains menés par Léon Gambetta, cite la carte de Guerry à la veille des législatives de février 1871. Elle est alors au château de Boussac, dans le département de la Creuse. Soucieuse de l'adhésion des paysans aux candidats du parti de la paix (orléanistes et légitimistes) soutenus par les notables et les possédants, elle compte sur l'illettrisme des masses pour aboutir à une chambre conservatrice :

« Mardi 7 février,

Demain ! c'est le jour du vote ! On aura commencé à voter, et dans beaucoup de localités on aura fini de voter sans savoir qu'on est libre de choisir son candidat [...]. Ceux qui ne savent pas lire connaissent au moins certaines lettres qui les guident, ou, s'ils ne les connaissent pas, ils en remarquent la forme et l'arrangement avec la sûreté d'observation qui aide le sauvage à retrouver sa direction dans la forêt vierge. [...] Ils ne connaissent pas plus que moi les candidats qui passent pour représenter leur opinion. [...] Ils aiment les gros industriels, les agriculteurs éclairés, en général tous ceux qui réussissent dans leurs entreprises. [...]

Et ceci est une question d'ordre, d'économie, de sagesse et d'intelligence, ce n'est pas une question de clocher. Le paysan n'a rien à gagner chez nous au changement de personnes. Étant d'un des départements les plus noirs sur la carte de l'instruction, il est au moins préservé de l'ambition par son ignorance. »

 George Sand, Journal d'un voyageur pendant la guerre, 1871[8]

Ces propos seront relevés par l'historien Henri Guillemin dans son cycle de 13 émissions sur la Commune de Paris, diffusé par la Télévision suisse romande en 1971.

Références

  1. Michel Fleury et Pierre Valmary, « Les progrès de l'instruction élémentaire de Louis XIV à Napoléon III, d'après l'enquête de Louis Maggiolo (1877-1879) », Population, vol. 12, no 1, , p. 71–92 (74) (JSTOR 1525321).
  2. Gilles Palsky, « Le calcul par l'œil », dans Jean-Paul Bord (dir.) et Pierre Robert Baduel (dir.), Les cartes de la connaissance (Actes du colloque Cartographie, géographie et sciences sociales, Tours, 21-23 septembre 2000), Karthala et Urbama, , 689 p. (ISBN 2-84586-488-4), p. 590–592.
  3. Charles Dupin, Forces productives et commerciales de la France, vol. 2, Paris, Bachelier, , « Livre sixième : Parallèle de la France du Nord et de la France du Sud, avec toute la France », p. 249 ss. [lire en ligne] et pl. I.
  4. Gilles Palsky, « La naissance de la démocartographie : Analyse historique et sémiologique », Espace populations sociétés, no 2 « La démogéographie en question », , p. 25–34 (29) (DOI 10.3406/espos.1984.956).
  5. Bernard Ycart, « 1827 : la mode de la statistique en France, origine, extension, personnages », Histoire & Mesure, vol. 31, no 1, , p. 161–194 (DOI 10.4000/histoiremesure.5333, arXiv 1410.1450).
  6. (en) Onno Boonstra, chap. 3 « The Dawn of a Golden Age? Historical GIS and the History of Choropleth Mapping in the Netherlands », dans Alexander von Lünen (dir.) et Charles Travis (dir.), History and GIS: Epistemologies, Considerations and Reflections, Dordrecht, Springer, , 242 p. (ISBN 978-94-007-5008-1, DOI 10.1007/978-94-007-5009-8_3), p. 27–38.
  7. Gilles Palsky, Des chiffres et des cartes : Naissance et développement de la cartographie quantitative française au XIXe siècle, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, coll. « Mémoire de la section de géographie physique et humaine » (no 19), , 331 p. (ISBN 2-7355-0336-3 (édité erroné)), p. 67 [lire en ligne].
  8. George Sand, Œuvres de George Sand : Journal d'un voyageur pendant la guerre, troisième édition, Paris, Michel Lévy frères, , 310 p., p. 287–291 [lire en ligne].

Voir aussi

Articles connexes

Lien externe

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