Art dégénéré

Art dégénéré (en allemand : Entartete Kunst) était l'expression officielle adoptée par le régime nazi pour interdire l'art moderne en faveur d'un art officiel appelé l'« art héroïque ».

La théorie était la suivante : l'art héroïque a symbolisé l'art racial pur, la libération de la déformation et de la corruption, alors que les modèles modernes déviaient de la norme prescrite de la beauté classique. Les artistes de races pures ont produit l'art racial pur, et les artistes modernes d'une contrainte raciale inférieure ont produit les travaux qui étaient dégénérés. Paradoxalement, les nazis ont repris le terme « dégénéré » des écrits du penseur juif Max Nordau[1], alors que le régime nazi mettait un point d'honneur à rejeter tout concept émanant d'un intellectuel juif, et que la « dégénérescence » théorisée par Nordau comprenait, entre autres, l'antisémitisme. Dans l'adaptation nazie, elle a été employée pour défendre les vues d'une théorie culturelle de déclin et de racisme.

D'abord appliqué aux arts plastiques, le terme d'« art dégénéré » est ensuite étendu à la musique (Schönberg, Kurt Weill, Ernst Křenek, Erwin Schulhoff par exemple, mais aussi la musique swing), à la littérature ou encore au cinéma (Max Ophüls, Fritz Lang, Billy Wilder).

L'exposition de 1937

Goebbels visitant l'exposition.

De juin à novembre 1937, les nazis organisent à Munich une grande exposition d'« art dégénéré », qu'ils présentent comme la production d'artistes bolcheviks et juifs. Le comité de sélection des œuvres d'art est composé par le peintre Adolf Ziegler, apprécié par Hitler, par l'historien de l'art Klaus von Baudissin, qui deviendra plus tard Oberführer dans la Waffen-SS[2], par le dessinateur Wolfgang Willrich, ainsi que par le graphiste Hans Schweitzer[3]. Cette exposition présente 730 œuvres d'une centaine d'artistes[4], choisies parmi 20 000 œuvres saisies dans les musées allemands. Presque tous les grands artistes du XXe siècle, allemands tels que Nolde ou Kirchner, et étrangers, tels que Kokoschka, Picasso ou Chagall, y figurent. Les visiteurs étaient invités à confronter les productions de malades mentaux et celles de représentants de l'avant-garde[5], une confrontation destinée à mettre en évidence la parenté entre les deux productions et à stigmatiser la perversité des artistes.

Le succès public est immense, avec plus de deux millions de visiteurs[4], bien que le local soit mal adapté et mal situé. La file des visiteurs s'étend jusque sur le trottoir et « la foule devint telle que le Dr Goebbels, courroucé et gêné, ne tarda pas à la faire fermer[6] ». Aujourd'hui, l'exposition nous apparaît comme une impitoyable mise au pilori de créateurs livrés en pâture à l'opinion publique. Tout autre était le but poursuivi à l'époque : « Il s'agit d'abord de présenter le peuple allemand, référent structurel et premier du nazisme, comme la victime d'une gigantesque manipulation destinée à l'escroquer[7]. » L'enjeu de l'opération consistait à faire passer des artistes persécutés et bâillonnés pour des terroristes. Ainsi, dans la cinquième salle de l'exposition, l'« insondable saleté » de Karl Hofer, Ernst Ludwig Kirchner, Max Beckmann ou Oskar Kokoschka est-elle assimilée « aux plus bas instincts du gangstérisme ». Il s'agissait de faire croire que la condamnation de ces inventeurs rendait, in fine, justice aux Allemands.

Conséquences historiques

Parmi les œuvres considérées comme dégénérées, 5 000 sont saisies par les nazis pour être ensuite détruites, 125 sont vendues aux enchères à Lucerne en Suisse, d'autres sont récupérées par des collectionneurs nazis comme Goebbels. Si des artistes tels que Kandinsky, Klee et Schwitters quittent l'Allemagne dès l'arrivée des nazis au pouvoir, Max Beckmann s'enfuit le lendemain de l'ouverture de l'exposition. De nombreux artistes fuient aux États-Unis où ils contribuent à la diffusion de l'art moderne en Amérique. Ceux qui restent sont contraints à une sorte d'exil intérieur. Si Otto Dix et Erich Heckel assagissent leur production afin de ne pas être soupçonnés, d'autres continuent de peindre en secret, par exemple la nuit, tout en produisant des commandes officielles la journée.

Cette expression a été reprise en 2007 par le cardinal allemand Joachim Meisner à propos de l'art se coupant de la religion. Cette affirmation a fait objet d'une polémique en Allemagne.[pertinence contestée]

Le « trésor nazi » de Cornelius Gurlitt

Le 3 novembre 2013, le magazine allemand Focus révèle que plus de 1 400 tableaux de peintres tels que Courbet, Renoir, Matisse, Chagall, Klee, Kokoschka ou encore Beckmann ont été retrouvés en 2012 à Munich, au domicile de Cornelius Gurlitt, fils de Hildebrand Gurlitt, qui était l'un des conseillers artistiques de Hitler[8],[9]. L'ensemble de ces œuvres, qui sont d'une importance majeure dans l'histoire de l'art, est estimé par les experts à environ un milliard d'euros. Une partie de cette collection avait été saisie à des collectionneurs et à des galeristes juifs, dont Paul Rosenberg. Puis, en février 2014, plus de 200 tableaux appartenant à Gurlitt sont retrouvés à Salzbourg, quelques mois avant sa mort, le [10].

Liste d'artistes

Parmi les centaines d'artistes ayant été stigmatisés comme producteurs d'un « art dégénéré », on trouve :

Les styles incriminés

Notes et références

  1. Huguette Meunier-Chuvin (entretien avec Amos Elon (en)), « Munich 1937-Berlin 1992 : deux expositions pour l'« art dégénéré » », L'Histoire, (lire en ligne).
  2. Ernst Klee, Das Kulturlexikon zum Dritten Reich. Wer war was vor und nach 1945?, S. Fischer, Frankfurt am Main, 2007.
  3. Peter-Klaus Schuster, Nationalsozialismus und “Entartete Kunst”. Die Kunststadt München 1937, Prestel-Verlag, Munich, 1987, p. 96.
  4. « Les nazis et l'art dégénéré », in Peter Furtado (trad. Claude Mallerin, préf. Serge Berstein), L'encyclopédie du XXe siècle, 1930-1939, Paris, France Loisirs, , 176 p. (ISBN 978-2-7242-6399-2, OCLC 495409812), p. 32.
  5. Thomas Schlesser, L'art face à la censure : cinq siècles d'interdits et de résistances, Paris, Beaux Arts éditions, , 239 p. (ISBN 978-2-84278-838-4, OCLC 939826305, notice BnF no FRBNF42469618), p. 164.
  6. William L. Shirer, Le IIIe Reich, Paris, éditions Stock, 1990.
  7. Chloé Ledoux, in Emil Nolde au Grand Palais, Boulogne-Billancourt, Beaux arts éd.-TTM éd, , 66 p. (ISBN 978-2-84278-633-5, OCLC 941172616), p. 11.
  8. Philippe Dagen, « 1 500 trésors pillés par les nazis retrouvés à Munich », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
  9. (en-GB) « Masters' unknown works in Nazi trove », BBC News, (lire en ligne, consulté le )
  10. Frédéric Lemaître, « Cornelius Gurlitt, l'homme du « trésor nazi », est mort », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )

Annexes

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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