Vitalisme
Le vitalisme est une tradition philosophique pour laquelle le vivant n'est pas réductible aux lois physico-chimiques[1]. Elle envisage la vie comme de la matière animée d'un principe ou force vitale, en latin vis vitalis, qui s'ajouterait pour les êtres vivants aux lois de la matière. Selon cette conception, cette force vitale serait une cause mystérieuse et unique censée être capable d'insuffler la vie à la matière ou de former in vivo des composés comme l'acide acétique ou l'éthanol.
Le vitalisme s’oppose au « mécanisme », voire au « machinisme », qui réduisent les êtres vivants à des composés de matière, à l’instar d’une machine ou d’un robot. Le mécanisme est aujourd’hui la vision dominante dans les sciences physiques.
En biologie, ce cadre théorique revient régulièrement dans l'histoire des sciences. Le terme désigne parfois la vision philosophique défendue autrefois par l'école de Montpellier[2].
Vitalisme et animisme
S'il s'oppose au mécanisme (Démocrite, Descartes, Cabanis, Félix Le Dantec), le vitalisme (Paul-Joseph Barthez, Henri Bergson, Hans Driesch, Georges Canguilhem, André Pichot) ne doit pas être pour autant confondu avec l'animisme (Stahl) : l'animiste ne se contente pas de subordonner la matière à la vie, il soumet la matière à la vie et la vie à la pensée. Les philosophes d'inspiration vitaliste considèrent au contraire l'activité intellectuelle comme fondamentalement subordonnée à la « vie »[réf. souhaitée].
Définition
Selon le philosophe André Lalande, le vitalisme est une « doctrine d'après laquelle il existe en chaque être vivant un "principe vital", distinct à la fois de l'âme pensante et des propriétés physico-chimiques du corps, gouvernant les phénomènes de la vie »[3].
Histoire et déclin du vitalisme
Renaissance et modernité
Déclin du vitalisme
Vitalisme et philosophie contemporaine
Le vitalisme bergsonien
Dans L'Évolution créatrice (1907), Henri Bergson adopte une position philosophique vitaliste qui se veut compatible avec les découvertes scientifiques de son temps. Il fonde l'idée que la vie est « la liberté s'insérant dans la nécessité pour la tourner à son profit »[4]. Il développe notamment le concept d'élan vital :
« Mais les causes vraies et profondes de division (du vivant) étaient celles que la vie portait en elle. Car la vie est tendance, et l'essence d'une tendance est de se développer en forme de gerbe, créant, par le seul fait de sa croissance, des directions divergentes entre lesquelles elle partagera son élan[5]. »
Il ne s'agit pas de voir dans l'élan vital un retour aux principes obscurs du vitalisme. Il fallait néanmoins un terme qui échappât aux deux principaux modes d'explication du vivant : le mécanisme et la vitalité[6]. Bergson s'en explique dans L'Évolution créatrice : « c'est dire qu'on verra dans l'évolution tout autre chose qu'une série d'adaptations aux circonstances, comme le prétend le mécanisme, tout autre chose aussi que la réalisation d'un plan d'ensemble, comme le voudrait la doctrine de la finalité » [7].
Postérité du vitalisme : les sciences et la philosophie
Le vitalisme a mauvaise réputation auprès de nombreux biologistes modernes qui l'identifient à une introduction en contrebande de l'anthropomorphisme et du finalisme dans l'explication physico-chimique de la vie. Ainsi, le biochimiste Jacques Monod, notamment, l'a critiqué dans son ouvrage Le hasard et la nécessité (1970) en s'appuyant sur les avancées de la génétique et de la biologie moléculaire. Dans le même chapitre, il qualifie d'ailleurs le vitalisme de Bergson de « vitalisme métaphysique » aux consonances poétiques. Selon Monod, le maintien des thèses vitalistes est une émanation du scepticisme à l'égard des sciences, de leur travail de réduction de l'homme aux lois de la nature qui rend, d'une certaine manière, caduque la morale et ses valeurs spirituelles prétendument absolues. Mais il s'agirait également d'un besoin pour l'équilibre psychique de l'homme : « Nous nous voulons nécessaires, inévitables, ordonnés de tout temps. Toutes les religions, presque toutes les philosophies, une partie même de la science, témoignent de l'inlassable, héroïque effort de l'humanité niant désespérément sa propre contingence »[8].
Ce regard de la science sur le vitalisme est sévère et pourtant, à en croire Georges Canguilhem, le vitalisme serait, en tant que position de principe, quasi irréfutable. Il incarne à ce titre la « confiance […] dans la vitalité de la vie » et « la méfiance permanente de la vie devant la mécanisation de la vie »[9]. Le vitalisme médical de l'école de Montpellier serait ainsi « l'expression d'une méfiance, faut-il dire instinctive, à l'égard du pouvoir de la technique sur la vie »[9].
Si peu de biologistes actuels se disent « vitalistes », un certain nombre de philosophes contemporains – comme Georges Canguilhem ou Hans Jonas – se réclament encore de cette doctrine.
Quant à Gilles Deleuze, il écrira dans Pourparlers :
« un artiste ne peut pas se contenter d'une vie épuisée, ni d'une vie personnelle. On n'écrit pas avec son moi, sa mémoire et ses maladies. Dans l'acte d'écrire, il y a la tentative de faire de la vie quelque chose de plus que personnel, de libérer la vie de ce qui l'emprisonne. […] Il y a un lien profond entre les signes, l'événement, la vie, le vitalisme. C'est la puissance de la vie non organique, celle qu'il peut y avoir dans une ligne de dessin, d'écriture ou de musique. Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie. Il n'y a pas d'œuvre qui n'indique une issue à la vie, qui ne trace un chemin entre les pavés. Tout ce que j'ai écrit était vitaliste, du moins je l'espère…[10] »
New Age
Dans le New Age, Dieu est la force vitale ou âme du monde. La divinité est présente dans tout être, selon une progression allant « du cristal le plus infime du règne minéral au Dieu galactique dont nous ne pouvons rien dire, sinon qu'il ne s'agit pas d'un homme mais d'une Grande Conscience »[11].
Notes et références
Source
- Michel Blay (sous la dir. de), Grand Dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse/Éditions du CNRS
Notes
- Gérard Chomienne (1995), Bergson. La conscience et la vie, le possible et le réel, coll. « Texte et contextes », Magnard.
- Voir Paul-Joseph Barthez (1734-1806).
- André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie
- Bergson (1927), L'Évolution créatrice, éditions Rombaldi, coll. des prix Nobel de littérature.
- Bergson (1927), op. cit., p. 120.
- G. Chomienne (1995). op. cit..
- Bergson (1927), L'Évolution créatrice, op. cit., p. 100.
- Jacques Monod, Le hasard et la nécessité : essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, Points, , 250 p. (ISBN 978-2-7578-4448-9), p. 63
- Georges CANGUILHEM, La Connaissance de la vie, Hachette, 1952, p. 101-123.
- Gilles Deleuze, Pourparlers (1990), Éditions de Minuit (« Reprise »), Paris, 2003, p. 196.
- Cf. Benjamin Creme, La Réapparition du Christ et des Maîtres de Sagesse (Partage Publication - (ISBN 2-9510974-2-5)).
Voir aussi
Bibliographie
- Descartes, Lettre à Morus, en ligne sur le Site Caute@lautre.net
- Paul-Joseph Barthez, Nouveaux éléments de la science de l'homme, 1778
- Henri Bergson, L'évolution créatrice, Paris, Alcan, 1907. Edition poche, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2007
- Erwin Schrödinger, What is life ?, London, McMillan, 1946. Trad.fr., Qu'est-ce que la vie ?, Paris, Le Seuil, 1947, préface de l'auteur ; édition poche, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1993 (ISBN 2-02-020223-9)
- Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie Paris, Vrin, 1952, chap. « Aspects du vitalisme » ; deuxième édition augmentée, Paris, Vrin, 1980
- Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité, Paris, Le Seuil, 1964 ; édition poche, Paris, Le Seuil, 1970 Contre le vitalisme.
- Roselyne Rey, Naissance et développement du vitalisme en France de la deuxième moitié du XVIIIe siècle à la fin du Premier Empire, Oxford, Voltaire Foundation, 2000, 472 p.
- Charles Wolfe, La philosophie de la biologie avant la biologie. Une histoire du vitalisme, Paris, Classiques Garnier, 2019, 514 p.
Articles connexes
Lien externe
- (fr) (en) Le vitalisme : l’observation de la nature dans sa vie, Paul Joseph Barthez (école de Montpellier) et Sir Patrick Geddes (Edimburgh School)
- Portail de l’histoire des sciences
- Portail de la philosophie