Régiment d'artillerie de position

Un régiment d'artillerie de position (abrégé en RAP) est un régiment d'artillerie français spécialisée dans la défense des fortifications de la ligne Maginot et des autres places-fortes, des années 1930 à 1940.

Mannequins portant des tenues des RAP autour d'un canon de 105 mm Schneider sur affût pneumatique modèle 1936 (musée de Fermont).

Ce type de régiment fournit les hommes servant d'équipages aux gros ouvrages et de troupe d'intervalle entre ceux-ci. Les premiers sont créés en 1933, il y en avait 21 pendant la bataille de France de 1940.

Rôle

La première mission de la ligne Maginot étant d'empêcher une attaque brusquée pendant la mobilisation générale de l'armée française (le rappel des réservistes dure quinze jours), elle doit donc être opérationnelle avec la totalité de ses effectifs avant la déclaration de guerre. À cet effet sont créés des troupes spécialisées dans la défense des fortifications, par définition peu mobiles, principalement d'infanterie (bataillons alpins de forteresse et régiments d'infanterie de forteresse) et d'artillerie (régiments d'artillerie de position), ainsi que quelques unités plus mobiles, notamment de reconnaissance (groupes de reconnaissance de région fortifiée) et d'artillerie (régiments d'artillerie mobile de forteresse).

Ces troupes sont déployées le long des frontières du Nord-Est (Nord, Ardennes, Lorraine, Alsace et Jura) et du Sud-Est (Savoie, Dauphiné et Alpes-Maritimes) de la France dès le temps de paix. L'artillerie de forteresse est composée en temps de paix principalement de sept régiments d'artillerie de position (RAP), qui fournissent les équipages des ouvrages et les batteries de position, complétés par trois régiments d'artillerie de région fortifiée (RARF), qui fournissent soit un groupe d'appui dans chaque sous-secteur soit des batteries nomades pour appuyer les détachements avancés. Les batteries d'ouvrage sont au plus près de la « ligne principale de résistance » (composée des réseaux de barbelés, des ouvrages et des casemates d'intervalle) dans les « casernements de sûreté » dans chaque sous-secteur et dans les « casernements légers de proximité » à côté de l'entrée de chaque ouvrage (les casernes souterraines n'étant pas utilisée en temps de paix, hormis pour les alertes et les exercices), tandis que les batteries d'intervalle sont casernées dans les arsenaux des régions militaires (qui servent aussi de centre de mobilisation pour l'artillerie : Douai, Sedan, Verdun, Metz, Sarrebourg, Haguenau, Mutzig, Strasbourg, Belfort, Grenoble et Draguignan).

Juste avant la mobilisation, les troupes de forteresse quittent leur casernements pour d'une part que les équipages occupent leurs ouvrages, et d'autre part que les batteries destinées à couvrir les intervalles s'installent en arrière de la ligne sur des positions préparées (emplacements de pièces et abris bétonnés).

Armement et équipement

Dotations d'artillerie équipant les RAP (en dehors des ouvrages) du Nord-Est au [1]
Matériels150e151e152e153e155e156e159e160e161e163e165e166e168e169e170eTotal
65 mm modèle 1906 Schneider-Ducrest1515
75 mm modèle 189736201220123628128822214
75 mm modèle 1897 sous casemate4414441041054
75 mm T modèle 19165050
90 mm modèle 1877 de Bange44
105 mm L modèle 1913 Schneider8122412122492
120 mm L modèle 1878 de Bange88824244480
145 mm L modèle 1916 Saint-Chamond (en)88420
150 mm T modèle 1917 Fabry (en)89624956
155 mm C modèle 1915 Saint-Chamond812161212161288
155 mm C modèle 1917 Schneider88824
155 mm L modèle 1877 de Bange820820121610241681610168
155 mm L modèle 1916 Saint-Chamond81220
155 mm GPF11
155 mm L modèle 1918 Schneider16122448872
220 mm C modèle 1916 Schneider1212
220 mm L modèle 1917 Schneider22
240 mm L modèle 1884 Saint-Chamond24410
280 mm C modèle 1914 Schneider88
370 mm Fillioux44
Total48321684525792901018211057674660994
Dotations d'artillerie équipant les RAP (en dehors des ouvrages) du Sud-Est au [1]
Matériels154e157e158e162e164e167eTotal
65 mm modèle 1906 Schneider-Ducrest161418121272
75 mm modèle 1897266410268
95 mm modèle 1888 Lahitolle62026
105 mm modèle 1913 Schneider8421420452
120 mm modèle 1878 de Bange6612
150 mm T modèle 1917 Fabry6641127
155 mm C modèle 1915 Saint-Chamond8412812852
155 mm L modèle 1877 de Bange123316123232137
155 mm L modèle 1877/1914 Schneider448
145/155 mm modèle 1916 Ruelle Saint-Chamond422412
194 mm GPF (en) sur affût-chenilles22
220 mm C modèle 1916 Schneider44
220 mm L modèle 1917 Schneider224
280 mm C modèle 1914 Schneider44
Total10055587213956480

Historique

Création

Pour constituer les batteries des ouvrages et des intervalles, quatre régiments d'artillerie sont affectés aux régions fortifiées de Metz et de Lauter le , en modifiant leur nom (anciennement « régiment d'artillerie à pied ») :

Un RARF est un régiment type campagne (avec ses propres moyens de transport), affecté à une région fortifiée ; à la mobilisation ce type de régiment prend le nom de régiment d'artillerie mobile de forteresse[2].

Pour le reste des frontières, la couverture d'artillerie est encore assurée par des régiments d'artillerie à pied, tel que dans les Alpes avec les 154eGrenoble) et 157e RAP (à Nice)[3].

Évolution

Le renforcement des secteurs fortifiés et l'extension de la ligne vers le nord entraine la création de nouvelles unités et le déplacement de groupes : le est créé le 59e RARF à Sarrebourg (région fortifiée de la Lauter) ; en 1935 le 5e groupe du 151e RAP s'installe à Stenay (SF de Montmédy) ; le est créé le 46e RARF à Thionville (région fortifiée de Metz) ; en 1936 le 5e groupe du 155e RAP s'installe à Morhange (SD de la Sarre), formant le 166e RAP en 1937 ; en 1937 un groupe du 155e RAP est installé à Strasbourg (SF du Bas-Rhin) et le 159e RAP est créé à Belfort, Colmar et Pontarlier (secteurs de Colmar, de Mulhouse et du Jura) ; en les 154e de Grenoble et 157e RAP de Nice deviennent des régiments de position ; enfin en 1939 aurait dû être créé le 169e RAP à Sedan et Stenay (annulé à cause de la mobilisation)[4].

Juste avant la mobilisation d', l'artillerie de position le long de la ligne Maginot est donc forte de sept régiments, du nord au sud :

Alertes puis mobilisation

Les régiments d'artillerie de position sont mis en alerte[N 1] à chaque fois que la situation internationale devient tendue, c'est-à-dire que les ouvrages sont occupés en une heure par le personnel d'active (l'échelon A, composé de conscrits et de professionnels) et la moitié de l'armement est mis en service. Ce fut le cas de mars à avril 1936 (remilitarisation de la Rhénanie), de mars à mai 1938 (Anschluss), de septembre à (crise des Sudètes) et à partir du (crise du corridor de Dantzig). La mesure suivante est l'alerte renforcée, correspondant au rappel des réservistes frontaliers (échelon B1), ce qui permet en une journée de mettre l'ensemble de l'armement opérationnel. Elle est suivie par l'ordre de mise en sûreté, correspondant au rappel des réservistes non-frontaliers affectés aux unités de forteresse (échelon B2) et l'occupation sous trois jours de toutes les positions avec des effectifs de guerre. L'arrivée des réservistes entraine le triplement des effectifs des RAP, en général chacun des groupes donne naissance à un nouveau régiment (appelé régiment de formation) composé de trois groupes. Cette mesure est appliquée entre le et le avant d'être levée. Enfin, le doublement ou triplement des régiments a de nouveau lieu à partir du (la formation des régiments s'échelonne jusqu'au 29).

Ensuite c'est l'ordre de couverture générale[N 2], c'est-à-dire le rappel de tous les réservistes affectés aux grandes unités d'active permettant l'établissement sous six jours de 25 divisions le long de la frontière. Cette mobilisation partielle avait déjà été déclenchée du au de la même année. Le , l'alerte renforcée est ordonnée en même temps que le dispositif de sûreté[6]. Le , l'Allemagne décrète la mobilisation générale pour le 26. Le 27 à minuit commence l'application de la couverture générale. Le 1er septembre, à la suite de l'attaque allemande contre la Pologne, la mobilisation générale française est décidée, applicable à partir du 2 à minuit ; la frontière avec l'Allemagne est fermée, les habitants de la zone frontalière sont évacués (notamment Strasbourg). Le , la France déclare la guerre à l'Allemagne.

Le à minuit, tous les régiments d'artillerie de position d'active, soit les sept RAP déjà déployés en temps de paix, sont dissous, remplacé le long de la ligne par les vingt-et-un RAP de formation[7].

Positions en 1939-1940

Organisation des régiments d'artillerie de position[8]
Secteurs ou places-fortesOuvrages d'artillerieNoyaux d'activeRégiments de formation
SD des Flandres, SF de l'Escaut et SF de MaubeugePas d'ouvrage d'artillerieVIIe groupe du 15e RADDouai)161e RAP
Place de Verdun, puis SD des ArdennesPas d'ouvrageIIIe groupe du 151e RAPVerdun)160e RAP (moins le Ier groupe)
SF de MontmédyChesnois et VélosnesVIIe groupe du 17e RAPStenay)169e RAP
SF de la CrusnesFermont, Latiremont et BréhainVIe groupe du 151e RAPThionville)152e RAP
SF de ThionvilleRochonvillers, Molvange, Soetrich, Kobenbusch, Galgenberg, Métrich et BilligVIe groupe du 151e RAP (à Thionville)151e RAP
SF de BoulayHackenberg, Mont-des-Welches, Michelsberg et AnzelingIIIe groupe du 163e RAPMetz)153e RAP
SF de FaulquemontEinseling et LaudrefangIer groupe du 163e RAPMoulins-lès-Metz)163e RAP
Place de MetzPas d'ouvrage4e groupe du 163e RAP (à Moulins-les-Metz)165e RAP et Ier groupe du 160e RAP
SD de la SarrePas d'ouvrage d'artillerieIIe groupe du 166e RAPMorhange)166e RAP
SF de RohrbachSimserhof, Schiesseck et OtterbielIIIe groupe du 166e RAPSarre-Union)150e RAP
SF des VosgesGrand-Hohékirkel et Four-à-ChauxVe groupe du 155e RAPHaguenau)168e RAP
SF de HaguenauHochwald et SchœnenbourgIVe groupe du 155e RAP (à Haguenau)156e RAP
Place de Mutzig et SF du Bas-RhinPas d'ouvrageIer et VIe groupes du 155e RAPStrasbourg)155e RAP
SF de ColmarPas d'ouvrageun groupe du 159e RAP (à Colmar)Ier groupe du 170e RAP
Place de BelfortPas d'ouvrage159e RAP (à Belfort)Ve et VIe groupes du 159e RAP
SF de MulhousePas d'ouvragePas d'unitéIIe groupe du 159e RAP
SD d'AltkirchPas d'ouvragePas d'unitéIIIe et IVe groupes du 159e RAP
SD de MontbéliardPas d'ouvragePas d'unitéVIIe groupe du 159e RAP
SF JuraPas d'ouvrageun groupe du 159e RAP (à Pontarlier)IIe groupe du 170e RAP
SD RhônePas d'ouvragepas d'unité1re batterie du 164e RAP
SF de la SavoieSapey, Saint-Gobain, Saint-Antoine, Lavoir et Pas-du-RocIer groupe du 154e RAPModane)164e RAP
SF du DauphinéJanus, Saint-Ours Haut, Roche-la-Croix et RestefondIIeGrenoble), IIIeBriançon) et IVe (au fort de Tournoux) groupes du 154e RAP154e RAP et 162e RAP
SF des Alpes-MaritimesRimplas, Gordolon, Flaut, Plan-Caval, Col-de-Brouis, Monte-Grosso, Agaisen, Saint-Roch, Barbonnet, Castillon, Sainte-Agnès, Mont-Agel, Roquebrune et Cap-Martin157e RAPNice)167e RAP, 158e RAP et 157e RAP

Combats de 1940

Canon de 155 mm court abandonné.

Les 5 et , les armées allemandes percent de nouveau le front sur la Somme et l'Aisne.

Le , les troupes françaises en Lorraine (troupes d'intervalle et divisions d'infanterie) reçoivent l'ordre de décrocher progressivement vers le sud pour éviter l'encerclement. La retraite doit se faire progressivement : les services et troupes d'intervalles d'abord, puis au second jour les équipages de casemates et l'artillerie d'intervalle (après avoir saboté leurs canons), enfin théoriquement au troisième jour (si les Allemands restent immobiles) les équipages des ouvrages après destruction de l'armement et de l'équipement.

On n'attend pas cet ordre dans le secteur de Montmédy, évacué du 10 au .

Divisions et groupements de marche constitués par les troupes de forteresse pendant la retraite[9]
Secteurs d'origineGrandes unités de marcheUnités d'infanterieUnités d'artillerieAutres unités
SF MontmédyDivision Burtaine132e, 136e, 147e et 155e RIF99e RAMFH et I/169e RAP
SF CrusnesGroupement de Fleurian128e, I et II/139e, XXI/149e RIFII/46e RAMFII/29e et I/5e BCC
SF ThionvilleDivision Poisot167e, 168e et 169e RIF70e RAMF et 151e RAP
SF BoulayDivision Besse160e, 161e, 162e et 164e RIF23e RAMF, 153e RAP30e BCC et
II/460e RP
SF FaulquemontGroupement de Girval156e et 146e RIF, 69e et 82e RMIFII et III/39e RAMF, I/163e RAP, I et II/166e RAP et I/142e RA15e GRCA
SF SarreGroupement Dagnan133e et 174e RIF, 41e et 51e RMIC49e RAMF et 166e RAP
SF RohrbachDivision ChastanetCISF 207, 166e, 153e, 37e et XXI/153e RIF59e RARF, 150e RAP
SF VosgesDivision SenselmeCIF 143, 154e et 165e RIF-46e GRRF et
V/400e RP
SF HaguenauDivision RegardI/22e, II et XXI/23e, II/70e, II et III/79e, I/ et II/68e RIF69e RAMF et 156e RAP

Pour les troupes françaises battant en retraite à pied vers le sud, soit la majorité des unités de forteresse, elles finissent par être rattrapées par les troupes motorisées allemandes qui les encerclent entre la Meuse, Nancy, les Vosges et Belfort. Après quelques combats, les différents régiments se rendent entre le 21 et le [10]. Les ouvrages sont désormais encerclés, ce qui va permettre aux Allemands de les attaquer plus facilement.

Notes et références

Notes

  1. La mise en alerte s'appelle la « Mesure 10 », sur ordre du Ministre ou à l'initiative du commandant de région militaire.
  2. La mise en alerte renforcée s'appelle la « Mesure 27 », elle aussi à l'initiative du Ministre ou du commandant de région militaire. La mise en sûreté correspond à la « Mesure 41 », sur ordre du Ministre. La couverture générale désigne la « Mesure 81 », sur ordre du Gouvernement.

Références

  1. Mary et al. 2001, tome 2, p. 182.
  2. Mary et al. 2001, tome 2, p. 153.
  3. Mary et al. 2009, tome 4, p. 165-173.
  4. Mary et al. 2001, tome 2, p. 153 et 157.
  5. Répartition et stationnement des troupes de l'armée française, Paris, Imprimerie nationale, .
  6. Mary et al. 2000, tome 1, p. 78-81.
  7. Mary et al. 2000, tome 1, p. 78-85.
  8. Mary et al. 2001, tome 2, p. 156 et Mary et al. 2009, tome 4, p. 122.
  9. Mary et al. 2003, tome 3, p. 191.
  10. Mary et al. 2003, tome 3, p. 188-204.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Yves Mary, Alain Hohnadel, Jacques Sicard et François Vauviller (ill. Pierre-Albert Leroux), Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 1, Paris, éditions Histoire & collections, coll. « L'Encyclopédie de l'Armée française » (no 2), (réimpr. 2001 et 2005), 182 p. (ISBN 2-908182-88-2).
    • Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 2 : Les formes techniques de la fortification Nord-Est, Paris, Histoire et collections, , 222 p. (ISBN 2-908182-97-1).
    • Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 3 : Le destin tragique de la ligne Maginot, Paris, Histoire et collections, , 246 p. (ISBN 2-913903-88-6).
    • Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 4 : la fortification alpine, Paris, Histoire & collections, , 182 p. (ISBN 978-2-915239-46-1).
    • Hommes et ouvrages de la ligne Maginot, t. 5 : Tous les ouvrages du Sud-Est, victoire dans les Alpes, la Corse, la ligne Mareth, la reconquête, le destin, Paris, Histoire & collections, , 182 p. (ISBN 978-2-35250-127-5).

Articles connexes

  • Armée et histoire militaire françaises
  • Portail de la Seconde Guerre mondiale
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.