Escaut-et-Meuse

Escaut-et-Meuse était une entreprise sidérurgique française fondée à Anzin en 1882. Elle fusionna en 1953 pour former le groupe Lorraine-Escaut, qui fut lui-même absorbé en 1967 par Usinor. Après la crise de la sidérurgie française des années 1970, les anciennes usines Escaut-et-Meuse fermèrent entre 1979 et 1991.

Pour l’article homonyme, voir Escaut-et-Meuse (homonymie).

Histoire

Création

L'année 1844 voit le rachat du moulin de Senelle par Henri-Joseph d'Huart. La Société métallurgique de Senelle est créée par les frères Huart, qui fondent aussi les Aciéries de Longwy[1]. En 1846, ils procèdent à la mis à feu du haut-fourneau (appelé No 5 en 1914, au nord de la ligne Longwy - Villerupt), actionné au vent froid et au charbon de bois, sur l'emplacement du Moulin de Senelle, avec une production de 3 000 kilos par 24 heures en utilisant une tuyère de 50 mm de diamètre[2]. Une deuxième est ajoutée en 1852 pour doubler le débit, lors de la reconstruction du haut-fourneau (appelé No 5 en 1914) au vent chaud, mais toujours au charbon de bois, ce qui permet d'obtenir 200 degrés de fusion[2]. En 1864, nouvelle reconstruction du haut-fourneau (appelé No 5 en 1914) au vent chaud (350 °C) et au coke, afin de produire 750 t par mois, avec deux tuyères de 80 mm de diamètre. En 1879, le rachat de terrains miniers de la Côte-Rouge par Maubeuge et Denain-Anzin[2] permet d'envisager une montée en puissance de la métallurgie au coke. Hippolyte d'Huart et Fernand d'Huart, tous deux barons, prennent la succession en 1880[2].

L'entreprise "Escaut-et-Meuse" fut fondée le 28 août 1882 à Anzin par les frères Laveissière et Georges Chaudoir, qui en confièrent la direction à Conrad Malissart. La première tuyauterie, implantée au bord de l'Escaut, employait à l'origine 250 ouvriers et produisait des tubes soudés en fer et en acier[3]. La fusion de l'Usine de Senelle, Longwy-Bas avec l'Usine de Sous-le-Bois, Maubeuge donne naissance à la Société Métallurgique de Senelle-Maubeuge[2], qui obtient en 1886 la concession de Jarny pour Senelle-Maubeuge et Denain-Anzin[2].

L'entreprise "Escaut-et-Meuse" acquit la licence exclusive pour la France des tubes sans soudure inventée par les frères Mannesmann et en démarra la production en 1896.

La croissance d'"Escaut-et-Meuse" fut rapide : l'usine doubla sa production annuelle de 1900 à 1910, passant de 15 000 tonnes de tubes en 1900[4] à 30 000 tonnes en 1910[3]. Parallèlement, Lucien Pasquier, promu ingénieur de la Société Métallurgique de Senelle-Maubeuge, devient en 1905 chef de la division des Aciéries de Senelle et de l'aciérie Talbot, qui acquiert un "four Martin scillant", du Procédé Martin-Siemens, de 160 tonnes à Herserange[2]. Henri Lallement prend lui la direction de l'usine de Longwy-Bas, rejoint par le gendre du propriétaire de Senelle Maubeuge, Auguste Dondelinger[2]. En 1899, la société Senelle-Maubeuge couvre ainsi ses besoins d'approvisionnement en coke :

Première Guerre mondiale

Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, l'usine d'Anzin était toujours la seule implantation d'Escaut-et-Meuse. Anzin fut occupée par l'armée allemande dès le 25 août 1914, et l'exploitation industrielle fut arrêtée. Une partie de l'usine Escaut et Meuse fut transformée en atelier de réparation de canons, le Bayerische Werkstatt Belagerungsartillerie Nummer 3, employant uniquement des soldats allemands; le reste des locaux était désaffecté et servait au stockage de ferrailles[3].

La société créa alors au Bourget une usine de tubes pour pouvoir continuer à fournir l'industrie aéronautique française[6].

Entre deux-guerres

Après la guerre, la société reprit sa production et s'agrandit. En 1918, le ministère de l'armement lui avait demandé de trouver un emplacement moins exposé que le Bourget[6]. C'est Bessèges qui fut choisi, où elle créa une nouvelle usine en 1920[7]. En 1930, elle reprit l'usine de la Bonneville à Noisy-le-Sec[8].

Seconde guerre mondiale

Lors de Seconde Guerre mondiale, Anzin fut occupée dès mai 1940, lors de la Fall Gelb, l'ensemble de la région du Nord de la France devenant une zone interdite. Lors de l'exode, les employés de cette usine furent alors envoyés vers celles du Bourget et de Bessèges.

En 1942, après l'échec de la « Relève » visant à recruter des travailleurs volontaires pour l'Allemagne en échange du retour de prisonniers français, une partie des ouvriers de la tuyauterie Escaut et Meuse fut envoyée dans les usines Mannesmann, un peu avant la mise en place du STO[9].

L'usine de Noisy fut détruite à 80 % en avril 1944 par un bombardement de la Royal Air Force visant la gare de triage, qui rasa une bonne partie de la ville et fit 464 morts[8]. Celle d'Anzin fut aussi une cible des bombardements alliés en mai et juin 1944, elle fut peu touchée mais 72 civils furent tués.

Fusion et disparition

Après guerre, la sidérurgie française connut un développement rapide, et l'entreprise, bénéficiant des financements du plan Marshall, modernisa ses usines de la région Nord-Pas-de-Calais. En 1953, les trois usines Escaut et Meuse fusionnèrent avec les aciéries de Longwy, de Senelle-Maubeuge, les Tubes de Bessèges et les mines de Jarny pour former le groupe Lorraine-Escaut ; les usines d'Anzin devinrent son département tubes, principal producteur français de tubes sans soudure[10].

Quand la sidérurgie française connut ses premières difficultés en 1966, de nouvelles restructurations amenèrent à l'absorption de Lorraine-Escaut par Usinor. L'année suivante, elle filialisa les usines à tubes, dont les anciennes Escaut et Meuse, en les regroupant dans la société Vallourec[11]. Lorraine Escaut était jusque-là le principal concurrent de Vallourec pour les activités tubes. Cette recomposition permet à Vallourec de devenir ainsi le leader français du tube acier, à la tête de 15 usines - dont les 6 de Lorraine Escaut - employant 15 000 salariés.

Quand survint le premier choc pétrolier, les dirigeants ne perçurent pas immédiatement l'ampleur de la crise, et relancèrent leurs investissements. Les subventions du 1er plan acier de 1976 ne firent que retarder l'échéance ; Usinor était au bord de la faillite. Les anciennes usines Escaut-et-Meuse fermèrent entre 1979[12] et 1991.

Culture d'entreprise

Créée par deux familles, les Laveissière et les Chaudoir, la société Escaut-et-Meuse demeura jusqu'à sa disparition en grande partie sous le contrôle de celles-ci[4]. Quatre générations de Laveissière se succédèrent au conseil d'administration de 1882 à 1940[4].

Une stabilité analogue fut recherchée du côté de la direction : Conrad Malissart demeura directeur de 1882 à 1919, puis Léopold Defays[13] lui succéda.

La société était très hiérarchisée ; employés et ouvriers ne se mélangeaient pas, et les ingénieurs d'études descendaient rarement dans l'usine mis à part quelques ingénieurs comme Pierre Delbreil. Ce mode de fonctionnement perdura après la fusion qui créa Lorraine-Escaut ; il ne fut progressivement remis en cause qu'à l'époque de la reprise par Vallourec, qui avait une culture différente[14].

Sources

Notes et références

  1. "The Emergence of Modern Business Enterprise in France, 1800-1930", par Michael Stephen Smith - 2006
  2. Monographie, sur le site "Industrie luxembourgeoise"
  3. Jean-Claude Mouys, Histoire d'Anzin, p. 171 à 179
  4. Jean Lambert-Dansette, Histoire de l'entreprise et des chefs d'entreprise en France : L'entreprise entre deux siècles (1880-1914), t. 5, p. 184-185
  5. "Histoire sociale du Nord et de l'Europe du Nord-Ouesté, chapitre sur les "Charbonnages belges", par Marcel Gillet - 1984
  6. Nathalie Gouzy, « Accompagnement social de mineurs protégés : Contexte géographique et historique de l'ancrage de l'ACAD » (consulté le )
  7. « Monuments historiques et monuments protégés de Bessèges » (consulté le )
  8. « Inauguration de la rue Louis-Edouard Misselyn à Noisy-le-sec » (consulté le )
  9. L’exploitation de la main-d’œuvre française dans l’industrie sidérurgique allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, Françoise Berger, Revue d'histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 2003.
  10. Michel Freyssenet, La sidérurgie française 1945-1979. L'histoire d'une faillite, (lire en ligne), p. 24-26
  11. Michel Freyssenet, La sidérurgie française 1945-1979. L'histoire d'une faillite, (lire en ligne), p. 80
  12. « Eléments sur la crise de la sidérurgie en vue d’une approche comparative. Le cas du Nord-Pas-de-Calais et du groupe Usinor.] »(Page 6) Article de Françoise Berger parue dans Revue du Nord, Hors série n° 21, La reconversion industrielle des bassins charbonniers vue dans une perspective comparative, 2006
  13. Léopold Defays, directeur d'Escaut-et-Meuse à partir de 1919, est le grand-père de l'acteur Pierre Richard.
  14. Patricia Kapferer, Vallourec, au cœur de l'excellence, p. 31

Bibliographie

  • Jean-Claude Mouys, Histoire d'Anzin
  • Michel Freyssenet, La sidérurgie française 1945-1979. L'histoire d'une faillite, (lire en ligne)
  • Patricia Kapferer, Vallourec, au cœur de l'excellence, KGB & co,
  • Jean Lambert-Dansette, Histoire de l'entreprise et des chefs d'entreprise en France : L'entreprise entre deux siècles (1880-1914), t. 5, Editions L'Harmattan, coll. « Chemins de la mémoire », (ISBN 978-2-296-09302-7 et 2-296-09302-7, lire en ligne)
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