Maladie de Creutzfeldt-Jakob
La maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) est une dégénérescence du système nerveux central caractérisée par l'accumulation d'un prion (forme anormale d'une protéine qui peut transmettre la maladie). La période d'incubation se compte en années, voire en décennies avant qu'apparaissent des troubles de l'équilibre et de la sensibilité, puis une démence. L'issue est systématiquement fatale à échéance d'approximativement un an.
Spécialité | Neurologie |
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CIM-10 | A81.0, F02.1 |
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CIM-9 | 046.1 |
OMIM | 123400 |
DiseasesDB | 3166 |
MedlinePlus | 000788 |
eMedicine | 1169688 |
eMedicine | neuro/725 |
MeSH | D007562 |
Symptômes | Démence et myoclonie |
Causes | Prion |
Traitement | Inconnu (d) et soin palliatif |
Patient UK | Creutzfeldt-Jakob-Disease |
Mise en garde médicale
Typologie
Il existe plusieurs causes de la maladie :
- La plupart des cas sont dits sporadiques, car d'origine inconnue et sans caractère épidémique.
- Environ 10 % des cas sont héréditaires.
- Des contaminations iatrogéniques sont dues à un processus opératoire utilisant un matériel contaminé (ex : utilisation d'instruments de chirurgie mal décontaminés (électrodes)) ou à des greffes de tissus cérébraux (dure mère) issus de cadavres de malades.
Une contamination par des hormones de croissance contaminées a eu lieu, comme dans l'affaire de l'hormone de croissance en France, cette hormone contaminée qui a fait 120 morts à partir de 1980, affaire pour laquelle les accusés ont tous été relaxés[1],[2].
Une autre hypothèse est explorée, notamment par le Dr Salmon (expert anglais en santé publique et en ESB) et certains de ses collègues, experts en santé publique. Cette hypothèse, posée pour le seul cas de l'épidémie anglaise qui présente une géographie curieuse[3], est qu'une mauvaise hygiène dentaire (caries non soignées, ou peut-être gingivites[4]) pourrait aussi être un facteur de risque de transmission de prion à l'organisme humain via la nourriture[5], ce qui expliquerait au Royaume-Uni un nombre presque deux fois plus élevé en Écosse et en Angleterre du Nord et un âge médian de survenue de 26 ans (resté inchangé au cours des 15 ans qu'a duré l'épidémie)[5], ce qui peut reposer la question du risque lié à une mauvaise décontamination d'instruments de chirurgie dentaire[6],[7],[8].
Histoire
En 1913, Hans Gerhard Creutzfeldt se voit proposer par Aloïs Alzheimer d'étudier le cas d'une patiente de la clinique psychiatrique de Breslau : il s'agit notamment de mettre en rapport le comportement de ce sujet et les altérations biologiques de son cerveau. Creutzfeldt publie une description de cette maladie en 1920, peu avant le neurologue hambourgeois Alfons Maria Jakob. La maladie est nommée « maladie de Creutzfeldt-Jakob » en 1922.
La maladie de Kuru a été décrite chez le peuple des Fores de Nouvelle-Guinée par Daniel Carleton Gajdusek (prix Nobel de physiologie ou médecine 1976). Quoique distinct de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le kuru est également une encéphalopathie subaiguë spongiforme transmissible (ESST). Son mode de transmission a pu être relié à un rite funéraire anthropophage. L'insomnie fatale familiale est également une ESST. Dans les années 1970, il est soupçonné[9] l'existence d'un agent infectieux particulier. Les premières maladies à prion ont été expliquées par Stanley B. Prusiner comme étant dues à une protéine infectieuse et non à un microbe, ce qui lui a valu le prix Nobel de médecine en 1997 après beaucoup de controverses car l'idée qu'une simple protéine puisse être infectieuse contredisait le paradigme médical en vigueur à l'époque selon lequel il n'y a que trois types d'agents infectieux (virus, bactérie, parasite).
Également, les animaux domestiques et sauvages peuvent être victimes de prions, avec notamment la CWD qui décime des cervidés en Amérique du Nord.
Nouvelle variante
Une nouvelle forme de la maladie est apparue en 1996 en Angleterre, probablement causée par l'ingestion de produits bovins infectés par l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, dite maladie de la vache folle). Apparue en 1985, l'épidémie d'ESB, d'abord britannique puis continentale, est le résultat d'une amplification de la transmission d'un agent pathogène avec le recyclage des déchets d'abattoir au sein de l'alimentation animale (ruminants et autres mammifères). L'origine de cette amplification est en rapport probable avec une modification du procédé de fabrication des farines de viande et d'os animales au Royaume-Uni à la fin des années 1970. De très nombreux agriculteurs en Europe ont nourri leurs vaches avec ces farines issues des centres d'équarrissage, même après leur interdiction pour les ruminants en 1990. Les modes de fabrication et de commerce de ces farines semblent des facteurs essentiels pour expliquer ce qui est nommé « saga de l'ESB ».
Certaines études ont pu confirmer le passage de la maladie bovine à l'Homme mais le moyen utilisé pour le faire reste encore inconnu de nos jours. La maladie a pu être également transmise, de manière exceptionnelle, par transfusion sanguine[10],[11].
L'ESB s'attaque au cerveau de certains primates, y compris à celui de l'Homme. La maladie peut être transmise à l'Homme s'il consomme de la viande ou des tissus issus d'animaux contaminés. L'ESB transmise à l'être humain est alors dénommée variant(e) de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ) et, comme chez les bovins, s'attaque au système nerveux central (cerveau et moelle spinale).
Personne n'a aujourd'hui d'idée précise quant à la durée d'incubation de la maladie. Le profil génétique des individus joue un rôle fondamental dans l'infection par voie alimentaire. La nature du codon 129 de la protéine prion normale (PRNP) (chromosome 20, locus 13) est au centre de multiples recherches puisque tous les cas de vMCJ par voie alimentaire sont 129Met/Met alors que seule 40 % de la population générale présente ce profil génétique. Personne ne sait si le fait d'avoir le codon 129PRNP autre que Met/Met (c'est-à-dire Val/Met ou Val/Val) permet d'être protégé contre l'infection ou si cette caractéristique allongerait la durée d'incubation (comme pour la maladie de kuru par exemple) : dans ce dernier cas, une nouvelle épidémie de vMCJ serait à venir. Le nombre de personnes atteintes, d'après beaucoup d'estimations divergentes, serait compris entre 80 000 et 136 000 d'ici à 2020 en fonction des durées d'incubation retenues pour effectuer ces estimations.
En , 164 cas du nouveau variant de la MCJ (dont 158 décès) sont dénombrés en Grande-Bretagne et 22 en France. Le nombre total de cas n'a guère varié depuis (174 cas anglais en 2011 et 25 cas français en , le nombre de patients vivants ne dépassant pas 5 dans le monde)[12]. Cette maladie pose un problème de santé publique car il n'existe aucun traitement efficace. Des prototypes de tests de détection précoce de l'infection sont en cours d'élaboration[13]. Les moyens préventifs pour éviter les contaminations alimentaires (dépistage systématique des animaux destinés à la consommation humaine, interdiction des farines animales dans l'alimentation des bovins…) et iatrogènes (destruction du matériel contaminé…) ont montré leur efficacité et permettent d'avoir un nombre limité de nouveaux cas de vMCJ. Il reste le problème des éleveurs qui ont des stocks importants de farines animales contaminées et qui continuent à les utiliser pour des raisons économiques malgré les interdictions des pouvoirs publics.
L'incertitude concernant la durée d'incubation de la maladie et les cas cliniques de transmission de la maladie par le biais de transfusions sanguines ont amené l’établissement français du sang (EFS) à proscrire le don de sang par les personnes ayant effectué un séjour en Grande-Bretagne de plus d'un an entre 1980 et 1996[14]. De même, d'autres institutions dans d'autres pays refusent les dons de sang de personnes étant en France durant cette même période. C'est le cas, par exemple, de Héma-Québec, institut en charge notamment de la récolte et de la redistribution du don du sang au Québec, qui interdit les dons venant de personnes ayant passé au moins 3 mois cumulatifs en France métropolitaine entre 1980 et 1996.[15]
Symptômes
Les symptômes sont d'installation relativement rapide (généralement quelques semaines), les signes suivants à des degrés variables de présence incluent :
- Syndrome pyramidal
- Déficit cognitif et/ou des troubles psychiatriques (dans de rares cas extrêmes, démence)
- Troubles visuels
- Syndrome cérébelleux
- Mouvements anormaux involontaires
- Dans un cas, l'hyperacousie a été la première manifestation de la maladie.[16]
Examens complémentaires
Il n'existe à ce jour pas de test diagnostic vraiment fiable avant que les symptômes apparaissent. Des modifications sont parfois observées lors de certains examens qui orientent le diagnostic, celui-ci sera confirmé lors d'une analyse anatomo-pathologique post-mortem. Électroencéphalogramme (EEG) (tracé anormal à types de bouffées triphasiques avec un ralentissement du rythme de base), IRM (hypersignaux au niveau cortical et/ou des noyaux gris centraux) et ponction lombaire (protéine 14-3-3 présente).
Déclaration obligatoire
En France, depuis le , et en Belgique, les suspicions de MCJ et autres encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST) humaines, sont inscrites sur la liste des maladies infectieuses à déclaration obligatoire.
Épidémiologie
France
En France, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en relation avec l'Institut de veille sanitaire (InVS) et leurs homologues européens, coordonne depuis 1992, un réseau de surveillance épidémiologique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ).
Au total, 28 cas de vMCJ certains ou probables ont été identifiés en France entre 1992 et 2019 et tous sont décédés. Ces 28 cas de vMCJ présentent les caractéristiques suivantes[17] :
- il s'agit de 12 hommes et 16 femmes ;
- la médiane des âges lors de leur décès ou de leur diagnostic est de 36 ans (entre 19 et 58 ans) ;
- 9 personnes résidaient en Île-de-France et 19 dans d’autres régions.
Pour les 26 cas décédés de vMCJ, les décès sont intervenus en 1996 (1 cas), 2000 (1 cas), 2001 (1 cas), 2002 (3 cas), 2004 (2 cas), 2005 (6 cas), 2006 (6 cas), 2007 (3 cas), 2009 (2 cas), 2013, 2014 et 2019 (1 cas chaque année). Tous les cas identifiés à ce jour étaient homozygotes Met-Met pour le codon 129 du gène de la protéine prion (PRNP) ; ils ne présentaient aucun facteur de risque identifié pour les autres formes reconnues de MCJ. Un cas avait séjourné très régulièrement au Royaume-Uni pendant une dizaine d'années à partir de 1987[17].
Un tableau est édité par l'Agence nationale de santé publique, qui s'est substituée à l'InVS depuis 2016, qui regroupe tous les cas déclarés de la MCJ, ces cas sont probables ou certains[18].
Le tableau est régulièrement mis à jour, la dernière mise à jour est datée du .
Année | Suspicions
signalées |
MCJ
sporadique |
MCJ iatrogène
hormone de croissance |
Autre MCJ
iatrogène |
MCJ
génétique |
vMCJ
certain ou probable |
Total MCJ |
1992 | 71 | 38 | 7 | 2 | 4 | 0 | 51 |
1993 | 63 | 35 | 12 | 1 | 7 | 0 | 55 |
1994 | 90 | 45 | 5 | 3 | 7 | 0 | 60 |
1995 | 112 | 59 | 8 | 1 | 6 | 0 | 74 |
1996 | 200 | 68 | 10 | 0 | 10 | 1 | 89 |
1997 | 296 | 80 | 6 | 1 | 5 | 0 | 92 |
1998 | 457 | 81 | 8 | 1 | 13 | 0 | 103 |
1999 | 589 | 92 | 8 | 0 | 5 | 0 | 105 |
2000 | 823 | 88 | 9 | 0 | 8 | 1 | 106 |
2001 | 1 100 | 109 | 5 | 0 | 15 | 1 | 130 |
2002 | 1 044 | 107 | 2 | 2 | 13 | 3 | 127 |
2003 | 1 084 | 108 | 8 | 1 | 10 | 0 | 127 |
2004 | 884 | 98 | 8 | 0 | 9 | 2 | 117 |
2005 | 925 | 82 | 4 | 1 | 10 | 6 | 103 |
2006 | 1 314 | 124 | 5 | 0 | 8 | 6 | 143 |
2007 | 1 372 | 138 | 1 | 0 | 15 | 3 | 157 |
2008 | 1 475 | 105 | 5 | 0 | 12 | 0 | 122 |
2009 | 1 485 | 114 | 4 | 0 | 14 | 2 | 134 |
2010 | 1 614 | 151 | 0 | 0 | 10 | 0 | 161 |
2011 | 1 609 | 115 | 0 | 0 | 6 | 0 | 121 |
2012 | 1 693 | 131 | 0 | 1 | 11 | 0 | 143 |
2013 | 1 744 | 123 | 0 | 0 | 6 | 1 | 130 |
2014 | 1 721 | 150 | 0 | 0 | 16 | 1 | 167 |
2015 | 1 959 | 130 | 1 | 0 | 8 | 0 | 139 |
2016 | 1 952 | 134 | 0 | 0 | 12 | 0 | 146 |
2017 | 2 091 | 122 | 1 | 0 | 20 | 0 | 143 |
2018 | 2 025 | 100 | 0 | 0 | 9 | 0 | 109 |
2019 | 1 974 | 70 | 1 | 0 | 2 | 1 | 74 |
Recherche
En laboratoire, le tacrolimus et l'astémizole ont été identifiés in vitro comme de potentiels agents antiprions utilisables chez l'Homme[19].
Notes et références
- « Le drame de l'hormone de croissance », Le Figaro, 5 février 2008.
- « La chronologie de l'affaire », Le Nouvel Observateur du 15 janvier 2009.
- National CJD Surveillance Unit 2008, Creutzfeldt-Jacob disease surveillance in the UK, Sixteenth Annual Report, Edinburgh.
- Carp R. Transmission of scrapie by oral route: effect of gingival scarification. Lancet 1982;1:170-1.
- Robert Burnie a, Roland L. Salmon b, Daniel R. Thomas b, Nigel Monaghan, « Does Poor Dental Health Have a Role in the Emergence of Variant Creutzfeldt Jakob Disease in the United Kingdom? »(Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
- A. Smith, M. Dickson, J. Aitken, J. Bagg, « Contaminated dental instruments », J Hosp Infect, 2002, no 51, p. 233-5.
- D. Everington, A. Smith, H. Ward, S. Letters, R. Will, J. Bagg, « Dental treatment and risk of variant CJD--a case control study », Br Dent J, 2007, no 202, E19 ; discussion p. 470-1.
- UK Department of Health, « Potential vCJD transmission risks via dentistry : an interim review »(Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), 2007, consulté 8 mai 2011.
- Le traité de Médecine interne de Harrisson, encyclopédie médicale de référence à époque, dans son édition française de 1972, décrivait la MCJ en précisant « de récents travaux suggèrent que l’encéphalopathie spongiforme subaiguë peut être due à un agent transmissible »
- Hewitt PE, Llewelyn CA, Mackenzie J, Will RG, « Creutzfeldt-Jakob disease and blood transfusion: results of the UK Transfusion Medicine Epidemiological Review study », Vox Sang, 2006, no 91, p. 221-230.
- (en) Stephen J Wroe, Suvankar Pal, Durrenajaf Siddique, Harpreet Hyare, Rebecca Macfarlane, Susan Joiner, Jacqueline M Linehan, Sebastian Brandner, Jonathan DF Wadsworth, Patricia Hewitt, John Collinge, « Clinical presentation and pre-mortem diagnosis of variant Creutzfeldt-Jakob disease associated with blood transfusion: a case report », Lancet, 2006, no 368, p. 2061-2067.
- The National Creutzfeldt-Jakob Disease Surveillance Unit, Variant Creutzfeldt-Jakob disease: current data.
- J.A. Edgeworth, M. Farmer, A. Sicilia et al., « Detection of prion infection in variant Creutzfeldt-Jakob disease: a blood-based assay », Lancet, 2011, no 377, p. 487-493.
- « Les contre-indications au don de sang », sur Etablissement français du sang (consulté le )
- « Creutzfeldt-Jakob », sur Hema-Quebec (consulté le )
- (en) « Hyperacusis as the Initial Presentation of Creutzfeldt-Jakob Disease (P5.233) », sur http://www.neurology.org, (consulté le ).
- InVS, « Données épidémiologiques / Maladie de Creutzfeldt-Jakob », 2013, actualisation 2020.
- Santé publique France - InVS, « Données épidémiologiques / Maladie de Creutzfeldt-Jakob / Risques infectieux d'origine alimentaire / Maladies infectieuses / Dossiers thématiques / Accueil », sur invs.santepubliquefrance.fr (consulté le ).
- (en) Karapetyan YE, Sferrazza GF, Zhou M, Ottenberg G, Spicer T, Chase P, Fallahi M, Hodder P, Weissmann C, Lasmézas CI., « Unique drug screening approach for prion diseases identifies tacrolimus and astemizole as antiprion agents », Proc Natl Acad Sci U S A., vol. 110, no 17, , p. 7044-9. (PMID 23576755, DOI 10.1073/pnas.1303510110).
Annexes
Articles connexes
Liens externes
- Cellule de référence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sur le site de l’APHP.
- Nombre de cas certains ou probables de MCJ en France, Institut de veille sanitaire (mise à jour mensuelle).
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