Proto-Indo-Européens

Les Proto-Indo-Européens (PIE) étaient, selon la thèse la plus souvent admise, la population locutrice du proto-indo-européen, une langue préhistorique reconstituée de l'Eurasie. La connaissance de ce peuple vient principalement de la reconstruction linguistique, mais aussi de la génétique.

Il aurait diffusé sa langue, sa culture, ses codes et ses croyances à la quasi-totalité des peuples de l'Europe actuelle (Baltes, Celtes, Germains, Grecs, Latins et Slaves) et à certains peuples d'Asie (Perses, Kurdes, Ossètes, Pachtounes et d'autres peuples iraniens, Indiens, Arméniens etc.).

Définition

Dans la littérature scientifique, les locuteurs de l'indo-européen commun sont habituellement désignés sous le terme d'Indo-Européens[1],[2],[3],[4],[5]. Toutes les langues se sont développées à partir d'autres qui les ont précédées, et l'indo-européen commun ne fait pas exception. Ainsi, Antoine Meillet, dès 1909, faisait remarquer que l'indo-européen n'était que la forme prise par une langue encore plus ancienne, qui était passée par d'autres stades plus anciens[6]. L'indo-européen commun est une langue relativement récente, qui recèle des vocables concernant la poterie, l'élevage, l'agriculture, des terminologies ayant trait aux produits dérivés du lait, à la laine, aux textiles, à la roue, au joug, à la charrue et au cuivre[7]. Il ressort de l'ensemble de ce vocabulaire que la langue indo-européenne reconstruite est très vraisemblablement un produit de la phase finale du néolithique[8],[9].

Pour cette raison, Wolfgang Meid (de) subdivise la proto-langue en trois stades, qu'il appelle le proto-indo-européen, le moyen-indo-européen et l'indo-européen tardif, ce dernier correspondant à l'indo-européen commun. Ces trois stades seraient situés entre le cinquième et le troisième millénaire avant notre ère[10].

Recherche des origines

Piste grammaticale

Le point de départ est l'engouement pour le sanskrit et la découverte de l’unité sous-jacente aux langues classiques (sanskrit, persan, avestique, grec ancien, latin). C’est d'abord un missionnaire jésuite français, Gaston-Laurent Cœurdoux et un magistrat anglais aux Indes, Sir William Jones, qui émirent l’hypothèse d’une langue-mère.

Au XIXe siècle, les premières recherches entreprises placent le foyer originel de dispersion des peuples indo-européens en Asie. Cette conclusion se fonde surtout sur l'idée que le sanskrit est, sinon la langue-mère, du moins la langue qui conserve le plus grand nombre d’affinités avec la langue-mère à cause de sa complexité et de ses traits archaïques notamment dans la déclinaison, la conjugaison et la grammaire. Cette thèse fut notamment défendue par les frères August Wilhelm et Friedrich Schlegel, qui tentaient les premières reconstitutions de l’évolution de l’indo-européen en mettant notamment en évidence l'antiquité du sanskrit et du groupe balte.

Le déchiffrement du hittite en 1917 changeait les perspectives. Tout en ayant des traits indo-européens évidents, de par sa morphologie, cette langue, disparue depuis 3 000 ans, présente de nombreuses originalités en n'ayant pas de distinction entre le masculin et le féminin mais seulement entre les êtres animés et les êtres inanimés, ce qui devient le neutre. De fait, la plupart des analystes considérèrent, à cause de son ancienneté, que le hittite et d'autres langues anatoliennes éteintes descendraient non de l'indo-européen mais d'un proto-indo-européen, antérieur à l'indo-européen, qui est reconstitué par les méthodes comparatistes ou, pour le moins, se seraient séparées du tronc commun bien avant les autres branches de la famille[11].

Ainsi, selon Norbert Oettinger, le proto-anatolien doit être daté au plus tard du XXIVe siècle av. J.-C.. Les ancêtres des Proto-Anatoliens se sont, selon toute apparence, séparés très tôt, longtemps avant l'arrivée en Asie mineure de leurs parents indo-européens[12].

Piste lexicale

D'autres recherches tentent de déterminer le lieu d'origine du proto-indo-européen en étudiant les racines conservées par un maximum de langues dérivées, de telle sorte que l'on puisse savoir quels végétaux et/ou quels animaux étaient connus des Proto-Indo-Européens. Là où se trouvent ces plantes et ces organismes se trouvent aussi les lieux où ce peuple aurait vécu. Par le même type de raisonnement, on essaie de reconstituer les éléments de leur culture matérielle primitive. Ainsi, par exemple, le linguiste André Martinet s'est appuyé sur le fait que les Proto-Indo-Européens n'auraient pas eu de mots pour désigner la mer stricto sensu. La racine hypothétique *mor semble ne désigner originellement qu'une petite étendue d'eau, comme le vieil anglais mere, le français marais et le gotique mari. Pour désigner la mer, on recourt soit à une extension du sens originel (latin mare), à un mot composé (gotique marisaiws) ou à un terme nouveau (l'anglais sea, l'allemand see ou le grec thalassa), pour en déduire que le peuple proto-indo-européen n'était pas un peuple de marins[13].

Iaroslav Lebedynsky[5] attire l'attention sur le fait que les racines ont pu changer de sens au cours des siècles et des déplacements de peuples. Ainsi, la racine *bhāgos, censée désigner le hêtre (fagus en latin), a pu avoir dans certaines langues des significations différentes, allant du chêne au sureau. De même, si l'existence d'un terme désignant le saumon a pu faire pencher vers une origine du côté de la mer Baltique, il y a des Salmo vivant dans les rivières des steppes pontico-caspiennes, même dans la mer d'Aral. De plus, l'environnement végétal et animal a forcément évolué depuis l'époque proto-indo-européenne.

Les langues indo-européennes ont un mot commun pour l'essieu de roue et de nombreux autres noms communs pour la construction des chariots. En relation avec les découvertes des roues les plus anciennes et les calculs glottochronologiques, nous pouvons conclure que les Indo-Germaniques/Indo-Européens ont construit les premières voitures/chariots[14].

Piste archéologique

La troisième piste consiste à rechercher des témoignages archéologiques permettant de détecter la présence en un lieu des Proto-Indo-Européens à partir de ce que l'on peut supposer de leur mode de vie[15],[16]. La principale hypothèse archéologique du foyer originel des Proto-Indo-Européens est l'hypothèse kourgane.

Piste génétique

Plusieurs études génétiques réalisées depuis 2009, dont la première étude systématique paléogénétique de l'ADN des populations préhistoriques européennes, publiée en 2015, semblent confirmer l'hypothèse kourgane[17]. Une migration très importante s'est produite depuis les steppes pontiques vers le centre de l'Europe, puis les autres parties de l'Europe, autour de 3000 av. J.-C., en particulier de la culture Yamna vers le centre de l'Europe, qui a donné la naissance de la culture de la céramique cordée. Ces deux cultures jouent un rôle central dans l'hypothèse kourgane[18]. Cette étude est considérée comme un tournant majeur dans l'étude de la préhistoire européenne[19].

Toutefois, en 2018, le généticien David Reich, professeur de la Harvard Medical School, auteur des principales études réalisées sur l'ADN ancien depuis les années 2010, écrit dans son dernier ouvrage que, selon lui, l'origine des Proto-Indo-Européens se situerait, non pas dans la steppe pontique, mais plus probablement dans le sud du Caucase[20].

De même, pour Russell Gray (en), directeur du département d'évolution culturelle et linguistique de l'Institut Max-Planck, « selon nous, la meilleure hypothèse est celle qui réunit des données génétiques et linguistiques. Ils [les Proto-Indo-Européens] auraient vécu à l'est du croissant fertile il y a environ 8 000 ans.... Nous pensons en effet que l'origine se trouve ici, au sud du Caucase, dans l'Anatolie orientale, en Arménie, et peut-être dans le nord de l'Iran, il y a environ 8 000 ans »[21].

Notes et références

  1. Haudry 1981.
  2. Martinet 1987.
  3. Sergent 1995.
  4. Mallory 1998.
  5. Lebedynsky 2009.
  6. Antoine Meillet, Introduction à l'étude comparative des langues indo-européennes, 1903, pp. 15 s.
  7. (de) Julius Pokorny, Gedanken zu der Indogermanenfrage, in Anton Scherer (ed.), Die Urheimat der Indogermanen, Darmstadt, 1968, p. 416
  8. Haudry 1981, Martinet 1987
  9. (en) David W. Anthony, The Horse, the Wheel, and Language : How Bronze-Age Riders from the Eurasian Steppes Shaped the Modern World, Princeton University Press, , 568 p. (ISBN 978-1-4008-3110-4 et 1-4008-3110-5, présentation en ligne), p. 59.
  10. (de) Wolfgang Meid, Archäologie und Sprachwissenschaft. kritisches zu neueren Hypothesen der Ausbreitung der Indogermanen, Innsbruck, Institut für Sprachwissenschaft der Universität Innsbruck, , p. 39.
  11. André Martinet, Des steppes aux océans : l'indo-européen et les indo-européens, Paris, Payot, 1986, p.100
  12. (de) Norbert Oettinger, « Pferd und Wagen im Altiranischen und Anatolischen », in Festschrift für Bernfried Schlerath, Budapest, 1994, p.75
  13. Martinet 1987, p. 43-45.
  14. (en) Hans J.J.G. Holm, The Earliest Wheel Finds, Their Archeology and Indo-European Terminology in Time and Space, and Early Migrations around the Caucasus, Budapest, Archaeolingua Alapítvány, .
  15. René Desbrosse, « Les trois derniers millénaires du Tardiglaciaire entre Atlantique et Méditerranée », Gallia préhistoire, t. 37, , p. 321-328 (DOI 10.3406/galip.1995.2142, lire en ligne)
  16. Janusz K. Kozlowski, « La recolonisation tardiglaciaire et les changements culturels à la limite Pléistocène-Holocène sur la Grande Plaine », dans Préhistoire de la Grande Plaine du nord de l’Europe, Actes du Colloque Chaire Francqui interuniversitaire au titre étranger, Liège, Université de Liège, (lire en ligne [PDF]), p. 115-127.
  17. Sur la piste controversée des Indo-Européens, Stéphane Foucart, lemonde.fr, 19 juin 2009
  18. (en) W. Haas et al., « Massive migration from the steppes is à source for Indo-European langages in Europe », Nature, (lire en ligne [PDF])
  19. (en) Ann Gibbons, « Revolution in human evolution », Science, vol. 349, , p. 362-366.
  20. « This suggests to me that the most likely location of the population that first spoke an Indo-European language was south of the Caucasus Mountains, perhaps in present-day Iran or Armenia », David Reich, Who We Are and How We Got Here: Ancient DNA and the New Science of the Human Past, Knopf Doubleday Publishing Group, 2018, p. 177.
  21. Russell Gray de l'Institut Max-Planck in Les grands voyages de l‘humanité (1/3)- D’Homo sapiens aux Romains, Série documentaire de Cristina Trebbi et Christian Twented, Allemagne, 2017, diffusé sur ARTE le 21 avril 2018

Voir aussi

Bibliographie

  • Bernard Sergent, Les Indo-Européens. Histoire, langues, mythes, Paris, Payot, , 536 p. (ISBN 2-228-88956-3)
  • James P. Mallory, « L'hypothèse des steppes », Dossiers d'archéologie, 2010, n⁰ 338, p. 28–35.
  • James P. Mallory, « Le phénomène indo-européen : linguistique et archéologie », dans Histoire de l'humanité, t. 2 : 3 0000 à 700 av. J.-C., sous la dir. de Corinne Julien, Paris, éd. UNESCO, 2001, p. 216-245.
  • J.P. Mallory et Douglas Q. Adams, Encyclopedia of Indo-European Culture, Londres, Fitzroy Dearborn Publishers, , 829 p. (ISBN 978-1-884964-98-5, lire en ligne)
  • James P. Mallory (trad. de l'anglais), À la recherche des Indo-Européens : langue, archéologie, mythe, Paris, Seuil, , 358 p. (ISBN 2-02-014390-9)
  • David W. Anthony, The Horse, the Wheel, and Language : How Bronze-Age Riders from the Eurasian Steppes Shaped the Modern World, Gollancz, , 553 p. (ISBN 978-0-691-05887-0 et 0-691-05887-3)
  • Colin Renfrew (trad. Michèle Miech-Chatenay), L'énigme indo-européenne : Archéologie et langage [« Archaeology and Language: The Puzzle of the Indo-European Origins »], Paris, Flammarion, coll. « Champs », (1re éd. 1987) (ISBN 978-2-08-211185-0)
  • Gérard Fussman, « Entre fantasmes, science et politique : l’entrée des Āryas en Inde », Annales. Histoire, Sciences sociales, no 4, , p. 781-813 (lire en ligne)
  • Jean Haudry, Les Indo-Européens, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », (réimpr. 1985, 1992), 127 p. (ISBN 2-13-037090-X)
  • Lothar Kilian (trad. Felicitas Schuler, préf. Jean Haudry), De l'origine des Indo-Européens [« Zum Ursprung der Indogermanen »], Paris, Éditions du Labyrinthe,
  • Iaroslav Lebedynsky, Les Indo-Européens. Faits, débats, solutions, Paris, Errances, , 2e éd., 221 p. (ISBN 978-2-87772-396-1)
  • Jean-Paul Demoule, Mais où sont passés les Indo-Européens ? : aux origines du mythe de l'Occident, Éditions du Seuil, , 704 p. (ISBN 978-2-02-029691-5 et 2-02-029691-8)
  • André Martinet, Des steppes aux océans. L'indo-européen et les Indo-Européens, Paris, Payot,

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