Frères Goncourt
Les frères Goncourt, Edmond de Goncourt (1822-1896) et Jules de Goncourt (1830-1870), sont deux écrivains français du XIXe siècle classés dans l'école naturaliste. Ils ont écrit en collaboration des romans comme Germinie Lacerteux, en , roman qui s'inspire de la double vie de leur servante, ou La Lorette et L'Art du XVIIIe siècle (1859-1875). Ils détestent la philanthropie et la « bien-pensance », aiment Saint-Simon, le Père Duchesne, les mémorialistes (Chateaubriand).
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Biographie
De modeste et récente noblesse lorraine, les frères Huot doivent leur nom de la commune de Haute-Marne de Goncourt. Petits aristocrates encore enracinés dans la bourgeoisie, leur famille paternelle a acquis la terre de Goncourt à la fin de l'Ancien Régime et a profité de la Révolution pour s'enrichir. C'est leur arrière-grand-père, Antoine Huot, officier des eaux et forêts, qui acquiert à Goncourt en 1786 la propriété d'une modeste maison, à laquelle est associé le titre de seigneur de Goncourt[1].
Edmond naît en à Nancy et Jules en à Paris ; ils perdent assez jeunes leur père et leur sœur (emportée par le choléra) et se retrouvent profondément liés l'un à l'autre[2]. Tous deux effectuent de brillantes études et Edmond entame une carrière de comptable qu'il exècre[2]. En , ils perdent leur mère qu'ils idolâtrent et en sont effondrés ; par ailleurs, cet évènement renforce encore le lien entre les deux frères[2]. Edmond dira à ce sujet : « Ma mère, sur votre lit de mort, vous avez mis la main de votre enfant chéri et préféré dans la mienne, en me recommandant cet enfant avec un regard qu’on n’oublie pas[2]. » Il veillera sur son petit frère de façon quasiment paternelle jusqu'à sa mort[2].
L'année de la mort de leur mère, Edmond quitte son poste et les deux frères ainsi réunis décident de se consacrer à la littérature tout en brocantant[2]. Ils s'essayent à tout : ils sont collectionneurs et deviennent à la fois artistes, antiquaires, historiens et romanciers[2]. On dira même d'eux qu'ils s'intéressent plus aux objets qu'aux hommes, et ce seul intérêt suffira à réveiller leur sens de la discorde, puisqu'ils apprécient plus les bijoux révolutionnaires décorés de bleu, blanc et rouge[2]. Dans l'écriture, ils n'hésitent pas à enchaîner les néologismes pour mieux refléter le réel : ils sont « anecdotiers », amateurs de « jolités[3] », et leur complicité les pousse même à s'auto-désigner par le nom de « Juledmond[4] ». En , au cœur de grands troubles politiques, ils essayent de publier leur premier ouvrage rédigé à quatre mains, En 18…, mais sans succès[2].
Ils n'hésitent pas à pousser le partage de leurs deux existences jusqu'à partager la même maîtresse à partir de 1858[3] : Maria, sage femme et faiseuse d'anges, maîtresse de Jules depuis 1851. Maria leur dévoile la vie et les misères des femmes du bas-peuple de Paris[5].
Oisifs en apparence, ils prennent pourtant largement part au foisonnement culturel parisien et leur œuvre la plus importante, le Journal, est issue de l'observation poussée de leur contemporains : ils y décrivent Balzac, Mallarmé et d'autres de la pire façon, ce qui leur vaut leur réputation de grandes langues de vipère[2]. Une des rares personnes envers laquelle ils seront élogieux est Théophile Gautier[2]. Ce journal peu décrié fera regretter à Proust qu'Edmond ne s'en soit pas assez emparé après la mort de son frère tant il y voit un fort potentiel[2]. Outre leurs incursions dans les milieux culturels littéraires, les frères Goncourt sont aussi de grands collectionneurs d'objets et d'art toute leur vie durant. Leur collection commune, commencée à l'adolescence (vers 1838) rassemble des périodes et des genres éclectiques. D'abord constituée par des pièces d'art décoratif du XVIIIe siècle, elle s'oriente ensuite (dans les années 1860) vers l'art asiatique (porcelaine chinoise, estampes japonaises). Leur engouement pour les arts asiatiques correspond au japonisme de la fin du siècle[6].
Ils continueront de mener une vie semi-matérielle imprégnée de bonne entente et ponctuée de petits succès littéraires jusqu'à la mort prématurée de Jules, de la syphilis, à 39 ans, en 1870[2]. De l'aveu d'Edmond, Jules était le véritable écrivain, mais après cette perte, Edmond a publié plusieurs romans et le Journal des Goncourt[4].
Le testament olographe d'Edmond comporte deux clauses notables : la création de l'Académie Goncourt et la dispersion (par vente) de l'importante collection d'art des deux frères qu'abritait le 53 avenue Montmorency. Les fonds tirés de la vente constituent la première trésorerie de la jeune Académie Goncourt[7].
Leur Journal a inspiré Marcel Proust, qui les pastichera dans Le temps retrouvé[8] publié en 1927. Proust recevra d'ailleurs le prix Goncourt pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs, en .
Des écrivains réactionnaires
Les frères Goncourt abhorrent la Révolution française et entendent ressusciter dans leurs écrits l'époque de l'Ancien Régime : selon leur biographe Pierre Ménard, ils « tendent au fil du temps à s’identifier à des survivants de ces temps révolus »[9]. Pierre Ménard les présente comme « fiers de leur supériorité sociale », ayant « sincèrement peur de la foule » : « Certaines de leurs pages sont très dures envers le peuple. Dès leurs jeunes années, juste avant 1848, ils confient dans leurs lettres leur peur que le socialisme triomphe et qu’une nouvelle révolution éclate, dont les victimes ne seraient plus les nobles, mais les bourgeois. Plus tard, en 1871, Edmond se réjouit en voyant tous les communards massacrés. [...] Mais au-delà de leur peur bourgeoise des rouges, perce effectivement une haine artistique du commun, ontologiquement vulgaire et donc ennemi des arts »[9].
Éditeur des œuvres complètes des frères Goncourt, Jean-Louis Cabanès les décrit comme « des réactionnaires d'un type particulier » : « Agnostiques, ils ne se réclament pas, à la différence de la plupart des antimodernes au XIXe siècle, du catholicisme mais d'un XVIIIe siècle fantasmé. Leur misogynie est celle d'écrivains célibataires comme Huysmans, Flaubert ou Maupassant ; elle se comprend mieux si l'on se réfère à l'antinaturalisme de Baudelaire ou aux écrivains qui, dans les générations suivantes, s'affirmeront schopenhaueriens »[10].
Antisémitisme
Les frères Goncourt font montre d’antisémitisme dès les années 1850, reprenant notamment les dénonciations de Louis Veuillot lors de l’affaire Mortara ; ces propos ne relèvent alors pas de l'obsession et cohabitent avec l'expression de sympathie pour la religion juive, l'historien Michel Winock proposant de les qualifier « d’ordinaire, de banal, sans outrances »[11]. Les déclarations antisémites d'Edmond de Goncourt se multiplient à partir des années 1880, notamment au contact d'Édouard Drumont qu'il rencontre par l’intermédiaire d'Alphonse Daudet et avec qui il se lie d'amitié[11]. Selon Michel Winock, « le point d’orgue du combat antisémite d’Edmond de Goncourt est l’adaptation [au théâtre] du roman Manette Salomon, écrit avec son frère en 1867 », dont la première est donnée le 29 février 1896[11]. De teneur antisémite, la pièce se voit saluée par La Libre Parole de Drumont alors que le reste de la presse est sévère[11].
Michel Winock résume ainsi :
« Respectueux, selon leur dire, de la royauté, de la papauté, de la noblesse, de l’Ancien Régime, ennemis de l’égalité et de la « religion républicaine », méprisant le Bourgeois, les Goncourt ont fait du Juif le symbole de leur détestation aristocratique. Le Juif n’est pas un être humain, mais un « juif », c’est-à-dire la personnification de leur dégoût d’esthète. Les catholiques avaient déjà de longue date fait des Juifs un peuple « déicide ». Des socialistes comme Fourier, Toussenel ou Proudhon, avaient déjà confondu le Juif et la Banque, au cours de la première moitié du XIXe siècle. Les Goncourt ont ajouté à cette construction la note de l’art pour l’art : après le chrétien et l’ouvrier, un autre acteur social est érigé en victime de l’ordre imaginaire antisémite, l’artiste[11]. »
Selon Jean-Louis Cabanès :
« Pour les Goncourt, le juif est associé à l'argent. Ce n'est pas la religion qui est mise en cause, mais une « race » qu'ils déclarent intrusive et dominatrice. Leur antisémitisme est le pendant raciste d'une essentialisation des classes sociales. Sans que cela puisse tenir lieu de compensation, les deux frères ont de la sympathie pour ceux qui ne connaissent pas « la canaillerie du succès »[10]. »
Bibliographie
- Pierre-Jean Dufief, Les Goncourt diaristes, Paris, Champion, 2017.
- Edmond de Goncourt, La Maison d'un artiste, la collection d'art japonais et chinois, Éditions À Propos, 2018. 320 p. (ISBN 9782915398199)
- Pierre Ménard, Les Infréquentables frères Goncourt, Tallandier, 2020.
- Alain Cabanès, Pierre Dufief, Les Frères Goncourt, Fayard, 2020.
Voir aussi
Notes et références
- Jean-Louis Cabanès, Pierre Dufief, Les Frères Goncourt, Fayard, , p. 19
- Clémentine Baron, « Qui étaient les frères Goncourt ? », sur magazine-litteraire.com, (consulté le ).
- « Les frères Goncourt, une Académie, un Journal, une marque... », sur franceinter.fr, (consulté le ).
- Marie Dabadie, « Les frères Goncourt », sur academie-goncourt.fr (consulté le ).
- Henri Stofft, « « Le réalisme obstétrical des frères Goncourt » », Histoire des sciences médicales, vol. 22, nos 3-4, , p. 227-231 (lire en ligne).
- Edmond de Goncourt, La maison d'un artiste, Garches, À Propos, 320 p. (ISBN 2-915398-19-4), pp.9-11
- Edmond de Goncourt, La maison d'un artiste, Garches, À Propos, , 320 p. (ISBN 2-915398-19-4), p.34
- Stéphane Tufféry, « Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) Goncourt pastichés par Marcel Proust, Le Temps retrouvé (1927) », sur Le pastiche littéraire, (consulté le ).
- « Le Juif incarne tout ce que les Goncourt abhorrent », sur Causeur.fr, (consulté le ).
- «Les frères Goncourt ont exercé une influence trop souvent méconnue», sur liberation.fr, (consulté le ).
- Michel Winock, « L’antisémitisme des Goncourt », dans Jean-Louis Cabanès, Pierre-Jean Dufief, Robert Kopp, Jean-Yves Mollier et al., Les Goncourt dans leur siècle, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », (lire en ligne), p. 193-202.
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