Frères Séeberger

Les frères Séeberger sont une lignée de cinq photographes français dont l'activité s'étend sur une grande partie du XXe siècle.

Cette lignée est composée de deux générations successives : les frères Jules (1872-1932), Louis (1874-1946) et Henri (1876-1956) Séeberger. Ils constituent ainsi, à eux trois, la "première génération Séeberger".

Les frères Jean (1910-1979) et Albert (1914-1999) Séeberger, fils de Louis et seuls descendants de la famille, forment à eux deux la « seconde génération ».

Jules, Louis et Henri Séeberger, la première génération

Henri, Louis et Jules Séeberger, vers 1900 © Séeberger frères / Centre des monuments nationaux
Jules Séeberger, Le porteur d'eau de Montmartre, Paris, 1898

Nés d'un père bavarois installé en France en 1870 et d'une mère lyonnaise, Jules (1872-1932), Louis (1874-1946) et Henri (1876-1956) Séeberger suivent tous les trois à Paris des études secondaires au Lycée Rollin, puis les cours de dessin de l'école d'art municipale Bernard Palissy, avant de travailler comme dessinateurs sur étoffes.

Séeberger frères, Portrait de jeune fille, c. 1909, technique mixte dit "à l'encre grasse" © Séeberger frères / Centre des monuments nationaux

En 1891, Jules s’essaie déjà à la photographie et réalise en 1898 sa première image connue (« Le porteur d'eau de Montmartre »). Puis il participe à différents concours amateurs, pour lesquels il est rejoint par Henri puis Louis. Parallèlement, Jules poursuit de son côté ses recherches sur les encres à l'huile obtenues grâce aux procédés Rawlins, domaine dans lequel il passe maître et qu'il expose (entre autres, au Salon du Photo-Club de Paris en 1908 et 1909). Primées plusieurs fois au concours annuel de la Ville de Paris, les images des trois frères, signées de leurs initiales (J.H.L.S.), sont exposées puis publiées dans diverses revues et intéressent des éditeurs de cartes postales, les frères Kunzli et Léopold Verger[1].

De la ville de Paris qui fut leur premier sujet (les jardins de Montmartre, la Bièvre, les hôtels particuliers du Marais), ils étendent alors leurs travaux à l'ensemble de la France, villes et campagnes. Épaulés par leur mère (Louise), leur sœur aînée (Félicie) et l'épouse de Louis (Anna), les trois frères Séeberger s'attachent à photographier leur pays et leurs contemporains tant au travail que dans leurs loisirs. La famille est modeste et unie autour de la photographie : l'entreprise familiale est fondée en 1909 sous le nom de Séeberger frères et installe son atelier 33 rue de Chabrol (Paris 10e).

Séeberger frères, Élégants aux courses, entre 1909 et 1939

Les Séeberger se lancent pour la première fois dans la photographie de mode à partir de 1909, date à laquelle ils répondent à une commande de Madame Broutelle pour La Mode pratique. Dès lors, les plus belles créations de la haute couture française (Chanel, Paul Poiret, Jeanne Lanvin, Elsa Schiaparelli, Jean Patou, Robert Piguet, Madeleine Vionnet, Lucien Lelong, Paquin...) sont photographiées par les Séeberger, qui découvrent au fur et à mesure de leur production, et avec un regard avisé et généreux, cette micro-société du luxe et de l'élégance.

Parallèlement à cette activité qui fait leur renommée, ils poursuivent la production de reportages en tous genres, ensemble ou séparément. En 1914 et durant toute la guerre, l'activité ne s'interrompt pas et est poursuivie par Jules seul, Henri et Louis étant mobilisés. Ils sont contactés par la suite en 1923 par l'International Kinema Research, qui leur commandera jusqu'en 1931 des photographies documentaires sur Paris pour les décorateurs américains qui cherchent à recréer en studio le cadre de la vie parisienne.

À partir de 1925, Jules se retire progressivement de l'atelier pour se consacrer à la peinture. Louis et Henri continuent à fournir à la presse des photographies de mode et d’événements mondains jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ils parcourent les hippodromes des grands prix de Paris, les villégiatures à la mode (Deauville, Biarritz, Cannes, Saint-Moritz) et les grandes chasses de la haute société. Ils sont rejoints en 1927 et en 1930 par les deux fils de Louis et Anna, Jean et Albert, qu'ils forment dans le but d'assurer la relève de l'entreprise. Suite à la déclaration de guerre, l'atelier ferme provisoirement en 1939. Louis et Henri se retirent alors de l’entreprise et la transmettent à Jean et Albert.

Séeberger frères, Deauville, modèle Hermès, août 1939

Jean et Albert Séeberger, la seconde génération

Portait d'Albert et Jean Séeberger

À la fin des années 1930, l'entreprise étant familiale, Jean (1910-1979) et Albert (1914-1999) Séeberger intègrent naturellement l'atelier en tant qu'apprentis. Parallèlement, leur formation auprès de leurs aînés est complétée par des cours théoriques dispensés par le Conservatoire national des Arts et Métiers de Paris.

Portrait d'Albert et Jean Séeberger

Le décès de Jules en 1932 leur confère de plus amples responsabilités dans l'atelier : ils deviennent autonomes aux alentours de 1935, Louis et Henri leur confient alors de plus en plus de reportages (notamment pour la revue Adam, dirigée par Edmond Dubois) tout en continuant à leur transmettre le savoir-faire qui caractérise l'entreprise. La déclaration de guerre marque le retrait définitif de Louis, puis de Henri, de l'activité familiale, et la mobilisation de Jean et Albert.

Démobilisés en 1940, Jean et Albert reprennent l'atelier familial ensemble et en conservent le nom de « Séeberger frères ». Ils le feront vivre jusqu'à sa fermeture en 1977, assistés de l'épouse de Jean, Suzanne (au secrétariat), puis successivement de l'épouse d'Albert, Cécile (à la retouche), du fils de Jean, Daniel (assistant), ainsi que de collaborateurs divers.

À partir de 1941, dans un contexte historique difficile, les deux frères tentent de maintenir une activité économique constante grâce aux commandes venues du monde du spectacle (Opéra de Paris, Opéra Comique, Théâtre de Chaillot) et de la presse (reportages divers sur la vie des Français sous l'Occupation et portraits d'artistes). De plus, ils retournent sur les champs de course pour photographier les élégantes, dont les modes révèlent les restrictions de l'époque : ils réintègrent ainsi le monde de la mode, qu'ils côtoyaient déjà auprès de la première génération.

En 1944, Jean photographie les journées d’août et la Libération de Paris, tandis qu'Albert immortalise l'arrivée des Américains en Seine-et-Marne. C'est la seule fois de leur carrière où les frères travaillent séparément et signent leurs images de leurs noms respectifs.

À l'issue du conflit, le regain de créativité du monde de la mode relance l'atelier des frères Séeberger : dès lors, ils font de la photographie de mode leur spécialité et leur activité principale et installent un studio de prise de vue en intérieur et en lumière artificielle adapté à leur pratique. L'atelier quitte alors la rue de Chabrol et s'installe au 112 boulevard Malesherbes (Paris 17e).

Séeberger frères, Chapeau Jean Barthet, 1964
Séeberger frères, Orly, 1961-62

Ils travaillent pour diverses revues (Noir et Blanc, Femme Chic, L'Officiel de la couture et de la mode, Adam, la revue de l'homme, La Donna, Le jardin des modes, Harper's Bazaar) pour lesquelles ils documentent la totalité du spectre des modes (vêtements, accessoires, bijoux, coiffure, maquillage, parfumerie), de la haute couture au prêt-à-porter. Leurs photographies révèlent fidèlement l'esthétique et l'art de vivre des Trente Glorieuses. Ne recherchant pas l'avant-garde, ils sont avant tout des artisans de la belle photographie de mode à la française, au service des créateurs. C'est grâce à cette conception et philosophie de leur métier qu'ils ont tous deux intégrés le Groupe des XV, aux côtés notamment de Philippe Pottier, Pierre Jahan, René-Jacques, Lucien Lorelle.

L’œil curieux, ils photographient la France en pleine reconstruction et font de ces lieux nouveaux (aérogares, grands ensembles, autoroutes, Parc des Princes, etc.) des décors de prise de vue d'abord en extérieur, puis en intérieur par le biais du procédé Transflex.

En complément de cette spécialité, forts de la solide réputation de la qualité de leur travail, ils entretiennent leurs relations professionnelles; le milieu de la chasse leur permet d'étendre leurs activités aux domaines de l'industrie et de la publicité. En effet, l'avènement d'une nouvelle esthétique dans le domaine de la photographie de mode au cours des années 1970 amoindrit les commandes qu'ils reçoivent des revues. Les deux frères développent davantage leur pratique de la photographie publicitaire et industrielle (Thermor, Prestinox, Canon, Télémécanique, Rodier, Coca-Cola, fonderies de Commercy, catalogues de vente divers).

Lors des déplacements hors Paris, Jean assure les reportages à l'extérieur tandis qu'Albert, resté à Paris, veille à la bonne marche des travaux de laboratoire (cadrage, retouche, tirage, finition et livraison) et réalise certaines prises de vue en studio. Parfait technicien doublé d'un pédagogue, Albert devient professeur d'optique à l'École de photographie de Vaugirard au début des années 1960, où il marque ses élèves par la « passion absolue de son métier, qu'il savait communiquer avec le sens de la vie et de la droiture »[2].

En 1977, sans repreneur, le studio Séeberger ferme. Jean décède en 1979, tandis qu'Albert est sollicité par la Bibliothèque historique de la ville de Paris pour réaliser les tirages des plaques de verre négatives de Charles Marville. En 1999, Albert décède à son tour. Les deux frères sont morts l'un comme l'autre ayant perdu la vue.

Durant les cinquante années qu'a duré leur collaboration, Jean et Albert ont été absolument indéfectibles et complémentaires, partageant le même regard, les mêmes valeurs, la même esthétique. Ayant tous deux reconnaissance et admiration pour leurs aînés, ils éprouvent également l'un pour l'autre un respect complice. Après le décès de son frère, Albert écrit ainsi : « Je ne dirai jamais assez combien j'ai d'admiration pour celui avec qui j'ai travaillé pendant près d'un demi-siècle »[3].

Séeberger frères, fourrures et bijoux, Van Cleef & Arpels (?), c. 1956

Principales expositions

Bibliographie

  • Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, Les parisiens au fil des jours (1900-1960). Séeberger frères, Paris, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, 1980
  • Cat. d'exp., Les Séeberger. Photographes de l'élégance. 1909-1939, sous la direction de Sylvie Aubenas et Xavier Demange, Paris, Bibliothèque nationale de France, du 27 juin au 3 septembre 2006, Seuil/Bibliothèque nationale de France, 2006
  • Cat. exp., Collections années 50. Photographies Séeberger frères et Georges Dambier, Ribérac, Collégiale Notre-Dame, du 5 juillet au 2 septembre 2007
  • SÉEBERGER Frères. L’élégance des regards, catalogue de vente de la maison Millon, 8 novembre 2016
  • Virginie Chardin, Séeberger frères, Actes Sud, collection Photo Poche, 2006
  • Lucien Curzi, « Écrire avec la lumière », Saisons, no 12, automne 1997, pp. 32–36
  • Celestine Dars, A fashion parade. The Seeberger collection, Londres, Blond & Briggs, 1979
  • Eddy Dubois, Images de chasses, Grenoble, Arthaud, 1972
  • Jean-Claude Gautrand, Les Séeberger, l'aventure de trois frères photographes au début du siècle, Paris, La Manufacture, Collection « Les poches du patrimoine photographique », 1992
  • Thomas Michael Gunther, Isabelle-Cécile Le Mée, Hervé Degand, Catherine Tambrum, Regards sur la Libération de Paris. Photographies, août 1944. Marcel-Arthaud, André Bienvenu, Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Robert Cohen, Robert Doisneau, André Gandner, Pierre Jahan,gaston Paris, Robert Parry, Jean Roubier, Pierre Roughol, Serge de Sazo, Séeberger frères, René Zuber, Paris, Monum éditions du patrimoine, 2004
  • Maureen Huault, La seconde génération Séeberger : Jean et Albert (1940-1977), mémoire d'étude de l'École du Louvre présenté sous la direction de Mme Dominique de Font-Réaulx, Paris, 2014
  • Maureen Huault, Chroniques de la fugacité. Jean et Albert Séeberger deux photographes de mode au cours des 'Trente Glorieuses' (1940-1977), mémoire de recherche en histoire de l'art appliqué aux collections de l'École du Louvre, sous la direction de Mme Dominique de Font-Réaulx et M. Michel Poivert, Paris, 2015
  • Maureen Huault, « La valorisation du fonds photographique des frères Séeberger (1906- 1977) au Centre des monuments historiques », Monumental, Revue scientifique et technique des monuments historiques, no 1, premier semestre 2015, pp. 112–113
  • Maureen Huault, « Les hommes passent, les images restent : la donation Séeberger au Centre des monuments nationaux », L’œil de la photographie, 24 mai 2017
  • Hubert Juin, La France 1900 vue par les frères Séeberger. Poitiers, Pierre Belfond, 1979
  • Claude Malécot, Jean-Paul Brighelli, Jardins parisiens à la Belle Epoque. Photographies Séeberger frères. Paris, Monum éditions du patrimoine, 2004
  • Meriel McCooey, « Watching the girls go by », Sunday Times Magazine, 6 avril 1975
  • Elise Pailloncy, Carole Peyrot, Marion Poussier, Yann Revol, Inventaire des photographies des frères Séeberger pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, mémoire de l'ENS Louis Lumière, Cours de Mme Denoyelle, septembre 2001
  • Gilbert Salachas, Le Paris d'Hollywood. Sur un air de réalité. Besançon, Caisse nationale des Monuments Historiques, 1994
  • Albert Séeberger, « Au foyer de la M.J.C., l'exposition de photographies des frères Séeberger », L'écho du ribéracois, juillet 1982
  • Dominique Versavel, Maureen Huault, Muriel Berthou-Crestey, « Archives. Mode, les collections de la Bibliothèque nationale de France », Bad to the Bone, no 6, 2015, pp. 64–73

Collections publiques

Institutions françaises Génération Sujet(s)
Bibliothèque nationale de France

Département des Estampes et de la Photographie

première et seconde
  • Photographies de mode et publicitaires
  • Archives de l'entreprise
Centre des monuments nationaux

Département des ressources documentaires

première et seconde
  • Photothèque (vues de France et de Paris)
  • Reportages divers
  • Photographies de spectacles et portraits de personnalités
Château-musée de Gien : Chasse, histoire et nature en Val de Loire première et seconde
  • Reportages sur la chasse à courre et les grandes chasses
Médiathèque du patrimoine première
  • Vues de France pour cartes postales
ECPAD première et seconde
  • Photographies de la vie militaire
Bibliothèque nationales de France

Bibliothèque-musée de l'Opéra

seconde
  • Vues de spectacles et portraits d'artistes
Bibliothèque historique de la Ville de Paris première et seconde
  • Images diverses relatives à Paris et à la vie des Parisiens
Musée Carnavalet première et seconde
  • Inondations de 1910
  • Libération de Paris par Jean Séeberger
Centre Georges Pompidou seconde
  • Libération de Paris par Jean Séeberger
  • Divers
Musée français de la photographie (Bièvres) première
  • Photographies de mode aux champs de course
Association Gaston Litaize seconde
  • Portraits d'organistes
Palais Galliera - Musée de la Mode de la Ville de Paris première et seconde
  • Diverses photographies de mode

Notes et références

  1. Aubenas, Sylvie, Séeberger, Henri, 1876-1947, Séeberger, Jules, 1872-1932, Séeberger, Louis, 1874-1956, Demange, Xavier, Chardin, Virginie et Bibliothèque nationale de France. Galerie de photographie, Les Séeberger, photographes de l'élégance, 1909-1939, Seuil : Bibliothèque nationale de France (ISBN 978-2-7177-2366-3)
  2. « Décès d'Albert Seeberger - Anciens Elèves Vaugirard - Louis-Lumière », sur www.aevll.org (consulté le )
  3. Albert Séeberger, « Au foyer de la M.J.C., l'exposition de photographies des frères Séeberger », L'écho du ribéracois,

Liens externes

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