Elsa Schiaparelli
Elsa Schiaparelli, née le à Rome[1] et morte le à Paris, est une créatrice de mode[n 1] qui a tenu une maison de haute couture à Paris durant les années 1930 à 1950. Volontairement provocatrice et considérée avant-gardiste, elle est célèbre pour l'utilisation de son Rose shocking dans ses collections.
Pour les articles homonymes, voir Schiaparelli.
En 2012, Diego Della Valle rouvre la maison Schiaparelli et l'installe à Paris, place Vendôme, dans les locaux auparavant occupés par la grande couturière elle-même[4].
Biographie
Elsa Schiaparelli naît à Rome, au palais Corsini[5] dans une famille d'universitaires. Son père, Celestino Schiaparelli, est orientaliste ; son oncle, Giovanni Schiaparelli[6], est astronome et l'un des promoteurs de la théorie des canaux martiens, qui fut le premier à cartographier cette planète. Sa mère est une descendante des Medicis[7].
Elsa étudie la philosophie dans son jeune temps, et elle écrit des poèmes érotiques qui ne plaisent pas à sa famille. Elle est donc envoyée au couvent, où elle entreprend une grève de la faim. Elle part ensuite pour Londres au début des années 1910[5], où elle épouse Wilhelm de Wendt de Kerlor, un théosophe rencontré dans la capitale britannique en 1912. Par la suite, elle suit son mari aux États-Unis[7]. Ils ont une fille atteinte de poliomyélite, Maria Luisa Yvonne Radha, qui leur donnera deux petites-filles, Marisa Berenson, mannequin et actrice, ainsi que Berry Berenson (épouse d'Anthony Perkins), photographe et actrice.
Mari volage, le comte Wilhelm quitte toutefois Elsa pour la danseuse Isadora Duncan. La future créatrice, désargentée, part alors vivre à Paris, où elle se lie d'amitié avec les dadaïstes et parcourt les marchés aux puces pour y faire des trouvailles qu'elle revend à des antiquaires[5]. Même si elle ne sait pas coudre, elle se découvre un goût pour la mode après une visite chez Paul Poiret[7].
C'est en 1927 qu'elle débute, dans son appartement de la rue de l'Université[7]. Elle y crée des pulls avec de grands nœuds en trompe-l'œil qui sont un succès et à propos desquels Vogue n'hésite pas à parler de « chefs-d'œuvre »[5], mais également des sweaters ornés de motifs africains, de serpents ou de cœurs[7]. Par la suite, elle ouvre à Paris son premier magasin, Pour le Sport, au 4 rue de la Paix[5] ; elle étend sa collection pour bientôt habiller les femmes des pieds à la tête[7]. Quelques années plus tard, elle s'installe 21 place Vendôme, dans les locaux que vient de quitter la couturière Chéruit. L'hôtel de Fontpertuis, dans lequel elle s'installe compte alors cinq étages et 98 pièces. 500 employées[5] vont pouvoir venir y travailler. En quelque temps, elle fait parler d'elle, multipliant les inventions et coups d'éclat et s'affiche parfois avec des déguisements surprenants[7].
Toujours désireuse d'innover et de surprendre, elle collabore, au cours des années 1930, avec des artistes surréalistes, dont Salvador Dalí, qui crée, pour une de ses robes du soir en organdi portée par Wallis Simpson, un tissu orné d'un homard[n 2], ainsi qu'avec Jean Cocteau[1] ou Alberto Giacometti, en plus de Jean-Michel Frank dont elle financera en partie la boutique parisienne. Ces deux derniers participent d'ailleurs à la décoration de la maison de couture[7]. Ces artistes créaient pour elle des motifs, des objets, des décors, des accessoires[9]. Elle comptait parmi ses clientes Arletty[10], Wallis Simpson[5], Marlène Dietrich, Greta Garbo, Lauren Bacall[7] et Amelia Earhart.
La grande créatrice
Elsa Schiaparelli introduit dans l'esthétique vestimentaire de l'époque une dimension artistique, voire loufoque, à part de la dimension fonctionnelle. « C'est une créatrice de concept »[8]. Elle pratique des détournements de fonctions, notamment en transformant un escarpin en chapeau ou des gants avec des ongles[7],[n 3]. À propos des fermetures éclair, qu'elle utilisait de façon très « arbitraire », Jean-Paul Gaultier notait qu'« elle fut la première à placer le zip comme élément décoratif… comme une broderie »[1]. Toujours pleine d'inventivité, elle introduisit la jupe-culotte dans la garde-robe féminine et le tweed pour le soir. Elle présentait également des silhouettes avec des épaules rembourrées[5], et n'hésitait pas à utiliser des tissus aux tons très vifs, comme un rose auquel elle se plaisait à donner le nom de Rose shocking.
Choquer ne déplaisait pas à Elsa Schiaparelli. En 1936, elle lançait le parfum Shocking dont le flacon conçu par Leonor Fini représente un torse de femme, moulé expliquait-elle, sur celui de Mae West, le sex-symbol hollywoodien de l'époque. Scandale ![n 4] Tous ses parfums auront un nom avec la lettre « S », tels « Snuff » parfum masculin au flacon en forme de pipe signé Fernand Guérycolas ou « Le Roi Soleil » au flacon en cristal de Baccarat dessiné par Salvador Dali[7]. Seul « ZUT » créé en 1948 et dont le flacon représentait les jambes de Mistinguett avec guêpière à sa taille dérogera à la règle.
Chaque défilé qu'elle organise reste un spectacle surprenant où, au-delà de la mode, elle soigne l'éclairage, la musique ou la chorégraphie ; elle donne des noms à ceux-ci, comme « Stop, Look end Listen » le premier en date, « Païenne », « Comedia del Arte », « Paillons » ou « Astrologique » avec manteaux et robes du soir brodés de constellations[7],[8]. Mais le plus marquant reste « Le Cirque » le avec sa collection « tumultueuse »[n 5] aux motifs brodés de chevaux, d'éléphants[7] ou d'acrobates, de bottes à poils de singe, de chapeaux de clowns, d'autres imitant un encrier géant[13]. Kathleen Cannell (en) décrit un défilé « plein à craquer de têtes couronnées, d'hommes politiques, d'artistes, d'explorateurs, de star de cinéma, d'excentriques fortunés, de magnats de l'industrie, au milieu desquels les mannequins tentent de se frayer un chemin à travers les salons »[13]. C'est un succès et dès la fin du show, les commandes sont nombreuses[13]. Le défilé coïncide avec l'Exposition internationale du surréalisme aux Beaux-Arts.
La couturière réalisait également des costumes pour le cinéma, notamment pour les films Femmes ou Fifi peau de pêche[9]. Elle habille également Arletty dans Hôtel du Nord ou Zsa Zsa Gabor pour Moulin-Rouge[13].
En 1940, quand survient la guerre, elle s'exila aux États-Unis[1] et confia sa maison de couture à l'un de ses collaborateurs. Celle-ci vivote durant les années de conflit[7]. Elsa Schiaparelli revient en France après la Libération[5] et reprend ses activités. Elle embauche un jeune modéliste, Hubert de Givenchy[14], futur grand couturier, et développe ses licences de fabrication[10]. Mais en vain : la révolution du New look de Dior, qu'elle dit trouver « tarte », est passée par là et la renommée de la maison s'étiole peu à peu[7],[15]. En 1954, d'insurmontables difficultés financières la contraignent à fermer sa maison de la place Vendôme[n 6]. Elle part alors à New York. Après 1959, elle fait partie du Comité des réceptions de la Biennale de Paris. Elle meurt dans son sommeil le à Paris, après une vie pleine de « créativité »[9]. Bien qu'oubliée ces dernières décennies[15], ses traits restent gravés dans les mémoires grâce aux portraits qu'ont fait d'elle Man Ray, Picasso ou Jean-Francis Laglenne.
« Elsa Schiaparelli, nous dit Gertrud Lehnert, est l'une des personnalités les plus brillantes de l'histoire de la haute couture. Elle conçoit la mode comme un art, intrinsèquement lié à l'évolution des beaux-arts, et notamment de la peinture »[16]. Quand elle arriva à Paris, c’est vers les avant-gardes artistiques qu’elle se dirigea avant de se lancer, sans réelle formation, ce que certains lui reprocheront, dans la conception de vêtements. Elle ne cessa ensuite de fréquenter les surréalistes et elle se montrait parfois, dans ses créations, aussi provocatrice qu'eux tant ses créations n’étaient pas toujours très « faciles à porter » ni très « convenables ».
Retour de Schiaparelli, en tant que marque
En 2007, Diego Della Valle du groupe Tod's, également propriétaire du chausseur Roger Vivier, rachète la marque[17] à un compatriote italien qui l'avait laissé dépérir[7].
Au printemps 2012, le Métropolitan Museum de New York confronte, artistiquement, Elsa Schiaparelli à Miuccia Prada dans une exposition[18] intitulée « Impossible Conversations ». Elle met en relief les affinités entre les créations de Schiaparelli des années 1920 à 1950 et celles, actuelles, de Prada. Il est possible d'y voir notamment sur écran une étonnante conversation virtuelle entre ces deux grandes personnalités de la mode.
En juillet 2012, après 60 ans d'absence, la marque annonce son retour[19] au 21 de la place Vendôme dans des salons à la décoration décrite comme « fantasque[n 7] »[9], composée de façon hétéroclite par les meubles du décorateur Vincent Darré, des toiles de Pierre Le-Tan, des dessins de Cocteau, les anciens miroirs de Saint Laurent et toutes sortes d'objet afin de recréer l’ambiance surréaliste et décalée des années passées[7].
Farida Khelfa, ancienne muse de Jean Paul Gaultier, devient l'égérie publicitaire, et le couturier Christian Lacroix dessine une collection en hommage à la créatrice[20]. La direction de la création de la nouvelle maison est assurée par le styliste Marco Zanini[21]. À la fin de 2013, la marque se voit nommée « Membre invité » par la Chambre syndicale de la Haute couture[21] et elle défile pour la première fois depuis fort longtemps le puis le 7 juillet de la même année[15]. Le , Bertrand Guyon est nommé directeur du Style pour l’ensemble des collections « Couture » et « Prêt-à-porter » de l'entreprise Schiaparelli et s'installe au 21 place Vendôme, où travaillait Elsa Schiaparelli[22]. Le mardi , quelques jours après avoir annoncé le départ de Bertrand Guyon, directeur artistique de Schiaparelli durant quatre années, la maison annonce le nom de son successeur : Daniel Roseberry. Celui-ci, né au Texas et âgé de 33 ans, a passé dix ans aux côtés de Thom Browne à la tête des collections Femme et Homme de l'entreprise homonyme.
Bibliographie
Biographies
- Emma Baxter-Wright (trad. de l'anglais par Philippe Rollet), Le Petit Livre de Schiaparelli, Paris, Eyrolles, , 160 p. (ISBN 978-2-212-13472-8)
- François Baudot, Elsa Schiaparelli, Éditeur Assouline, 1998, (ISBN 978-2843230004)
- (en) Dilys Blum, Shocking, Yale University Press, 2003, (ISBN 978-0300100662)
- Dilys E. Blum, Elsa Schiaparelli, Paris, Union centrale des arts décoratifs, 2004 (ISBN 2901422764)
- Yann Kerlau, Les Secrets de la mode, Paris, Éditions Perrin, , 438 p. (ISBN 978-2-262-03923-3, présentation en ligne), « L'invention de la publicité : Elsa Schiaparalli »
- Meryle Secrest, Elsa Schiaparelli, 2014
Autobiographie
- Elsa Schiaparelli, Shocking Life, Londres, V & A Publications, 2007
Documentaire
Et Schiaparelli créa la mode, de Sabine Carbon Anna Piaggi[23]
Notes et références
Notes
- Créatrice de mode plutôt que grande couturière. Elle eut une activité de haute couture : dans le chapitre consacré à Schiaparelli, Yann Kerlau précise, en citant l'autobiographie de la « couturière », que celle-ci « ne connaissait rien à la couture. Son ignorance dans ce domaine était totale[2]. » Coco Chanel — sa « grande concurrente » d’après Jean-Paul Gaultier[1] — utilisait une forme de dérision envers Schiaparelli, moquant son absence de formation de la couture[3].
- La robe est créée par Dali, inspirée du Téléphone-Homard datant de 1936. Celle-ci est photographiée par Cecil Beaton puis publiée dans Vogue[8].
- Les gants avec les ongles viennent en réaction au fait que Picasso peint des gants sur ses mains.
- L'anecdote est reprise dans un article abordant l'histoire des couturiers ayant travaillé pour le cinéma américain : « puis Elsa Schiaparelli qui habillera la déesse du sexe, Mae West, à distance, puisque refusant de se rendre à Hollywood. Alors qu'elle reçoit à Paris le mannequin en forme de buste de la pneumatique Mae, Schiaparelli se serait écriée « Schocking ! », exclamation qui deviendra le nom de son parfum star, dont le flacon bombé aura la forme du buste de Mae West[11] ». La forme du flacon inspire bien des années plus tard Jean Paul Gaultier pour son parfum « Classique »[7],[12].
- Le mot est de Schiaparelli.
- La même année, Chanel ouvre de nouveau sa maison de couture.
- Farida Khelfa décrit la décoration dans une interview : « Tout est improvisé, […] sans unité de style ou d'époque, mais ça fonctionne. » C'est un mélange de commandes à des artistes actuels et d'objets anciens.
Références
- Et Schiaparelli créa la mode, de Sabine Carbon Anna Piaggi.
- Yann Kerlau 2010, p. 132
- Cally Blackman (trad. de l'anglais par Hélène Tordo), 100 ans de mode [« 100 years of fashion »], Paris, La Martinière, , 399 p. (ISBN 978-2-7324-5710-9, présentation en ligne), « Les reines de la couture 1901 - 1959 », p. 126
- (en-GB) « Schiaparelli Relaunch », sur British Vogue (consulté le )
- Anne-Cécile Beaudoin, « Schiaparelli - La Renaissance », Paris Match, semaine du 20 au 26 mars 2014, pages 102-104.
- (en) « Shocking! The Art and Fashion of Elsa Schiaparelli - teacher's pack » [PDF], Philadelphia Museum of Art (consulté le )
- Francine Rivaud, « La maison de couture Schiaparelli : renaissance italienne », Challenges, no 332, , p. 78 à 80 (ISSN 0751-4417)
- Vignando 2014, p. 80.
- Patrick Cabasset (photogr. Christophe Roué), « La nouvelle vie de Schiaparelli », L'Officiel Paris, no 969, , p. 240 à 245 (ISSN 0030-0403)
- Jacques Brunel, « Schocking new », Vogue Paris, no 929, , p. 92 à 93 (ISSN 0750-3628)
- Nelly Kaprièlian, « Miuccia la magnifique », Vogue Paris, Condé Nast Publications, no 937, , p. 128 (ISSN 0750-3628)
- « Jean-Paul Gaultier pointe la ressemblance entre le nouveau parfum de Kim Kardashian et le sien... mais il y a un hic ! », sur lalibre.be,
- Vignando 2014, p. 79.
- Didier Grumbach, Histoires de la mode, Paris, Éditions du Regard, (1re éd. 1993 Éditions du Seuil), 452 p. (ISBN 978-2-84105-223-3), « Les nouvelles ressources de la profession », p. 123
- Vignando 2014, p. 81.
- Gertrud Lehnert, Histoire de la mode au XXe siècle, ML Éditions, p. 38
- (en) Ella Alexander, « Schiaparelli Relaunch », Vogue, (lire en ligne, consulté le )
- Elizabeth Gouslan, « Elsa Schiaparelli et Miuccia Prada, figures du style », sur madame.lefigaro.fr, Le Figaro Madame,
- « Cocktail chez Schiaparelli », sur L'Officiel Paris, Éditions Jalou,
- (en) « Schiaparelli Fall Couture 2013 », Runway, sur wwd.com, WWD, (consulté le )
- AFP, « Schiaparelli revient sur les podiums de la haute couture », Mode, sur lemonde.fr, Le Monde, (consulté le )
- Cecilia Delporte, « Bertrand Guyon, nouveau directeur du Style Schiaparelli », Les Echos, (lire en ligne, consulté le )
- Diffusé sur Arte le 27 septembre 2015
Source
- Dorane Vignando, « Le jour où… Elsa Schiaparelli fit son « Cirque » », Le Nouvel observateur, no 2595, , p. 79 à 81 (ISSN 0029-4713)
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- Collection du Metropolitan Museum
- (en) Elsa Schiaparelli sur l’Internet Movie Database
- Site officiel
- [image] « Au fil des pages, la vie d'Elsa Schiaparelli », Style, sur lemonde.fr, (consulté le )
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