Histoire de la Tchécoslovaquie
Lors de la dislocation de l'Autriche-Hongrie dans la phase finale de la Première Guerre mondiale, la Tchécoslovaquie se proclama indépendante fin octobre 1918.
Les Tchèques et les Slovaques n'étaient pas au même niveau de développement économique et technologique et les différences entre les deux cultures jouèrent un certain rôle dans l'apparition de tensions durant les soixante-dix ans de leurs union, qui prit fin en décembre 1992.
Antécédents
La création de la Tchécoslovaquie en 1918 fut l'aboutissement d'un long processus d'émancipation commencé avec la renaissance culturelle des Tchèques, des Slovaques (initiée par Ľudovít Štúr) et des Ruthènes de l'empire multi-national dirigé par la famille des Habsbourg, processus initialement appelé « austroslavisme ». Depuis le VIe siècle, les Tchèques vivaient principalement en Bohême et en Moravie, mais des colons allemands appelés « Sudètes » s'étaient installés en périphérie de la Bohême depuis le XIIIe siècle. Après 1526, la Bohême tomba sous le contrôle de la maison des Habsbourg alors élus rois de Bohême avant de devenir les dirigeants héréditaires du pays. Après la bataille de la Montagne-Blanche en 1620, le Royaume de Bohême fut progressivement intégré à la monarchie Habsbourgeoise comme l'une des trois composantes principales aux côtés de l'archiduché d'Autriche et du royaume de Hongrie dont faisaient partie la Slovaquie et la Ruthénie. Alors que la Bohême et la Moravie subissaient un processus de germanisation, le tchèque n'étant plus parlé que par les classes populaires, les Slovaques et les Ruthènes furent l'objet d'un processus parallèle de magyarisation : leurs territoires étaient alors sous domination de la noblesse autrichienne et de la noblesse hongroise, qui possédaient plus de 80% des terres[1].
Au XIXe siècle, les sujets de l'empire austro-hongrois souhaitèrent s'émanciper de la vieille aristocratie et de la famille impériale. Bien que les langues tchèque et slovaque sont très semblables, la situation sociale et politique des deux peuples était assez différente à la fin du XIXe siècle. La raison était l'attitude différente et la position de leurs dirigeants dans l'empire : les Autrichiens en Bohême et Moravie et les Hongrois en Slovaquie. La Bohême était la partie la plus industrialisée de l'Autriche et la Slovaquie était la partie la plus industrialisée de la Hongrie, cependant à différents niveau de développement[2]. De plus, les Hongrois étaient plus déterminés à assimiler les Slovaques que les Autrichiens ne souhaitaient assimiler les Tchèques. Pendant un temps, la frustration de ces derniers fut apaisée par l'introduction de représentations ethniques locales et des droits linguistiques en Bohême et en Moravie autrichiennes[3]. Mais en Slovaquie et en Ruthénie hongroises, la minorité hongroise était sur-représentée au Parlement de Budapest[4] où, sur 453 députés, 372 étaient magyars[5] [6][7].
Vers le début du XXe siècle, l'idée d'une entité « Tchéco-Slovaque » commença à être défendue par les dirigeants tchèques et slovaques après que les contacts entre les intellectuels des deux peuples se soient intensifiés dans les années 1890. En dépit des différences culturelles, les Slovaques partageaient des aspirations similaires avec les Tchèques et avec les autres Slaves de l'Empire, dont les Ruthènes[8],[9]. Le refus constant des aristocrates austro-hongrois de toute forme d'autonomie des populations slaves, causa finalement la dislocation de l'empire des Habsbourg[2].
C'est en 1917, durant la Première Guerre mondiale, que Tomáš Masaryk créa le Conseil national tchécoslovaque avec Edvard Beneš et Milan Štefánik. Auprès des Alliés, Masaryk aux États-Unis, Štefánik en France, Beneš en France et au Royaume-Uni œuvrèrent pour faire reconnaître le projet tchécoslovaque en s'appuyant sur le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » et sur le dixième des « Quatorze points » du président américain Woodrow Wilson. Pour cela appuyer cette démarche, plus de 90 000 volontaires tchèques et slovaques formèrent les Légions tchécoslovaques qui combattirent contre les Austro-Allemands en Russie, en France et en Italie. Après l'échec des négociations entre l'empereur austro-hongrois Charles Ier et les Alliés, ceux-ci reconnurent durant l'été 1918 le Conseil national tchécoslovaque comme représentant légitime de la future Tchécoslovaquie. Par ailleurs environ 1,4 million de soldats tchèques, slovaques et ruthènes furent mobilisés dans l'armée austro-hongroise durant la Première Guerre mondiale, dont 150 000 sont morts.
Première République (1918-1938)
L'indépendance de la Tchécoslovaquie fut officiellement proclamée à Prague le dans le « Hall Smetana » de la mairie, lieu éminemment symbolique. Les Slovaques ont officiellement rejoint le nouvel État deux jours plus tard dans la ville de Martin. Une constitution temporaire fut adoptée et Tomáš Masaryk fut déclaré président le . La constitution établissait la « nation tchécoslovaque » comme fondatrice et élément principal de l'État : les deux langues étaient officielles. Le traité de Saint-Germain-en-Laye, signé en , reconnut formellement la nouvelle République. Du côté ruthène, Grigor Zatkovitch forma d'abord une République indépendante[10], avant de se rallier au projet tchécoslovaque pour éviter de revenir sous domination hongroise[11].
Lors de la guerre civile russe, les légions tchécoslovaques furent mobilisées par les forces des Russes blancs face aux Bolcheviks. Elles contrôlèrent un temps le Transsibérien et assurèrent l'évacuation des forces antibolchéviques vers Vladivostok. Tout cela contribua à assurer le soutien des Alliés à la République tchécoslovaque, dont les forces furent également mises à contribution contre la Hongrie bolchévique de Béla Kun et contre ses alliés slovaques ; le ralliement de la Ruthénie de Grigor Zatkovitch fut reconnu au traité de Trianon, en [12].
La première république tchécoslovaque dut faire face à des problèmes liés à sa diversité ethnique et aux histoires distinctes des peuples tchèque, slovaque et ruthène, sans même compter les minorités allemande et hongroise, mécontentes de leur nouvelle situation. Les Allemands et Magyars de Tchécoslovaquie aspiraient ouvertement à rejoindre respectivement l'Allemagne et la Hongrie. Il y eut par ailleurs plusieurs petits litiges frontaliers entre la Pologne et la Tchécoslovaquie, notamment concernant Těšín/Cieszyn et deux districts de 580 km2 des anciens comitats de Szepes/Spisz et d'Árva/Orava : ces litiges furent réglés par le partage de juillet 1920.
Concentrés dans la région frontalière de la Bohême et de la Moravie, appelée Sudetenland en allemand, les Allemands des Sudètes constituaient la principale menace contre l'État tchécoslovaque, avec un effectif de 3 à 3,5 millions de personnes sur les 14 millions de la population tchécoslovaque de l'entre-deux guerres. À partir de 1933, les leaders de cette minorité, sympathisant avec l'Allemagne nazie, réclamèrent leur rattachement au Troisième Reich.
Néanmoins la première République parvînt à sauvegarder son régime parlementaire démocratique pendant l'entre-deux guerres, et promulgua des réformes progressistes dans le domaine du logement, de la sécurité sociale et des droits des travailleurs. Elle abolit aussi tous les indicateurs de noblesse (titres et noms de terres), nationalisant 90% des immenses domaines des aristocrates autrichiens et hongrois, et distribuant les terres aux paysans locaux[13]. En 1929, le PIB avait augmenté de 52 % et la production industrielle de 41 % par rapport à 1913. En 1938, la Tchécoslovaquie occupait la dixième place dans la production industrielle mondiale.
Deuxième République (1938-1939)
Après l'annexion de l'Autriche en 1938, le révisionnisme allemand et hongrois, le nationalisme slovaque, les politiques d'« apaisement » des puissances occidentales vis-à-vis d'Adolf Hitler et le refus polonais et roumain de laisser passer l'armée soviétique pour secourir Prague, concoururent à la dislocation de la Tchécoslovaquie. La deuxième République tchécoslovaque, privée d'alliés, diminuée des Sudètes au profit de l'Allemagne nazie et de son bassin danubien au profit de la Hongrie, ne dura que cinq mois et demi et prit fin le : après le premier arbitrage de Vienne, ce qui restait la partie tchèque, envahie par la Wehrmacht, devint un protectorat allemand le , la Slovaquie devînt un État-satellite du Reich, et la Ruthénie fut annexée par la Hongrie.
Seconde Guerre mondiale
Edvard Beneš fonde en exil le Gouvernement provisoire tchécoslovaque, auquel demeurent fidèles des troupes tchécoslovaques (notamment de l'Armée de l'Air) qui participent à la Seconde Guerre mondiale aux côtés des Alliés. En 1945, Edvard Beneš revient sur le sol de la Tchécoslovaquie libérée et décrète la formation d'un gouvernement de coalition : c'est la Troisième république tchécoslovaque.
Troisième République (1945-1948) et prise de pouvoir des communistes (1948)
Le , Edvard Beneš revient sur le sol de la Tchécoslovaquie libérée et décrète la formation d'un gouvernement de coalition : c'est la Troisième république tchécoslovaque, qui tente durant trois ans de sauvegarder son indépendance. Mais le sort du pays est déjà scellé depuis les conférences interalliées de Moscou (octobre 1944) et de Yalta (février 1945) et rien n'empêche de Parti communiste tchécoslovaque de s'assurer l'exclusivité du pouvoir. En outre le pays doit céder la Ruthénie à l'URSS qui l'intègre à sa république socialiste soviétique d'Ukraine. En revanche, à l'Ouest, les allemands des Sudètes, accusés d'avoir collaboré avec les nazis, sont définitivement expulsés du pays par les décrets Beneš.
Certains historiens, tchèques en particulier, considèrent comme illégitimes et frappés de nullité les gouvernements de facto suivant la démission d'Edvard Beneš : pour eux, la continuité de la première République tchécoslovaque se prolonge de jure jusqu'au « coup de Prague » du par lequel le Parti communiste tchécoslovaque et son chef Klement Gottwald, premier ministre depuis 1946, s'emparent du pouvoir.
République socialiste tchécoslovaque (1948-1989)
La Tchécoslovaquie devient en 1948 un pays satellite de l'URSS, membre du pacte de Varsovie et du COMECON, qui réprime fermement toute tentative de réforme comme le « socialisme à visage humain » proposé par Alexander Dubček ou de démocratisation comme le « printemps de Prague ». Le nom officiel de « République socialiste tchécoslovaque » n'est adopté que tardivement, le , avec la nouvelle constitution qui met officiellement fin à la Troisième République tchécoslovaque[14].
Selon les statistiques officielles du Parti communiste tchécoslovaque, dans les années 1950, la Tchécoslovaquie aurait connu une croissance économique de 7 % en moyenne par an qui aurait substantiellement augmenté les salaires et le niveau de vie, favorisant la stabilité du régime[15]. Mais dans la réalité concrète de cet état communiste, la pénurie de denrées et l'absence des libertés civiles accroit nettement les mécontentements dans les années 1960, y compris à l'intérieur du Parti communiste, ce qui aboutira à la démission du président Antonín Novotný[15]. Le Printemps de Prague, en 1968, qui vise à instaurer un « socialisme à visage humain » se solde par l'invasion des troupes du Pacte de Varsovie et se poursuit par une période de durcissement politique et idéologique, la « Normalisation »[16].
Face aux revendications autonomistes des Slovaques, la République socialiste tchécoslovaque devient officiellement, à partir du , une république fédérale, composée de la République socialiste tchèque et de la République socialiste slovaque[17]. Dans les faits, le régime ne change pas et le pouvoir, dévolu dans les textes aux parlements tchèque, slovaque et fédéral, reste aux mains du Parti communiste lequel est subordonné à Moscou.
Quatrième République (1989-1990), fédéralisation et dissolution
L'ouverture du rideau de fer oblige le parti communiste tchécoslovaque à desserrer son étreinte et finalement à abandonner le pouvoir (« révolution de velours ») le . Le un nouveau gouvernement est formé : c'est la quatrième République tchécoslovaque qui, quatre mois après, prend le nom de « République fédérale tchèque et slovaque » (1990-1992), dissoute d'un commun accord au bout de deux ans et huit mois, le .
Sources
Références
- Viator 1908
- Sword 1990, p. 53
- Bled 1988, p. 28.
- Max Schiavon, L'Autriche-Hongrie la Première Guerre mondiale : la fin d'un empire, Soteca 14-18 Éditions, coll. « Les Nations dans la Grande Guerre », Paris 2011, (ISBN 978-2-9163-8559-4), P. 139
- Clark 2013, p. 82.
- Renouvin 1934, p. 96.
- Jean Bérenger, L'Autriche-Hongrie : 1815-1918, Armand Colin 1998, (ISBN 978-2200217433 et 2200217439).
- Hamberger 2004, p. 165-191
- Lukes 2000, p. 33-43
- Proclamée le par le président Grigor Zatkovitch, la République houtsoule fut dirigée par le général Stepan Klotchourak, bientôt élu Premier ministre. Ce dernier parvient à organiser une petite armée de 1 000 soldats (Stepan Klochurak, (uk) Do Voli (« Mémoires »), The Carpathian Alliance publ., New York 1978, OCLC 17608529).
- (uk) Le mouvement de libération nationale en Transcarpathie en 1918-1919, Ukrayinska Pravda du 21 novembre 2018.
- Molnár, p. 337.
- Alexis Lassagne, « La blessure du Traité de Trianon », La Nouvelle Revue d'histoire, no 87 de novembre-décembre 2016, p. 47.
- « Les démocraties populaires d’Europe de l’Est », sur maj.cndp.fr (consulté le )
- Chris Harman, Une histoire populaire de l'humanité, La Découverte, 2015, page 625
- André Larané, « 21 août 1968 Invasion de la Tchécoslovaquie », sur www.herodote.net (consulté le )
- Pauline Joris, Camille Brabenec, « L'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie - 20-21 août 1968 », sur www.nouvelle-europe.eu, (consulté le )
Bibliographie
- Scotus Viator, Racial Problems in Hungary, Londres,
- (en) Keith Sword, The Times Guide to Eastern Europe Times Book, , 270 p. (ISBN 0-7230-0348-3)
- Judit Hamberger, « The Debate over Slovak Historiography with Respect to Czechoslovakia (1990s) », Studia Historica Slovenica,
- Igor Lukes, « Strangers in One House: Czechs and Slovaks (1918–1992) », Canadian Review Of Studies In Nationalism,
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