Histoire de l'avortement

L’histoire de l'avortement remonte selon l'anthropologie à l'Antiquité. Pratiqué dans toutes les sociétés, les techniques (herbes abortives, utilisation d'objets tranchants, curetage, application d'une forte pression abdominale) et les conditions dans lesquelles l'avortement a été réalisé ont changé dans les pays où est reconnu le droit à l'avortement mais il demeure un fait de société.

Une pratique de toutes les époques mais qui a pu être interdite et clandestine

Les recherches scientifiques en histoire ont montré que l'avortement a toujours été utilisé par les femmes, avec différentes méthodes — dont l'efficacité n'était pas toujours avérée — transmises de façon intergénérationnelle[1].

En Mésopotamie antique, le Code de Hammurabi daté d'environ 1750 av. J.-C. interdit l'avortement[2]. En Égypte antique, le papyrus Ebers contient des prescriptions pour faire avorter les femmes[3]. Ainsi, dès l'Antiquité, des politiques ont tenté de contrôler la fécondité. L'avortement est poursuivi très strictement chez les Hébreux[4].

Dans la Grèce classique et la Rome antique, l'avortement est une pratique réprouvée (car elle prive le père de son droit de disposer de sa progéniture comme il l'entend) mais non interdite par un texte législatif[5]. Ce n'est qu'avec l'expansion du christianisme et le besoin de gérer l'équilibre démographique que les empereurs romains Septime Sévère et Caracalla punissent dans des rescrits l'avortement au IIIe siècle[6]. À cette époque, une plante (le silphium) servait principalement comme abortif et contraceptif[7].

La très grande majorité des Églises chrétiennes condamnent fermement l'avortement mais, au Moyen Âge, la sanction est différente selon que l'avortement est pratiqué avant ou après l'animation du fœtus[8]. Au XIIIe siècle, les théologiens chrétiens optent pour une animation différenciée entre garçons et filles : ils fixent l'apparition d'une âme chez les fœtus à 40 jours pour les garçons et à 80 jours pour les filles[4]. La Constitutio Criminalis Carolina, édictée par Charles Quint en 1532, fixe au milieu de la grossesse le moment de l'animation du fœtus, c'est-à-dire dès que la mère perçoit ses mouvements. Néanmoins, le pape Sixte Quint condamne de façon formelle l'avortement, quel qu'en soit le terme[9]. Des femmes, au péril de leur vie en raison des techniques utilisées et du manque d'hygiène, s'avortent alors elles-mêmes, font appel à leur entourage ou recourent à un tiers[10].

Anna Maria Sibylla Merian (1647-1717), au retour de son voyage au Suriname, rapporte, concernant Caesalpinia pulcherrima, que « les esclaves indiennes et africaines utilisent les graines de cette plante pour avorter, afin que leurs enfants ne naissent pas esclaves, comme elles » (1705).

Dès la fin du XVIIIe siècle en France et au XIXe siècle dans les autres pays d'Europe occidentale, les femmes mariées y recourent de plus en plus souvent afin de limiter la taille de leur famille[11]. Elles font appel à des femmes sans qualification, surnommées « faiseuses d'anges », parmi lesquelles les « tricoteuses », célèbres pour leurs aiguilles à tricoter, qu'elles utilisent pour percer la poche des eaux ou ouvrir le col de l'utérus et entraîner une fausse-couche[12]. L'avortement dans ce contexte se pratique toujours dans la clandestinité, notamment par l'intervention appelée « dilatation et curetage »[13]. La médecine du XIXe siècle voit des progrès dans les domaines de la chirurgie, de l'anesthésie et de l'hygiène. À la même époque, des médecins associés à l'Association médicale américaine font pression pour l'interdiction de l'avortement aux États-Unis alors que les interruptions de grossesse sont de plus en plus punies, comme en attestent en France l'article 317 du code pénal de 1810 qui punit de la réclusion d'un an à cinq ans aussi bien la femme qui avorte que le tiers avorteur[8], ou les articles 58 et 59 du Offences against the Person Act 1861 (en) adoptés par le Parlement du Royaume-Uni qui criminalise l'avortement[14]. Dans les années 1970, des féministes américaines développent la méthode de Karman qui permet d'avorter de manière sécuritaire[15]. En Angleterre et aux États-Unis, cet avortement par aspiration se pratique en consultation externe, c'est ce que l'on appelle le « lunch-time abortion » (avortement pratiqué à l'heure du déjeuner)[16]. L'avortement devient plus sûr, ne nécessite aucun cadre hospitalier et peut même être réalisé par des non-médecins[17].

De nos jours, les méthodes pour avorter sont classées en deux groupes : les méthodes traditionnelles et les méthodes médicales[1]. Les premières, d'efficacité variable, sont surtout utilisées dans les pays où l'avortement est illégal et où il n'est donc pas possible d'accéder à l'avortement médicalisé, ou lorsque d'autres obstacles interviennent : âge, situation familiale, ressources économiques[1]. Elles se basent sur des savoirs populaires et des croyances et peuvent mener à des effets secondaires graves et/ou des complications dangereuses pour la femme qui les utilise[1].

Les méthodes médicalisées actuelles en matière d'avortement sont médicamenteuses ou chirurgicales[1]. Quel que soit le statut légal de l'avortement, elles sont utilisées, mais avec des possibilités d'accès et de sécurité très différentes selon les contextes et la légalité ou non de l'avortement[1].

Légalisation de l'avortement

Droit de l'avortement

En Europe

Au début du XXe siècle, de nombreux pays commencent à légaliser l'avortement lorsqu'il est effectué pour protéger la vie de la femme et, dans certains cas, pour protéger sa santé.

En France

Le 5 avril 1971, le journal Le Nouvel Observateur publie une pétition portant 343 signatures de femmes déclarant avoir recouru à l'avortement. Parmi elles se trouvent de nombreuses personnalités telles que Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Françoise Sagan, Delphine Seyrig. Elles s'exposent ainsi à des poursuites judiciaires[18].

La Loi Veil du 17 janvier 1975 dépénalise l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

En Belgique

Le 29 mars 1990, la dépénalisation de l'avortement est approuvée à 126 voix contre 69 et 12 abstentions à la Chambre des députés. Le roi Baudouin abdique pour une durée de 36 heures en invoquant l'article 82 de la Constitution de « l'impossibilité de régner ». Catholique, le roi affirma que sa conscience ne lui permettait pas de signer le texte sur l'IVG, tout en acceptant que cette loi était nécessaire à son pays[18].

En Russie

En URSS, Lénine lève l'interdiction et la pénalisation de l'avortement en 1920, devenant le premier pays à avoir légalisé l'avortement. Staline l'interdit à nouveau en 1936 mais il est rétabli dans l'urgence en 1955 pour lutter contre la mortalité natale entraînée par les avortements clandestins[19].

Autres pays

Dans les années 1930, plusieurs pays (Pologne, Turquie, Danemark, Suède, Islande, Mexique), légalisent l'avortement dans certains cas particuliers (viol, menace pour la santé de la mère, risque de malformation du fœtus)[20].

Aux États-Unis

L'avortement est autorisé aux États-Unis, dans tous les États, sous certaines conditions. Mais depuis le 15 mai 2019, l'Alabama interdit la totalité des IVG.

Amérique latine

L'avortement est interdit dans tous les pays d'Amérique latine, à exception de Cuba (depuis les années 1960), en Uruguay (depuis 2012) et en Argentine (depuis 2020). Certains états du Mexique l'autorisent également : c'est le cas de Mexico DF, Oaxaca, Hidalgo et Veracruz. De nombreux pays, comme le Chili, l'autorisent dans des circonstances exceptionnelles : viol, malformation du fœtus ou danger pour la santé de la femme[21].

En Tunisie

L'avortement en Tunisie est légal depuis 1973 et pratiqué gratuitement, à la demande de la femme, jusqu'à trois mois de grossesse.

Notes et références

  1. Agnès Guillaume (IRD, Centre population et développement (Cepd), France) et Clémentine Rossier (Université de Genève, Suisse ; Institut national d'études démographiques, France), « L'avortement dans le monde. État des lieux des législations, mesures, tendances et conséquences », Populations, , p. 227-233 (DOI 10.3917/popu.1802.0225, lire en ligne)
  2. Arlette Gautier, Genre et biopolitiques : l'enjeu de la liberté, Éditions L'Harmattan, , p. 12
  3. Véronique Dasen, L'embryon humain à travers l'histoire, Infolio,
  4. Marie France Callu, Le nouveau droit de la femme: essai sur la condition juridique de la femme, Éditions L'Hermès, , p. 170.
  5. (en) Johannes M. Röskamp, Christian Perspectives On Abortion-Legislation In Past, GRIN Verlag, (lire en ligne), p. 3
  6. Jean Gaudémet, Le mariage en Occident : les mœurs et le droit, Les Éditions du Cerf, , p. 161
  7. Pline l'Ancien, L'Histoire naturelle, Livre XXII, chapitre 49
  8. Xavier Labbée, Condition juridique du corps humain avant la naissance et après la mort, Presses Univ. Septentrion, , p. 139
  9. Jean Dalsace, Anne Marie Dourlen-Rollier, L'Avortement, Castermann, , p. 63.
  10. Jean-Pierre Leguay, Un réseau urbain au Moyen âge, Maloine, , p. 286
  11. Chantal Blayo, Morbidité, mortalité : problèmes de mesure, facteurs d'évolution, essai de prospective, INED, , p. 324
  12. De nombreux instruments sont utilisés : aiguille à tricoter, baleine de parapluie ou de corset, tringle à rideau, épingle à cheveux qui provoquent une perforation utérine, voire intestinale et une speticémie. Petit tuyau de garagiste, stylo bille de secrétaire qui, en introduisant de l'air, causent souvent une embolie gazeuse. L'injection intra-utérine d'eau de savon, adjuvant réputé abortif, favorise les infections. Cf. Xavière Gauthier, Paroles d'avortés : quand l'avortement était clandestin, Martinière, , p. 20-22.
  13. (en) Maureen Paul, A clinician's guide to medical and surgical abortion, Churchill Livingstone, , p. 3
  14. (en) John Keown, Abortion, Doctors and the Law, Cambridge University Press, , p. 33
  15. Comité pour la liberté de l'avortement et de la contraception, Libérons l'avortement, F. Maspero, , p. 27.
  16. Comité pour la liberté de l'avortement et de la contraception, Libérons l'avortement, F. Maspero, , p. 16.
  17. Béatrice Kammerer, « La méthode Karman, une histoire oubliée de l'avortement illégal en France », sur slate.fr, .
  18. « Histoire de l'avortement - L'Internaute - Histoire », sur www.linternaute.com (consulté le )
  19. (en) Corinne J. Naden, Abortion, Marshall Cavendish, , p. 15
  20. (en) Marianne Githens, Dorothy M. Stetson, Abortion Politics : Public Policy in Cross-cultural Perspective, Routledge, , 234 p.
  21. Angeline Montoya, Le débat sur la légalisation de l'IVG s'ouvre en Argentine dans Le Monde du 9 mars 2018 p. 3

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Yves Le Naour, Catherine Valenti, Histoire de l'avortement : XIXe-XXe siècle, Éd. du Seuil, , 387 p.
  • Henry Berger, L'Avortement : histoire d'un débat, Flammarion, , 292 p.
  • Michaelle Méria, Victoire, l'enfant de nulle part : I.V.G., seize années d'entretiens préalables. Éditions Hécate, 1996, 199 p.

Articles connexes

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