Simon-Nicolas-Henri Linguet
Simon-Nicolas-Henri Linguet, né le à Reims et guillotiné le à Paris, est un avocat, homme de lettres et propriétaire terrien, à la fois opposé aux philosophes, aux jansénistes, et surtout au libéralisme économique mis en place par la Révolution dont il dénonça avec virulence les conséquences pour les classes laborieuses.
Biographie
Famille
Issu d’un père d’origine ardennaise, avocat au parlement, greffier-en-chef de l’Élection de Reims, ancien vice-principal du Collège de Navarre, et d’une mère rémoise, descendante de Nicolas Bergier.
Au service des grands sous l'Ancien Régime
Secrétaire du duc de Deux-Ponts, il voyagea en Pologne mais dut rentrer en France pour une accusation de cheval volé. De retour à Paris, il embrassa la carrière des lettres avec le poète Dorât avec qui il se brouilla pour une affaire de 100 ou 200 louis qu'il lui aurait dérobés. Il devint ensuite l'aide de camp du prince de Beauvau, en Espagne. Il y apprit l'espagnol et traduisit Calderón et Lope de Vega. Il rédigea ensuite une Histoire du siècle d'Alexandre publiée à Amsterdam en 1762. Il ne parvint pas à entrer à l'Académie française et devint, avec Fréron, l'adversaire des philosophes. Il s'installa quelque temps à Abbeville à partir de 1763 où il essaya de renouer avec le parti philosophique et avec la carrière des lettres.
Un avocat controversé
Élève brillant, Linguet fit ses études à Paris. Avant la Révolution, il exerça la profession d'avocat. Il côtoya alors les cercles anti-philosophiques et composa quelques recueils littéraires.
Comme avocat, il défendit des causes fameuses : celles du chevalier de La Barre en 1766, du duc d'Aiguillon en 1770, du marquis Louis de Gouy d'Arsy en 1771, du comte de Morangiès contre les Verron en 1772, de Cassier de Bellegarde et de Jean Joseph Carrier de Montieu en 1773 et de la comtesse de Béthune en 1774. Cette dernière affaire lui valut d'être rayé du barreau par un arrêt du . Après dix ans d'exercice dans le droit, il fut rayé du barreau en raison de son attitude déloyale et de son mépris à l'égard de ses collègues.
« Fougueux, caustique, sarcastique, il se fit partout des ennemis, accusant les uns et les autres à tort et à travers. Il prétendait que le bâtonnier des avocats déclamait contre le droit romain. Ses ennemis lui rendirent la pareille et l'on rapporta à son sujet la spirituelle charade :
- Mon premier sert à pendre
- Mon second mène à pendre
- Mon tout est à pendre »[1].
Un homme de lettres
Il se reconvertit dans le journalisme et devint le rédacteur de la feuille hebdomadaire de Charles-Joseph Panckoucke, le Journal de politique et de littérature. Ce journal reprenait des évènements comme les funérailles de Ruis-Embito, mais aussi attaquait à peu près tous les milieux. Quelques mois plus tard, Linguet dut quitter son poste, du fait d'attaques trop virulentes envers les membres de l'Académie française et sous la pression ministérielle de Vergennes et de Miromesnil.
Après s'être aliéné le pouvoir et les institutions littéraires, il s'exila volontairement à Londres, d'où il lança, en mars 1777, les Annales civiles, politiques et littéraires. Peu de temps après, il continua son entreprise éditoriale aux Pays-Bas autrichiens. Mais, attiré à Paris en , il fut aussitôt incarcéré. Emprisonné à la Bastille de 1780 à 1782, il regagna l'Angleterre à sa libération. Il y renoua avec les Annales et publia une dénonciation de ses conditions d'incarcération, dans Mémoires sur la Bastille et sur la détention de M. Linguet, écrits par lui-même (Londres, Spilsbury, 1783) ouvrage qui fit sensation et ne sera pas oublié en 1789..
L'année suivante, il mena campagne pour la réouverture des bouches de l'Escaut. Le gouvernement autrichien, ravi, lui accorda des lettres de noblesses et arrangea son retour en France en 1786. Protégé par Joseph II comme par Louis XVI qui goûtait son style journalistique, il rentra en France, avec l'aura d'un héros populaire.
Un acteur de la Révolution
Après un séjour dans les Pays-Bas révoltés en 1789, il rentra en France. Auteur d'un Mémoire contre le pouvoir arbitraire, Linguet reprit son métier de journaliste pendant la Révolution française. Il rédigea des articles dans ses Annales jusqu'en 1792.
En 1791, il prit la défense de l'assemblée coloniale de Saint-Domingue devant l'Assemblée constituante.
À l'Assemblée législative il porta des accusations contre le ministre Antoine François Bertrand de Molleville.
Membre du Club des Cordeliers, il fut l'adversaire de Barnave et entra en relation avec Camille Desmoulins, Danton et Robespierre.
Au milieu de l'année 1792, devant la tournure que prenaient les événements, il abandonna le journalisme et la politique et se retira sur ses terres du château de Marnes-lès-Saint-Cloud, dont il fut élu maire et mena une existence tournée vers la philanthropie.
Il fut arrêté pendant la Terreur en septembre 1793 sur l'accusation de publication d'articles élogieux dans son journal avant la Révolution afin d'obtenir des gratifications de monarques étrangers. Des lettres trouvées dans l'Armoire de fer datant de 1784 le compromirent bien qu'antérieures à la Révolution. Il fut jugé neuf mois plus tard, condamné et guillotiné le même jour, le 9 messidor an II () pour « avoir encensé les despotes de Vienne et de Londres ». Il fut inhumé au cimetière de Picpus.
Pensée et œuvres
Sa pensée politique est complexe et souvent d'aspect contradictoire. Bien qu'il ait écrit les louanges de Joseph II d'Autriche, il apporte son soutien à la révolution brabançonne. Dénonçant le despotisme de l'Ancien Régime, il se méfie du peuple en révolution. Adversaire du parti philosophique, ses ouvrages sont marqués par un radicalisme sans demi-mesure. Il est finalement accusé de collusion avec la monarchie. Curieux contre-révolutionnaire qui défend un égalitarisme proche du babouvisme.
Il publia plus de cinquante ouvrages et fonda les Annales politiques, civiles et littéraires du dix-huitième siècle (1777-1792). Il fit l’objet de nombreuses études, dont la plus ancienne est peut-être celle de Charles Monselet dans Les originaux du siècle dernier : les oubliés et les dédaignés. Dans une lettre à J.-B. Schweitzer, Karl Marx loue sa Théorie des lois civiles.
- Socrate : tragédie en cinq actes, Amsterdam : chez Marc-Michel Rey, 1764.
- Le fanatisme des philosophes, 1764
Un esprit visionnaire ?
Dans les Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la République des Lettres en France depuis 1762 jusqu'à nos jours il est cité comme ayant proposé "il s'agit d'établir sous terre des conducteurs électriques en fil de fer doré...(reliant des appareils) très propres à transmettre d'un lieu à l'autre, même à une distance considérable, des avis fort détaillés". Il peut être vu dans ce dispositif un ancêtre du télex ou du télégraphe Chappe[2].
Sources et bibliographie
- Olivier Boura, Trompettes de Jéricho, introduction aux Mémoires sur la Bastille, Arléa, Paris, 2006
- Prosper Tarbé, Reims, essais historiques sur ses rues et ses monuments, Paris, Res Comédit, 1994, p. 526.
- Jean Cruppi, Un avocat journaliste au XVIIIe siècle: Linguet, Paris, publié par Hachette, 1895.
- Darline Gay Levy, The Ideas and Careers of Simon-Nicolas-Henri Linguet : A Study in Eighteenth-Century French Politics, University of Illinois Press, 1980.
- Jean Tulard, Jean-François Fayard et Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française. 1789-1799, Paris, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1987, 1998 [détail des éditions] (ISBN 978-2-221-08850-0)
Notes et références
- P. H. Machard, Essai historique sur Marnes la Coquette, 1932, chapitre VIII (le maire Linguet, victime de la Révolution).
- Bachaumont, Mémoires secrets..., ( juin 1782, tome XIII, p. 84.
Liens externes
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