Subpluvial néolithique

Le subpluvial néolithique (ou « période subpluviale du Néolithique », ou encore « phase humide de l'Holocène ») est une période de climat humide et pluvieux sur le nord de l'Afrique et la péninsule arabique, s'étendant d'environ 8000 à , en lien avec une mousson africaine plus forte qu'aujourd'hui, causée par une inclinaison axiale plus élevée et le périhélie de la Terre coïncidant avec la fin juillet et donc la saison des moussons[1]. Cette phase humide a été précédée et suivie de périodes beaucoup plus sèches. C'est la plus récente de plusieurs phases de « Sahara vert », durant lesquelles la savane arborée saharienne formait un biome beaucoup plus riche qu'aujourd'hui, qui abritait une population humaine plus importante que le désert actuel[2]. Elle se termine avec l'événement climatique de 5900 BP.

Le « Sahara vert »[3] : la végétation était de type savane arborée et la faune, attestée par les restes fossiles et l'art rupestre, comprenait des autruches, des gazelles, des bovins, des girafes, des rhinocéros, des éléphants, des hippopotames, des crocodiles

Chronologie

Le subpluvial néolithique commence vers et dure environ 4 000 ans. Il s'atténue au fil du temps et se termine avec l'événement climatique de 5900 BP (). À ce moment, des conditions arides s'établissent à nouveau en Afrique du Nord et en Arabie et persistent jusqu'à aujourd'hui. La désertification avance et le désert se reforme. Les dates varient selon les endroits eu égard à la large zone géographique concernée[4].

Géographie et hydrographie

Durant le subpluvial néolithique, de larges zones de l'Afrique du Nord, de l'Afrique centrale et de l'Afrique de l'Est présentent un profil hydrographique nettement distinct de celui qu'elles présentent actuellement. Les lacs existants sont plus hauts d'une dizaine de mètres, avec des bassins de drainage différents. Le lac Turkana, dans l'actuel Kenya, appartient, à cette époque, au bassin de drainage du Nil[5]. Le lac Tchad a une surface de 400 000 km2, plus grande que celle de l'actuelle mer Caspienne[6], et son niveau est trente mètres au-dessus de la moyenne qu'il connaît au XXe siècle. Quelques lacs et systèmes fluviaux peu profonds, qui existaient au subpluvial, ont aujourd'hui complètement disparu et ne sont détectables que grâce aux radars et à l'imagerie satellitaire.

Cette période humide est présentée comme s'étant terminée brutalement[7] en certains endroits, et plus lentement ailleurs[8],[9]. Les rétroactions locales entre la végétation et l'atmosphère sont susceptibles d'expliquer cette variation[10]. Cependant, les causes globales sont inconnues, car la fin rapide du subpluvial en certains endroits est décorrélée de la précession orbitale (une des explications possibles quant aux variations du climat)[4]. L'introduction d'animaux domestiques est, en de nombreux endroits, en relation avec la transformation des plaines herbeuses en brousse. Les Hommes du Néolithique ont peut-être joué un rôle dans la régression de la végétation, entraînant un effet en cascade sur les écosystèmes et le climat[11].

Écologie

Gravure pariétale de Libye représentant probablement un Pelorovis[12].

Le nord de l'Afrique bénéficie d'un climat fertile durant la période subpluviale du Néolithique. Ce qui est actuellement le désert du Sahara est un écosystème de savane, abritant des éléphants, des girafes et d'autres animaux des plaines et des bois, qu'on retrouve désormais au Sahel, région au sud du désert. Il existe aussi une mégafaune, aujourd'hui disparue, par exemple le Sivatherium et le Pelorovis[4]. La savane est parcourue de cours d'eau le long desquels s'étendent des corridors biologiques ripariens[13]. L'historien et africaniste Roland Oliver décrit la situation ainsi :

« Sur les hauts plateaux du Sahara central, au-delà du désert Libyque, […] dans les grands massifs du Tibesti et du Hoggar, les sommets, aujourd'hui constitués de roche nue, étaient couverts à cette époque de forêts de chênes, de noyers, de tilleuls, d'aulnes et d'ormes. Les pentes inférieures, ainsi que celles des massifs avoisinants — le Tassili et le Tadrart Acacus au nord, le plateau de l'Ennedi et le massif de l'Aïr au sud — portaient des oliviers, des genévriers et des pins d'Alep. Dans les vallées, des rivières pérennes grouillaient de poissons et étaient bordées de prairies fertiles. »

 Oliver[14]

Cultures

Les conditions favorables et fertiles durant cette période permettent un développement des peuplements humains dans la vallée du Nil, dans le Soudan néolithique et au Sahara. Ces cultures créent un art rupestre florissant, notamment dans le Tassili n'Ajjer, dans le sud-est de l'Algérie.

Les conséquences pratiques de ces changements prennent la forme d'un accroissement de la disponibilité alimentaire, poissons, canards, mollusques d'eau douce, rongeurs, hippopotames et crocodiles. La richesse de la biomasse aquatique et de celle proche des rives des cours d'eau est exploitée par les Hommes, qui fabriquent radeaux, embarcations, hameçons, harpons, filets, lignes de pêche, etc. Ce mode de vie autorise l'existence de communautés plus grandes que celles cantonnées à la chasse[15]. Cela, ainsi que le développement local de la poterie, où les liquides pouvaient être stockés et chauffés, amène une « révolution culinaire » avec des aliments tels que soupes, ragoûts de poisson et bouillies[16]. La bouillie implique la cuisson des céréales récoltées.

Le récit classique du mode de vie de cette période provient d'enquêtes menées au Soudan, au cours de la Seconde Guerre mondiale, par l'archéologue britannique Anthony Arkell[17]. Le rapport d'Arkell décrit un peuplement de l'âge de la pierre tardif sur un banc de sable du Nil Bleu, dont l'étiage était alors environ 3;5 m plus haut que son niveau de crue actuel. L'environnement était clairement celui d'une savane, et non pas le désert actuel, comme en témoignent les os des espèces les plus communes qu'on ait trouvées, les antilopes, lesquelles ont besoin de grandes étendues de graminées. Les populations vivent probablement principalement de poissons, et Arkell conclut, au vu de toutes les preuves disponibles, que le niveau des précipitations était au moins trois fois supérieur à ce qu'il est de nos jours. Les caractéristiques physiques des restes de squelettes suggèrent que ces populations étaient proches des peuples nilotiques, tels que les Nuer et les Dinka. Les datations ultérieures par le carbone 14 attribuent au site étudié par Arkell un âge allant de 7000 à Sur la foi de comparaisons avec des sites fouillés par des Français au Tchad, au Mali et au Niger (des harpons d'os et une poterie typique faite de lignes ondulées), Arkell déduisit l'existence d'une « culture commune de chasse et de pêche diffusée au travers de l'Afrique par des populations négroïdes à la latitude approximative de l'actuelle Khartoum, à une époque où le climat n'était pas encore désertique. » Les inventeurs de la poterie à lignes ondulées ne sont pas encore identifiés.

Dans les années 1960, l'archéologue français Gabriel Camps étudie les restes d'une communauté de chasseurs pêcheurs datant d'environ dans le sud de l'Algérie. Ces faiseurs de poteries, ornées là encore de lignes ondulées, étaient des Africains Noirs plutôt que des Méditerranéens[18].

Des restes humains sont découverts en 2000 sur le site de Gobero, dans le Ténéré, au nord-est du Niger[19],[20]. Les découvertes faites à Gobero sont les traces remarquablement préservées des habitats et tombes de la culture des Kiffiens (7700 - ) et de la culture ténéréenne (5200 - )[21].

Des poteries à décor ondulé et ponctué ont été localisées près du lac Turkana mais sont difficiles à dater[22]. Vers , il n'apparaît pas que les populations du bassin du Turkana utilisaient des harpons non plus que la poterie ponctuée et ondulée, mais le poisson constituait une part importante de leur régime alimentaire[22].

Migrations

L'asséchement du Sahara, à la fin de la période, est peut-être une des causes de deux importants mouvements de population de l'histoire africaine. En premier lieu, le reflux et la concentration de populations d'origine saharienne vers la vallée du Nil, qui aurait entraîné en Égypte le développement de cultures pré-étatiques[23]. En second lieu, il y aurait eu une pression démographique de populations venues du nord, quittant le désert en formation[24], ce qui pourrait être mis en relation avec l'expansion bantoue[25], laquelle est facilitée par la régression de la forêt équatoriale due à l'asséchement du climat, à partir de , ce qui permet de la franchir plus aisément[26].

Notes et références

  1. Hoelzmann et al. 2001, p. 193.
  2. Drake et alii 2011, p. 458.
  3. D'après Henri J. Hugot, Le Sahara avant le désert, éd. des Hespérides, Toulouse 1974 ; (en) Rushdi Said, The Geological Evolution of the River Nile, Springer, , p. 59 ; Gabriel Camps, « Tableau chronologique de la Préhistoire récente du Nord de l'Afrique : 2-e synthèse des datations obtenues par le carbone 14 » in : Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 71, n° 1, Paris 1974, p. 261-278 et Jean Gagnepain
  4. (en) Sandra Olsen, chap. 5.2 « The Neolithic Subpluvial », dans Dionysius A. Agius, Emad Khalil, Eleanor Scerri et Alun Williams (éds.), Human Interaction with the Environment in the Red Sea: Selected Papers of Red Sea Project VI, BRILL, , 458 p. (lire en ligne), p. 90.
  5. (en) C. Bloszies, S. L. Forman et D. K. Wright, « Water level history for Lake Turkana, Kenya in the past 15,000 years and a variable transition from the African Humid Period to Holocene aridity », Global and Planetary Change, vol. 132, , p. 64–76 (DOI 10.1016/j.gloplacha.2015.06.006, lire en ligne)
  6. (en) « Lake Chad case study », WWF
  7. (en) Peter deMenocal, Joseph Ortiz, Tom Guilderson, Jess Adkins, Michael Sarnthein, Linda Baker et Martha Yarusinsky, « Abrupt onset and termination of the African Humid Period: rapid climate responses to gradual insolation forcing », Quaternary Science Reviews, vol. 19, nos 1–5, , p. 347–361 (DOI 10.1016/S0277-3791(99)00081-5, lire en ligne)
  8. (en) Ulrich Salzmann, « Late Quaternary Climate and Vegetation of the Sudanian Zone of Northeast Nigeria », Quaternary Research, vol. 58, , p. 73–83 (DOI 10.1006/qres.2002.2356, lire en ligne, consulté le )
  9. (en) Anne-Marie Lézine, Christelle Hély, Christophe Grenier, Pascale Braconnot et Gerhard Krinner, « Sahara and Sahel vulnerability to climate changes, lessons from Holocene hydrological data », Quaternary Science Reviews, vol. 30, nos 21–22, , p. 3001–3012 (DOI 10.1016/j.quascirev.2011.07.006, lire en ligne)
  10. (en) J.E. Kutzbach, « Potential role of vegetation feedback in the climate sensitivity of high-latitude regions : A case study at 6000 years B.P. », Global biogeochemical cycles, vol. 10, no 4, (ISSN 0886-6236, lire en ligne)
  11. (en) David K. Wright, « Humans as Agents in the Termination of the African Humid Period », Frontiers in Earth Science, vol. 5, (DOI 10.3389/feart.2017.00004, lire en ligne)
  12. (en) « The ‘Great bubalus’ in ancient African rock art »,
  13. Drake et alii 2011, p. 460.
  14. Oliver 1999, p. 39.
  15. Oliver 1999, p. 37.
  16. (en) John E.G. Sutton, « The Aquatic Civilization of Middle Africa », The Journal of African History, vol. 15, , p. 527–546 (DOI 10.1017/s0021853700013864)
  17. (en) A.J. Arkell, Early Khartoum, Oxford University Press,
  18. Gabriel Camps, Les civilisations préhistoriques de l'Afrique du Nord et du Sahara, Paris, , p. 22 et 225–226 — Il s'agit du site d'Amekni, près de Tamanrasset.
  19. (en) « Stone Age Graveyard Reveals Lifestyles Of A 'Green Sahara' », Science Daily, (consulté le )
  20. (en) P. Gwin, « Lost tribes of the green sahara », National Geographic Magazine,
  21. (en) Christine Dell'Amore, « Ancient Cemetery Found; Brings "Green Sahara" to Life » (consulté le )
  22. (en) David K. Wright, Steven L. Forman, Purity Kiura, Christopher Bloszies et Amanuel Beyin, « Lakeside View: Sociocultural Responses to Changing Water Levels of Lake Turkana, Kenya », African Archaeological Review, vol. 32, no 2, , p. 335–367 (ISSN 0263-0338, DOI 10.1007/s10437-015-9185-8, lire en ligne)
  23. (en) Nick Brooks, « Cultural responses to aridity in the Middle Holocene and increased social complexity », Quaternary International, vol. 151, no 1, , p. 29–49 (DOI 10.1016/j.quaint.2006.01.013)
  24. Marianne Cornevin, « Les Néolithiques du Sahara central et l'histoire générale de l'Afrique », Bulletin de la Société préhistorique française, t. 79, nos 10-12, , p. 439-450 (p. 447) (HTTPS://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1982_hos_79_10_5348)
  25. Tradition et rupture dans les grammaires comparées de différentes familles de langues, Peeters, coll. « Mémoires de la société de linguistique de Paris / Nouvelle série » (no XV), , p. 77
  26. Augustin Holl, chap. 14 « L'expansion Bantoue : une nouvelle synthèse », dans Dominique Garcia et Hervé Le Bras (éds.), Archéologie des migrations (colloque international « Archéologie des migrations », INRAP & musée national de l’Histoire de l’immigration, 12 et 13 novembre 2015.), La Découverte - INRAP, , Epub (ISBN 9782707199423), p. 300/503

Bibliographie

  • (en) Roland Oliver, The African Experience : From Olduvai Gorge to the 21st Century (édition révisée), Londres, Phoenix Press, coll. « History of Civilization »,
  • (en) Peter deMenocal, Joseph Ortiz, Tom Guilderson, Jess Adkins, Michael Sarnthein, Linda Baker et Martha Yarusinskya, « Abrupt onset and termination of the African Humid Period: rapid climate responses to gradual insolation forcing », Quaternary Science Reviews, vol. 19, nos 1–5, , p. 347-361 (lire en ligne)
  • (en) William J. Burroughs (éd.), Climate : Into the 21st Century, Cambridge University Press,
  • (en) Abbas S. Mohammed-Ali et Abdel-Rahim M. Khabir1, « The Wavy Line and the Dotted Wavy Line Pottery in the Prehistory of the Central Nile and the Sahara-Sahel Belt », African Archaeological Review, vol. 20, no 1, (lire en ligne)
  • (en) Francis Clark Howell et François Bourlière, African Ecology and Human Evolution, Routledge, (1re éd. 1964)
  • (en) Eamonn Gearon, The Sahara : A Cultural History, Signal Books & Oxford University Press,
  • (en) Nick A. Drake, Roger M. Blench, Simon J. Armitage, Charlie S. Bristow et Kevin H. White, « Ancient watercourses and biogeography of the Sahara explain the peopling of the desert », PNAS, vol. 108, no 2, , p. 458-462 (DOI 10.1073/pnas.1012231108)
  • (en) E.A.A. Garcea (éd.), Gobero : The No-Return Frontier. Archaeology and Landscape at the Saharo-Sahelian Borderland, Africa Magna Verlag, (présentation en ligne)

Articles connexes

  • Portail du climat
  • Portail de la Préhistoire
  • Portail de l’Afrique
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.