Elena Fortún

María de la Encarnación Gertrudis Jacoba Aragoneses y de Urquijo, connue sous son nom de plume Elena Fortún, née à Madrid en 1886 et morte en 1952 dans cette même ville, est une écrivaine espagnole, spécialiste de la littérature de la jeunesse.

Biographie

Enfance

María de la Encarnación est née le 17 novembre 1886 à Madrid, fille unique du militaire Leocadio Aragones et de Manuela de Urquijo, issue de la noblesse basque. C'est une enfant solitaire, rêveuse et sensible. Elle perd son père en 1904[1].

Famille

Eusebio de Gorbea y Lemmi, mari d'Elena Fortún (1909)

Elle se marie à dix-huit ans avec Eusebio de Gorbea y Lemmi, militaire et écrivain, en 1908. Le couple a deux fils, Luis (1908) et Manuel (1909), et vit à Madrid, dans la calle Ponzano, en 1919. L'un de leurs voisins est Santiago Regidor, professeur de dessin et collaborateur de la revue Blanco y Negro.

Elle y tient un salon littéraire où se rencontrent les figures de la vie intellectuelle de l'époque, comme María Rodrigo, María Martos et María Lejárraga.

En 1922, la famille s'installe à Tenerife. Elena se lie d'amitié avec Mercedes Hernández, épouse d'Eduardo Díez del Corral, collègue de son mari. Cette famille lui inspirera les personnages de ses écrits.

Elle tient son nom de plume d'Elena Fortún du titre d'un roman de son époux, Los mil años de Elena Fortún (1922).

Carrière

Elena Fortún revient à Madrid en 1924. Elle est nommée secrétaire de l'association Mujeres Amigas de los Ciegos, qui aide les personnes aveugles, et étudie le braille pour réaliser au mieux son travail. Elle entre à la Société Théosophique de Madrid. Elle intègre également la Residencia de Señoritas, dirigée par María de Maeztu. Elle y étudie la science des bibliothèques dans la bibliothèque fusionnée avec celle de l'Instituto Internacional de Madrid, auprès d'Enriqueta Martín. Ses cours sont à l'origine de l'Asociación Libros et de la revue du même nom à laquelle collaborent, avec Elena Fortún, Carmen Conde, Ernestina de Champourcín et Enriqueta Martín, ainsi Vierza Esparza pour les illustrations[2].

Elena est également membre du Lyceum Club Femenino où se réunissent les intellectuelles de Madrid[3]. Les articles qu'elle publie, notamment dans le journal La Prensa, concernent la condition féminine, avec des thèmes comme l'interdiction de la prostitution[4]. Ses articles paraissent également dans la revue La Moda Práctica.

María Lejárraga l'encourage à publier pour subvenir à l'indépendance financière. Elle lui présente Torcuato Luca de Tena, directeur du quotidien ABC, où elle commence à publier Gente Menuda, supplément jeunesse de la revue Blanco y Negro, avec Magda Donato et Salvador Bartolozzi[5]. Elle crée les personnages de Celia, la plus populaire, ainsi que Cuchifritín et Matonkiki, Mila, Roenueces, le mage Pirulo, le professeur Bismuto, Lita et Lito et la Marraine (la Madrina). Elle publie le 24 juin 1928, Celia lo que dice.

Elle collabore également à Cosmópolis, Crónica, Estampa, Semana et d'autres publications de jeunesse. Elle devient célèbre, son mari restant en second plan[6].

Le couple emménage alors dans une maison du quartier Chamartín de la Rosa qui apparaît dans Celia en la revolución[7].

Les éditions Editorial Aguilar acquièrent les droits de publication et sortent les œuvres de l'écrivaine : Celia y sus amigos, avec des illustrations de Gory Muñoz ; Cuchifritín, el hermano de Celia, El bazar de todas las cosas et Teatro para niños. En 1934, elle publie avec María Rodrigo Canciones infantiles. Elle dirige également La Quiromancia al alcance de todos, dans la revue Crónica en 1935.

Elle rencontre durant ses années Matilde Ras, pionnière de la graphologie en Espagne. Toutes deux font partie de la première génération de féministes espagnoles[8] et sont membres du Círculo Sáfico de Madrid créé par la scénographe Victorina Durán[9]. Elle se lie également avec les républicaines Victoria Kent et Zenobia Camprubí[10].

Guerre d'Espagne et exil

Au début de la guerre d'Espagne, son mari, déjà retraité, demande sa réintégration dans le service actif et devient le directeur de l'École d'Aviation de Barcelone. Elena reste à Madrid et écrit sur les conséquences, au jour le jour, de la guerre sur les enfants[11],[12]. En 1939, elle prépare à Madrid le publication de Celia madrecita lorsque les troupes de Franco arrivent à briser la résistance et envahissent la capitale. Fortún doit s'exiler, d'abord en France, puis en Argentine, où elle parvient à rejoindre son mari à Buenos Aires. Elle réussit, petit à petit, à commencer une nouvelle vie grâce à l'aide de Victorina Durán, qui travaille alors comme scénographe de Margarita Xirgu. Elle commence à publier ses articles en Argentine, dans le journal Crítica où elle parle de politique espagnole, El Sol où elle fait les portraits de grandes personnalités féminines et La Prensa où elle publie ses contes. Elle écrit en 1943 Celia en la revolución qui ne pourra être publié qu'en 1987[13].

En 1944, elle publie Celia, institutriz en América, qui raconte les difficultés de la vie en exil, le père du personnage de Celia étant militaire républicain réfugié. Ce livre est interdit par la censure franquiste. Elle rencontre, à Buenos Aires, Inés Field, femme d'une profonde foi religieuse, qui l'influence : le personnage de Celia effectue sa première communion dans Caduerno de Celia.

En 1948, Elena décide de rentrer en Espagne. Alors qu'elle est en train de tenter de régulariser avec le régime franquiste le retour de toute la famille, son mari se suicide à Buenos Aires le 16 décembre 1948.

Elena rentre en Argentine pour le testament. Au même moment sont publiés La hermana de Celia (Mila et Piolín), Mila, Piolín y el burro et Celia se casa (Celia se marie). Dans un premier temps, Elena part vivre à New York avec son fils survivant, mais préfère finalement rentrer définitivement en Espagne, mais à Barcelone, Madrid lui renvoyant trop de souvenirs.

C'est à Barcelone qu'elle rencontre Carmen Laforet. Elles partagent leur passion pour de la littérature enfantine et le souvenir de l'exil. Carmen a travaillé, dans les premières années d'exil, à la bibliothèque de Buenos Aires grâce à l'intervention de Jorge Luis Borges qu'elle connaissait grâce à sa sœur Norah Borges, l'un de ces amies. Elena entame une longue correspondance avec Carmen[14], ainsi qu'avec Carmen Conde et Esther Tusquets[15]. Elle continue à écrire et publie en 1950, Los cuentos que Celia cuenta a las niñas et Los cuentos que Celia cuenta a los niños. Son dernier livre, publié la même année est destiné à un jeune public plus mûr. Il s'intitule Patita y Mila, estudiantes et rencontre un franc succès[16].

Elena, gravement malade d'un cancer de poumon, revient à Madrid. Elle meurt à soixante-cinq ans, le 8 mai 1952.

Plaque commémorative apposée sur le domicile des parents d'Elena, calle de Huertas, à Madrid.

La saga de Celia et le roman d'apprentissage sous le régime franquiste

Elena Fortún reste une grande représentante du genre du roman d'apprentissage, ou Bildungsroman, qui vise à évoquer le portrait d'une société à travers les yeux du narrateur. Le personnage de Celia est ainsi une enfant douée d'une grande imagination, qui grandit et développe sa personnalité, l'enfance de Celia constituant les cinq premiers volumes de la saga. La réussite de Fortún a été de donner voix aux enfants, l'auteure étant influencée par les préconisations de l'Instituto Escuela et de l'Institution Libre d'Enseignement. L'éducation est pour elle essentielle à la modernisation de la société. Ainsi, la mère de Celia est, comme Elena Fortún, membre du Lyceum Club et mène une vie indépendante[17].

Celia narre également l'impossibilité d'accéder au métier d'écrivaine, qu'elle souhaitait être dans son enfance. L’œuvre de Fortún présente ainsi la difficulté d'être une femme sous le régime franquiste. Ainsi, Celia ne peut pas accéder à l'université et doit accomplir le rôle de mère[18]. Fortún renvoie ainsi au travail d'Emilia Pardo Bazan qui a théorisé le rôle du modèle patriarcal sur l'égalité[19].

Les contes traditionnels pour enfants se caractérisent traditionnellement par une idéologie conservatrice, autant dans le rôle du père et de la mère que dans les valeurs sociales et des politiques qu'elles transmettent. La saga de Celia en prend le contrepied et répond à la volonté de rupture et de modernité de la République espagnole[20].

Œuvre

Saga de Celia

  1. Celia, lo que dice (1929), collection d'histoires courtes publiées dans le revue Blanco y Negro.
  2. Celia en el colegio (1932)
  3. Celia novelista (1934)
  4. Celia en el mundo (1934)
  5. Celia y sus amigos (1935)
  6. Cuchifritín, el hermano de Celia (1935), frère de Celia
  7. Cuchifritín y sus primos (1935)
  8. Cuchifritín en casa de su abuelo (1936)
  9. Cuchifritín y Paquito (1936)
  10. Las travesuras de Matonkikí (1936), cousine de Celia
  11. Matonkikí y sus hermanas (1936)
  12. Celia madrecita (1939)
  13. Celia institutriz en América (1944), censuré par le régime franquiste
  14. El cuaderno de Celia (1947)
  15. La hermana de Celia (Mila y Piolín) (1949)
  16. Mila, Piolín y el burro (1949)
  17. Celia se casa (cuenta Mila) (1950)
  18. Patita y Mila, estudiantes (1951)
  19. Los cuentos que Celia cuenta a las niñas (1951), compilation des contes publiés dans Gente Menuda et Crónica.
  20. Los cuentos que Celia cuenta a los niños (1952)
  21. En 1987, l’œuvre Celia en la revolución, chronique fidèle du siège de Madrid par les nationalistes, a été découverte et publiée.

Autres publications

  • Canciones infantiles (1934), compilation de contes.
  • El bazar de todas las cosas (1935), manuel pour fabriquer des jeux et des marionnettes.
  • Teatro para niños (1942), douza comédies pour les enfants
  • El arte de contar cuentos a los niños (1947)
  • El mago Corifitos y otros cuentos de Celia
  • Pues señor... Cómo debe contarse el cuento y cuentos para ser contados
  • El camino es nuestro (Fundación Banco Santander, 2015)
  • Oculto sendero (Renacimiento, 2016)
  • Elena Fortún et Matilde Ras El camino es nuestro Fundación Banco Santander 2015. Edition de María Jesús Fraga et Nuria Capdevila-Argüelles. (ISBN 978-84-92543-64-9)

Correspondance

  • Carmen Laforet et Elena Fortún De corazón y alma Fundación Banco Santander 2017 Edition de Cristina Cerezales Laforet, Silvia Cerezales Laforet et Nuria Capdevila-Argüelles. (ISBN 978-84-16950-44-7)

Postérité

  • À la télévision, la saga Celia a été adaptée pour TVE par José Luis Borau et Carmen Martín Gaite. La jeune actrice Cristina Cruz Mínguez joue le rôle de Celia, enfant rebelle de sept ans, appartenant à la grande bourgeoisie madrilène.
  • Au théâtre, María Folguera a porté le roman Celia en la revolución au teatro Valle Inclán du Centre Dramatique national de Madrid en novembre 2019, dans le cadre du dyptique"Sendero Fortún"[21],[22].
  • Dans l'espace public, une statue a été érigée en mémoire d'Elena Fortún dans le Parc de l'Ouest de Madrid, œuvre du sculpteur murcien José Planes (1957), grâce à son amie María Martos. Une bibliothèque publique de la ville de Madrid porte également son nom dans le quartier du Retiro ainsi qu'une rue de la capitale espagnole. Une école porte son nom à Ségovie.

Bibliographie

  • Dorao, Marisol. Los mil sueños de Elena Fortún: Celia. Editions de l'Université de Cadix, 2000.
  • Capdevila-Argüelles, Nuria. Autoras inciertas : voces olvidadas de nuestro feminismo. Madrid : Horas y HORAS, 2009.
  • Fraga Fernández-Cuevas, María Jesús. Elena Fortún, periodista. Madrid: Pliegos, 2013.
  • García Cañete, Marta. "Voces de la feminidad. Estudios de Literatura: Enseñar deleitando. Un análisis de las primeras publicaciones de Elena Fortún en Gente menuda (junio-diciembre 1928)", publié dans Calvo Revilla, A. (ed.) Voces de la feminidad : estudios de literatura, lingüística y retórica (vol. II) Madrid: CEU, 2007.
  • Lledó Cunill, Eulàlia et Otero Vidal, Mercè. Doce escritoras y una guía biblioggráfica. Universitat Autònoma de Barcelona, Institut de Ciències de l'Educació, 1994.
  • Martín Gaite, Carmen. "Pesquisa tardía sobre Elena Fortún", publié dans Fortún, Elena. Celia lo que dice. Madrid: Alianza, 2000.
  • Martín Gaite, Carmen. "Arrojo y descalabros en la lógica infantil" publié dans Pido la palabra. Barcelona, Anagrama, 2002.
  • Carmen Bravo Villasante Historia de la literatura infantil española Editorial Escuela española Madrid, 1985 (ISBN 84-331-0306-7)
  • Núñez de la Source, Sara. "Sobre la tradición picaresca en Mila y Piolín de Elena Fortún", publié dans Cardoso, Rosane Maria. A literatura infantil e juvenil em língua espanhola: história, teoria, ensino. Campinas (Brésil): Pontes Editores, 2018 (ISBN 978-85-2170-064-7)
  • (es) García Carretero, « El archivo personal de Elena Fortún en la biblioteca de la Real Academia Española. Un fondo desconocido. », Boletín de información lingüistica de la RAE, no 11, , p. 125-166 (lire en ligne)

Liens externes

Références

  1. (es) María del Mar Antón Cabello & José Antonio Molero, « Personajes en su Historia «Elena Fortún» par María del Mar Antón Cabello et José Antonio Molero », www.gibralfaro.uma.es (consulté le )
  2. (es) Mujeres en Vanguardia, Madrid (ISBN 978-84-939988-6-8), p. 50.
  3. (es) Nuria Capdevila-Argüelles, Autoras inciertas, voces olvidadas de nuestro feminismo, Madrid, (ISBN 978-84-96004-18-4), p. 97-139.
  4. Balló, Tània, Las sinsombrero 2 : ocultas e impecables, Barcelona, (ISBN 978-84-670-5268-8, OCLC 1059528960).
  5. Ramón Guerra de la Vega, Mujeres de la II República, (ISBN 978-84-88271-34-1), p. 86.
  6. « Personajes en su Historia «Elena Fortún» por María del Mar Antón Cabello & José Antonio Molero », sur www.gibralfaro.uma.es.
  7. Elena Fortún, Celia en la revolución, Sevilla, Andrés Trapiello, (ISBN 978-84-16685-07-3).
  8. « Elena Fortún y Matilde Ras, amor y feminismo », www.elcultural.com (consulté le ).
  9. (es) « Prólogo de 'El camino es nuestro'. Elena Fortún y Matilde Ras », es.slideshare.net (consulté le ).
  10. (es) « Elena Fortún y su mundo », sur Conde Duque Madrid.
  11. Elena Fortún et Matilde Ras, El camino es nuestro, Madrid, Nuria Capdevila_Argüelles (ISBN 978-84-92543-64-9), p. 91-108
  12. « www.enfance-violence-exil.net »
  13. (es) Rocío García, « Celia cuenta la verdad de la guerra », El País, (ISSN 1134-6582, lire en ligne)
  14. (es) Carmen Laforet et Elena Fortún, De corazón y alma, Cristina Cerezales Laforet, Silvia Cerezales Laforet et Nuria Capdevila-Argüelles, (ISBN 978-84-16950-44-7), p. 21
  15. « FEMINIDADES (FORTÚN-LAFORET) - Página personal de Luis Antonio de Villena », luisantoniodevillena.es (consulté le )
  16. « Personajes en su Historia: «Elena Fortún» », sur www.gibralfaro.uma.es (consulté le )
  17. (es) Capdevila, « Elena Fortún (1885-1952) y "Celia": El "bildungsroman" truncado de una escritora moderna », Lectora: revista de dones i textualitat, no 11, (ISSN 1136-5781, lire en ligne)
  18. (es) « De niñas a mujeres: Elena Fortún como semilla de feminismo en la literatura infantil de la postguerra española », dokumen.tips, (lire en ligne, consulté le )
  19. « El ángel del hogar y la feminidad en la narrativa de Pardo Bazán », sur www.um.es (consulté le )
  20. « www.anmal.uma.es », www.anmal.uma.es
  21. (es) « Celia en la revolución [Sendero Fortún] », Centro Dramático Nacional - Ministerio de Cultura (consulté le )
  22. (es) « Elena Fortún [Sendero Fortún] », Centro Dramático Nacional - Ministerio de Cultura (consulté le )
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