Emil Hartmann

Emil Hartmann, de son nom complet Wilhelm Emilius Zinn Hartmann, fait partie de la quatrième génération de compositeurs dans sa famille. Auteur d'opéras, ballets, cantates, œuvres symphoniques, de chambre, et pour piano, ainsi que de mélodies, son style peut évoquer celui de ses contemporains plus célèbres tels que Dvorak ou Tchaikovsky, mais avec une coloration scandinave[1]. En particulier, ses suites de musique populaire scandinave ont en leur temps une notoriété comparable à celle des danses hongroises de Brahms ou des danses slaves de Dvorak[2].

Emil Hartmann reçoit sa première éducation de son père, Johan Peter Emilius Hartmann, et de son beau-frère Niels Gade. Il suit aussi les cours de piano de Niels Ravnkilde (1823-1890) et d'Anton Rée (1820-1886), lequel avait dans sa jeunesse fréquenté Frédéric Chopin. La correspondance de H. C. Andersen montre qu’Emil Hartmann composait déjà enfant, avant même de parler correctement[3]. Son recueil de Quatorze petites chansons pour la jeunesse, publié comme Opus 20 en 1877, et qui regroupe des mélodies composées dans son enfance, en est un témoignage parlant.

En 1858, son premier travail majeur, un Hymne de la Passion pour soprano, chœur et orchestre sur texte de Berhard Severin Ingemann est joué le jour de Pâques à la Cathédrale de Copenhague. Cette même année, il reçoit avec son ami et futur beau-frère August Winding la tâche de composer la musique pour le ballet Fjeldstuen (Le chalet dans la montagne) d'August Bournonville. Ce ballet qui, dans l'œuvre du chorégraphe, marque un tournant vers un style plus naturaliste, sera joué pour la première fois en mai 1859 au Théâtre Royal de Copenhague et restera longtemps à l’affiche.

Grâce à une bourse, Emil Hartmann entreprend en 1859 une tournée d'étude en Allemagne, où il fait un long séjour à Leipzig, et visite aussi Berlin, Paris et Vienne.

En 1864, il épouse Bolette Puggaard (1844-1929) (fille de l’armateur et banquier Rudolph Puggaard et petite-fille de la peintre homonyme Bolette Puggaard). Pour leur mariage à la Cathédrale Notre-Dame de Copenhague, H. C. Andersen et Niels W. Gade écrivent conjointement une cantate.

Emil Hartmann acquiert alors la villa Carlsminde à Søllerød au nord de Copenhague, où il pouvait composer tranquillement. En 1861, il est nommé organiste à l’église Saint Jean à Copenhague et puis, à partir de 1871, à l’église du Palais de Christiansborg.

Ses premiers opéras (En Nat mellem Fjeldene, Elverpigen, et Korsikaneren) sont créés au Théâtre Royal de Copenhague, mais ne reçoivent guère qu'un succès d'estime. En revanche, ce sont ses symphonies et ouvertures, de même que sa musique de chambre, qui lui assurent sa renommée. En 1868, le périodique britannique The Orchestra relève que non seulement deux des opéras du jeune compositeur ont été créés à Copenhague, mais aussi deux symphonies, une suite orchestrale, un quintette à clavier, un trio à clavier, une sonate pour violon et piano et de nombreuses mélodies, et que le quintette et le trio ont été joués aussi à Leipzig, et la symphonie en mi mineur plusieurs fois à Berlin et Vienne, tandis que l’ouverture de Elverpigen est jouée au Crystal Palace à Londres.[4]

En tant que chef d’orchestre, Emil Hartmann fait désormais des tournées annuelles dans les principales villes allemandes et ailleurs pour y conduire ses œuvres, souvent avec les orchestres les plus renommés (les Berliner Philharmoniker ou la Koenigliche Kapelle à Berlin, le Gewandhaus à Leipzig, le Guerzenich à Cologne, etc). Il y récolte beaucoup de critiques favorables[5]. Sa musique a été publiée principalement par des éditeurs allemands. Après la mort de Niels Gade, il succède brièvement à celui-ci à la tête de la Société Musicale de Copenhague (Musikforeningen) et de son orchestre et chœur mais doit y renoncer pour des raisons de santé.

A la fin de sa vie, Emil Hartmann retourne à la composition d'opéras, avec un enthousiasme tel qu'il en oublie heure et repas. Sa famille le baptise « la fabrique d'opéras ». Son opéra Ragnhild (Runenzauber en allemand), d’après Henrik Hertz, est créé avec succès par Gustav Mahler à Hambourg, Emil est rappelé sept fois sur scène et les critiques sont unanimement élogieuses. L’opéra est joué ensuite à Dresde (avec Marie Wittich dans le rôle-titre), ainsi qu'à Copenhague (sous la direction de Johan Svendsen).

En revanche, son œuvre ultime, l'opéra Det Store Lod, d’après la comédie Sparekassen de Henrik Hertz (et destiné à être joué en diptyque avec Ragnhild), attend encore sa création.

Copenhague au XIX^e siècle était une petite ville où - dans le domaine musical - tout le monde se connaissait, voire était même souvent de la même famille. Dans le cas d’Emil Hartmann, tant son arrière-grand-père, que son grand-père, son père, sa mère, et son oncle étaient compositeurs. Les compositeurs Niels Gade et August Winding étaient ses beaux-frères, le compositeur Peter Heise son cousin par alliance, et les compositeurs Thekla von Gähler, Asger Hamerik et C. F. E Horneman tous trois cousins d'Emil. Si l'on ajoute que plusieurs de ces personnes ont souvent vécu simultanément dans la demeure familiale, la maison Zinn à Copenhague, il est clair que l'atmosphère devait être particulièrement stimulante pour un jeune musicien^,[6].

Simultanément, Emil Hartmann se sentira fréquemment réduit dans son pays natal au rôle de «fils de son père et beau-frère de Gade», et préférera si possible jouer sa musique à l'étranger et particulièrement en Allemagne où ses relations familiales lui portent moins ombrage.

Emil et Bolette Hartmann eurent cinq enfants aux parcours très divers:

• Bodil Neergaard, soprano et philanthrope, qui héberge chaque été dans son Manoir de Fuglsang au Lolland une vaste colonie d’artistes et musiciens;
• Agnete Lehmann (1868-1902), actrice au Théâtre Royal de Copenhague et au Théâtre Dagmar, et épouse du metteur en scène Julius Lehmann (1861-1931). Bien que décédée jeune, celle-ci a joué des rôles tels qu’Ophélie dans Hamlet de Shakespeare, Léonore dans Det lykkelige skibbrud de Ludvig Holberg, Esther de la pièce du même nom de Holger Drachmann, Clausine dans la pièce Frejas alter de Oehlenschläger, Eléonore dans La juive de Tolède de Grillparzer, Bianca dans La Mégère apprivoisée de Shakespeare, ou Dorimène dans Le mariage forcé de Molière[7];
• Johannes Palmer Hartmann, fondateur d'une grande horticulture à Gand;
• Rudolph Puggaard Hartmann (1871-1958), électro-ingénieur; et
• Oluf Hartmann, peintre, mort jeune et à la mémoire duquel Carl Nielsen composa son Andante Lamentoso pour orchestre à cordes (Devant le cercueil d’un jeune artiste).

Le réalisateur Lars von Trier est l’arrière-petit-fils de Emil Hartmann, et le compositeur Niels Viggo Bentzon (1919-2000), son petit-neveu.

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Emil Hartmann avait une personnalité complexe et excentrique, alliant charme et originalité avec un tempérament fougueux et un esprit plus sombre et mélancolique. Les anecdotes abondent sur son sens de l’humour souvent inattendu. Son fils Rudolph raconte par exemple qu'un jour, alors que son père séjournait chez sa fille Bodil au Manoir Fuglsang, une certaine Madame Stroehmer s’était annoncée, venant d'Allemagne, mais son arrivée avait été retardée. Emil Hartmann eut aussitôt l'idée d'enfiler une robe noire et de s'attifer de boucles grises, et de prétendre être cette dame, et le fit si parfaitemement qu'aucun des autres hôtes ne douta une seconde de son identité. Une invitée souffla à son voisin de table qu'il s'agissait « d'une bien vulgaire personne ». Les enfants avaient du mal à retenir leur fou-rire. À un moment cependant, «Madame Stroehmer» fit un geste dramatique en désignant une peinture sur le mur représentant Kráka nue, essayant vainement de cacher ses charmes sous un filet de pêcheur, et demanda en allemand: « Ah, sans doute feu Madame le Baronne ? », à la suite de quoi tout le monde éclata de rire et la vérité ne put plus être cachée[8].

Profondément cosmopolite, une des phrases favorites d'Emil Hartmann était: « Oui, évidemment, Dieu, le Roi et la Nation, et l'axe du monde passe à travers le nombril du cheval de Kongens Nytorv ». Il s'opposait aussi à l'antisémitisme rampant de l'époque, affirmant volontiers que « nous sommes tous des juifs pour notre Seigneur »[9].

D’une santé fragile, Emil Hartmann était sujet à des troubles psychologiques et dépressions fréquents. À plusieurs reprises, iI se fait interner dans des institutions psychiatriques pour se faire soigner. Lors de ces crises, il sera souvent alité pendant des mois et incapable de reconnaître son entourage. Ses dernières années sont marquées par une fragilité grandissante qui le mettait dans des humeurs sombres, il aimait alors réagir en se promenant avec un fouet et le faisant claquer sur les critiques imaginaires de son art[10].

Emil Hartmann a laissé sept symphonies, de multiples suites orchestrales, opéras, cantates, ballets, ouvertures ainsi que le premier poème symphonique composé au Danemark (Hakon Jarl), des concertos pour respectivement violon, violoncelle et piano, de la musique de scène, et de la musique religieuse, de même que de la musique de chambre (nonette à vents, quintette à clavier, quatuors à cordes, quatuors à clarinette, trios à clavier, sérénade pour clarinette violoncelle et piano, sonates pour violon, etc.), des mélodies et de la musique pour piano. Son idéal de composition était une musique naturelle qui ne recherche pas - disait-il- à épater artificiellement par une pseudo-science[11]. Son compositeur favori était Mozart.

Dans l'ordre chronologique, on peut citer notamment parmi ses œuvrse :

• Bodil Neergaard, Hendes Slægt og Virke skildret af Familie og Venner, Koebenhavn 1947, 155 pages
• Sørensen, Inger, Emil Hartmann, Multivers 2020, 143 pages
• Sørensen, Inger, Hartmann. Et Dansk Komponistdynasti, Koebenhavn 1999, 656 pages
• Sørensen, Inger, J.P.E. Hartmann og Hans Kreds, bd 1-4, Koebenhavn 1999-2002, 2452 pages
• Soerensen, Inger, Johannes Palmer Hartmann og Hans Kreds, bd 1-2, Koebenhavn 2012, 1135 pages
• Kritischer Bericht über die Aufführungen der Compositionen von Emil Hartmann nebst ein Verzeichnis derselben, Koebenhavn, 1896, 39 pages

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