Culture LGBT à San Francisco

La communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre (LGBT) de San Francisco est l'une des plus importantes communautés LGBT des États-Unis et centre névralgique historique du militantisme LGBT aux côtés de New York.

Pour un article plus général, voir LGBT aux États-Unis.

Aussi, San Francisco est parfois surnommé « capitale gay du monde » et « la Mecque gay », et est décrite comme « la ville gay-friendly originale »[1].

La culture LGBT est également active au sein d'entreprises basées dans la Silicon Valley, située dans le sud de la baie de San Francisco[2].

Histoire

XIXe siècle

La culture LGBT de San Francisco trouve ses racines dans les origines de la ville. Au XIXe siècle, San Francisco est une ville-frontière, dont Alamilla Boyd, professeur à l'université d'État de San Francisco, décrit la permissivité sexuelle d'une « ville ouverte » « où tout est permis »[3] . La ruée vers l'or fait passer la population de la ville de 800 à 35 000 habitants entre 1848 et 1850, majoritairement des mineurs et des chercheurs d'or de diverses nationalités et cultures, et à plus de 95 % des jeunes hommes[4].

Miner's Ball, gravure de 1891 par Andre Castaigne qui représente une danse réservée aux hommes pendant la ruée vers l'or de 1849 en Californie

Ces populations diverses et de passage sont plongées dans un environnement relativement anarchique et son moins susceptibles de se conformer aux conventions sociales. Par exemple, avec un sex-ratio déséquilibré, les hommes assument souvent des rôles traditionnellement attribués aux femmes dans les sphères sociales et domestiques. Le travestissement et les danses entre hommes sont alors courantes lors de bals masqués, lors desquels certains hommes assument le rôle traditionnel de femmes allant jusqu'à porter des vêtements féminins[4]. Dans son étude Arresting dress, cross-dressing in 19th-century San Francisco, Clare Sears décrit également de nombreux cas de femmes vêtues de vêtements masculins dans l'espace public afin d'accroître leurs libertés sociale et économique et leur sécurité[5].

La fin des années 1800 correspond à un changement dans la démographie et donc à de nouvelles attitudes sociales et politiques. Des campagnes le lutte contre le vice sont lancées ciblant notamment la prostitution, mais interdisant également le travestissement en 1863[4].

L'application des lois contre le travestissement et l« indédence publique » façonnent la culture LGBT et les interactions des personnes LGBT avec les forces de l'ordre jusqu'au XXe siècle. Ce changement politique abouti au repli de la culture LGBT dans les bars, les boîtes de nuit de la Barbary Coast, à l'abri du contrôle de la police[3].

Des années 1890 à 1907, la Barbary Coast, le premier quartier chaud de San Francisco située sur Pacific Avenue, est un lieu de prostitution homosexuelle et travestie à destination d'une clientèle masculine[6].

Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale : dans l'ombre
Gladys Bentley se produit dans la boîte de nuit lesbienne Mona's dans les années 1930.

Selon Michael Stabile de Out, le premier bar gay « notoire » de San Francisco est The Dash, ouvert en 1908. Pendant la Première Guerre mondiale, la marine américaine débute sa pratique de blue discharge, autrement dit la démobilisation des homosexuels connus dans les villes portuaires, ce qui contribue à créer une communauté gay à San Francisco dans les années 1920 et 1930[7],[8]. La zone LGBT la plus importante est alors North Beach . Mona's, le premier bar lesbien de San Francisco, ouvre sur Union Street en 1934 et présentait des serveuses travesties ainsi que l'artiste Gladys Bentley[6] . Les boîtes de nuit avec des spectacles de drag attirent un public gay et hétéro[9].

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la vie nocturne gay à San Francisco connait plusieurs vagues de répression et de réorganisation. De 1942 à 1943, le San Francisco Moral Drive « composé de patrouilles militaires » mène une série de raids visant les bars gays de la ville, dans le but assumé de protéger les militaires des homosexuels. Chinatown, l'un des endroits où se rassemblaient les visiteurs homosexuels, est également fouillé à plusieurs reprises. Par exemple, en 1943, la police fait une descente dans le bar gay, Rickshaw, et arrête les patrons et 24 clients, dont deux lesbiennes qui tentent de riposter et déclenchent une petite émeute[10].

Selon Todd J. Ormsbee, professeur d'études américaines à l'université d'État de San Jose et auteur de The Meaning of Gay: Interaction, Publicity, and Community among Homosexual Men in 1960s San Francisco, une « culture masculine gay un peu plus ouverte » est apparue à San Francisco en raison de la « relative sécurité » de la ville par rapport aux autres villes américaines et en raison d'une « permissivité » dans la culture de la ville[11].

Années 1950 : les Beats et les premières organisations

La culture beat éclate à San Francisco dans les années 1950 lors d'une rébellion contre les valeurs de la classe moyenne. Elle se positionne dès lors, comme l'homosexualité en dehors de la culture dominante. Les poètes beat qui déménagent à San Francisco depuis New York, prospèrent dans l'atmosphère permissive de San Francisco, et certains comme Allen Ginsberg sont ouvertement gays. Dans ces conditions, les premiers groupes politiques homosexuels sont fondés, comme les Daughters of Bilitis (fondée à San Francisco, il s'agit de la première organisation lesbienne de défense des droits civiques et politiques aux États-Unis), et la Mattachine Society, fondée à Los Angeles mais dont le siège est situé à San Francisco à partir de 1956[12].

Les descentes de police dans le bar Black Cat Bar (en), à la clientèle bohème et LGBT et mettant en vedette l'artiste et activiste José Sarria (en), déclenchent un important combat juridique pour la protection des homosexuels dans les années 1950[13],[14].

Années 1960 : la capitale gay

En 1961, José Sarria (en) devient la première personne ouvertement homosexuelle à se présenter à une élection aux États-Unis, en candidat au Conseil des superviseurs de San Francisco[15]. Il rassemble plus de 6 000 voix[15], imposant l'idée qu'un bloc électoral gay voting peut présenter un réel poids sur la vie politique locale[16]. À ce sujet José Sarria déclare : « À partir de ce jour, personne ne peut se porter candidat à quoique ce soit à San Fransisco sans frapper à la porte de la communauté gay »[17].

La Tavern Guild (en), la première association professionnelle gay des États-Unis est créée par des propriétaires de bars gays en 1962 en réponse au harcèlement policier et à la fermeture administrative de bars.[18]

L'article de juin 1964 signé par Paul Welch et paru dans Life sous le titre Homosexuality In America est le premier article sur la communauté LGBT dans une publication nationale. L'article décrit San Francisco comme « la capitale gay de l'Amérique »[19].

La Society for Individual Rights (SIR), est fondée à San Francisco en 1964, publie le magazine Vector et devient en deux ans la plus grande organisation homophile des États-Unis.[20]

Dans la nuit du 1er janvier 1965, plusieurs organisations homophiles de San Francisco — y compris la SIR, les Daughters of Bilitis, le Council on Religion and the Homosexual (en) et la Mattachine Society — organisent un bal de levée de fonds[21]. La police avait accepté de ne pas intervenir, toutefois, le soir du bal entoure le California Hall qui accueil l'évènemenent. Alors que plus de 600 personnes approchent de l'entrée du bâtiment, la police les prend en photo[21]. Evander Smith (en), un des avocats des organisations organisatrices, Herb Donaldson (en), Elliott Leighton et Nancy May sont arrêtés alors qu'ils essayent d'empêcher la police de procéder à de nouveaux contrôles.[21] 25 des avocats les plus en vue de San Francisco assurent la défense des quatre avocats, ce qui mène à leur acquittement immédiat[21]. Certains historiens qualifient cet évènement de Stonewall de San Francisco[21].

Plaque commémorative de l’émeute de la Compton's Cafeteria.

Vanguard, une organisation fondée par de jeunes LGBT du quartier populaire de Tenderloin (en) en 1965. Elle est considérée comme la première organisation de libération gay (en) aux États-Unis.[22]

L'année suivante, la première émeute documentée de personnes transgenres a lieu. La émeute de la Compton's Cafeteria (en) dans le district de Tenderloin district of San Francisco a lieu en réaction au harcèlement et aux discriminations dont sont les l'objet les femmes trans dans cette cafétéria. Selon l’encyclopédie en ligne glbtq.com, à la suite de cette émeute, un réseau de soutien social, psychologique et médical est organisé, ce qui donne naissance en 1968 au National Transsexual Counseling Unit, la première organisation d'autosupport et de défense par et pour les personnes trans au monde[23].

Une des premières organisations pour les personnes bisexuelles, la Sexual Freedom League est fondée à San Francisco par Margo Rila et Frank Esposito en 1967[24].

Années 1970 : la libération gay

Les émeutes de Stonewall à New York en juin 1969, mènent à la création de groupes de défense des droits des homosexuels à New York, San Francisco et ailleurs. Des journaux sont créés et des marches sont organisés dans les grandes villes pour commémorer l'anniversaire des émeutes. Ces efforts disparates sont collectivement connus sous le nom de mouvement libération gay aux États-Unis, et ont principalement concerné les hommes gays et les lesbiennes.

En 1970, des groupes de la côte ouest organisent une marche baptisée Gay-in à San Francisco[25]. En 1972, cette marche est renommée Gay Liberation Day Parade, et porte aujourd'hui le nom de San Francisco Pride.

L'identification du Castro comme un quartier gay commence dans les années 1960 et 1970, au fur et à mesure des personnes LGBT s'y installent[12],[26].

Les bars et organisations des lesbiennes prolifèrent dans les années 1970, ainsi que des salons de thés, des librairies et des bains publics. Beaucoup de ces établissement se concentrent autour de Valencia Street dans Mission District[27].

La première ligue gay de softball est formée à San Francisco en 1974. Elle comprend par la suite des équipes masculines et féminines. Ces équipes, généralement sponsorisées par les bars, s'affrontent les unes et les autres, mais également l'équipe de la police de San Francisco[28]. Des militants créent également une université gay, Lavender U, et fonde le premier festival de cinéma gay en 1977[29].

Peter Adair (en), Nancy Adair et d'autres membres du Mariposa Film Group sortent le documentaire révolutionnaire Word Is Out: Stories of Some of Our Lives (en) au Castro Theatre en 1977. Le film est le premier long-métrage documentaire sur l'identité gay réalisés par des gays et lesbiennes[30],[31].

En novembre 1977, Harvey Milk est élu au Conseil des superviseurs de San Francisco, et en devient alors le premier membre ouvertement homosexuel[32]. Un an plus tard, Dan White, un autre membre du Conseil des superviseurs de San Francisco tue Harvey Milk et George Moscone, le maire de San Francisco. En mai 1979, Dan White est reconnu coupable d'homicide involontaire et non pas non pas d'assassinat. Ce jugement déclenche les émeutes de la Nuit White, lors desquelles 140 personnes sont blessées[33].

Années 1980 et 1990 : les années sida
San Francisco Pride en 1986.

Le sida a touché brutalement la communauté gay de San Francisco dès le tout début des années 1980[34],[35]. 15 548 hommes gays meurent du sida à San Francisco avant l'introduction des trithérapies dans la seconde moitié des années 1990[36]. Randy Shilts, qui décès lui-même du sida par la suite, est l'un des principaux journalistes à s'intéresser au sida[37]. Il est embauché comme correspondent national par le San Francisco Chronicle en 1981, devenant le premier journaliste gay à traiter d'un sujet « gay » dans la presse national[38]. En 1984, le militant bisexuel David Lourea (en) convainc le département de santé publique de San Francisco Department de reconnaître les hommes bisexuels dans les statistiques du sida, après deux ans d'efforts[24]. En 2011, le documentaire We Were Here couvre la crise du sida dans les 1980 et 1990 à San Francisco[36].

Le terme LGB commence à être utilisé à partir de la moitié des années 1980, afin d'inclure plus clairement les personnes bisexuelles.[39]

Le Gay Games ont lieu à San Francisco en 1982 et1986.

En 1984, le magazine On Our Backs commence à paraître à San Francisco, devenant leur premier magazine érotique à destination des lesbiennes aux États-Unis.

La première Dyke March de San Francisco a lieu en juin 1993[40], et a depuis lors lieu tous les derniers samedis de juin[41].

Démographie

Dans les années 1970, la population gay de la ville passe de 30 000 au début de la décennie à 100 000 pour une population totale de 660 000 personnes à la fin de la décennie[42].

En 1993, Stephen O. Murray pose que les résidents LGBT de San Francisco sont majoritairement originaires d'autres villes et ont fait leur coming out avant de s'installer à San Francisco[43]. Une étude Gallup de 2015 établit que 6,2 % des habitants de la région de la baie de San Francisco s'identifient comme LGBT, le pourcentage le plus pour une aire urbaine aux États-Unis[44]. Une étude de 2006 avance le chiffre de 15,4 % de la population s'identifiant comme LGBT dans la ville de San Francisco elle-même.

Selon une étude de 2013, 29 % des sans-abri de la ville s'identifient comme LGBT[45].

Personnalités notables
Le Castro, centre culturel LGBT à San Francisco.

Notes et références
  1. (en) « Gay San Francisco 2021 Travel Guide - Hotels, Bars, & Events », sur www.gaytravel.com (consulté le )
  2. (en-US) Matt Haber, « Technology’s Rainbow Connection », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  3. (en) Nan Alamilla Boyd, Wide-open town: A history of queer San Francisco to 1965, Univ of California Press, , p. 2
  4. (en) Clare Sears, Arresting Dress: Cross-dressing, Law, and Fascination in Nineteenth-century San Francisco, Duke University Press, , p. 24
  5. (en) Clare Sears, Arresting dress: cross-dressing, law, and fascination in nineteenth-century San Francisco, (ISBN 978-0-8223-5754-4, 978-0-8223-5758-2 et 978-0-8223-7619-4, OCLC 881560484, lire en ligne)
  6. (en) Nan Alamilla Boyd, Wide-Open Town: A History of Queer San Francisco to 1965, University of California Press, (ISBN 9780520204157)
  7. (en) « Gay (And Not So Gay) Moments in San Francisco History — the Bold Italic — San Francisco », sur thebolditalic.com,
  8. (en) Michael Sibalis, « Urban Space and Homosexuality: The Example of the Marais, Paris' 'Gay Ghetto' », Urban Studies, vol. 41, no 9,‎ , p. 1739–1758 (DOI 10.1080/0042098042000243138)
  9. « Wigs, waxing and song: Meet the drag pioneers of the 1920s 'Pansy Craze' »,
  10. (en) Allan Bérubé, John D’Emilio et Estelle B. Freedman, Coming Out Under Fire: The History of Gay Men and Women in World War II, University of North Carolina Press, (ISBN 978-0-8078-7177-5, DOI 10.5149/9780807899649_berube, lire en ligne)
  11. (en) Todd J. Ormsbee, The Meaning of Gay: Interaction, Publicity, and Community among Homosexual Men in 1960s San Francisco, Lexington Books, (ISBN 978-0-7391-4471-8, lire en ligne), p. 306
  12. (en) Chris Carlsson, « The Castro: The Rise of a Gay Community », sur Found SF, (consulté le )
  13. Boyd p. 56
  14. (en) Gary Kamiya, « Boisterous dive's saga is the story of S.F.'s seamy side », sur SFGate,
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  16. (en) Randy Shilts, The mayor of Castro Street : the life & times of Harvey Milk, (ISBN 0-312-01900-9, 978-0-312-01900-6 et 0-312-52331-9, OCLC 17385421, lire en ligne), p. 56-57
  17. (en) John Lockhart, The Gay man's guide to growing older, Alyson Books, (ISBN 1-55583-591-0 et 978-1-55583-591-0, OCLC 49551774, lire en ligne)
  18. (en) Vern L. Bullough, Before Stonewall: Activists for Gay and Lesbian Rights in Historical Context, New York, Haworth Press, (ISBN 978-1-56023-193-6)
  19. (en) Todd J. Ormsbee, The Meaning of Gay: Interaction, Publicity, and Community among Homosexual Men in 1960s San Francisco, Lexington Books, (ISBN 978-0-7391-4471-8, lire en ligne), p. 307
  20. (en) « Society for Individual Rights Collection », sur www.oac.cdlib.org
  21. (en) Neil Miller, Out of the past : gay and lesbian history from 1869 to the present, (ISBN 0-679-74988-8, 978-0-679-74988-2 et 0-09-957691-0, OCLC 30073357, lire en ligne), p. 348
  22. (en) « 1966 Vanguard Sweep », sur foundsf.org
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  27. « We thought the world we built would be forever: An Interview with Lenn Keller », sur Open Space
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  45. « How San Francisco is Forcing its Gay Population Onto the Streets »

Voir aussi

Bibliographie
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  • (en) William Lipsky, Gay and lesbian San Francisco, (ISBN 0-7385-3138-3 et 978-0-7385-3138-0, OCLC 123390828, lire en ligne)
  • (en) Gilbert H. Herdt, Gay culture in America : essays from the field, (ISBN 0-8070-7914-6 et 978-0-8070-7914-0, OCLC 23463976, lire en ligne)
  • (en) Todd J. Ormsbee, The Meaning of Gay : Interaction, Publicity, and Community among Homosexual Men in 1960s San Francisco., Lexington Books, (ISBN 1-283-59935-X, 978-1-283-59935-1 et 978-0-7391-4471-8, OCLC 817812565, lire en ligne)
  • (en) Loraine Hutchins et Lani Kaahumanu, Bi any other name : bisexual people speak out, Alyson Pub, (ISBN 1-55583-174-5 et 978-1-55583-174-5, OCLC 22275802, lire en ligne)
  • Donna J. Graves et Shayne E. Watson, Citywide Historic Context Statement for LGBTQ History in San Francisco, San Francisco, San Francisco Planning Department, (réimpr. March 2016) (lire en ligne)
  • (en) Susan Stryker et Armistead Maupin, Gay by the Bay : a history of queer culture in the San Francisco Bay Area, (ISBN 0-8118-1187-5 et 978-0-8118-1187-3, OCLC 33079347, lire en ligne)
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