Prieuré de Serrabona

Le prieuré Sainte-Marie de Serrabona[1] (ou Serrabone), fondé au début du XIe siècle, est situé sur la commune de Boule-d'Amont dans le département français des Pyrénées-Orientales en région Occitanie, à une trentaine de kilomètres de Perpignan, dans le massif des Aspres sur les contreforts orientaux du massif du Canigou.

Prieuré Sainte-Marie de Serrabona
Présentation
Culte Aucun aujourd'hui
Type Prieuré
Rattachement Règle de Saint Augustin
jusqu'en 1592
Début de la construction XIe siècle
Fin des travaux XIIe siècle
Style dominant Roman
Protection  Classé MH (1875, Église)
Géographie
Pays France
Région Occitanie
Département Pyrénées-Orientales
Ville Boule-d'Amont
Coordonnées 42° 36′ 06″ nord, 2° 35′ 43″ est
Géolocalisation sur la carte : France
Géolocalisation sur la carte : Pyrénées-Orientales

Il est situé à proximité des gorges du Boulès, et demeure encore aujourd'hui d'accès difficile.

Son portail Nord, les chapiteaux de son cloître et une très rare tribune en marbre, datée du XIIe siècle forment le plus bel ensemble de sculpture romane du Roussillon .

L'église a été classé au titre des monuments historiques en 1875[2]. Plusieurs objets sont référencés dans la base Palissy (voir les notices liées)[2].

Géographie

Le prieuré est situé sur l'ancienne commune de Serrabonne, aujourd'hui rattachée à Boule-d'Amont.

Historique

Portail Nord, le Christ

La plus ancienne mention du lieu remonte à 1069, date à laquelle une église paroissiale dédiée à la Vierge est citée. Le vicomte de Cerdagne et de Conflent et ses proches y installent dans leur domaine un groupe de religieux suivant la règle de saint Augustin, composé de chanoines et de chanoinesses. Ces chanoines assurent aussi le service paroissial comme un curé de village. Treize ans plus tard, en 1082, il élisent un prieur sur un fond d'opposition entre autorités religieuses et pouvoir des comtes et des vicomtes à la suite de la réforme grégorienne qui veut leur soustraire les fonctions religieuses.

Abside voûtée en cul-de-four de l'abside
Chevet : abside et bras du transept
Le prieuré au début du XXe siècle

L'église a été construite en deux temps. La nef étroite bâtie en moellons allongés irréguliers voûtée en berceau correspond à la première construction. L'église est ensuite agrandie en lui ajoutant des collatéraux, un transept et un chevet semi-circulaire. La nouvelle collégiale est consacrée le par Artal, évêque d'Elne, accompagné de Bernard Sanche, évêque d'Urgell, et des abbés de Saint-Michel de Cuxa et Sainte-Marie d'Arles-sur-Tech. L'acte rapportant cette consécration indique que l'agrandissement de l'église a été fait par le prieur Pierre Bernard et les habitants de Serrabone. La galerie située au midi a été construite à la même période. Le collège de chanoines était mixte, car comprenant des hommes et des femmes (qualifiées de converses).

La date de construction de la tribune a fait l'objet d'un débat entre historiens de l'art. L'importance et la qualité de son décor sculpté par rapport au caractère fruste de l'architecture de l'église ont fait supposer à Christiane Fabre et Marcel Robin que cette tribune avait été transportée à Serrabona au début du XIXe siècle. Marcel Durliat démontre dans un article sur le prieuré, en comparant avec d'autres tribunes encore existantes construites à la même période et en analysant les modifications faites dans l'architecture de l'église pour permettre son installation, qu'elle a été construite pour cette église au moment de son agrandissement. C'est un jubé permettant de séparer le chœur liturgique où se réunissent les chanoines, de la partie de la nef où se trouvent les fidèles. La tribune est alors surmontée d'une balustrade côté ouest qui a été restaurée. Un escalier placé du côté chœur permettait au desservant de monter sur la tribune pour annoncer la parole de Dieu avec l'épître et l'évangile ou pour chanter les hymnes, les psaumes, les antiennes, les répons et les versets. La plupart des églises construites à cette époque possédaient des jubés mais les modifications de la liturgie ont entraîné leur destruction, faisant de la tribune du prieuré de Serrabona un témoin aujourd'hui rare.

L'apogée du prieuré fut de courte durée : les troubles commencent aux XIIIe et XIVe siècles avec l'individualisme croissant des chanoines (maisons privatives au lieu de partager des lieux de vie commune comme le stipulait la règle). La décadence devient alors inéluctable et atteint un tel degré au cours du XVIe siècle que le pape sécularise alors le prieuré, comme tous ceux rattachés à la règle de Saint Augustin en Espagne, en 1592.

À la mort de Jaume Serra, le dernier prieur de Serrabona, en 1612, le prieuré est rattaché au nouveau diocèse de Solsona en Catalogne, la collégiale devient église paroissiale et tombe lentement dans l'abandon et l'oubli. Des textes signalent que des bergers et leurs troupeaux se réfugient occasionnellement dans le cloître ou l'église.

En 1819, toute la partie occidentale de l'église s'effondre, minée par les intempéries. On n'hésite pas non plus à démonter, dans le cloître, la rangée intérieure de colonnes et chapiteaux pour constituer un retable dans l'abside. La commune de Serrabonne, trop pauvre et dépeuplée, est supprimée en 1822. Le prieuré est visité par Prosper Mérimée en 1834 mais il n'apprécie pas les chapiteaux romans de la galerie méridionale[3]. Une première campagne de restauration de l'église est entreprise en 1836. Le prieuré de Serrabona est classé au titre des monuments historiques en 1840.

Les lieux deviennent par la suite la propriété de Henri Jonquères d’Oriola qui entreprend des travaux de restauration en 1917 en commençant par la toiture du clocher (le début du XXe siècle marque le début d'une période, déjà amorcée au XIXe siècle, de redécouverte du patrimoine local) et qui se poursuivent tout au long du XXe siècle. La tribune-jubé en marbre rose est dégagée. Sylvain Stym-Popper (1906-1969) a rendu à l’église du prieuré ses dimensions d’origine en reconstruisant la partie effondrée en 1819.

Le prieuré est restauré dans les années 1960. En 1968, la famille Jonquères d’Oriola fait don du prieuré au département des Pyrénées-Orientales.

En 1978, un incendie menace le prieuré. Pour protéger cet espace naturel, des mesures de sensibilisation et de protection sont prises. En 1981, le territoire autour de ce haut-lieu de l'art roman est protégé.

En 2014, les fragments de la balustrade qui étaient conservés ou retrouvés durant ces dernières années ont retrouvé la partie supérieure de la tribune-jubé grâce au travail de spécialistes.

Architecture

L'église

Plan
Détail de l'appareillage de l'agrandissement de l'église
Portail Nord, les lions à une tête

L'église actuelle est formée par la nef de l'église antérieure (celle de la mention de 1069), à laquelle fut adjoint un collatéral, un transept, une galerie de cloître et les absides lors des travaux d'agrandissement du XIIe siècle. C'est cet édifice, consacré en 1151, que l'on peut voir aujourd'hui. Cependant, toute la partie occidentale, effondrée au début du XIXe siècle, a été refaite dans les années 1950-1960. La façade ouest a alors été dotée d'une baie bien trop large par rapport aux autres ouvertures de l'église.

Au chevet, les deux absidioles du transept ne sont pas visibles car intégrées au massif de l'édifice, par contre l'abside centrale est bien visible.

La nef est voûtée en berceau brisé et le collatéral en demi-berceau. Les deux vaisseaux communiquent entre eux par deux arcades percées dans le mur les séparant (mur faisant partie de l'édifice du XIe siècle). Les trois absides sont voûtées en cul-de-four.

Il reste peu de choses de la décoration intérieure en dehors de la tribune, si ce n'est des traces de fresque sur le mur sud de la nef.

Portail Nord

Le portail Nord est constitué d'un placage de marbre sur la façade de schiste du collatéral . Deux colonnes de marbre reçoivent un boudin recouvert de motifs en méplat. Le chapiteau de gauche dont on peut trouver un modèle semblable à l'abbaye Saint-Michel de Cuxa représente un Christ trônant, bénissant de la main droite et tenant un livre dans l'autre. Des anges dissimulant leurs corps derrière des ailes l'entourent. Sur le chapiteau de droite, deux lions se rejoignent dans l'angle dans une tête commune[4].


La tribune

Vue en plan de la tribune

Elle a été réalisée avec du marbre rose provenant des carrières de Bouleternère, cette découverte se fit grâce à un incendie qui mit au jour une veine de marbre qui après examen géologique s’avérera être le même que celui du prieuré. Ce marbre orne de nombreuses autres églises romanes des environs.

Elle est située à peu près au milieu du vaisseau central. On peut remarquer quelques non-ajustements dans l'assemblage des blocs et des sculptures la constituant : cela résulte dans le fait qu'ils ont probablement été taillés avant d'être assemblés dans l'église même, ce qui a alors nécessité des ajustements de dernière minute.

Les écoinçons des Évangélistes et l'Agneau divin
Lions, aigles, têtes humaines

La tribune a une forme à peu près rectangulaire de 5,60 x 4,80 mètres pour une hauteur avoisinant les 3 mètres. Une balustrade domine cet ensemble sur une hauteur d'environ 1,50 mètre. Il est à noter que les croisées d'ogives présentes sous la tribune ne sont en aucun cas une forme primitive de voûte gothique : elles ont ici un rôle purement décoratif, afin de cacher la voûte d'arête les surplombant sans jamais la toucher[5].

Une telle tribune est une forme architecturale rare : seule l'abbatiale de Cruas en présente une de cette époque et il ne reste que des vestiges de celle de l'abbaye Saint-Michel de Cuxa[6],[7],[8],[9].

Le décor sculpté

La façade est composée de trois arcs de marbre de même dimension dont la conception générale représente le triomphe du décor et d'une sculpture de remplissage. On peut chercher ses origines dans l'art roman lombard de l'Italie du Nord. Le thème retenu est une théophanie avec l'Agneau comme figure divine. Les écoinçons sont ornés de pétales de fleurs et de sujets religieux, des anges, le lion de saint Marc, l'aigle de saint Jean, l'agneau divin sur un fond timbré d'une croix, l'homme de saint Matthieu et le taureau de saint Luc.

Les chapiteaux reprennent les thèmes iconographiques de la façade. Sur les deux piliers extrêmes on trouve un centaure sagittaire à corps de lion dirigeant sa flèche contre un cerf. En face, un homme vêtu d'une tunique est debout entre un centaure et un lion. Un chapiteau représente saint Michel luttant contre le démon avec des éléments de style semblables à la tribune de l'abbaye Saint-Michel de Cuxa. Sur les motifs d'angles d'un autre, des gueules de lions dévorent une proie et sur une des faces, un des monstres semble cracher un serpent. Tous ces motifs symbolisent la renaissance des forces du mal. Un chapiteau représente la société féodale : un seigneur, un clerc et un paysan sont sculptés sur trois angles, un singe figurant le démon est sculpté sur le quatrième, tourné vers la porte nord.

Dans les chapiteaux suivants, la signification se perd au bénéfice d'un autre principe de la sculpture romane, la recherche de la beauté dans un décor à caractère monumental. Le motif le plus simple est la succession de lions sur les quatre faces du chapiteau. Parfois une grosse tête vient interrompre l'organisation vers le centre ou des aigles affrontés occupent toute la corbeille. Ces chapiteaux illustrent une belle intégration de la sculpture à l'architecture[4].

Tribune du prieuré de Serrabona
La tribune côté ouest après la reconstitution de la balustrade.
La tribune côté ouest après la reconstitution de la balustrade. 
Lions affrontés et tête humaine.
Lions affrontés et tête humaine. 
Chapiteaux des colonnes supportant la tribune.
Chapiteaux des colonnes supportant la tribune. 

Le cloître

Il est accolé au côté sud de l'église, et ses arcades ouvrent sur le ravin à proximité du prieuré. Un petit jardin s'étend à son pied, sur une des terrasses ménagées pour soutenir le prieuré. Ses arcades sont ornées de colonnes et de chapiteaux en marbre.

La galerie possède encore un enfeu dans lequel subsistent des traces de peinture murale.

Les chapiteaux

Les chapiteaux de la galerie Sud forment deux groupes de valeurs artistiques inégales, ceux donnant sur l'extérieur sont archaïques avec un faible relief et un modelé inexistant. Les masques humains sont simplement gravés, l'échine des lions est rectiligne et les crinières forment des entrelacs. Ceux de l'intérieur sont animés et pittoresques. Ils sont semblables dans leur approche aux chefs-d'œuvre de la tribune. Les deux séries sont de la même époque et on y retrouve la structure et les thèmes de ceux de l'abbaye Saint-Michel de Cuxa : les aigles, les lions, les lions-griffons et l'homme comme spectateur[4].

Notes et références

  1. Notice no PA00103968, base Mérimée, ministère français de la Culture
  2. « Prieuré de Serrabona », sur www.pop.culture.gouv.fr (consulté le )
  3. Elisabeth Williams, Prosper Mérimée et l'archéologie médiévale du Midi de la France en 1834, dans Annales du Midi, 1981 année 93, no 153, p. 308, 309 (lire en ligne)
  4. Marcel Durliat, Roussillon roman, Éditions Zodiaque, 1986. (ISBN 2-7369-0027-8), page 127
  5. Marcel Durliat, « La tribune de Serrabone et le jubé de Vezzolano », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, vol. 60, , p. 79-112 (lire en ligne)
  6. Marcel Durliat, « La tribune de Saint-Michel de Cuxa », Bulletin monumental, vol. 146, no 1, , p. 48-49 (lire en ligne)
  7. Anna Thirion, Thèse: La "Tribune" de Saint-Michel de Cuxa (Pyrénées Orientale , milieu du XIIe siècle),
  8. Marcel Aubert, « La tribune de l'église de Serrabone », dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France 1948-1949, 1952, p. 244-245 (lire en ligne)
  9. Marcel Durliat, « Découvertes à Serrabone », dans Bulletin monumental, 1972, tome 130, no 3, p. 238 (lire en ligne)

Voir aussi

Bibliographie

  • Noël Bailbé, Les clochers-tours du Roussillon, Perpignan, Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, (ISSN 0767-368X)
  • Noël Bailbé, Les portes des églises romanes du Roussillon, Perpignan, Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales,
  • Jean-Auguste Brutails, « Note sur l'église de Serrabone », dans Congrès archéologique de France. 73e session. À Carcassonne et Perpignan. 1906, Société française d'archéologie, Paris, 1907, p. 515-517 (lire en ligne)
  • Marcel Durliat, « Le prieuré de Serrabone », dans Congrès archéologique de France. 112e session. Le Roussillon. 1954, Société française d'archéologie, Paris, 1955, p. 247-265
  • Marcel Durliat, Roussillon roman, Éditions Zodiaque (collection la nuit des temps no 7, La Pierre-qui-Vire, 1986 (4e édition), (ISBN 2-7369-0027-8), p. 127--131, 168-176, planches 51 à 68.
  • Géraldine Mallet, Églises romanes oubliées du Roussillon, Montpellier, Les Presses du Languedoc, , 334 p. (ISBN 978-2-8599-8244-7)
  • Marcel Durliat, « La tribune de Serrabone et le jubé de Vezzolano », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, vol. 60, , p. 79-112 (lire en ligne).
  • Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos, Le guide du patrimoine Languedoc Roussillon, Hachette, Paris, 1996, (ISBN 978-2-01-242333-6), p. 530-533
  • Olivier Poisson, Anna Thirion, Pierre Giresse, Géraldine Mallet, Michel Martzluff, Père Marco Riva (o.s.b.), Olivier Weets, Les tribunes de Cuxa et de Serrabona, deux clôtures de chœur exceptionnelles de l’époque romane, Direction régionale des Affaires culturelles, 2014, (ISBN 978-2-11-138381-4) [lire en ligne]
  • Olivier Poisson, « Serrabona, de schiste et de marbre », Le Patrimoine : Histoire, culture et création d'Occitanie, no 51, , p. 36-47 (lire en ligne, consulté le ).

Articles connexes

Liens externes

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