Paul Magloire

Paul Eugène Magloire, né le à Cap-Haïtien (Quartier-Morin) et mort le à Port-au-Prince[1], est un homme politique et un militaire haïtien. Il est le premier président de la République d'Haïti élu au suffrage universel[2].

Pour les articles homonymes, voir Magloire.

Paul Magloire

Portrait officiel du président Paul Magloire.
Fonctions
Président de la République d'Haïti

(6 ans)
Élection 8 octobre 1950
Prédécesseur Franck Lavaud (intérim)
Successeur Nemours Pierre-Louis
Secrétaire d'Etat de l'Intérieur et de la Défense nationale

(2 mois et 22 jours)
Président Franck Lavaud
Prédécesseur Castel Démesmin
Successeur Luc E. Fouché
Membre de la Junte de Gouvernement de la République d'Haïti

(6 mois et 26 jours)
Président Franck Lavaud
Secrétaire d'Etat de l'Intérieur et de la Défense nationale

(7 mois et 4 jours)
Président Franck Lavaud
Prédécesseur Vély Thébaud
Successeur Georges Honorat
Membre du Comité exécutif militaire de la République d'Haïti

(3 mois et 5 jours)
Président Franck Lavaud
Biographie
Nom de naissance Paul Eugène Magloire
Date de naissance
Lieu de naissance Quartier-Morin (Haïti)
Date de décès
Lieu de décès Port-au-Prince (Haïti)
Parti politique Mouvement des ouvriers paysans (MOP)
Conjoint Yolette Leconte (1918-1981)
Enfants Aurore Magloire
René Magloire
Profession Militaire (général de division), Avocat

Présidents de la République d'Haïti

D'abord chef de la police de Port-au-Prince, il participe en 1946 à la junte militaire présidée par le général Frank Lavaud. Par la suite, il fait partie de l'opposition au président Dumarsais Estimé, qui voulait allonger sa présidence, et fonde le Mouvement ouvrier des paysans (MOP) qui devient le principal parti d'opposition.

Après la destitution d'Estimé en , il rejoint de nouveau le gouvernement intérimaire de Lavaud, puis se déclare candidat à la première élection présidentielle au suffrage universel. Il la remporte haut la main face au front socialiste et communiste et aux conservateurs.

Au pouvoir de 1950 à 1956, il modifie la constitution et met en place, par référendum, un nouveau régime républicain qui se distingue par son côté présidentiel, rompant ainsi avec le parlementarisme. Haïti devient durant son mandat une destination touristique. Le vote des femmes est implanté par son gouvernement. En 1954, l'ouragan Hazel ravage une partie du pays ; des fonds de secours sont volés et sa popularité tombe. Il finit son mandat mais ne se représente pas ; il quitte le pouvoir en pleine crise politique. Après la prise des pleins pouvoirs par le président nationaliste François Duvalier, un an plus tard, il quitte le pays et s'installe avec sa famille à New York ; il y appelle à la résistance face au régime duvaliériste.

En , à la chute des Duvalier, il revient en Haïti et participe à l'établissement d'un nouveau gouvernement. Par la suite, il s'associe à la politique du général Henri Namphy, et devient conseiller non officiel de l'armée. Le , pour son quatre-vingt-dixième anniversaire, il obtient la rare distinction de maréchal d'Haïti.

À sa mort, le , à l'âge de 94 ans[3], il reçoit des funérailles nationales.

Carrière militaire

Fils de général et après une brève carrière d'enseignant, Magloire s'enrôle dans l'armée en 1930 et atteint le grade de commandant en 1938. En 1939, il est diplômé de l'école de droit de Port-au-Prince. En 1944, il devient le chef de la police de la capitale, est promu major et nommé commandant des forces militaires du département de l'Ouest.

En , quand la population se soulève contre le président Elie Lescot, il entre en scène, et, appuyé par un petit groupe d'officiers, finit par convaincre le président en difficulté d'abandonner le pouvoir aux mains d'une junte de trois membres, dont lui-même (les deux autres étant le colonel Frank Lavaud et Antoine Levelt). Dans ce gouvernement provisoire, il est ministre de l'Intérieur et de la Défense nationale du 12 janvier au .

Opposé à la politique du président Dumarsais Estimé, il fonde son propre parti, le Mouvement ouvrier des paysans (MOP).

A la suite de la destitution d'Estimé, il intègre le gouvernement intérimaire et redevient ministre de l'Intérieur et de la Défense nationale.

Présidence de la république

Élection

Alors que la junte militaire en 1950 n'a pour but que de faire élire Magloire, devenu colonel, aux élections du , il démissionne de la junte et se déclare candidat à la présidence. Il remporte largement l'élection face au front socialiste et communiste et aux conservateurs, devenant ainsi le premier président haïtien élu au suffrage universel (avant cette date le président était élu par le parlement). Il est ainsi le premier chef d'État haïtien élu démocratiquement.

Réformes

Magloire et le président dominicain Rafael Trujillo en 1951.

Au pouvoir, il modifie la constitution et met en place une nouvelle république semi-présidentielle et fixe le mandat présidentiel à six ans, renouvelable une fois seulement.

Au début des années 1950, Haïti est en plein progrès. Avec son économie survoltée par la guerre de Corée et les prix élevés des denrées tropicales, le pays connait une période de paix intérieure et de prospérité financière. À cette époque, Magloire est au sommet de sa popularité. C'est aussi une période où des flots de touristes débarquent sur les plages d'Haïti.

Il gouverne dans une relative stabilité. Il emprisonne l'ex-président Daniel Fignolé. Il est très populaire au début de son mandat et voyage à l'étranger[4].

Sa politique anticommuniste reçoit un accueil favorable du gouvernement américain, notamment de la part du président Eisenhower, qui apporte son soutien au gouvernement haïtien. Opposé au nationalisme, il tente néanmoins d'apaiser les tensions avec le régime dictatorial de Rafael Trujillo.

Politique étrangère

Le , le président et son épouse Yolette atterrissent à Washington où ils sont accueillis par le vice-président Richard Nixon et sa femme. C'est le début de la visite d'État du couple présidentiel qui est ensuite reçu par le couple Eisenhower à la Maison Blanche. En leur honneur, le président américain offre un fastueux dîner d'État avec pompes.

Magloire est ensuite reçu au Congrès où il prend la parole devant les deux chambres réunis en session spéciale. Après Washington, le couple visite Nashville, Chicago, Boston et New York[5].

Rôle de la première dame

De retour en Haïti, la première dame, Yolette Magloire, reprend et organise de multiples activités de charité. Sans relâche, elle préside les banquets de bienfaisance, ouvre les bals de charité, inaugure les campagnes de vaccination, inspecte les hospices, visite les hôpitaux, les maternités et les orphelinats. Lancée en 1951 avec l'ouverture de la cantine du Bel-Air et celle de la Saline, la Fondation Madame Paul Magloire devait établir deux solides institutions d'éducation et de formation professionnelle pour les jeunes filles d'Haïti[6].

En plus de créer des oeuvres, la première dame ne s'effrayait pas des soucis pratiques qu'entraînait leur bon fonctionnement et s'y engageait fortement.

Fin de mandat

Bien que populaire, la politique de Magloire est contestée par les mouvements communistes et nationalistes et il se retrouve rapidement isolé au sein de sa propre administration. Son parti perd la majorité et plusieurs manifestations communistes contestent son pouvoir. Alors que son mandat touche à sa fin, il renonce à se représenter pour sa succession et quitte le pouvoir le , sous la poussée de revendications populaires. Avant de quitter ses fonctions, il assure que le pouvoir par intérim ne revienne ni aux communistes ni aux nationalistes. Nemours Pierre-Louis, candidat conservateur, lui succède. Le pays est alors plongé dans une crise qui persiste au-delà des gouvernements provisoires qui s'ensuivent.

Crise politique et exil

Après la fin de son mandat, Magloire, retirait de la vie politique, pensait pouvoir rester au pays pour jouir d'une paisible et confortable retraite, loin des tracas de la vie politique et public.

Au début de , le nouveau président Pierre-Louis, fait saisir les biens de l'ancien président Paul Magloire. Le suivant, il quitte ses fonctions et est remplacé le par Franck Sylvain, membre du Mouvement ouvrier des paysans (MOP), parti du président Magloire. Ce dernier rend ses biens à la famille Magloire.

Franck Sylvain assume sa charge présidentielle pendant seulement 56 jours avant d'être déposé par le général Léon Cantave le . Ce dernier met en place un gouvernement collégial qui amène au pouvoir Daniel Fignolé, un ancien nationaliste ayant rejoint le MOP.

À peine nommé, Fignolé reporte l'élection présidentielle prévue le mois suivant et obtient d'exercer le pouvoir pendant six ans. Il impose une purge dans l'armée pour éliminer les officiers qui lui sont opposés et exige des postes pour ses militants. Ces dispositions déplaisent au chef d'état-major que Fignolé a lui-même choisi, le général Antonio Kébreau. Le 14 juin 1957, celui-ci s'empare du palais présidentiel avec ses soldats et oblige Fignolé à signer une lettre de démission.

Kébreau favorise l'arrivée au pouvoir des nationalistes noiristes. Le , François Duvalier arrive au pouvoir son parti, le Parti de l'Unité nationale (PUN). Il met en place un régime autoritaire, supprime les autres partis politiques et met en place un culte de la personnalité avant de se fait proclamé président à vie.

Le nouveau régime condamne à l'exil tous ses opposants. Après avoir fait tirer quelques rafales de mitrailleuse près de sa résidence, Magloire est contraint de quitter le pays avec sa famille.

À son départ d'Haïti, Magloire demeure quelque temps en Jamaïque, avant de se rendre aux États-Unis.

Résistance aux Duvalier

Drapeau d'Haïti sous la dictature des Duvalier.

Magloire s'installe à New York et y reste jusqu'à la fin du régime des Duvalier. Il met en place un comité de résistance et reçoit le soutien de plusieurs officiers, condamnés à l'exil. Très vite, il s'associe au mouvement de Léon Cantave ainsi qu'à l'organisation de Frank Lavaud. Dans les années 1970, il appelle à une « Union des patriotes » et tente de rallier autour de lui les résistants de gauche répartis en plusieurs mouvements. Les communistes refusent dans un premier temps de s'allier à l'organisation de Magloire, mais devant la diminution du nombre de résistants communistes, les principaux leaders acceptent finalement de joindre leurs forces avec celles de Magloire. En plus de cela, l'ancien président bénéficie du soutien secret de l'administration Reagan.

À la mort de François Duvalier, le , son fils Jean-Claude, 19 ans (d’où son surnom de « Baby Doc »), accède au pouvoir suprême. Amorçant une timide libéralisation du régime, Jean-Claude Duvalier s’aliéna une partie de la classe noiriste qui avait soutenu son père en épousant une mulâtresse le . Son régime s'enfonça dans la corruption et l'incompétence. Sa dictature est marquée dans les premières années par une volonté de détente et d'apaisement, « Baby Doc » donnant quelques gages de bonne volonté démocratique. Il rétablit les relations du pays avec les États-Unis et la République dominicaine et son mandat voit la reprise de l'aide internationale à destination d'Haïti. Jean-Claude Duvalier détient un pouvoir quasi-absolu que lui attribue la Constitution. Il commence petit à petit à entamer des réformes du régime politique de son père, en libérant des prisonniers politiques et en relâchant la censure sur la presse. Cependant, il n'y a pas de changements radicaux, ni en profondeur. L'opposition n'y est pas tolérée et le régime reste autoritaire.

Une révolte éclate dans les provinces en 1985. La ville des Gonaïves est le théâtre des premières manifestations de rue et des magasins de chaîne de grande distribution sont dévalisés. D'octobre 1985 à janvier 1986, la révolte s'étend à six autres villes, incluant Cap-Haïtien. À la fin du mois, les Haïtiens dans le sud sont en révolte. Les révoltes les plus importantes se déroulent dans Les Cayes[7].

Jean-Claude Duvalier tente de faire face au mécontentement en baissant de 10 % le prix des aliments de base, en fermant les stations de radio indépendantes, en effectuant un remaniement ministériel, mais également par la répression policière et militaire. Sous la pression de la communauté internationale, il institue le poste de Premier ministre grâce à l'adoption par référendum d'une nouvelle Constitution. Ces tentatives ne freinent cependant pas l'élan de révolte populaire contre la dictature dynastique.

Chute des Duvalier et fin de l'exil

Magloire en 1986.
Retour de Magloire en Haïti (mars 1986).

En janvier 1986, l'administration Reagan commence à faire pression sur Duvalier pour qu'il renonce au pouvoir et qu'il quitte Haïti. Des représentants officiels recommandés par le Premier ministre jamaïcain servent d'intermédiaires dans les négociations. À ce moment-là, nombre de duvaliéristes et des hommes d'affaires importants rencontrent le couple Duvalier et les pressent de partir. Les États-Unis rejettent l'asile politique pour Duvalier, mais ils leur proposent de les aider à partir. Initialement, Duvalier accepte le et le président Reagan annonce son départ, basé sur un rapport provenant du chef de station de la CIA en faction à Haïti, qui a vu la voiture de tête de convoi en partance pour l'aéroport[8]. En route, il y a un échange de coups de feu et l'escorte de Duvalier fait demi-tour vers le palais présidentiel[9].

Le , il remet le pouvoir aux mains des militaires et quitte l'île à bord d'un avion de l'US Air Force[10] ; il atterrit à Grenoble en France. Pendant ce temps, en Haïti, les maisons des partisans de Jean-Claude Duvalier sont pillées[11].

Le , le nouveau gouvernement libère les prisonniers politiques, instaure un couvre-feu[12]. La foule s'en prend au mausolée de « Papa Doc », qui est détruit à coups de pierres et à mains nues ; le cercueil est sorti, la foule danse dessus puis le met en morceaux ; elle s'empare du corps du dictateur pour le battre rituellement. Pendant cette journée, on dénombre une centaine de victimes, essentiellement des Tontons macoutes[12],[13].

Magloire revient à Haïti dès le mois de mars à bord d'un avion américain. Reçu par le général Henri Namphy, président par intérim, il devient l'un de ses conseillers. Après le départ de Namphy, il se retire de la vie politique et publique.

Le , à l'occasion de son quatre-vingt-dixième anniversaire, il est fait maréchal d'Haïti. À sa mort en 2001, il reçoit des funérailles nationales, organisés par le président Jean-Bertrand Aristide.

Il était devenu aveugle dans sa vieillesse. Il était grand-croix de l'ordre du Mérite de la République fédérale d'Allemagne et grand-croix de l'ordre du Mérite de la République italienne. On le surnommait « Bon papa[14] ».

Vie privée

Sa femme, Yolette Leconte, était morte en 1981[15]. Son fils René a été ministre de la Justice d'Haïti à deux reprises.

Notes et références

  1. « Paul-Eugène Magloire, Président d'Haiti », sur geni_family_tree (consulté le )
  2. (en) « Paul Magloire | president of Haiti », sur Encyclopedia Britannica (consulté le )
  3. Associated Press, « Paul Magloire, former Haitian ruler, 94 », 16 juillet 2001.
  4. Par exemple, le , il est reçu à ce qui s'appelait alors l'« assemblée législative » du Québec : page de l'Assemblée nationale du Québec.
  5. « HaitianTV | Paul Magloire », sur www.haitiantv.com (consulté le )
  6. « Paul Magloire et Yolette Leconte (Charles Dupuy) - villeducaphaitien.com », sur villeducaphaitien.com (consulté le )
  7. (en) Metz, Helen Chapin, « Dominican Republic and Haiti »: Country Studies, Federal Research Division, Library of Congress, Washington, D.C., décembre 1989, (ISBN 0-8444-1044-6).
  8. (en) Dr Robert Winslow, « Haiti », dans 'A Comparative Criminology Tour of the World', San Diego State University, USA (consulté le 5 avril 2014).
  9. (en) Allan Ebert, « Porkbarreling Pigs in Haiti: North American 'Swine Aid' an Economic Disaster for Haitian Peasants », The Multinational Monitor, vol 6, no 18, décembre 1985 (consulté le 5 octobre 2014).
  10. William Blum, Les Guerres scélérates, L'Aventurine / Parangon, 2004, p. 380, (ISBN 978-2-8419-0116-6).
  11. [vidéo] « La fuite de Jean-Claude Duvalier », Archives INA (2 min), le 7 février 1986 (consulté le 5 octobre 2014).
  12. [vidéo] « Événements Haïti », Archives INA (2 min), le 8 février 1986 (consulté le 5 octobre 2014).
  13. [vidéo] « Profanation du tombeau de François Duvalier », Archives INA (2 min), le 9 février 1986 (consulté le 5 octobre 2014).
  14. « Haiti : au revoir, Magloire », dans Time, .
  15. « Yolette Leconte Magloire, 62, wife of ex-president of Haiti », New York Times, (lire en ligne, consulté le )

Liens externes

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