Marie-Laure de Noailles

Marie-Laure Henriette Anne Bischoffsheim, par son mariage vicomtesse de Noailles, est une personnalité française du monde des arts, mondaine, mécène, écrivaine et peintre, née le à Paris et morte dans le même ville le .

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Famille

Marie-Laure de Noailles est issue d'une famille de riches banquiers juifs allemands établis en Belgique et dont elle est l'unique héritière. Son père Maurice Bischoffsheim (1875-1904) était le fils du richissime banquier Ferdinand Bischoffsheim, qui fut marié à Mary Paine, une Américaine d'éducation quaker, et dont il reste un portrait réalisé par John Everett Millais.

Par sa mère, née Marie-Thérèse de Chevigné, Marie-Laure descend du marquis de Sade[1], puisque Marie-Thérèse était la fille de Laure de Sade, comtesse de Chevigné, l'un des modèles de la duchesse de Guermantes de Marcel Proust. Marie-Thérèse, veuve, se remaria en 1910 avec l'auteur dramatique Francis de Croisset, dont elle eut un fils et une fille[2].

Marie-Laure Bischoffsheim épousa en 1923 le vicomte Charles de Noailles, de onze ans son aîné[1]. De leur mariage naissent deux filles :

  • Laure Madeleine Thérèse Marie de Noailles (1924-1979), qui épousa, en 1946, Bertrand de La Haye Jousselin (1920-1995),
  • Nathalie Valentine Marie de Noailles (1927-2004), qui épousa, en 1949, Alessandro Maria Perrone (1920-1980), dont elle se sépara en 1972.

Biographie

Marie-Laure de Noailles
Photo de Carl Van Vechten (1949).

Elle ne connut pas son père, emporté par la tuberculose alors qu'elle était encore enfant. Un conseil de famille géra alors sa grande fortune. Elle vécut son adolescence dans un milieu mondain et cultivé. Elle passait ses étés à la villa Croisset, à Grasse. Elle fut l'amie d'enfance de Jean Cocteau dont elle restera amoureuse toute sa vie (avec des éclipses).

Le couple Noailles fit édifier à Hyères, dans le Var, la villa Noailles ou villa Saint-Bernard, de forme cubiste (que l'on peut visiter aujourd'hui), commandée à l'architecte Robert Mallet-Stevens[3].

Leur hôtel particulier[4], au 11, place des États-Unis dans le 16e arrondissement de Paris, hébergea, pendant une quarantaine d'années, des réceptions somptueuses[5], où la haute société parisienne et internationale côtoyait les artistes et les intellectuels du moment, dans un intérieur Art déco créé par Jean-Michel Frank[6]. Parmi les hôtes réguliers on peut citer Francis Poulenc, Henri Laurens, Darius Milhaud, Man Ray, Jean Hugo, Luis Buñuel, les frères Alberto et Diego Giacometti, Jacques Lacan et de nombreux autres intellectuels. L'hôtel est aujourd'hui la Maison Baccarat (Paris)[1].

Sous l'Occupation, elle reste à Paris malgré ses origines juives. Portant une faucille et un marteau en diamants accrochés à sa veste, elle dîne avec Picasso, jugé pourtant « dégénéré » par les autorités allemandes. Elle n'est cependant pas inquiétée, notamment grâce à la protection du réseau du chorégraphe Serge Lifar[1].

Mécènes et collectionneurs

Marie-Laure et Charles de Noailles pratiquèrent un mécénat à grande échelle.

Ils financèrent plusieurs projets cinématographiques, parmi lesquels :

En plus des commandes de pièces de musique composées pour ces films, ils soutinrent des compositeurs tels que Igor Stravinsky, Igor Markevitch, Francis Poulenc, Henri Sauguet et Georges Auric.

Ils achetèrent les manuscrits de René Char, Robert Desnos ou encore Georges Bataille. Elle demanda aussi au sculpteur César de réaliser une œuvre compressée à partir de sa limousine ZIL, qu'elle installa dans son hôtel particulier parisien[1].

Ils rassemblèrent par ailleurs une très importante collection d'œuvres d'art, tant anciennes que modernes. Parmi les peintres dont les nombreux tableaux ornaient leur hôtel, Van Dyck, Rubens, Watteau, Goya, Géricault, Delacroix, Decamps, Edward Burne-Jones, mais également Braque, Klee, Matisse, Picasso, Balthus — qui fit le portrait de Marie-Laure en 1936[9] —, Mondrian, Max Ernst, Joan Miró. Et Jean Cocteau, son éternel ami, qui fit également son portrait[10],[11].

Liaisons

Les amis et relations de Marie-Laure de Noailles étaient nombreux. Elle aimait en particulier s'entourer d'artistes souvent plus jeunes qu'elle. Lorsqu'il s'avéra que son mariage battait de l'aile, elle eut des liaisons ou des amitiés amoureuses avec des hommes qui étaient homosexuels ou bisexuels. Parmi eux :

  • le millionnaire et mécène anglais Edward James, en 1933,
  • le compositeur Igor Markevitch[12],[1], de onze ans son cadet, de 1933 à 1938 (Serge Lifar, en spectateur de cette liaison, lui donna le nom de Marie-Laure d'Agoult, la comparant ainsi à la maîtresse de Franz Liszt),
  • Michel Petitjean, de huit ans son cadet, en 1938,
  • le peintre Oscar Dominguez, qui se suicida en 1957[13],[1].
  • le manadier (propriétaire d'un élevage de taureaux en Camargue) Jean Lafont.

Elle offrit également plus ou moins longuement ou fréquemment l'hospitalité, soit à Paris, soit à Hyères, à des amis liés à elle par des amours platoniques ou par l'amitié :

Indépendamment de son goût pour la musique contemporaine, la vicomtesse s'engoua de compositeurs ou chanteurs populaires, tels que Cole Porter, Gilbert Bécaud, Johnny Hallyday et Salvatore Adamo. À ce dernier, elle offrit une somptueuse fête d'anniversaire à Hyères.

Dernières années

Les surréalistes n'étant plus, Marie-Laure de Noailles rejoignit en 1955 le mouvement littéraire Les Hussards qui éditait les Cahiers des saisons ; elle les soutient ainsi dans leur opposition au Nouveau Roman[1]. Elle assistait aux déjeuners mensuels qui se tenaient au restaurant Le Procope, dont elle réglait la note. Elle y rencontrait notamment Jacques Brenner, Marcel Schneider, Matthieu Galey et Solange Fasquelle (née La Rochefoucauld).

En mai 68, elle retrouva son « âme de gauche »[14] (ou ses racines anarchistes) et se fit conduire en Rolls-Royce près des barricades du Quartier latin, accompagnée de Pierre Clementi, afin d'y soutenir les étudiants contestataires[1].

Elle mourut d'une embolie, le en l'hôtel Noailles à Paris. Après des obsèques en l'église Saint-Pierre-de-Chaillot, elle fut inhumée dans le caveau Bischoffsheim, avenue Thierry, vingt-huitième division au cimetière du Montparnasse.

Après sa mort, son mari délaisse leur hôtel particulier parisien et réside surtout à Grasse[1].

Échantillon choisi

Dans ses Exactitudes (Paris, Grasset, 1930) elle a écrit :

« La jeunesse

Je suis la Jeunesse, je possède tous les biens, et sur une étendue si longue qu'il m'est possible de ne songer à rien. Ma paresse est poésie. J'ignore le terme des choses. Sur ma route je ne vois que prolongation, souvent monotonie, par conséquent sécurité.

Je peux mépriser l'immédiat, dédaigner les désirs. Toute moisson s'efforce vers mes mains. Je fais rêver les antiques astres et la terre séculaire. Il n'est pas d'effort qui ne me soit facile ; mon courage même il ne faut pas l'appeler courage, il faut l'appeler espérance... »

Portraits de Marie-Laure

Peinture

Photographie

Publications

Portrait de Mme Bischoffsheim, grand-mère de la vicomtesse de Noailles, par John Everett Millais.
  • Dix ans sur terre, Paris, 1937, livre dédié à Serge Lifar.
  • Les croquevivant, Paris, Delamain et Boutelleau, 1938.
  • La Tour de Babel, Villeneuve-lès-Avignon, 1942.
  • L'An Quarante, Paris, Jeanne Bucher, 1943.
  • La viole d'amour, Paris, Confluences, 1944.
  • Les îles invisibles, Paris, 1945.
  • Chanson verte et autres poésies, traduction de poèmes d'Edith Sitwell, Paris, Confluences, 1946.
  • Cires perdues, Paris, Pierre Seghers, 1953.
  • La chambre des écureuils, roman, Paris, Plon, 1955.
  • Lettres provençales, Toulon, 1957.
  • Journal d'un peintre, Paris, René Julliard, 1966.

Dans la fiction

La vicomtesse de Noailles est un personnage secondaire du film d'animation Buñuel après l'âge d'or (2018).

Notes et références

Annexes

Bibliographie

  • Princesse Bibesco, Laure de Sade, comtesse de Chevigné, Paris, Plon, 1950.
  • Misia Sert, Misia par Misia, Paris, Gallimard, 1952.
  • Denise Bourdet, Marie-Laure de Noailles, dans : Pris sur le vif, Paris, Plon, 1957.
  • Patrick Waldberg, Catalogue de l'exposition de Marie-Laure, Galerie du Dragon, .
  • Paul Léautaud, 1954 à 1966 : Journal littéraire, Paris, Mercure de France, 1954 à 1966 (19 volumes)
  • Ned Rorem, Paris diaries 1951-1955, New York, 1966.
  • Jean Chalon, Marie Claire : "J'étais la Lolita de Jean Cocteau", in : Le Figaro littéraire, .
  • Jacques Paget, Rencontre avec Marie Laure de Noailles, in Midi Libre,
  • Denise Bourdet, Marie-Laure de Noailles, dans : Pris sur le vif, Paris, Plon, 1967.
  • Jacques Paget, Rencontre avec Marie Laure de Noailles, in : Midi Libre,
  • François-Marie Banier, Marie Laure, in : Le Figaro, .
  • Adeline Mallet, Douce époque, Paris, Grassin, 1972.
  • Claude Mauriac, Le temps immobile, tome I, Paris, Grasset, 1974.
  • Roger Peyrefitte, Propos secrets, Paris, Albin Michel, 1977.
  • Igor Markevitch, Être et avoir été, Paris, Gallimard, 1980.
  • (en) Edward James, Swans Reflecting Elephants: My Early Years, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1982.
  • Jean Hugo, Le Regard de la mémoire, Actes Sud, 1983.
  • Abbé Mugnier, Journal, Paris, Mercure de France, 1985.
  • Matthieu Galey, Journal 1. 1953-1973, Paris, Grasset, 1987.
  • Matthieu Galey, Journal 2. 1974-1986, Paris, Grasset, 1989.
  • François Buot, Crevel, Paris, Grasset, 1991
  • James Lord, Marie-Laure de Noailles, dans : Cinq femmes exceptionnelles, Paris, Plon, 1996.
  • Hubert Damisch, Villa Noailles, Marval, 1997.
  • Marcel Schneider, L'Éternité fragile, mémoires, Paris, Grasset, 1989-2001, en particulier : Tome III, Innocence et Vérité.
  • Patrick Mimouni (réalisateur), Les films du Labyrinthe (ed.), Charles et Marie-Laure de Noailles, essai filmé, 1991
  • Jean-Noël Liaut, Natalie Paley : La princesse déchirée, Paris : Filipacchi, 1996, (ISBN 2-85018-295-8).
  • Laurence Benaïm, Marie-Laure de Noailles, la vicomtesse du bizarre, Paris, Grasset, 2001, Le Livre de Poche, 2003.
  • Antoine d'Arjuzon, Violet Trefusis, une passion inachevée, Perrin, 2001, (ISBN 2-262-01611-9).
  • Claude Arnaud, Jean Cocteau, Paris, Gallimard, 2003.
  • Ned Rorem, Journal parisien, 1951-1955, traduit de l'anglais et présenté par Renaud Machart, Paris, Éditions du Rocher, 2003.
  • François Dufay, Le soufre et le moisi. La droite littéraire après 1945, Paris, Perrin, 2006.
  • Françoise Wagener, Je suis née inconsolable : Louise de Vilmorin (1902-1969), Albin Michel, 2008, (ISBN 978-2-226-18083-4).
  • Jean-Pierre Pastori, Serge Lifar : La Beauté du diable, Lausanne, Favre, 2009.
  • Meredith Etherington-Smith, Marie-Laure de Noailles, inspiration and muse of the collection, dans : Collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, Christie's Magazine, 2009, p. 168-172.
  • Jean-Marc Roberts, François-Marie, Gallimard, 2011.
  • L'Intégrale- Pierre Clémenti Cinéaste Éditions Choses Vues
  • Jean-Luc Pouliquen, La fille de la lune, préface de Sevgi Türker Terlemez, CIPP, 2014, (ISBN 978-1503265134).
  • Julie Verlaine, « Marie Laure de Noailles (1902-1970) : La muse du bizarre », dans Femmes collectionneuses d'art et mécènes : de 1880 à nos jours, Éditions Hazan, , 287 p. (ISBN 9782754106122), Avant-garde et émancipation : de la Belle Époque aux Années folles, 1905-1930, p. 116-126
  • Alexandre Mare & Stéphane Boudin-Lestienne, 'Charles et Marie-Laure de Noailles, mécènes du XXe siècle, ed. Bernard Chauveau, 2018.
  • Isabelle Pia, Charles et Marie-Laure de Noailles. De l'art d'être mécènes, in : Point de Vue, 11-.

Articles connexes

Liens externes

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