Subure
Subure ou Suburre (Subūra en latin) est un quartier pauvre et populeux de la Rome antique, situé au nord du Forum entre le Viminal et l’Esquilin, qui s’étendait au pied et sur les pentes du Viminal et du Quirinal et longeait les Forums impériaux. Il se trouve de nos jours dans le rione de Monti.
Le quartier de Subure se trouvait dans le prolongement de l’Argiletum (ou voie de l’Argilète) – perpendiculaire à la Via Sacra (Voie sacrée) –, la rue la plus animée de la ville avec ses libraires, se dirigeant vers le Nord, pour conduire vers ce quartier populaire de mauvaise réputation, l’un des bas-fonds les plus sordides de Rome et l’un des plus célèbres de toute l’Antiquité, où est pourtant né et a été élevé Jules César dans une maison (domus) peu ostentatoire qui avait été encerclée par l’extension des immeubles de rapport (insulae), comme l'écrit Suétone[1], et où a vécu le poète Martial, lorsqu’il vint de Tarraconaise, au nord de l’Espagne, à Rome, en l’an 64.
Un quartier populaire
Subure était un quartier sale et bruyant, où l’on trouvait la plus grande concentration d'insulae de la ville. Les pauvres s’y logeaient ou plutôt s’y entassaient dans des immeubles trop hauts, construits à la va-vite, qui souvent, s’écroulaient ou prenaient feu ; c’est pour cela que le fond du forum d'Auguste, qui était son voisin le plus proche, était pourvu d’un mur de séparation de 30 mètres de haut destiné à le protéger de ce péril.
Une mauvaise réputation
Subure était, avec le Vélabre et le Trastevere, l’un des quartiers les plus connus et ayant la plus mauvaise réputation de Rome. Sa renommée provenait pour une très large part de l’amour vénal qui s’y pratiquait et qui, un temps, attira les poètes élégiaques. On y trouvait un grand nombre de prostituées peu chères, de brigands et d’esclaves en fuite. Les bordels y ouvraient à l’heure légale, c’est-à-dire à la neuvième heure. De nombreux submemmia[2] de dernière catégorie y étaient disponibles : petites cellules sans fenêtres qui se fermaient à l’aide d’un rideau et où, selon le poète Martial, des filles et des garçons nus attendaient, dans la puanteur et la crasse, des clients éventuels moyennant seulement deux as. Dans les cauponae (débits de boisson) et les popinae (tavernes de mauvaise réputation), on pouvait à la fois se restaurer, se divertir à des tables de jeu et louer des chambres pour se livrer à des ébats avec des prostituées. Lors des Jeux, les filles de joie n’hésitaient pas à y tenter les Romains aisés ainsi que les vainqueurs présents, qui devaient nécessairement, pour se rendre au Forum, traverser ses rues sinueuses, étroites et mal famées.
C’est dans ce quartier de Subure que, si l’on en croit la description qu’en donne Th. - F. Debray dans son Histoire de la prostitution et de la débauche chez tous les peuples du globe, depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours, publiée à Paris en 1879[3], l’impératrice Messaline venait assouvir son envie de jouir du plaisir des sens :
« À Rome les lupanars étaient réunis dans le quartier populeux de Suburre, et c’est dans une de ces maisons, dans une cellule sur la porte de laquelle était inscrit le nom Lycisca[4], que la femme de l’imbécile empereur Claude allait s’offrir à la lubricité publique, trouvant fades les embrassements de ses amants ordinaires, bien qu’ils ne fussent pas souvent choisis avec une grande délicatesse.
Aussi sanguinaire qu’elle était débauchée, c’est surtout sous cet ignoble caractère de courtisane de bas étage que Messaline est restée célèbre, grâce aux traits dont Juvénal l’a si justement accablée. Combien pourtant sont tombés sous le poignard d’un vil esclave à ses ordres, les uns pour avoir repoussé ses avances, les autres pour y avoir trop répondu ! Elle s’échappait du Palatin, à la faveur des ténèbres, une perruque blonde dissimulant ses cheveux noirs, les seins retenus par une résille d’or et suivie d’une esclave, sa complice, épiant les passants dans les rues conduisant aux bas quartiers de Rome. Elle arrivait enfin au quartier de Suburre, franchissait la porte d’un lupanar fréquenté par la lie de la populace et s’enfermait frémissante dans la cellule de la prétendue Lycisca[5]. »
Cérémonie du Cheval d'octobre
À l’occasion de la cérémonie du Cheval d'octobre qui s’y déroulait le 15 du même mois, il y avait une course de chevaux, le cheval gagnant était sacrifié au dieu Mars, sa tête coupée était l’enjeu d’une compétition disputée entre les habitants du quartier situé autour de la Via sacra et ceux du Subure.
Le portique de Livie
Il n’y avait à Subure qu’un seul monument, en périphérie du quartier, le « portique de Livie », sur la colline de l’Esquilin, construit entre 15 et 7 av. J.-C. par l’empereur Auguste en l’honneur de sa seconde épouse, sur l’emplacement de la maison que Vedius Pollion lui légua l’an 739 de Rome (15 av. J.-C.). Ce portail monumental était situé sur ce qui sera dans le futur l'emplacement Thermes de Trajan.
La construction de ce portique, plus grand que celui d’Octavie, construit 44 ans auparavant, fut commencée sous les noms de ses fils adoptifs Lucius et Caius, qui moururent pendant l’édification, et lorsqu’il fut achevé, Auguste le dédia à son épouse Livie.
Le géographe grec Strabon, contemporain d’Auguste, mentionne avec admiration le portique de Livie dans sa Géographie[6].
Pour l’édifier, Auguste a fait démolir la très grande et somptueuse demeure (8 000 m²) que lui avait léguée à sa mort un fils d'affranchi fort riche, Vedius Pollion. Le centre de la place était occupé par un petit temple dédié à la déesse Concorde (Concordia Augusta), au milieu duquel, se trouvaient deux statues, celle d’Auguste et celle de Livie, respectivement représentés en Mars et en Vénus. Le petit temple présentait le couple impérial comme un modèle de l’entente qui doit régner dans l’État romain comme dans les foyers. Il était très fréquenté par les jeunes mariés qui venaient au portique de Livie pour accomplir un sacrifice à la déesse Concorde.
Ovide (Publius Ovidius Naso), dans ses Fastes[7] parle de ce temple en ces termes :
« À toi aussi, ô déesse Concorde, Livie a dédié un temple magnifique, en témoignage de la concorde qu’elle assura à son époux aimé. Sachez-le pourtant, générations à venir : là où se trouve actuellement le portique de Livie, était construite une immense demeure ; cette maison a elle seule était comme une ville et occupait plus d’espace que n’en occupent de nombreuses cités à l’intérieur de leurs murailles. Elle fut complètement rasée, non sur une accusation d’aspiration au trône, mais parce que son luxe même paraissait nocif. César consentit à démolir de fond en comble ces constructions si imposantes et à perdre tant de richesses dont il était l’héritier : c’est ainsi qu’on exerce la censure et qu’on donne des exemples, lorsque, étant juge, on fait soi-même ce que l’on recommande aux autres. »
— Ovide, Fastes, VI, 637-648.
Le portique de Livie est évoqué par Pline le Jeune dans sa correspondance (Lettre à son cher Voconius Romanus).
L’assassinat de Sextius Roscius
Le quartier surpeuplé de Subure, où bat le cœur de Rome, a été le théâtre en 81 av. J.-C. d’un crime resté célèbre, qui est relaté dans le discours Plaidoyer pour Sextius Roscius d’Ameria[8] de Cicéron, jeune avocat de vingt-sept ans, qui défendit le jeune homme, Sextus Roscius fils, suspecté à la suite d’un complot d’être l’assassin de son père Sextus Roscius.
Témoignages littéraires
La littérature latine a laissé de nombreux témoignages (Horace, Juvénal, Martial) sur le quartier de Subure, notamment Juvénal, qui assure avoir trouvé l’inspiration de ses Satires, écrites entre 90 et 127, dans les rues de Rome. Ses pages les plus célèbres en décrivent les embarras et les dangers, de jour comme de nuit. C’est aux quartiers d’habitation du nord-est de la ville que Juvénal s’intéresse le plus, et notamment Subure et son effervescence.
Au XIXe siècle, Gustave Flaubert évoque, dans Salammbô, le quartier de « Suburre » :
« Un cri d’horreur s’éleva. Oh ! vous frapperez vos poitrines, vous vous roulerez dans la poussière et vous déchirerez vos manteaux ! N’importe ! il faudra s’en aller tourner la meule dans Suburre et faire la vendange sur les collines du Latium. »
— Gustave Flaubert, Salammbô, chap. 7
De même, dans son recueil Les Trophées publié en 1893, José-Maria de Heredia évoque ce quartier dans le sonnet Après Cannes, où il décrit l'angoisse du peuple romain attendant l'arrivée imminente de l'armée d'Hannibal :
Notes et références
- Suétone, Vies des douze Césars, César, 46.
- « quartier des courtisanes de bas étages »
- Paris, S. Lambert, 1879, 810 p., in-4°, (OCLC 457470098).
- Du latin lyciscus, « chien-loup ».
- Voir le texte complet sur le site gallica de la BnF.
- Strabon, « Géographie », sur Gallica (consulté le )
- Ovide, « Fastes » (consulté le )
- Cicéron, « Discours », sur Bibliothèque Nationale de France (BNF) (consulté le )
Bibliographie
- Manuel Royo, Étienne Hubert, Agnès Bérenger, « Rome des quartiers » : des vici aux rioni, Paris, De Boccard, 2008 (ISBN 978-2-7018-0253-4).
Liens externes
- Lire le texte intégral des « Fastes » d’Ovide « Matralia, Mater Matuta et Fortuna (10-11 juin) » (6,469-648)
- Lire le discours de Cicéron « Plaidoyer pour Sextus Roscius d’Amérie »
- La prostitution féminine à Rome entre -200 et 200 après Jésus-Christ. Essai de maîtrise.
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