Sémiotique

La sémiotique est l'étude des signes, des systèmes de signes et de leur signification. C'est une co-discipline de la sémiologie[1].

Définition

La sémiotique étudie le processus de signification, c'est-à-dire la production, la codification et la communication de signes. Elle est née des travaux de Charles Sanders Peirce. La sémiologie, elle, est issue des travaux de Ferdinand de Saussure.

  • La sémiotique se fonde sur le concept de signe, formé par la relation entre un élément perceptible, le signifiant, et le sens donné à ce signifiant à l'intérieur d'un code plus ou moins construit, sens auquel on donne le nom de signifié.
  • Sémiotique, venu de l’anglais, est tantôt un synonyme de sémiologie et tantôt en est distingué, mais de diverses façons. Souvent il concerne la théorie générale de la signification, telle que celle-ci se manifeste, non seulement dans le langage proprement dit, mais aussi dans les œuvres d’art, dans les rites religieux, dans le droit, etc. — (Le Bon usage, 2011, 15e éd., §1 - Le langage : notions générales, a).)

Charles Sanders Peirce et la sémiotique ou théorie du sens

Toute pensée s'effectue à l'aide de signes. Un signe est une triade : un representamen (signe matériel) dénote un objet (un objet de pensée) grâce à un interprétant (une représentation mentale de la relation entre le representamen et l'objet).

Le representamen est premier (une pure possibilité de signifier), l'objet est second (ce qui existe et dont on parle), mais ce processus s'effectue en vertu d'un interprétant (un troisième qui dynamise la relation de signification).

L'interprétant est lui aussi un signe susceptible d'être interprété à nouveau, et ainsi indéfiniment.

Par exemple si l'on parle d'un chien, le mot « chien » est le representamen ; l'objet est la réalité désignée par ce mot, donc le chien ; et le premier interprétant est la définition que nous partageons de ce mot : le concept de chien. Ce premier rapport, Peirce le nomme le "fondement" (ground) du signe.

Le processus sémiotique peut alors se poursuivre : à partir de ce signe, je peux me représenter mentalement un certain chien, dont je vous parlerai ensuite, faisant naître en votre esprit d'autres interprétants, jusqu’à l'épuisement réel du processus d'échange (ou de pensée, qui est un dialogue avec soi-même). Penser et signifier équivalent donc au même processus, vu sous deux angles différents et que l'on nomme sémiosis.[style à revoir]

Les signes se distinguent d'abord en qualisigne (la pure possibilité du signe), sinsigne (ce signe-là) et légisigne (la loi qui régit la grammaire du signe).

Puis, sur le plan de la signification on aura l'icône (un signe par ressemblance avec l'objet), l'indice (un signe relié comme un symptôme à son objet) et le symbole (un signe doté d'une signification abstraite).

Enfin, sur le plan pratique, on aura le rhème (un nom, un verbe, un adjectif), le dicisigne (une proposition verbale ou visuelle, par exemple) et l'argument (une règle d'inférence).

Toute pensée ou signification aboutit donc à une inférence, à un raisonnement élémentaire.


Revenant à la théorie logique, Peirce distingue :

  • les abductions (abduction: inférence qui mène à la découverte d'une hypothèse plausible),
  • les inductions (induction: raisonnement statistique)
  • et les déductions (déduction: raisonnement logique où l'on tire une conclusion certaine à partir de prémisses vraies).

Les trois formes de l'inférence jouent un rôle important dans la découverte et la justification scientifique. C'est par l'inférence que le symbole acquiert sa pleine force en menant à un jugement.


Les énoncés du premier type n'établissent que l'existence d'un sujet de relation : « x » existe (priméité). Les énoncés du deuxième type établissent une relation à deux termes: « Claude aime Louis » ("x" entretient la relation « aimer » avec « y »; secondéité). Mais il faut aussi considérer les relations à trois termes, comme dans « Julie donne un verre de vin à Claudine » ("x" entretient la relation « donner… » « z » « à… » « y »; tiercéité). Ainsi, Peirce reproche-t-il à Kant de s'être arrêté aux seules catégories et d'avoir négligé l'élément le plus important de la pensée : l'établissement du jugement à travers les inférences.

Ce formalisme permet de penser une multitude de phénomènes de pensée et de signification, de l'expression artistique à la démonstration d'un théorème, de l'analyse d'un circuit informatique à la communication quotidienne, de l'établissement d'un diagnostic médical à l'expérience esthétique ou éthique. Son formalisme logique est le garant de sa généralité. La position de médiateur de l'interprétant permet de dépasser les conceptions statiques et dualistes de l'empirisme, mais la place de l'objet ancre fermement son concept dans l'expérience pratique, dans l'habitude de pensée et surtout dans le processus de changement des croyances, qui ne sont rien d'autre que des habitudes de pensée.

Les trois dimensions de la sémiotique

Actuellement, depuis Charles W. Morris[2], on distingue trois « dimensions » de la sémiotique :

La sémiotique, qui plonge ses racines dans l'épistémologie, la philosophie des sciences, la logique formelle, et, pour Saussure, dans la linguistique, prend de plus en plus d'importance au regard des sciences et de la technologie.

Cette tripartition a été remise en cause par des linguistes et sémanticiens tels que Oswald Ducrot ou François Rastier.

Histoire

Les origines de la sémiotique

Ces origines et la sémiologie en général semblent se confondre avec la naissance de la philosophie du langage.

En 1690, le philosophe John Locke dans An essay concerning human understanding, fut le premier à utiliser le terme semeiotique à partir du mot grec ancien σῆμα / sẽma qui signifie signe.

Johann Heinrich Lambert, s'inspirant de Locke, développe dans la troisième partie du Neues Organon (1764) une théorie générale des signes qu'il nomme sémiotique.

Ferdinand de Saussure (1857-1913), le père de la linguistique moderne, donna le nom de sémiologie à « la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ». Selon Saussure, les signes établissent la relation entre un signifiant et un signifié. Après lui, toute une ligne de sémioticiens européens se détache, parmi lesquels Louis Hjelmslev et Algirdas Julien Greimas, sémioticiens qui insistent beaucoup sur le principe de l'immanence dans la description des systèmes de signes. Pendant longtemps, la linguistique offrit ses patrons méthodologiques à la jeune discipline (comme en témoignent les travaux de Roland Barthes).

En Amérique, un courant ouvert par Peirce dès 1896 oriente la discipline dans une direction pragmatique. Charles W. Morris (1901-1979) fut reconnu pour sa Foundations of the Theory of Signs. Charles Morris[3] distingue dans la sémiotique trois aspects:

  1. L'aspect syntaxique : les propriétés formelles des symboles, les relations des symboles entre eux.
  2. L'aspect sémantique : les relations entre les symboles et les objets auxquels ils s'appliquent, sur la désignation.
  3. L'aspect pragmatique : l'utilisation et la fonction effective des symboles, les relations entre les symboles et leurs utilisateurs ou interprètes : règles de l'utilisation par le sujet, motivations de l'interprète, réactions du public, efficacité de la communication, contexte factuel, usages des signes (information, évaluation, stimulation, systématisation)[4], etc.

Revues et associations

En tant que discipline, la sémiotique s'institutionnalise dans les années 1960, et une Association internationale de sémiotique (International Association for Semiotic Studies), avec sa revue Semiotica, voit le jour. Cette association tient son premier congrès mondial à Milan en 1974. Profitant de cette dynamique, naissent des associations nationales de sémiotique, dont l'Association Française de Sémiotique, créée en 1985, à l'initiative de Gérard Deledalle et d'Algirdas Julien Greimas. La discipline sémiotique se diversifie en sous-champs — sémiotique du droit, sémiotique visuelle, sémiotique de la littérature (voir les rubriques poétique et rhétorique), sémiotique de l'espace, etc., certains de ces champs disciplinaires ayant également leur association (comme l'Association internationale de sémiotique visuelle, International Association for Visual Semiotics). La recherche sémiotique trouve également un lieu de publication à l'audience internationale dans la revue des Actes Sémiotiques, fondée par Greimas, en 1982, à la suite du Bulletin, créé par Anne Hénault en 1977. Une autre revue, universitaire, intitulée Protée voit le jour au Canada dans le domaine de la sémiotique, définie comme science des signes, du langage et des discours, avec plus de 400 articles consultables en ligne en 2012[5], tandis que Signata est créé en Belgique en 2010, rejoignant Degrés, une des doyennes des revues de sémiotique (créée en 1973).

Auteurs-clés

Algirdas Julien Greimas, à la tête de l’École de sémiotique de Paris, définit les bases théoriques de la sémiotique, dès 1966 avec l'ouvrage fondateur, Sémantique structurale. Il rédigea ensuite en collaboration avec Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (deux tomes rédigés en 1979 et 1986).

Umberto Eco fit mieux connaître la sémiotique à l'aide de plusieurs publications, notamment Le Signe (1973 ; 1988 pour la version française, remaniement important de Segno par Jean-Marie Klinkenberg) et Trattato di semiotica generale (Traité de sémiotique générale), 1975. Eco reconnaît explicitement l'importance des travaux de Peirce.

Depuis ces auteurs qui ont fait date, la sémiotique a été explorée par de nombreux chercheurs dans des traditions diverses.

Principes

La sémiotique se fonde sur le concept de « signe », qui se distingue selon différents niveaux de perception du plus vague au plus distingué, priméité, secondéité, tercéité respectivement nommés representamen, objet, et interprétant.

La sémiotique concerne tous les types de signes ou de symboles, et pas seulement les mots, domaine de la sémantique. Même un geste ou un son sont considérés comme des signes. Même des images, des concepts, des idées ou des pensées peuvent être des symboles. La sémiotique fournit les outils nécessaires à l'examen critique des symboles et des informations, dans des domaines divers.

La faculté de manipuler des symboles est une caractéristique de l'être humain et permet à celui-ci d'utiliser bien mieux les relations entre idées, choses, concepts et qualités que les autres espèces vivantes.

Niveaux de perception du signe

Chacun des niveaux de perceptions du signe est lui-même divisé en trois modes nommés :

  • representamen : qualisigne, sinsigne, légisigne
  • objet : icône, indice, symbole
  • interprétant : rhème, dicisigne, argument (ce dernier est l'aboutissement d'un déroulement inférentiel, défini par le treillis des classes de signes, qui peut emprunter 5 chemins d'accès à la signification : hypothético-déductif, hypothético-inductif, empirico-déductif, empirico-inductif ou abductif)).

Types de signe

Charles Sanders Peirce définissait trois types de signes :

  • l’'icône renvoie à l'objet signifié au moyen d'une ressemblance avec celui-ci. Ainsi, en photographie ou en peinture, le portrait (icône) renvoie au sujet (objet). Évoquer une couleur au moyen d'un objet (rubis, émeraude, saphir) est également un processus iconique ;
  • l’indice observe une relation directe de contiguïté avec son objet. L'objet est ainsi connecté au processus de semiose. Alors que l'icône est de nature qualitatif, l'index est de nature actuel ; de fait brut. Ainsi, lorsqu'on touche la surface d'une table, on attribue la sensation à la table et non aux nerfs de la main.
  • le symbole renvoie à l'objet au moyen d'une convention d'ordre culturel qui repose sur une association d'idées ou de valeurs. La balance et le glaive sont ainsi deux symboles différents de la justice, reliés l'un et l'autre à des valeurs culturelles très fortes: l'équité pour la balance, et la rigueur pour le glaive.

Il est très problématique de distinguer dans chaque observation ce qui reviendrait, de la part d'un sujet agissant, à l'indice, à l'icône ou au symbole car ces trois catégories sont intégrées dans un processus triadique inséparable par analyse logique.

Signe et pratique signifiante

La sémiotique a acquis un renom certain avec Roland Barthes, qui fut en quête du langage des signes dans la publicité, la mode, et l'écriture romanesque et poétique. Toutefois, peut-être faut-il considérer que tout ne soit pas nécessairement signe. Si tel élément architectural peut être indubitablement considéré comme un signe, on pourrait cependant être tenté de penser avec le linguiste Frédéric François que « la construction des maisons n'est pas d'abord une pratique signifiante ». Si cela peut paraître à l'homme d'aujourd'hui incontestable, néanmoins, chaque pas franchi depuis les cavernes a certainement participé en son temps d'une pratique signifiante essentielle.

La psychanalyse et la sémiotique ont parfois réussi à se rencontrer, voire à se féconder mutuellement : la métasémiotique est un essai de sémiotique psychanalytique…

Branches

La sémiotique est divisée en plusieurs branches, étudiant chacune un aspect ou domaine particulier des signes, parmi lesquels on peut citer :

  • la biosémiotique , aussi appelé la sémiotique du vivant, qui étudie tous les aspects des signes biologiques;
  • la zoosémiotique , qui étudie les signes des animaux (à l'exception de l'Homme) et notamment la communication animale;
  • l'anthroposémiotique qui étudie le rôle du sens dans les interactions humaines, dans la constitution des collectifs, dans les rites, dans les imaginaires, dans le rapport aux territoires, à l'environnement et aux milieux;
  • la sémiotique visuelle ;
  • la sociosémiotique, qui analyse les manifestations de la socialité à l'aune de la sémiotique;
  • l'ethno-sémiotique , qui associe méthodologie sémiotique et exigences ethnographiques;
  • la sémiotique du droit, qui analyse les rituels juridiques, les discours juridiques (discours bureaucratiques; discours normatifs; discours judiciaires; discours scientifiques) et la manière de construction des discours de la loi.[6]

Quelques sémioticiens importants

Précurseurs

Bibliographie

  • Denis Bertrand, Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, coll. « Fac. Linguistique », 2000, 272 pages. Trad. italien, G. Marrone et A. Perri, Basi di semiotica letteraria, Roma, Meltemi, 271 p., 2002. Trad. portugais, Sao Paulo, 2003.
  • Denis Bertrand, Parler pour convaincre. Rhétorique et discours, Paris, Gallimard, 1999, coll. « Le Forum ».
  • Denis Bertrand, Alexandre Dézé, Jean-Louis Missika, Parler pour gagner. Sémiotique des discours de la campagne présidentielle 2007, Paris, Presses de Sciences-po, 2007.
  • Gérard Deledalle, Écrits sur le signe, Paris, Seuil, 1978.
  • Gérard Deledalle, Théorie et pratique du signe, Paris, Payot, 1979.
  • Umberto Eco, Le Signe, adaptation française de Jean-Marie Klinkenberg; Bruxelles, Labor, 1988 (= Médias); repris en collection Livre de poche, no 4159, Paris, Librairie générale française, 1992.
  • Umberto Eco, Traité de sémiotique générale, 1975.
  • Nicole Everaert-Desmedt, Le Processus interprétatif, introduction à la sémiotique de Ch.S. Peirce, Liège, Pierre Mardaga éditeur, 1990.
  • Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, 1979 et 1986, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette (= Hachette université, Série Langage, Linguistique, Communication), deux tomes.
  • Eduardo C. B. Bittar, Linguagem jurídica: semiótica, discurso e direito (Language Juridique: sémiotique, discours, droit), Editora Saraiva, Sâo Paulo, Brasil, 6a. edição, 2015.
  • Anne Hénault, Les enjeux de la sémiotique. Vol. 1, Introduction à la sémiotique générale, Paris, PUF, 1979; vol. 2, Narratologie, sémiotique générale, Paris, P.U.F., 1983.
  • Jean-Marie Klinkenberg, Précis de sémiotique générale, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 1996 (= Culture et Communication); repris en collection de poche, Paris, Le Seuil, coll. Points, no 411, 2000.
  • Claude et Robert Marty, 99 réponses sur la sémiotique, Montpellier, CRDP Languedoc-Roussillon / CDDP, 1992.
  • Robert Marty, L'Algèbre des signes, Essai de sémiotique scientifique d'après C. S. Peirce, Amsterdam, John Benjamins Publishing (Foundations of Semiotics Series 24), 1990.
  • Alain Rey (dir.), Théories du signe et du sens. Lectures, Paris, Klincksieck, (= Initiation à la linguistique), 2 vol., 1973 et 1976.
  • Thomas Sebeok, Marcel Danesi (éd.), Encyclopedic Dictionary of Semiotics, seconde édition révisée et mise à jour. Tome 1 : A-M; tome 2 : N-Z; tome 3 : bibliographie (première édition : 1986), Mouton, De Gruyter 1994.
  • Louis Hébert, Dispositifs pour l'analyse des textes et des images. Introduction à la sémiotique appliquée, Limoges, PuLim, 2007.
  • Groupe µ (Francis Édeline, Jean-Marie Klinkenberg). Principia semiotica: aux sources du sens. Bruxelles: Les Impressions nouvelles, 2015. 581 p. (ISBN 9782874493065)

Références

  1. Il y a concurrence entre les deux termes, du fait de deux filiations, celle de Ferdinand de Saussure et celle de Charles Sanders Peirce, cf le § Rem. dans « Sémiologie » (consulté le )
  2. Charles W. Morris, Foundations of the Theory of Signs, article dans l' International Encyclopedia of Unified Science, 1938. Trad. fr. par J.-P. Paillet, Langages, no 35, septembre 1974, Larousse.
  3. Charles Morris, Foundations of the Theory of Signs, article pour l'International Encyclopedia of United Science, 1938.
  4. Charles W. Morris, Signs, Language and Behavior, 1946.
  5. Protée : Plus de 400 contributions en ligne
  6. (pt) BITTAR, Linguagem Jurídica: semiótica, discurso e direito (Language juridique: sémiotique, discours et droit), São Paulo, Saraiva, , 15-45 p.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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