Le Crabe aux pinces d'or

Le Crabe aux pinces d'or est le neuvième album de bande dessinée des Aventures de Tintin, par Hergé, prépublié en noir et blanc du 17 octobre 1940 au 18 octobre 1941 dans les pages du Soir jeunesse, supplément du journal Le Soir, puis dans Le Soir lui-même. La version couleur et actuelle de l'album est parue le 17 janvier 1944. C'est l'album de Tintin qui a été le plus adapté au cinéma (deux fois) ou à la télévision (deux fois). Cet album marque l'arrivée du capitaine Haddock dans la série.

Le Crabe aux pinces d'or
9e album de la série Les Aventures de Tintin

Haut de couverture de l'album Le Crabe aux pinces d'or.

Auteur Hergé
Genre(s) Franco-Belge
Aventure

Personnages principaux Tintin
Milou
Capitaine Haddock
Dupond et Dupont
Lieu de l’action Belgique
Océan Atlantique
Sahara français
Protectorat français du Maroc

Langue originale Français
Éditeur Casterman
Première publication 1941 (noir et blanc)
1944 (couleur)
Nb. de pages 62 (couleur)
105 (noir et blanc)

Prépublication Le Soir Jeunesse (début)
Le Soir (fin)
Albums de la série

Résumé

Tintin s'intéresse à la mort d'un marin, retrouvé noyé dans un port. Cette mort, dont on ne sait pas si elle est accidentelle, a un lien avec une boîte de crabe vide que Milou a trouvée en fouillant dans une poubelle. En effet, on a retrouvé dans les vêtements du marin un message écrit sur un bout de papier qui, vraisemblablement, faisait partie de l'emballage de cette boîte de conserve. Ce message comporte un mot : « Karaboudjan », aux consonances arméniennes, qui s'avère être le nom d'un cargo. Tintin enquête sur ce navire, mais il est bientôt retenu prisonnier à bord par l'équipage...

Tintin découvre par la suite que le fret de boîtes de conserve ne contient pas du crabe, contrairement à ce que leur emballage laisserait à penser, mais de l'opium. C'est en cherchant à s'évader qu'il rencontre le capitaine Haddock, théoriquement le maître à bord. Mais qui, se laissant aller à son penchant pour l'alcool, est délibérément maintenu enivré par son lieutenant Allan. Ce dernier ayant ainsi pu prendre, de fait, le commandement. Tintin apprend à Haddock stupéfait que son équipage est impliqué dans un trafic de drogue.

Ils vont donc fuir ensemble : Tintin, Milou et Haddock quittent le navire en barque, puis détournent l'hydravion des bandits venus les neutraliser. Les trois protagonistes, tentent de rejoindre l'Espagne. Mais, à cause d'une tempête, puis d'une crise provoquée par l'ivresse du capitaine, l'appareil se crashe... en plein Sahara. Ils se retrouvent donc dans le désert, au "pays de la soif", comme le répète obsessivement le Capitaine Haddock, condamné à l’abstinence qui le mènera au delirium tremens. Après une traversée du désert au cours de laquelle ils tombent inanimés, ils se réveillent au poste d'Afghar (ce qu'on appelle un bordj), situé au Maroc, dirigé par le lieutenant Delcourt. Accompagnés de guides, les trois héros franchissent le désert à dos de dromadaires, affrontant des pillards Berabers près du puits Kefheïr. Ils finissent, après plusieurs jours de voyage vers le nord, à regagner Bagghar, le grand port sur la côte marocaine.

Cette ville était justement la destination du Karaboudjan, entre-temps porté disparu, mais que les héros soupçonnent à juste titre d'être arrivé à bon port. Sur place, le jeune reporter s'emploie à démasquer les trafiquants et Haddock à combattre son alcoolisme

Inspiration

  • Pour cet album, Hergé s'est notamment servi du roman de Joseph Peyré, L'Escadron blanc publié en 1931[1]. Ce roman raconte les poursuites entre méharistes sahariens et troupes de pillards dans le désert. Dans le roman comme dans la BD, il s'agit de Berabers, ethnie faisant partie des Berbères, voisine des Chleuhs[2].
  • Il a sans doute également lu Courrier Sud et Vol de Nuit, deux romans d'Antoine de Saint-Exupéry, qui racontent notamment des raids de rebelles contre des aviateurs[3].
  • Enivrés par les vapeurs du vin dans les caves d'Omar Ben Salaad, le capitaine et Tintin chantent. Haddock cite la première phrase, « Je suis le roi de la montagne », du poème l'Armailli du Moléson par Ignace Baron[4], et Tintin chante un extrait de l'opéra La Dame blanche de Boieldieu[5].
  • Sur les quais de Bagghar, le capitaine Haddock chante à tue-tête Les Gars de la marine. Cette chanson culte, chantée par Jean Murat, est issue d'un film musical sorti en 1931, Le Capitaine Craddock. Or, ce film était très apprécié par Hergé et sa femme, au point d'avoir acheté le disque 78 tours de la chanson. L'auteur s'est sans doute inspiré du nom du film pour le nom du marin, qui est justement nommé pour la première fois, par Tintin, quelques cases après cette scène[6].
  • La ville portuaire fictive de Bagghar est inspirée de plusieurs villes réelles. Par exemple, sa médina au pied d'une colline évoque celle de Tanger, grande ville portuaire marocaine. D'ailleurs, la case présentant un panorama de la ville imaginaire semble inspirée d'un croquis de cette ville réelle, réalisé depuis le cap Malabata (sur le détroit de Gibraltar). Tanger était elle aussi minée par le trafic de drogues du temps de l'album. C'est encore le cas aujourd'hui, en particulier à travers la Mocro Maffia, réseaux trafiquant la drogue internationalement ; notamment entre la Belgique et le Maroc, comme dans cette aventure. Bagghar rappelle également Casablanca. Dans cette dernière ville se trouve justement un Institut Pasteur, comme celui évoqué par Tintin dans le taxi pour faire partir un client indésirable. Mais pour la créer, Hergé emploie aussi des éléments de décor interchangeables, que l'on retrouve aussi dans les autres régions arabes visitées par Tintin : mosquées, arcs outrepassés[6],[7],[8]...
  • L'allure du Karaboudjan, amarré à un port au début de l'histoire, est inspiré du Glengarry de Glasgow, comme en témoigne une photo des archives d'Hergé[9]. Les hublots de ce navire se ferment hermétiquement, afin que l'eau ne pénètre pas à l'intérieur en cas de vague, d'orage ou de tempête : il est d'ailleurs possible d'en distinguer les vis de serrage. Un hublot a une forme circulaire pour éviter les angles. En effet, ceux-ci sont particulièrement touchés par le sel et l'eau qui attaquent violemment les parties métalliques et sont difficiles à nettoyer[10].
  • L'hydravion est immatriculé CN-3411. Tintin déclare qu'il porte l'indicatif du Maroc, CN, ce qui est exact, d'après les préfixes OACI d'immatriculation des aéronefs.
  • Dans le repère des trafiquants, les protagonistes finissent coincés dans une cave à vin. On peut supposer que celui-ci provient du Maroc, le pays étant justement réputé pour sa viticulture, où la vigne est présente depuis plusieurs millénaires.
  • Hergé dessine avec réalisme les tenues des différents personnages, par exemple, les burnous portés sur les djellabas des Marocains.
  • Se retrouvant dans la cave d'un commerçant après une filature, Tintin explique à Milou qu'il cherche un homme, comme Diogène, un philosophe grec qui vivait dans un tonneau. C'est justement en évoquant ce tonneau qu'il découvre qu'un des tonneaux de la cave camoufle un passage secret. Le journaliste évoque une célèbre phrase attribuée à Diogène de Sinope, « Je cherche un homme » (voulant dire un homme vrai, bon et sage). Mais en guise de tonneau, il vivait plutôt dans un pithos, c'est-à-dire une jarre de grande taille[11].

Contexte

Hergé publie cet album en décembre 1941. La Belgique est occupée par les Allemands et le journal Le Soir volé, repris par un groupe de collaborateurs dont Horace Van Offel et Raymond de Becker, doit se contenter de sujets neutres[3].

Commentaire

  • Cet album est important en ce qu'il introduit la présence du capitaine Haddock aux côtés de Tintin. Si Milou nous montre parfois que l'on a des choix difficiles à faire, la chose devient encore plus réaliste avec ce nouveau personnage hautement humain (en qualités et défauts) qui tranche avec l'absence de scepticisme de Tintin. À travers lui sont traités des sujets sérieux portant sur des troubles de comportement graves (alcoolisme allant jusqu'au délire, colères et injures fréquentes, compulsion à la bagarre) et la volonté de montrer que derrière il y a un être humain capable de grande sensibilité et générosité. C'est un homme mûr dont la personnalité va évoluer alors qu'il va accompagner l'adolescent. L'humour utilisé par Hergé dans la description du personnage va permettre sa totale acceptation. Bien des choses seront dites (et écrites) sur cette figure paternelle[réf. nécessaire].
  • Dans la version couleur, c'est une deuxième apparition du contrebandier Allan Thompson, déjà entrevu dans la version couleur de 1955 de l'album Les cigares du pharaon, où il faisait du trafic d'armes en Mer Rouge. C'est le seul album où il n'est pas sous les ordres de Roberto Rastapopoulos, qui est son employeur dans les autres albums où il apparaît[12].
  • Après L'Île Noire, il est encore question de faux-monnayage, mais de manière plus discrète. Au début de l'histoire, on apprend que le marché est inondé de fausses pièces de franc belge, pouvant à l'époque être échangé plus discrètement que le franc français, plus répandu[2]. Ce trafic de fausse monnaie sera rapidement éclipsé dans l’histoire par celui d'opium, par le biais du cadavre du marin sur lequel furent trouvées cinq fausses pièces.
  • Dans le désert, découvrant le squelette d'un dromadaire, le capitaine s'exclame que cet animal n'est pas présent en Espagne. Ce qui n'est pas tout à fait exact, étant donné que l'on en trouve dans les Îles Canaries, archipel espagnol, où il forme une race à part entière[13].
  • Dans le repaire des trafiquants, les protagonistes sont acculés dans une cave à vin, où le liquide de répand sur le sol. Les vapeurs d'alcool provenant du vin finissent par les soûler, bien qu'ils n'en aient pas bu une seule goutte. En effet, il est plus dangereux de respirer de l'alcool que d'en boire. Inhalé, celui-ci passe directement dans le sang au niveau des poumons, sans passer par l'estomac et l'intestin. Il parvient très vite au cerveau et provoque la réaction que l'on connaît. C'est pour cette raison qu'il est bien plus nocif de faire seulement respirer à un enfant un verre d'alcool que de lui en faire tremper le bout de sa langue. La consommation d'alcool excessive peut conduire entre autres à voir en double, les images des deux yeux ne pouvant plus être simultanément perçues par le cerveau. Ils provoquent aussi des comportements très dangereux, voire à tendance meurtrière, comme l'illustre le capitaine à plusieurs reprises[10].

Aspects graphiques

  • Dans cet album, Hergé a réalisé ce qui était, d'après lui, l'un de ses deux meilleurs dessins[14] (page 38, case A2) [15] car il a réussi à représenter en une seule case ce qui « pourrait être le même bonhomme, à des moments successifs, qui est couché, qui se relève doucement, qui hésite et qui s'enfuit »[16].

Adaptations

Autres versions de l'album

  • Cet album fut réédité en couleurs en janvier 1944. Tout comme pour Tintin en Amérique, Hergé fut contraint d'y modifier certains personnages sous la pression des éditeurs américains lors de la publication dans ce pays. Il en est notamment ainsi aux cases p. 17A2 et p. 53D2. C'est ainsi que les scènes où Haddock boit du rhum furent modifiées de façon qu'on ne puisse plus le voir le goulot à la bouche (p. 19BC et 25A3-4), dans le but de ne pas choquer la conscience des jeunes Américains et toujours dans le cadre du « Code Hays ». Jumbo et le personnage qui inflige la bastonnade au capitaine ont vu leur couleur de peau passer du noir au blanc. Également, lorsque le capitaine poursuit son bourreau, il change de phrase : « Il faut arrêter ce nègre » qui se change en « Il faut arrêter cet homme »[17],[18].
  • La seconde version ne comportait que 58 planches (Hergé avait trop rétréci son histoire de départ), pour arriver à 62. Hergé compléta l'album avec des planches ne comportant qu'un seul dessin, reprenant les hors-textes couleurs inclus dans l'album noir et blanc. Ces hors-textes furent redessinés en 1948 et sont ceux présents dans les albums édités depuis[17].
  • Si le titre original de l'album était bien Le Crabe aux pinces d'or, Hergé avait par la suite changé d'idée pour le nommer Le Crabe rouge, titre pouvant assurer la continuité de la série après Le Lotus bleu et L'Île noire. Mais ce changement de titre survenait trop tard, Casterman ayant déjà débuté l'impression de la couverture avec le titre original[19]

Adaptations

Parodie

  • Le Crabe aux pinces d'or a fait l'objet d'une parodie littéraire : Le Crado pince fort. Néanmoins la Fondation Moulinsart, qui gère les droits financiers et moraux d'Hergé sur son œuvre, a intenté un procès à l'encontre de la maison d'édition ayant publié ce roman, pour plagiat et parasitisme [20]. Le 11 février 2011, la 2e Chambre de la Cour d'Appel de Paris déboute totalement Moulinsart SA, rejetant l'accusation de préjudice commercial. En février 2014, Gordon Zola est totalement relaxé[21].

Notes et références

  1. Comme le démontre Frédéric Soumois (Soumois 1987, p. 161-162)
  2. Patrick Mérand, La géographie et l'histoire dans l’œuvre d'Hergé, Sepia, , 110 p. (ISBN 978-2-84280-254-7 et 2-84280-254-3, lire en ligne), p. 51 à 53
  3. Soumois 2011, p. 91
  4. Mis en musique par Casimir Meister et chanté par l'abbé Joseph Bovet.
  5. Lire en ligne: Le Crabe aux pinces d'or.
  6. Jacques Langlois, Les personnages de Tintin dans l'histoire : Les événements de 1930 à 1944 qui ont inspiré l'œuvre d'Hergé, Paris, Historia, coll. « Hors-série », , 129 p., p. 88 à 96
  7. Léo Pajon, « Tintin: les arts et les civilisations vus par le héros d'Hergé », GEO, , p. 62 à 65
  8. « Tintin.com : Attention, Tanger ! »
  9. « Le Crabe aux pinces d'or sur Tintin.com »
  10. Patrick Mérand, Les arts et les sciences dans l'œuvre d'Hergé, Sépia, , p. 44 à 46
  11. Voir l'article consacré à Diogène pour plus de détails.
  12. Lire en ligne: Les aventures de Tintin.
  13. Voir ce lien en espagnol.
  14. Le second se trouve dans l'album Le Trésor de Rackham le Rouge, page 25, case A1
  15. Voir la vignette sur ce site.
  16. Sadoul 1989, p. 156
  17. Peeters 1984, p. 107-109
  18. Soumois 1987, p. 162-165
  19. orpostal.com, livres et films: Tintin et le crabe aux pinces d’or.
  20. Voir article sur Petite victoire de Moulinsart contre Gondon Zola, NouvelObs (10.07.2009).
  21. Voir article sur , Livreshebdo.fr (03.2014).

Annexes

Lien externe

Bibliographie

  • Hergé et Daniel Couvreur, Du crabe rouge au Crabe aux pinces d'or : Le version inédite du Soir-Jeunesse, Éditions Moulinsart, , 152 p. (ISBN 978-2-87424-315-8).
  • Benoît Peeters, Le monde d'Hergé, Tournai, Casterman, , 2e éd. (1re éd. 1983), 320 p. (ISBN 2-203-23124-6).
  • Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé : Édition définitive, Tournai, Casterman, coll. « Bibliothèque de Moulinsart », , 3e éd. (1re éd. 1975), 256 p. (ISBN 2-203-01708-2).
  • Frédéric Soumois, Dossier Tintin : Sources, Versions, Thèmes, Structures, Bruxelles, Jacques Antoine, , 316 p. (ISBN 2-87191-009-X).
  • Frédéric Soumois, « La littérature à la rescousse », Historia, Paris « Hors-série » « Les personnages de Tintin dans l'histoire : Les événements de 1930 à 1944 qui ont inspiré l'œuvre d'Hergé », , p. 91.
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