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On va prouver dans ce chapitre que tous les groupes simples d'ordre 168 sont isomorphes entre eux et donc, puisque, d'après le chapitre sur la simplicité des groupes linéaires spéciaux projectifs, PSL(2, 7) est un groupe simple d'ordre 168, isomorphes à PSL(2, 7). Cela n'est pas une matière classique et ne servira pas dans la suite du cours, donc le lecteur non intéressé peut omettre ce chapitre.

Section 1. Préliminaires de théorie des groupes

Notation. Pour tout groupe fini G et tout nombre premier p, on notera l'ensemble des p-sous-groupes de Sylow de G et on notera le cardinal de , autrement dit le nombre des p-sous-groupes de Sylow de G.

Préliminaire 1

Soit G un groupe simple d'ordre au moins 3. On suppose que G a un sous-groupe propre d'indice fini k. Alors G est isomorphe à un sous-groupe du groupe alterné . En particulier, divise k!/2.

Fin du théorème
Préliminaire 2

Soit G un groupe fini, soit p un nombre premier. Écrivons avec m non divisible par p. Supposons que pour tout couple (P, Q) de différents p-sous-groupes de Sylow de G, Alors

Fin du théorème

La dénomination « lemme de l'intersection maximale » qu'on donne ici à l'énoncé qui suit n'est pas standard.

Préliminaire 3 (Lemme de l'intersection maximale)

Soit G un groupe fini, soit p un diviseur premier de l'ordre de G. Désignons par (intersections deux à deux des p-sous-groupes de Sylow de G) l'ensemble des où (P, Q) parcourt les couples de p-sous-groupes de Sylow de G tels que Soient P et Q deux différents p-sous-groupes de Sylow de G tels que soit maximal dans ordonné par inclusion. Posons Alors et sont deux différents p-sous-groupes de Sylow de N et ils contiennent strictement.

Fin du théorème
Préliminaire 4

Soit G un groupe fini, soit p un nombre premier, soit P un p-sous-groupe de Sylow de G, soient U et W des sous-groupes normaux de P. Pour que U et W soient conjugués dans G, il faut et il suffit qu'ils soient conjugués dans

Fin du théorème
Préliminaire 5

Soit G un groupe fini dont l'ordre divise 24. Ou bien G a un 2-sous-groupe de Sylow normal, ou bien G a un 3-sous-groupe de Sylow normal ou bien G est isomorphe au groupe symétrique .

Fin du théorème
Préliminaire 6

Les 2-sous-groupes de Sylow de sont tous isomorphes au groupe diédral d'ordre 8.

Fin du théorème
Préliminaire 7

Le seul 2-sous-groupe normal non trivial de est le groupe de Klein

Fin du théorème
Préliminaire 8

Soit G un groupe simple fini, soit p un diviseur premier de l'ordre de G, soit P un p-sous-groupe de Sylow de G. On suppose que P est abélien et que est égal à , où q est un nombre premier. Alors est égal à P.

Fin du théorème
Préliminaire 9

L'ordre du groupe n'est pas divisible par 3.

Fin du théorème
Préliminaire 10

Le centre de est un sous-groupe d'ordre 2 de

Fin du théorème
Préliminaire 11

Soit D un groupe diédral d'ordre 8. Alors D a exactement deux sous-groupes de Klein. Ces deux sous-groupes ne sont pas conjugués dans D. Ils engendrent D.

Fin du théorème
Préliminaire 12

(i) Deux sous-groupes de Klein non normaux de engendrent toujours
(ii) Le groupe a exactement trois 2-sous-groupes de Sylow. Chacun de ces sous-groupes contient exactement 2 groupes de Klein, à savoir l'unique sous-groupe de Klein normal de et un sous-groupe de Klein qui n'est pas conjugué de dans .

Fin du théorème

Section 2. Préliminaires de géométrie projective. Le plan de Fano.

Définitions 13

Les structures d'incidence, leurs isomorphimes et leurs automorphismes.

Une structure d'incidence est un triple et sont des ensembles et où est une partie de

On dit alors que les éléments de sont les points de cette structure, que les éléments de sont les lignes et que est la relation d'incidence. P étant un point et L une ligne, on dit que P est sur L si (P, L) appartient à Dans le même cas, on dit aussi que L passe par P. On dit que des points sont alignés s'il existe une ligne qui passe par tous ces points.

Si le triple est une structure d'incidence, alors le triple désigne le graphe réciproque du graphe est lui aussi une structure d'incidence, qu'on appelle la structure d'incidence duale de

Si les triples et sont des structures d'incidence, un isomorphisme de sur est par définition un couple (f, g), où f est une bijection de sur g est une bijection de sur et où, pour tout point P et toute ligne L de , (f(P), g(L)) appartient à si et seulement si (P, L) appartient à

On vérifie facilement que si , et sont des structures d'incidence, si est un isomorphisme de sur si est un isomorphisme de sur alors est un isomorphisme de sur On appelle cet isomorphisme le composé de et

Un isomorphisme d'une structure d'incidence sur elle-même est appelé un automorphisme de cette structure d'incidence. Le composé de deux automorphismes d'une structure d'incidence est par définition leur composé comme isomorphismes. C'est lui-même un automorphisme de L'ensemble des automorphismes de muni de la composition des automorphismes, est un groupe qu'on appelle le groupe des automorphismes de Si deux structures d'incidence sont isomorphes, le groupe des automorphismes de l'une est isomorphe au groupe des automorphismes de l'autre.

Supposons que soit une structure d'incidence où une ligne est caractérisée par les points qui sont sur cette ligne; on entend par là que si et sont des lignes telles que les points sur sont exactement les points sur alors et sont égales. Dans ce cas, un isomorphisme (f, g) d'une structure d'incidence sur est caractérisé par sa première composante f; on entend par là que si et sont des isomorphismes de sur alors ce qu'on peut encore exprimer en disant que dans l'automorphisme (f, g), g est déterminée par f. En effet, on montre facilement qu'alors, pour toute ligne L' de g(L') doit être l'unique ligne L de telle que les points sur L soient exactement les f(P'), où P' parcourt les points sur L'.

Dans la définition qui suit, on adopte l'expression « plan de type projectif », utilisée par Jacqueline Lelong-Ferrand pour distinguer cette notion de la notion plus étroite de plan projectif associé à un espace vectoriel[1].

Définition 14

Un plan de type projectif est une structure d'incidence satisfaisant aux conditions suivantes :
a) pour tous différents points P et Q, il y a une et une seule ligne qui passe par ces deux points;
b) pour toutes différentes lignes L et M, il y a un et un seul point qui est sur chacune de ces deux lignes;
c) il y a un ensemble de 4 points tel que pour toute partie {P, Q, R} à trois éléments de cet ensemble, P, Q et R ne soient pas alignés.

Un ensemble tel qu'en c), c'est-à-dire un ensemble de 4 points dont 3 ne sont jamais alignés, est appelé un quadrangle.
Si P et Q sont deux points distincts, l'unique ligne passant par P et par Q est aussi appelée la ligne joignant P et Q; on la notera PQ.
Si L et M sont deux lignes distinctes, l'unique point se trouvant sur L et sur M est appelé le point d'intersection de L et de M.

On vérifie facilement qu'une structure d'incidence isomorphe à un plan de type projectif est elle-même un plan de type projectif.

Définition 15

Nous définirons un plan de Fano comme un plan de type projectif ayant exactement 7 points et 7 lignes, où chaque point est exactement sur 3 lignes et où chaque ligne passe exactement par 3 points.

Remarque. On peut prouver que pour tout plan de type projectif fini (c'est-à-dire pour tout plan projectif n'ayant qu'un nombre fini de points et de lignes), il y a un nombre naturel tel que

le nombre de points et le nombre de lignes sont égaux à
chaque ligne passe exactement par q + 1 points,
chaque point se trouve sur exactement q+1 lignes.

Ce nombre q est appelé l'ordre du plan de type projectif en question. Un plan de Fano peut donc être défini comme un plan de type projectif d'ordre 2. Nous ne nous servirons cependant pas de cette notion d'ordre.

Il est clair qu'une structure d'incidence isomorphe à un plan de Fano est elle-même un plan de Fano.

Puisque dans un plan de Fano, toute ligne passe par trois points et que, de même que dans tout plan de type projectif, toute ligne est déterminée par deux de ses points, toute ligne d'un plan de Fano est déterminée par les points qui sont sur cette ligne. D'après une remarque faite plus haut, il en résulte que dans un isomorphisme (f, g) de plans de Fano, la bijection g est déterminée par f. (Le théorème cité ci-dessus sur l'ordre d'un plan de type projectif permet de prouver la même chose pour tout plan de type projectif.)

Exemple 16

Prenons pour l'ensemble {1, 2, 3, 4, 5, 6, 7} et pour l'ensemble ayant pour éléments les ensembles {1, 2, 3}, {1, 4, 5}, {1, 6, 7}, {2, 4, 6}, {2, 5, 7}, {3, 4, 7}, {3, 5, 6}. Définissons la relation d'incidence comme la partie de formée par les couples (P, L) tels que On vérifie facilement qu'alors est un plan de Fano.

Fin de l'exemple

Le graphique qui suit donne un exemple de plan de Fano :

Préliminaire 17

(i) Tous les plans de Fano sont isomorphes (comme structures d'incidence).
(ii) Plus précisément : si et sont deux plans de Fano, si est un triple de points non alignés dans , si est un triple de points non alignés dans , alors il y a un unique isomorphisme de sur qui applique sur , sur et sur .
(iii) Le groupe des automorphismes d'un plan de Fano est d'ordre 168. (La structure de ce groupe sera précisée plus loin.)

Fin du théorème

Puisque les plans de Fano sont tous isomorphes, on dit volontiers « le plan de Fano » plutôt que « un plan de Fano ».

Préliminaire 18

Soit une structure d'incidence telle qu'il y ait exactement 7 points et 7 lignes, que chaque point soit exactement sur 3 lignes, que chaque ligne passe exactement par 3 points, que pour chaque paire de points distincts, il y ait au plus une ligne qui passe à la fois par ces deux points et que pour chaque paire de lignes distinctes, il y ait au plus un point qui soit à la fois sur ces deux lignes. Alors est un plan de Fano.

Fin du théorème

Section 3. Groupes simples d'ordre 168

On va démontrer que les groupes simples d'ordre 168 sont tous isomorphes au groupe des automorphismes du plan de Fano. Puisque, d'après le chapitre sur la simplicité des groupes linéaires spéciaux projectifs, PSL(2, 7) est un groupe simple d'ordre 168, et qu'il existe donc au moins un groupe simple d'ordre 168, il en résultera que le groupe des automorphismes du plan de Fano est un groupe simple d'ordre 168.

Étape 1

Soit G un groupe simple d'ordre 168, soit H un sous-groupe propre de G. L'indice de H dans G est au moins égal à 7. (Autrement dit, l'ordre de H est au plus égal à 24.)

Fin du théorème
Étape 2

Soit G un groupe simple d'ordre 168. Pour tout diviseur premier p de l'ordre 168 de G,

Fin du théorème
Étape 3

Soit G un groupe simple d'ordre 168. Alors
(i) ;
(ii) pour tout 7-sous-groupe de Sylow P de G.
(On verra à l'étape 4 que G n'a pas d'élément d'ordre 21, donc n'est pas cyclique. Cela détermine la structure de , vu la classification des groupes d'ordre pq, p et q nombres premiers distincts, que nous avons obtenue dans les exercices Produit semi-direct. Mais cela ne nous servira pas.)

Fin du théorème
Étape 4

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G n'a pas d'éléments d'ordre 21.

Fin du théorème
Étape 5

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G n'a pas d'éléments d'ordre 14.

Fin du théorème
Étape 6

Soit G un groupe simple d'ordre 168. Pour tout 7-sous-groupe de Sylow de G, comprend exactement 14 éléments d'ordre 3.

Fin du théorème
Étape 7

Soit G un groupe simple d'ordre 168.
(i) ;
(ii) pour tout 3-sous-groupe de Sylow Q de G, est isomorphe à (et à ).

Fin du théorème
Étape 8

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G n'a pas d'élément d'ordre 6.

Fin du théorème
Étape 9

Soit G un groupe simple d'ordre 168. (Par exemple d'après l'étape 2, G a plus d'un 2-sous-groupe de Sylow, de sorte qu'on peut parler du plus grand ordre possible pour l'intersection de deux différents 2-sous-groupes de Sylow de G.) Soient P et Q deux différents 2-sous-groupes de Sylow de G tels que soit le plus grand possible. Alors

(i) est un groupe de Klein ;
(ii) est isomorphe à

En particulier,

(iii) le plus grand ordre possible pour l'intersection de deux différents 2-sous-groupes de Sylow de G est 4.
Fin du théorème
Étape 10

Soit G un groupe simple d'ordre 168. Les 2-sous-groupes de Sylow de G sont isomorphes à et sont en nombre 21. Chaque 2-sous-groupe de Sylow de G est son propre normalisateur dans G.

Fin du théorème
Étape 11

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G n'a pas d'élément d'ordre 8.

Fin du théorème
Étape 12

Soit G un groupe simple d'ordre 168. Tout élément de G est d'ordre 1, 2, 3, 4 ou 7.

Fin du théorème
Étape 13

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G a exactement 56 éléments d'ordre 3, formant une seule classe de conjugaison.

Fin du théorème
Étape 14

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G a exactement 48 éléments d'ordre 7, répartis en deux classes de conjugaison de 24 éléments chacune.

Fin du théorème
Étape 15

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G comprend exactement 105 éléments d'ordre impair.

Fin du théorème
Étape 16

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G comprend exactement 42 éléments d'ordre 4, formant une seule classe de conjugaison.

Fin du théorème
Étape 17

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G comprend exactement 21 éléments d'ordre 2, formant une seule classe de conjugaison.

Fin du théorème
Étape 18

Soit G un groupe simple d'ordre 168, soit U un sous-groupe de Klein de G. Alors est isomorphe à Les sous-groupes de Klein de G sont en nombre 14 et se répartissent en deux classes de conjugaison comprenant chacune 7 sous-groupes. Chaque 2-sous-groupe de Sylow de G contient un représentant de chacune de ces deux classes.

Fin du théorème

Notation. G étant un groupe simple d'ordre 168, on notera et les deux classes de conjugaison de sous-groupes de Klein de G (voir étape 18). On appellera « points » les éléments de et « lignes » les éléments de . On définit une relation d'incidence en disant qu'un point P est sur une ligne L (c'est-à-dire (P, L) appartient à ) s'il existe un 2-sous-groupe de Sylow de G qui contient à la fois P et L. Un tel 2-sous-groupe de Sylow de G est alors engendré par P et L (préliminaire 11, étape 10 et le fait que P et L, n'étant pas conjugués, sont distincts), et est donc l'unique 2-sous-groupe de Sylow de G qui contient à la fois P et L.

Étape 19

Soit G un groupe simple d'ordre 168. La structure d'incidence est un plan de Fano.

Fin du théorème
Étape 20

Soit G un groupe simple d'ordre 168. G est isomorphe à le groupe des automorphismes du plan de Fano.

Fin du théorème
Corollaire 21

Tous les groupes simples d'ordre 168 sont isomorphes. Le groupe des automorphismes d'un plan de Fano est un groupe simple d'ordre 168.

Fin du théorème

Notes et références

  1. Jacqueline Lelong-Ferrand], Fondements de la géométrie, PUF, 1985, p. 162.
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