Triptyque de Werl

Le Triptyque de Werl est un retable triptyque attribué au « Maître de Flémalle » généralement identifié au peintre flamand Robert Campin bien que cette association ne soit pas communément admise. Certains historiens d'art pensent qu'il a été peint comme un pastiche soit par un membre de l'atelier soit par un disciple de Campin ou du Maître de Flémalle[1].

Le panneau de droite montre, sainte Barbe pieuse, qui est absorbée par la lecture d'un livre sacré dont la reliure est dorée, elle est assise devant une cheminée qui éclaire la pièce avec une lumière dorée. Le panneau de gauche représente le donateur Henri de Werl (en allemand : Heinrich von Werl), agenouillé en prière, en présence de saint Jean Baptiste ; tous deux regardent en direction du panneau central qui a disparu et dont on ne dispose pas de description. Les deux volets, huile sur panneau de 101 × 47 cm chacun, sont tous deux exposés au Museo del Prado de Madrid (Espagne). Ils sont célèbres aussi bien pour leur traitement complexe de la lumière et des formes. Ces panneaux influenceront profondément d'autres artistes de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, date à laquelle les primitifs flamands perdent en influence jusqu'à leur redécouverte au début du XIXe siècle.

L’inscription en lettres gothiques sur le panneau de gauche identifie les personnages représentés et la date de réalisation du tableau : « En l'an 1438, j'ai peint cette effigie de Maître Henri de Werl, docteur de Cologne » (ANNO MILLENO C QUATER X TER ET OCTO. HIC FECIT EFFIGIEM… DEPINGI MINISTER HINRICUS WERLIS MAGISTER COLONIENSIS[2]). Supérieur de l'Ordre franciscain dans la ville allemande depuis 1432, Werl est un professeur de théologie et prédicateur qui jouit d'une renommée considérable à l'époque. En voyage à Tournai, il entre en contact avec le peintre et lui commande un portrait à l'intérieur d'une maison, agenouillé en présence de saint Jean Baptiste.

Composition générale

Bien que le panneau central ait disparu et qu'aucune copie ni description ne soient connues, l'hypothèse suivante a été émise : il représenterait une scène qui se déroulerait dans la même pièce que celle où se trouve sainte Barbe[3]. Cette hypothèse est plausible si l'on tient compte de la fin « abrupte » des lignes qui partent de la toiture et les trames de la fenêtre, ainsi que la direction de la lumière tombante. Le panneau central pourrait avoir représenté une mise en scène classique dans la peinture religieuse flamande appelée Virgo inter Virgines[4],[5]. Étant donné qu'il n'existe aucune preuve de l'influence du triptyque sur l'art à Cologne jusqu'au milieu du XVe siècle, il est possible que le triptyque ait été, jusqu'à cette date, soit exposé dans un lieu privé, soit placé dans un lieu inaccessible à l'intérieur d'une église, telle qu'une chapelle privée assez grande pour contenir un certain nombre de retables[6]. À partir du milieu du XVe siècle, il gagne en célébrité et commence à influencer les artistes contemporains.

Des deux panneaux, celui représentant sainte Barbe, bien que présentant certains défauts, du point de vue des proportions anatomiques, est plus riche en détails et considéré comme étant d'un intérêt supérieur.

Reconstitution du triptyque disparu

Reconstitution du triptyque
Le panneau central du triptyque a disparu

Panneau de gauche : Saint Jean Baptiste et le maître franciscain Henri de Werl

Description

Volet gauche représentant le donateur Henri de Werl et saint Jean-Baptiste.

À gauche, saint Jean Baptiste debout tient une Bible sur laquelle se trouve un agneau qu’il effleure de la main droite. Cet épisode fait référence à l'Évangile selon Jean dans lequel il est écrit que saint Jean Baptiste avait reconnu dans le Christ « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jean, 1:29). À ses pieds, le donateur du tableau, le théologien Henrich von Werl, professeur à l’université de Cologne, et membre de l'Ordre des frères mineurs à Osnabrück. Il s'installe à Cologne en 1430 pour étudier à l'université de la ville, et obtient un magistère en 1435 ; il avait été nommé auparavant provincial de l'ordre pour la province de Cologne. Il commande probablement cette œuvre pour l'église franciscaine de Cologne. Il meurt après s'être retiré à Osnabrück en 1463[2]. Henri de Werl est ici représenté agenouillé sur quelques marches ; il est vêtu d'un habit marron. Les mains jointes, il prie.

Entre les deux personnages se trouve un miroir convexe accroché à un clou grâce à une ficelle et plaqué contre la paroi de bois qui divise en deux parties la grande salle voûtée.

Analyse

Le tableau de Campin est clairement influencé par Rogier van der Weyden[7], notamment dans sa représentation de saint Jean Baptiste, par sa sveltesse, son geste élégant et sa figure légèrement inclinée. On retrouve également l'influence des frères Hubert et Jan van Eyck, tant sur le paysage que l'on aperçoit à travers la fenêtre ainsi que dans l'utilisation d'un miroir convexe, dans lequel se reflètent le portrait de deux franciscains et de saint Jean Baptiste.

Détail du miroir convexe situé derrière Les Époux Arnolfini, Jan van Eyck, 1434.
Détail du miroir du Triptyque de Werl peint quatre ans plus tard.

Comme dans Les Époux Arnolfini de Jan van Eyck, cet objet révèle la présence de personnages nouveaux. Il ouvre lui aussi la composition sur le monde extérieur : le reflet de la fenêtre fait apparaître deux maisons à hauts pignons. Le miroir convexe révèle également la présence de deux personnages qui se tiennent à l’autre extrémité de la pièce, près d’une porte ouverte, et qui regardent en direction du religieux et de saint Jean-Baptiste.

Cette influence se traduit également dans la façon de représenter la lumière qui descend et éclaire les personnages ; par la forme des lettres inscrites au bas du panneau qui est profondément influencée par les inscriptions élégantes, presque décoratives, de van Eyck.

Ce panneau est typique des premiers retables commandés par des donateurs dans lesquels ces derniers ne figuraient pas sur le panneau central représentant traditionnellement une scène de dévotion. Au lieu de cela, il est confiné à un volet latéral d'où il peut admirer le divin[8] que l'on devine grâce à la lumière qui sort de la porte devant laquelle De Werl est agenouillé et qui communique avec le panneau central. Le Triptyque de Mérode de Campin, peint après 1422[9] place le volet sur lequel est représenté le donateur dans une scène qui se situe dans un jardin, à l'extérieur, à un niveau inférieur à celui de la Vierge. Il se trouve ici à l'intérieur d'une pièce étroite et voûtée. Bien que la porte ouvre la vue du donateur sur la Vierge, elle joue aussi le rôle d'obstacle entre les deux personnages[10]. Les premiers retables de Campin, contrairement à ceux de van Eyck, se conforment à la forme traditionnelle hiératique voulant que le panneau central soit réservé à la scène de dévotion, et ils sont physiquement et spatialement distincts des volets. Dans le triptyque de Werl, le donateur est davantage un simple témoin plutôt qu'un protagoniste, bien qu'il soit placé à l'intérieur de la maison et non pas à l'extérieur. Ce triptyque introduit en outre l'idée d'un saint intermédiaire, ici saint Jean-Baptiste, dont la présence vient renforcer l'importance conférée au donateur[11],[12].

Panneau de droite : Sainte Barbe

Volet droit représentant sainte Barbe. Panneau de chêne, 101 cm × 47 cm. Museo del Prado.

La femme représentée sur ce panneau peut-être identifiée à sainte Barbe d'après la tour visible à travers la fenêtre ouverte à gauche au-dessus d'elle. Sainte populaire au Moyen Âge, sainte Barbe était une martyre chrétienne dont on pense qu'elle a vécu au IIIe siècle. Selon son hagiographie, son père Dioscore — riche édile païen descendant de satrapes perses —, cherchant à préserver sa virginité et à la protéger du prosélytisme chrétien, la fait enfermer dans une tour à deux fenêtres. Captive Barbe se laisse baptiser par un prêtre qui s'était introduit dans la tour déguisé en médecin[13]. Au retour d’un voyage de son père, Barbe lui apprend qu’elle avait percé une troisième fenêtre dans le mur de la tour pour représenter la Sainte Trinité et qu’elle était chrétienne. Furieux, le père met le feu à la tour. Barbe réussit à s’enfuir, mais un berger découvre sa cachette et avertit son père. Ce dernier la traîne devant le gouverneur romain de la province, qui la condamne au supplice. Comme la jeune fille refusait d’abjurer sa foi, le gouverneur ordonne au père de trancher lui-même la tête de sa fille.

L'Annonciation, Jan van Eyck, 1434-1436. National Gallery of Art, Washington. On note la taille monumentale des personnages, qui sont hors de proportions par rapport au décor qui les entoure.

Sainte Barbe devient un sujet de représentation populaire chez les artistes de la génération de Campin. Jan van Eyck laissera en 1437 une grisaille sur panneau très détaillée mais inachevée sur le même sujet, il se concentre sur les détails architecturaux complexes d'une tour gothique qu'il imagine derrière la sainte[13].

L'artiste représente sainte Barbe absorbée par la lecture d'un livre sacré dont la reliure est dorée, elle est assise devant une cheminée qui éclaire la pièce avec une lumière dorée. Ses cheveux bruns ne sont pas attachés et tombent sur ses épaules. Elle est assise sur un banc en bois sur lequel a été posé un coussin en velours rouge. Elle porte une somptueuse robe verte bordée de lourds plis anguleux. Pourtant, le personnage de sainte Barbe est représenté de manière étrange - ses épaules et ses genoux ne sont pas représentés d'une manière très réaliste, anatomiquement parlant[3] ; presque avachie, elle semble dépourvu d'os pour la soutenir.

La puissance du panneau vient à la fois de ses vêtements peints avec soin et du souci des détails accordé aux objets qui ont été placés autour d'elle, la plupart desquels se détachent grâce aux deux sources de lumières qui tombent et se réfléchissent sur leurs surfaces, la plupart du temps polies ou dorées[3]. La cheminée émet une lumière rougeâtre chaude qui contraste avec la lumière plus froide, plus dure, qui pénètre dans la pièce à travers la fenêtre visible et celles qui sont présentes dans le panneau central. Sur le rebord latéral de la cheminée se trouve un flacon en verre tandis qu'au-dessus de la cheminée une applique est fixée au mur ; elle soutient un porte-bougie éteint. Une sculpture très détaillée de la Sainte Trinité figure juste au-dessus de la cheminée[3].

La pièce dans laquelle se trouve la sainte montre davantage l'intérieur d'une maison contemporaine appartenant à la classe moyenne plutôt qu'un cadre biblique[14] et comporte de nombreux détails que l'on retrouve dans le panneau central du triptyque de Mérode (v. 1425-1428), également attribué à Robert Campin. Parmi ces similarités, on peut citer le treillis et les volets intérieurs de la fenêtre, la Vierge assise sur un long banc en bois, et le lys dans un vase placé à ses côtés. Les historiens d'art Peter et Linda Murray notent que le traitement des proportions est meilleur dans les œuvres postérieures de l'artiste et que le recours à la perspective est plus assuré[15].

La perspective selon laquelle la pièce est représentée est inhabituellement abrupte et la position du spectateur est telle qu'il semble être situé à un étage inférieur par rapport à la sainte et doive lever les yeux vers elle. L'influence de L'Annonciation de Jan van Eyck, peinte quelques années auparavant, est évidente. Le tableau comporte un certain nombre de points de fuite allant du coin inférieur droit jusqu'à la fenêtre ouverte ; ces derniers sont destinés à renforcer l'impression de profondeur de la scène. L'angle de vue abrupt du panneau est obtenu grâce à l'inclinaison du banc, à la planche à côté, à la ligne qui délimite le haut de la cheminée, et aux volets de la fenêtre. Selon Walther Ingo, l'angle important choisi pour représenter ces éléments sert à conférer au personnage de sainte Barbe une importance secondaire et à mettre en valeur de l'organisation de l'espace lui-même[14].

Galerie

Notes et références

  1. Museo del Prado
  2. Borchert, p. 171
  3. Borchert, p. 170
  4. Un terme utilisé pour décrire une représentation de la Vierge Marie, habituellement drapé dans un manteau, ceinte d'une couronne et entourée par un certain nombre de saints. (Voir Gilles Chomer, « The 'Virgo inter Virgines' of Abraham Janssens », dans The Burlington Magazine, vol. 121, no 917, août 1979, p. 511
  5. Stephan Kemerdick ; Jochen Sanders, « The Master of Flémalle and Rogier van der Weyden », Stadel Museum, Francfort-sur-le-Main, 2009.
  6. Barbara Jakoby, « Der Einflufi niederldndischer Tafelmalerei des 15.Jahrhunderts auf die Kunst der benachbarten Rheinlande am Beispiel des Verkundigungsdarstellunq in Koln, am Niederrhein und in Westfalen (1440-1490) », Cologne, 1987.
  7. Référence nécessaire: CAMPIN était le maître de Weyden
  8. Le nom des saints susceptibles d'avoir été représentés sur le panneau central est inconnu.
  9. Trio; De Smet, p. 75
  10. Blum, p. 10
  11. Blum, p. 11
  12. (en) Cynthia Freeland, « Portraits and persons : a philosophical inquiry », Oxford University Press, Oxford, 2010, p. 79, (ISBN 0-19-923498-1)
  13. Borchert, p. 145
  14. (en) Ingo Walther, « Masterpieces of Western Art (From Gothic to Neoclassicism: Part 1 », Taschen GmbH, 2002, p. 126, (ISBN 3-8228-1825-9)
  15. Peter & Linda Murray, « The Art of the Renaissance », Praeger, New York, 1963, p. 71-72

Sources et bibliographie

en français
  • Balis, Díaz Padrón et al., La Peinture flamande au Prado, Mercator/A. Michel, 1989, no 2, pp. 28-29
  • M. de Grand Ry (dir.), Les Primitifs flamands, Renaissance du Livre, 2000, pp. 328-329
  • Jean.-Louis Claret, Shakespeare Fuit Hic : Reflets en quête de miroir, EREA 2.1, printemps 2004, p. 32-40 Lire en ligne
en anglais
  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « The Werl Triptych » (voir la liste des auteurs).
  • Shirley Blum, Early Netherlandish Triptychs, University of California Press, Los Angles, 1969 ;
  • Till-Holger Borchert, « Saint Barbara » dans Van Eyck to Durer, Borchert, Till-Holger (ed), Londres: Thames & Hudson, 2011. (ISBN 978-0-500-23883-7)
  • Lorne Cambell, « Robert Campin, the Master of Flémalle and the Master of Mérode » dans le Burlington Magazine no 116, 1974, p. 645.
  • Paul Trio ; Marjan De Smet, The use and abuse of sacred places in late medieval towns, Leuven University Press, Louvain, 2006. (ISBN 90-5867-519-X)
  • Jeffrey Chips Smith, The Northern Renaissance, Phaidon Press, Londres, 2004. (ISBN 0-7148-3867-5)

Articles connexes

Liens externes

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