Papyrologie

La papyrologie (du grec: πάπυρος, « papyrus », et λόγος « logos ») est la branche des études classiques qui déchiffre les documents grecs et latins provenant de divers sites de l’Égypte et surtout en exploite les données. Elle apparaît ainsi comme l’étude d’une société de notables grecs ou hellénisés dans un milieu oriental bien spécifique, le monde égyptien tardif avec ses vieilles traditions sociales et religieuses. Certains dictionnaires et encyclopédies considèrent que la papyrologie relève de la paléographie ; cependant, les paléographes s'intéressent spécifiquement à l’écriture des documents, tandis que les papyrologues étudient leur contenu.

Origines de la papyrologie

La papyrologie doit son existence comme activité scientifique à la convergence très particulière d’un facteur historique et d’un facteur géographique pendant une période déterminée.

Le facteur historique

Pour trouver des papyrus et autres documents grecs en Égypte, il faut que des Grecs y aient vécu en permanence. Pendant le millénaire qui se termine avec l’invasion arabe au milieu du VIIe siècle, la langue grecque a été en Égypte la langue du pouvoir, de l’administration. Avec plus ou moins de généralisation, elle est la langue utilisée par les groupes économiquement ou socialement dominants, à l’exception du haut clergé égyptien, sous la dynastie des Ptolémées. En 332 avant notre ère, le Macédonien Alexandre le Grand, qui était en train de conquérir l’empire perse des Achéménides, fut accueilli par les Égyptiens comme un libérateur. Avant de partir, il fonda Alexandrie, qui deviendra la plus grande des villes du même nom dont il va parsemer les conquêtes qui le mènent jusqu’à l’Indus. Il meurt prématurément à Babylone et ses généraux se partagent l’empire sous la direction nominale des successeurs falots du conquérant. Le Macédonien Ptolémée Ier, compagnon de jeunesse et de guerre d’Alexandre, choisit l’Égypte et, en 304, il franchit le pas en se proclamant roi des territoires qu’il soumet bientôt à son autorité, l’Égypte, la Cyrénaïque, Chypre et la Palestine, entre autres. Cet ensemble est administré en langue grecque à tous les niveaux et est dirigé depuis Alexandrie qui devient bientôt un foyer intellectuel grec de première importance. La dynastie macédonienne des Ptolémées survivra le plus longtemps à l’expansion de Rome en Orient.

En 30 av. J.-C., Cléopâtre VII se suicide pour éviter de figurer au triomphe de son vainqueur, Octave, le futur Auguste. L’Égypte devient alors une province romaine, mais sous l’autorité exclusive de l’empereur qui désire contrôler ce grenier à blé. Seuls l’armée et les hauts magistrats romains qui représentent l’empereur à Alexandrie emploient le latin. La langue grecque reste la langue de gestion et d'administration du pays. Bientôt, même la population restée de langue égyptienne cesse d’utiliser l'écriture démotique en utilisant la langue grecque pour tout ce qu’elle doit écrire ou faire écrire par un scribe. À partir du IVe siècle, les choses changent un peu. L’Égypte byzantine, qui s’est largement christianisée, va bientôt dépendre des empereurs de Constantinople lorsque l’Empire romain est scindé en un Empire d’Orient et un Empire d’Occident. Le grec reste la langue de gestion du pays et l’élite des petites villes continue à recevoir une éducation classique grecque et même à produire des œuvres grecques de qualité. Mais – surtout parce que les chrétiens de langue égyptienne doivent pouvoir lire leurs textes sacrés en traduction – il se forme un alphabet égyptien adapté de l’alphabet grec, l’alphabet copte. Mais le grec reste la langue de gestion du pays, celle d’Alexandrie et celle de l’administration d’une grande partie des notables provinciaux. Ce rôle du grec va rapidement décroître, puis disparaître après la conquête arabe.

Le facteur historique montre donc qu’on a pu rédiger en Égypte les dizaines de milliers de papyrus grecs qui ont déjà été publiés. Il n’explique pas pourquoi on a pu les trouver, alors que presque rien n’a été conservé de ce genre dans le reste des royaumes hellénistiques ou des Empires romain ou byzantin, qui présentaient pourtant des structures sociales et administratives plus ou moins proches.

Le facteur géographique

Le facteur géographique explique cette particularité. Pour trouver des papyrus, il fallait que deux éléments contradictoires coexistassent : une société avancée qui pratiquât l’écriture, et une sécheresse importante du sol pour que les papyrus ne pourrissent pas sur place. Sauf tout au nord, pour sa frange côtière méditerranéenne, l’Égypte appartient à l’immense zone désertique saharienne. Mais, les eaux de pluie d’une vaste zone de l’Afrique équatoriale et tropicale se sont frayé un chemin jusqu’à la Méditerranée en remontant du sud au nord à travers ce que nous appelons l’Égypte, un immense ruban vert où les hommes ont rapidement maîtrisé les crues annuelles du Nil. Les gens vivaient si possible à la limite du désert pour ne pas trop entamer les cultures, et parmi les déchets (qu’ils rejettent évidemment du côté du désert), on trouvera des lettres de toutes sortes, des livres dépareillés, des contrats périmés, des comptes, etc. Les cimetières étaient installés autant que possible dans les confins désertiques des villes. Quand, à l’époque hellénistique, les nécrotaphes fabriquaient des caisses à momie en cartonnage, ils rachetaient de vieux fonds d’archives ou des papyrus dont les particuliers voulaient se débarrasser. Et les papyrologues ont démantelé ces caisses pour en décoller les différentes couches de papyrus. Les prêtres du village de Tebtynis dans l’oasis du Fayoum confiaient au désert les momies des crocodiles sacrés, symboles vivants du grand dieu Sobek. Ils avaient soin de bourrer le ventre éviscéré de ces animaux avec des boules de papyrus de rebut, puis ils emmaillotaient les cadavres avec des rouleaux de papyrus dont les textes n’avaient plus d’intérêt : une série impressionnante de volumes remplis de documents sur les villages du sud du Fayoum. Alexandrie se trouvant en zone humide, et on n’y déterrera jamais de papyrus, mais des centaines de documents publics ou privés envoyés d’Alexandrie en Égypte (Alexandrie n’en faisait pas partie administrativement) ont été retrouvés s'ils ont eu le privilège de terminer leur carrière[style à revoir] dans un dépotoir à la limite du désert.

Histoire de la papyrologie

Ce n’est que dans la dernière décennie du XIXe siècle que la papyrologie s’est véritablement organisée comme discipline majeure des sciences de l’Antiquité gréco-romaine. Elle doit son nom au fait qu’à ce moment des quantités considérables de papyrus sont arrivées d’Égypte en Europe. Il a fallu d’abord les déchiffrer et les publier, mais en même temps la quantité et la qualité des données que l’on découvrait sur l’Égypte gréco-romaine a fait qu’on a entrevu la possibilité d’exploiter systématiquement toutes ces données en créant progressivement des instruments de travail, des méthodes d’évaluation critique des données et de premières synthèses. La papyrologie moderne était née.

Dès 1788, on a publié un document sur papyrus découvert par le Danois Nils Iversen Schow[1] qui avait abouti à Rome, une curiosité sans lendemain. Ce papyrus, étudié par le cardinal Borgia, décrivait les travaux d'irrigation d'un groupe d'ouvriers à Tebtynis en 192 et 193. Ensuite, en 1793 un volume est publié portant sur les 800 rouleaux de papyrus carbonisés découverts à Herculaneum (détruite par une éruption du Vésuve en 79 ap. J.-C.) en 1752 à la Villa Ercolanese dei Papiri.

C'est l’expédition de Bonaparte en Égypte qui ouvrit ce pays aux savants de toutes disciplines qui va véritablement donner naissance à la papyrologie. Ce sont surtout les inscriptions grecques, dont la fameuse pierre trilingue de Rosette, qui permirent au Français Jean-Antoine Letronne de tracer en 1823 une première esquisse de l’histoire de l’Égypte sous les Ptolémées et les empereurs romains. Les premiers papyrus envoyés au Louvre sont étudiés par Letronne, puis par Egger et Brunet de Presle qui les publient en 1865. Entre-temps les paysans égyptiens apprennent la valeur des papyrus qu’ils trouvent. Le commerce des antiquités va nourrir quelques musées et bibliothèques et bientôt apparaissent les premiers volumes de papyrus, fort méritants, mais peu fournis en textes importants. C'est à partir de 1877 que commence la deuxième phase des découvertes : les paysans en quête de fertilisants exploitèrent la terre azotée des sites antiques du Fayoum et découvrirent des masses de documents qui rejoignirent rapidement quelques grandes collections, comme celles de Berlin, de Londres, mais surtout de Vienne (avec la collection de l'archiduc Rainier).

Commença bientôt la troisième phase des découvertes, les fouilles scientifiques de sites aptes à fournir des textes. L’un des champs de fouilles papyrologiques les plus féconds est celui d’Oxyrhynque, en Moyenne Égypte (voir papyrus d'Oxyrhynque) ; la publication en était en 2003 à son soixante-huitième volume et les suivants sont annoncés[réf. nécessaire]. Cette troisième phase des trouvailles correspond dans le temps à la transformation du travail méritoire des pionniers en une discipline organisée. Celle-ci s’est d’emblée caractérisée par la création d’instruments de travail sophistiqués et par des relations très suivies entre les papyrologues de tous pays. Ces relations, sous le signe de l’amicitia papyrologorum, ont donné naissance à l’Association internationale de papyrologues, qui a son siège à Bruxelles à l'Association égyptologique Reine Élisabeth (auparavant Fondation égyptologique Reine Élisabeth).

Les papyrologues travaillent sur tous les documents grecs et latins provenant d’Égypte, quel que soit le support de l’écriture. En plus des papyrus, fabriqués en rouleaux en juxtaposant à angle droit de fines coupes longitudinales de moelle de papyrus, les fouilles clandestines ou scientifiques ont produit des milliers d’ostraca. Un ostracon est un tesson de poterie, le plus souvent un fragment d’amphore ; ce matériau bon marché permettait d’écrire facilement sans écritoire en tenant le tesson de la main gauche. On trouve de tout sur ces ostraca, depuis les exercices scolaires ou les petits messages privés jusqu’aux reçus de taxe ou même des dessins. Ce n’est pas par hasard que le premier ouvrage qui, en 1899, a définitivement posé la papyrologie comme une discipline autonome et en a dessiné la méthodologie et les règles critiques, est le recueil et le commentaire de tous les ostraca d’Égypte et de Nubie connus à ce moment. Ce monument est dû à Ulrich Wilcken qui sera le « grand maître » de la papyrologie jusqu’au début de la IIe guerre mondiale.

Parmi les tablettes de bois, les étiquettes de momie donnaient le nom du mort, son origine et éventuellement le site où on désirait qu’il repose. Les inscriptions sur pierre et les innombrables graffitis sur les murs ou les rochers constituent une source écrite riche en données les plus variées ; celles-ci ont l’avantage d’être complémentaires au contenu des papyrus et des ostraca, qui répondent à d’autres finalités et sont destinés à une communication plus ou moins limitée dans le temps et dans les utilisateurs présumés.

Les types de documents papyrologiques

Une fois que l’acquisition des papyrus et ostraca dans les grandes collections occidentales eut atteint une certaine densité, ce qui frappa les chercheurs fut qu'ils pouvaient exploiter là une documentation qui est presque totalement absente des autres régions de l’Orient hellénistique, de l’Empire romain et de l’Empire byzantin ancien. Ces témoins grecs d’Égypte se divisent en documents relevant du pouvoir et de son administration et de documents qui relèvent de l’activité privée. La frontière entre ces deux catégories est d’ailleurs assez floue.

Les documents « officiels »

Ils peuvent quelquefois provenir des plus hautes autorités. Ainsi les imposants cahiers de charge des formes fiscales sorties des bureaux du ministre des finances et de l’économie de Ptolémée II Philadelphe, ou une lettre de l’empereur Septime Sévère, ou encore la collation de privilèges à un conseiller romain d’Antoine où on peut lire l’ordre d’exécuter écrit de la main de Cléopâtre VII. Mais nous avons presque toujours affaire à des documents beaucoup plus modestes : le copie-lettres d’un haut fonctionnaire local voisinera avec l’ordre d’arrêter un délinquant, le certificat attestant que tel obscur paysan est en règle de corvée sur les canaux d’irrigation, ou encore la déclaration d’une naissance ou d’un décès. Il y a les ordres de procéder aux recensements des personnes, des animaux domestiques ou des propriétés, mais surtout les innombrables déclarations qui en résultent et sont chaque fois une fiche sociale précieuse. Les reçus de taxe représentent une documentation abondante, à l’image même d’un système où, sous les Romains, par exemple, les classes inférieures payaient la plus lourde taxe de capitation.

Les conflits entre les hommes ou avec l’administration ont suscité une documentation abondante, lois et règlements, plaintes et verdicts, qui ont suscité, avec les contrats qui règlent les relations économiques ou sociales, une branche particulière de la papyrologie, la papyrologie juridique. Beaucoup parmi les documents dont celle-ci s’occupe, particulièrement les contrats, relèvent par certains aspects de la documentation privée puisqu’ils sont dus à l’initiative d’individus, même si ces actes suivent des normes plus ou moins contraignantes. La papyrologie juridique soulève en fin de compte un problème majeur, celui de la coexistence de droits différents liés plus ou moins au statut des personnes concernées, le droit égyptien, le droit grec et, plus tard, le droit romain.

Les documents « privés »

La même variété peut être trouvée dans les documents privés, traces écrites les plus disparates de la vie quotidienne : les comptes d’un grand domaine ou l’inventaire d’une cuisine, les innombrables lettres privées avec leurs attentes, leurs griefs, leurs inquiétudes ou les compliments à transmettre aux amis et connaissances, les invitations à une fête ou à un mariage, l’interrogation d’un oracle ou les recommandations d’un supérieur de monastère, etc. Ce sont autant d’échantillons qui ont permis de développer une sociologie d’une société biculturelle, où Grecs et hellénisés, d’une part, et Égyptiens, d’autre part, vivent dans deux milieux plus ou moins imperméables, mais des milieux où le temps, les mariages mixtes et certaines aspirations, comme le phénomène religieux (les dieux égyptiens sont simplement pour les Grecs d’Égypte la forme locale de leurs propres dieux) ou le désir de faire carrière, créent des passerelles.

Les documents et la linguistique

Les documents ont comme auteurs des gens qui ont bénéficié de degrés fort différents de scolarisation ou disposent d’une connaissance du grec fort variable. Ces textes représentent donc des échantillons diversifiés de la langue vivante pratiquée à un certain moment dans l’ensemble non homogène des composantes sociales. On peut ainsi suivre l’évolution de la langue grecque en route vers le grec moderne sur les plans de la phonétique, de la morphologie et de la syntaxe pendant un millénaire. Mais il faut d’abord décrypter quel type d’usager est l’auteur d’une forme non classique du grec ou le responsable d’une faute d’orthographe, signe souvent révélateur d’un phénomène linguistique. Car la langue évolue différemment suivant les classes sociales. Le notable fortement scolarisé, quelquefois après des études supérieures à Alexandrie, parle et surtout écrit un grec plutôt conservateur, en tout cas un autre grec que le paysan égyptien qui en a appris à l’oreille une centaine de mots qu’il estropie en oubliant de les décliner, parce que la déclinaison n’existe pas en égyptien.

La papyrologie littéraire

Papyrus P.Lit.Lond. 134 (daté du IIe siècle av. J.-C.) au British Museum d'un discours d'Hypéride (389-322 av. J.-C.), In Phillipidem (Contre Phillipidès), découvert au milieu du XIXe siècle et entré au BM en 1891.

C’est par centaines qu’ont été arrachés au sable d’Égypte des exemplaires, ou le plus souvent des lambeaux plus ou moins réduits, d’œuvres littéraires grecques, quelquefois aussi latines, démotiques ou coptes. Les trouvailles les plus spectaculaires ont été celles qui offraient, en entier ou pour une bonne part, d’importantes œuvres de la littérature grecque qui avaient été perdues au fil des siècles. Par exemple, on ne possédait plus que des bribes informes de la comédie à happy end et amours contrariées née au IVe siècle av. J.-C. à Athènes, alors que ce genre grec perdu, représenté d’abord par ses imitations latines et la masse de la comédie occidentale qui a suivi celles-ci, est toujours aussi fécond dans la littérature cinématographique ou télévisuelle et le théâtre du monde entier. On a retrouvé en Égypte plusieurs comédies de Ménandre, le premier maître de ce genre, et ce sont des œuvres de qualité qui tiennent encore la scène. La découverte d’un traité perdu d’Aristote, sa « Constitution d’Athènes » a révolutionné l’histoire de l’Athènes archaïque et classique. Grâce aux papyrus d’Égypte, on connaît enfin mieux les poètes Sappho et Alcée, Bacchylide et Posidippe de Pella ou un orateur comme Hypéride ; on découvre la poésie de genre avec les Mimiambes d’Hérondas. La liste pourrait s’allonger, surtout avec les fragments plus ou moins longs d’œuvres perdues, quelquefois d’écrivains qui n’étaient plus qu’un nom, quelquefois aussi de quelque rimailleur local. On a trouvé des rouleaux illustrés, d’abord des traités de géométrie ou d’astronomie d’époque ptolémaïque, plus des romans ou des recueils de poésie. C’est ainsi que, parmi près de 250 fragments de traités de médecine, on a découvert des fragments de deux herbiers. Par ailleurs, la papyrologie a livré un grand nombre de fragments musicaux, enrichissant grandement notre connaissance de la musique grecque antique, avec des passages d'Euripide ou d'Eschyle, mais aussi de Mésomède de Crète (Péan de Berlin), ou d'anonymes. La plus ancienne hymne chrétienne connue (IVe siècle), dédiée à la Trinité, nous a été transmise sur papyrus avec une notation musicale grecque antique.

Beaucoup de papyrus littéraires grecs appartiennent à des œuvres que nous possédons déjà parce que nos bibliothèques occidentales en avaient hérité de Byzance depuis la Renaissance ; ils présentent un autre intérêt. Ils sont beaucoup plus anciens que les manuscrits médiévaux qui nous ont conservé ces livres et parce qu’ils ne proviennent pas des milieux savants byzantins qui sont généralement à la source de ces manuscrits. Ils nous permettent souvent de corriger les altérations qui ont endommagé plus tard la tradition manuscrite médiévale. Le cas d’Homère est plus étonnant encore. Le texte des deux grandes épopées, l’Iliade et l’Odyssée, que nous lisons sous le nom symbolique du vieil aède, a été fixé et commenté par les philologues grecs du Musée (temple des Muses) d’Alexandrie sous les Ptolémées. Des cartonnages de momie nous ont conservé des lambeaux plus anciens de ces deux épopées ; ils préservent des variantes, surtout des additions, qui nous éclairent sur l’évolution anarchique de ces poèmes épiques avant le moment où les philologues alexandrins en ont figé le texte, celui que nous lisons encore dans nos classes. Les papyrus et ostraca scolaires conservent quelquefois des bribes plus ou moins malmenées des auteurs classiques ; Homère y figure souvent.

Les papyrus littéraires latins sont beaucoup moins nombreux et rarement bien conservés ; mais leur intérêt est du même ordre : découverte de textes inconnus ou témoins d’œuvres connues, par exemple, Virgile.

Les papyrus littéraires éclairent aussi le papyrologue sur le plan de la sociologie. Dans le choix des textes, il découvre que, tout au long du millénaire, la jeunesse des milieux aisés a droit à l’éducation du gymnase, sorte de sanctuaire de l’éducation morale et physique grecque. Cette éducation est la clef des privilèges sociaux et économiques que les familles désirent transmettre à leur descendance. Le choix des œuvres est édifiant. Homère, surtout l’Iliade, reste le texte fondamental comme il l’était à Athènes et dans la plupart des cités grecques ; il représente de loin la récolte la plus nombreuse de papyrus littéraires. Démosthène ou Euripide sont bien représentés, mais on cherchera en vain une œuvre d’inspiration égyptienne. Les découvertes groupées font deviner les bibliothèques plus qu’honorables des notables locaux. La haute bourgeoisie grecque des petites villes de province à l’époque impériale ou byzantine nous apparaît ainsi comme le terreau dont sont issus quelques grands écrivains comme Nonnos de Panopolis au Ve siècle. Mais, en pleine Égypte, même à des niveaux sociaux plus modestes, l’éducation des jeunes Grecs, de plus en plus souvent issus de milieux hellénisés, repose sur un fond culturel purement grec. Les nombreux papyrus et ostraca scolaires en témoignent.

La papyrologie testamentaire

Papyrus de l'Épître de Jacques rédigé en grec au IIIe siècle (Papyrus 23).

On trouvera en Égypte des exemplaires des Évangiles, d'évangiles apocryphes comme le Protévangile de Jacques, et d’autres écrits religieux chrétiens, qui remontent quelquefois au IIe siècle. Nous disposons ainsi de témoins plus anciens que les manuscrits dont nous disposions avant les découvertes papyrologiques et même de sources chrétiennes qui avaient été perdues au fil du temps.

Les autres papyrologies « égyptiennes »

La papyrologie démotique

Pendant le millénaire de l'Égypte qui concerne les papyrologues, la population autochtone a continué à parler sa langue, un égyptien tardif. La pierre de Rosette, qui sera l’une des clés du déchiffrement des hiéroglyphes, portait un décret trilingue. Il avait été voté par un synode (conclave) des prêtres des grands sanctuaires égyptiens en 196 av. J.-C., peu après le couronnement suivant le rite pharaonique de Ptolémée V. Une version était écrite en hiéroglyphes dans la langue sacrée, en fait une langue morte, mais prestigieuse ; une autre version dans la langue égyptienne vivante, qu’on a appelée le démotique, la « langue populaire » ; enfin une troisième version était rédigée en grec, la langue de la gestion royale du pays. La langue égyptienne vivante apparaît aussi dans des écrits de la vie courante, avec une écriture qui existait déjà avant l'arrivée des Macédoniens ; on l’a appelée l’écriture démotique, c’est-à-dire « l’écriture populaire », alors que les documents grecs l’appellent l’écriture « indigène ». L’accumulation de documents et d'œuvres littéraires démotiques a permis aux démotisants de développer des instruments de travail et une méthodologie qu’on peut appeler une « papyrologie démotique ».

La papyrologie copte

Comme il est dit plus haut, la population égyptienne a retrouvé un alphabet qui lui fût propre, lorsque la christianisation, venue d’Alexandrie, s’accélère dans le pays à partir du IIIe siècle et nécessite la diffusion des Évangiles et des autres écrits chrétiens à l’intention des Coptes (déformation du mot « égyptien »). L’alphabet copte complète l’alphabet grec par quelques signes empruntés au démotique pour rendre des sons inconnus du grec. Il transcrit le « copte », le dernier état des grands dialectes égyptiens qu’une large tranche de la population continue à parler. Le copte resta longtemps la langue de l’Église copte, avant d’être remplacé par l’arabe. Nos bibliothèques d’Occident possédaient des manuscrits coptes médiévaux, qui avaient permis l’étude de cet égyptien tardif. La connaissance du copte est à la base de la réussite de Champollion lorsqu’il a pu décrypter le système complexe des hiéroglyphes. Bientôt l’alphabet copte va aussi être utilisé dans les activités profanes. La multiplication des documents coptes issus de la vie courante, particulièrement de celle des monastères, a suscité la naissance d’une papyrologie copte, avec ses spécialistes et ses instruments de travail, malgré la date récente de ce développement de nos disciplines documentaires.

L’intérêt des papyrologies démotique et copte fait qu’aujourd’hui les papyrologues « purs » ont de plus en plus tendance à tenir compte de cette documentation parallèle à la leur de langue grecque. Cela est d’autant plus naturel que les démotisants et les coptisants ont souvent eu d’abord une formation de papyrologues. D’ailleurs, une partie d’entre ceux-ci se familiarisent avec l’une ou l’autre de ces papyrologies égyptiennes selon qu’ils sont attirés par la période ptolémaïque pour la première, ou l'époque byzantine pour la seconde. Par exemple, en étudiant la vie d’un monastère, cela n’a guère de sens d’interroger les papyrus et ostraca grecs sans utiliser ce qu’apporte le matériel copte correspondant. Ceci est d’autant plus heureux que le volet sociologique de la papyrologie est en grande partie marqué par la coexistence dans un même cadre politico-géographique de deux cultures vivantes fort différentes et, jusqu’à un certain point, peu perméables l’une par rapport à l’autre.

Autres langues

En Égypte, on a utilisé le papyrus fort longtemps avant Alexandre le Grand pour des textes sacrés, funéraires ou profanes ; leur étude relève de l’égyptologie. De même, on a trouvé à Éléphantine, à la première cataracte, des papyrus araméens laissés par la garnison juive que le roi de Perse avait postée à la frontière méridionale de l’Égypte au Ve siècle. Ces documents, ainsi que les autres documents araméens plus récents trouvés en Égypte, relèvent des études sémitiques.

Un lot de papyrus en pehlevi conservé à Berlin a pour origine la brève occupation de l’Égypte byzantine par les Perses (616-627).

L’occupation progressive de l’Égypte par les Arabes islamisés à partir de 639 explique la découverte de documents sur papyrus ou sur papier écrits dans la langue arabe dont l’emploi va se généraliser au fil des siècles, même dans les milieux chrétiens. Le grec va progressivement disparaître des documents privés, mais il survit quelque temps comme langue de chancellerie, comme dans le dossier issu des bureaux du gouverneur Kurrah ben Sharik à Fostat (Le Caire) pour un pagarque (dirigeant d’un pagus ou canton) de Haute-Égypte. Les papyrus arabes sont traités par des arabisants. Mais la coexistence de documents dans les deux langues exige la coopération des papyrologues hellénistes spécialisés dans le Proche-Orient au Haut Moyen Âge et des spécialistes de la papyrologie arabe qui a trouvé un nouvel essor ces dernières années.

Papyrus trouvés hors d’Égypte

En dehors de l’Égypte, des circonstances particulières ont permis la sauvegarde fortuite de papyrus grecs. À Pétra et à Nessana, les documents révèlent quelques aspects d’une Palestine chrétienne, proche de l’Égypte byzantine. On a trouvé des papyrus grecs d’époque romaine en Syrie, particulièrement dans la garnison romaine de Doura-Europos.

La carbonisation lente du papyrus en milieu privé d’oxygène a assuré quelquefois la conservation de papyrus dans le delta, mais aussi en dehors de l’Égypte. Ainsi, dans une tombe de Derveni en Macédoine, on a trouvé un rouleau orphique du IVe siècle av. J.-C. (provenant d’une secte religieuse initiatique, l’orphisme). Mais on connaît surtout la découverte au XVIIIe siècle des papyrus carbonisés d’Herculanum. Ils proviennent d’une bibliothèque de philosophie grecque submergée par les boues chaudes qui dévalèrent les pentes du Vésuve lorsque des pluies torrentielles succédèrent à l’éruption de 79. Les papyrus carbonisèrent lentement, mais, à leur découverte, présentèrent de graves problèmes pour les dérouler et les déchiffrer. Aujourd’hui, la lecture en est facilitée par la photographie infrarouge et l'imagerie multispectrale[2],[3].

Périodiques

Les revues savantes les plus importantes consacrées à la papyrologie sont les suivantes (liste avec les abréviations courantes):

  • American Studies of Papyrology
  • Aegyptus. Rivista Italiana di Egittologia e di Papirologia, 1920ff.
  • Analecta Papyrologica (2005, le vol. 14/15 est paru en 2002/2003)
  • Archiv für Papyrusforschung (2004, vol. 50)
  • Beiträge zur Alten Geschichte, Papyrologie und Epigraphik (2006, vol. 21)
  • Bulletin of the American Society of Papyrologists, 1963ff.
  • Chronique d'Égypte, Bruxelles 1925ff.
  • Cronache Ercolanesi
  • Papyrologica Coloniensia (2005, vol. XXXI)
  • Papyrologica Lupiensia, 1991ff.
  • Studia papyrologica, Barcelone 1962–1983.
  • Studi di Egittologia e di Papirologia. Rivista internazionale, 2004ff.
  • The Bulletin of the American Society of Papyrologists, New Haven (Connecticut), puis Urbana 1963ff.
  • The Journal of Egyptian Archaeology, 1914ff.
  • The Journal of Juristic Papyrology, Varsovie 1952ff.
  • Tyche. Zeitschrift zur Alten Geschichte, Papyrologie und Epigraphik, 1986ff.
  • Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 1967ff.

Références

  1. (la) Nils Iversen Schow, Charta Papyracea Graece Scripta Musei Borgiani Velitris Qua Series Incolarum Ptolemaidis Arsinoiticae in Aggeribus Et Fossis Operantium Exhibetur, Rome, 1788.
  2. Digitization of Herculaneum Papyri Completed
  3. BYU Herculaneum Project Honored with Mommsen Prize

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes


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