Combat d'El Bodón

Le combat d'El Bodón se déroule le à El Bodón en Espagne, et oppose la cavalerie française du général de division Louis Pierre de Montbrun à un contingent anglo-portugais sous le commandement du marquis de Wellington. L'affrontement se solde par une retraite des Alliés.

L'armée anglo-portugaise de Wellington a pénétré en Espagne et mis le siège devant Ciudad Rodrigo. Le maréchal Marmont se porte au secours de la place avec l'armée du Portugal. Le , la division de cavalerie du général Montbrun, déployée en avant-garde, se heurte aux premiers éléments ennemis dirigés par le marquis de Wellington. Par la suite, les forces alliées lèvent le siège de Ciudad Rodrigo et se retirent sur la frontière. Bien que d'une importance mineure, ce combat est révélateur des difficultés rencontrées par Wellington dans sa progression sur le sol espagnol.

Contexte

À l'issue des batailles de Fuentes de Oñoro (du 3 au ) et d'Albuera (), l'armée anglo-portugaise met le siège devant Badajoz avant qu'une contre-offensive française ne l'oblige à rétrograder sur Elvas. Le maréchal Auguste Marmont, commandant en chef l'armée française du Portugal, positionne ses troupes autour de Navalmoral d'où il peut soutenir à la fois Badajoz et Ciudad Rodrigo. Dix semaines s'écoulent sans qu'un mouvement offensif ne soit tenté de part et d'autre. Marmont en profite pour réorganiser et compléter ses forces, fortement diminuées après l'échec de l'invasion du Portugal et la bataille de Fuentes de Oñoro[1].

De son côté, le marquis de Wellington projette de s'emparer des deux villes de Badajoz et Ciudad Rodrigo afin de contrôler les deux principales routes d'invasion. Il lui est cependant difficile de mettre en œuvre des opérations d'envergure sans le soutien des armées espagnoles[2]. Privé de cet appui, il communique sa décision de tenter une attaque sur Ciudad Rodrigo, mais précise qu'il abandonnera l'opération si la réaction française se montre à la hauteur. En outre, le commandant britannique sait qu'il ne peut pas non plus compter sur des renforts en provenance d'Estrémadure, où le général Hill avec 16 000 hommes fixe le corps de Drouet d'Erlon devant Badajoz[3].

Le choix de Wellington d'attaquer Ciudad Rodrigo plutôt que Badajoz s'explique par trois raisons :

  • il bénéficie au nord du soutien des milices portugaises, lui donnant la possibilité d'entreprendre avec elles des opérations subsidiaires ;
  • le relief montagneux du terrain lui est doublement favorable, d'une part en lui offrant de solides positions défensives et d'autre part en réduisant l'efficacité de la cavalerie française, plus nombreuse que la sienne ;
  • en attirant Marmont vers le nord, Wellington le sépare du même coup de Soult, en Andalousie, maintenant ainsi à distance les deux principales armées françaises du secteur — l'armée du Nord, bien que numériquement importante, étant dans l'incapacité de soutenir Marmont[4].

Face à la supériorité de son adversaire, et dans l'attente de son train de siège (artillerie et matériel du génie), Wellington se borne à isoler Ciudad Rodrigo en empêchant toute communication avec l'extérieur. Le blocus commence le . Le 12, Wellington établit son quartier-général à Fuenteguinaldo, alors que les forces non engagées dans les opérations de siège restent cantonnées à l'arrière. La coupure des lignes de communication entre Ciudad Rodrigo et Salamanque n'entraîne aucune réaction immédiate de la part des Français. La cité assiégée a en effet été ravitaillée deux jours avant l'arrivée des Anglo-Espagnols et dispose de provisions jusqu'à début octobre. Un courrier intercepté le précise qu'un convoi de vivres est prêt à quitter Salamanque le 21, tandis que des dépêches également tombées aux mains des assiégeants informent que l'armée du Nord et l'armée du Portugal sont en train d'effectuer leur jonction, donnant une importante supériorité numérique aux Français.

Dans ces conditions, Wellington est déterminé à ne pas bouger de Ciudad Rodrigo plus que nécessaire pour préserver ses forces. Son armée étant suffisamment forte pour livrer bataille en rase campagne, le général en chef a bien l'intention de tirer parti des montagnes environnantes et a déjà fait construire des retranchements à Fuenteguinaldo ainsi qu'à Rendo et Alfaiates, non loin de Sabugal.

Topographie du terrain

El Bodón (voir carte) est un petit village situé à environ 15 km au sud-ouest de Ciudad Rodrigo, installé sur un plateau entourant la ville et où transite la route reliant Ciudad Rodrigo à Fuenteguinaldo. À cet endroit, aussi bien à l'est qu'au sud et à l'ouest, le terrain en pente offre une position dominante à un éventuel occupant.

Forces en présence

Ordre de bataille français

Les troupes françaises présentes dans la région, en plus de la garnison de Ciudad Rodrigo, appartiennent à l'armée du Portugal commandée par le maréchal Marmont et à l'armée du Nord dirigée par le général Dorsenne. Les effectifs en présence de ces deux armées se montent à 27 500 hommes pour Marmont et 29 000 hommes pour Dorsenne, formant un total disponible de 56 500 soldats.

Armée du Portugal

Le maréchal Marmont, commandant en chef l'armée du Portugal.

Cette armée, au commandement de laquelle Marmont a remplacé le maréchal Masséna, comprend six divisions d'infanterie, deux brigades de cavalerie légère et une division de dragons. Sa composition est la suivante[5] :

Maréchal Auguste-Frédéric-Louis Viesse de Marmont, commandant en chef — 32 467 fantassins, 3 341 cavaliers et 2 875 artilleurs, hommes du train et sapeurs

Armée du Nord

L'armée commandée par le général de division Jean Marie Pierre Dorsenne est à ce moment la plus grande armée française dans la péninsule espagnole, avec 88 442 hommes disponibles en date du . Cependant, la majeure partie d'entre eux sont utilisés à la garnison des places du nord de l'Espagne, si bien que Dorsenne ne peut mobiliser que 27 000 fantassins et 2 000 cavaliers pour appuyer Marmont[7].

Ordre de bataille anglo-portugais

Le marquis de Wellington, commandant en chef l'armée anglo-portugaise.

Wellington aligne près de 46 000 hommes, dont 17 000 Portugais. Sa cavalerie comprend au total 3 100 sabres incluant 900 Portugais. L'historien britannique Charles Oman remarque que la faiblesse relative des effectifs s'explique par le nombre de malades[8], en prenant l'exemple des bataillons arrivés à Lisbonne au mois de juin, forts d'entre 700 et 800 hommes, et réduits en septembre à 400 ou 500 soldats : ainsi, le 40e Regiment of Foot compte, au , 513 malades sur un effectif théorique de 791 hommes. En cas d'affrontement, Wellington peut réunir les troupes suivantes[9] :

  • 1re division d'infanterie (à Carpio de Azaba) : lieutenant-général Thomas Graham4 926 hommes
  • 3e division d'infanterie : lieutenant-général Thomas Picton — 3 brigades, 5 277 hommes
    • Brigade A : lieutenant-colonel Wallace, commandant par intérim en remplacement du major-général Henry MacKinnon — 2 141 hommes
      • 1er bataillon du 45e Regiment of Foot — 1 bataillon
      • 1er bataillon du 74e Regiment of Foot — 1 bataillon
      • 1er bataillon du 88e Regiment of Foot — 1 bataillon
      • 5e bataillon du 60e Regiment of Foot — 3 compagnies
    • Brigade B : major-général Charles Colville1 847 hommes
      • 2e bataillon du 5e Regiment of Foot — 1 bataillon
      • 2e bataillon du 83e Regiment of Foot — 1 bataillon[10]
      • 77e Regiment of Foot — 1 bataillon
      • 94e Regiment of Foot — 1 bataillon[11]
    • 1re brigade portugaise : brigadier-général Luís Inácio Xavier Palmeirim — 4 bataillons
      • 1er et 2e bataillons du régiment d'infanterie no 9, lieutenant-colonel Charles Sutton — 2 bataillons
      • 1er et 2e bataillons du régiment d'infanterie no 21, lieutenant-colonel José Joaquim Champalimaud — 2 bataillons
  • 4e divisionFuenteguinaldo) — 6 483 hommes
  • 5e division (dans la Sierra de Gata) — 5 005 hommes
  • 6e division (sur la rivière Azaba) — 5 687 hommes
  • 7e division (entre Sabugal et Fuenteguinaldo) — 5 102 hommes
  • « Division légère » (près de Martiago) — 4 200 hommes
  • Corps de cavalerie : major-général Stapleton Cotton — 6 brigades, 4 026 sabres
  • Artillerie — 11 batteries à cheval et de campagne

Déroulement du combat

Le général de division Louis Pierre de Montbrun, commandant la division de dragons de l'armée du Portugal.

Un contingent militaire français, mêlant des troupes de l'armée du Portugal et de l'armée du Nord, s'approche de Ciudad Rodrigo afin d'assurer le ravitaillement de la place et forcer les assiégeants à lever le blocus. Envoyée en avant-garde, la cavalerie arrive sous les murs de la ville le où elle est rejointe par l'infanterie le lendemain. Devant l'arrivée des Français, les éléments de cavalerie britanniques positionnés au nord de l'Águeda se retirent vers le sud en laissant ouverte la route de Salamanque. Dans le même temps, les 1re et 6e divisions britanniques s'avancent sur Carpio de Azaba pour couvrir celle d'Almeida ; Wellington et la 4e division restent à Fuenteguinaldo tandis que la 3e occupe Pastores et El Bodón. La Light Division division légère ») se trouve à Martiago. Un rideau de cavalerie protège l'ensemble, avec la division portugaise Madden sur le cours inférieur de l'Águeda, la brigade Anson sur la route de Carpio, et enfin la brigade Alten sur le cours supérieur de l'Águeda entre Carpio et Pastores[12].

Ne croyant pas les Français capables de pousser au-delà de Ciudad Rodrigo, le général en chef britannique a imprudemment dispersé ses troupes, donnant à ses adversaires la possibilité de s'immiscer dans les intervalles entre les différentes unités et ainsi empêcher leur concentration à Fuenteguinaldo. Les troupes françaises tâtent le dispositif de Wellington, ce qui donne lieu à quelques accrochages sans grandes conséquences aux alentours de Carpio. Cependant, la situation s'aggrave rapidement dans le secteur d'El Bodón, où se trouve la 3e division[13].

Le général Montbrun emprunte la route de Fuenteguinaldo avec sa division de dragons et les brigades de cavalerie légère Lamotte et Fournier. Une fois l'Águeda franchi, il continue son chemin, à peine gêné par la brigade Alten qui ne peut rien faire pour ralentir les cavaliers français. Ces derniers, au fil de leur progression, se retrouvent au milieu du dispositif de la 3e division, fractionnée en plusieurs groupes sur un front large d'une dizaine de kilomètres. Une partie de la brigade A (1er bataillon du 74e Regiment of Foot et les trois compagnies du 5e bataillon du 60e) est à Pastores tandis que le reste de la brigade occupe El Bodón à environ km au sud-ouest. La brigade B et la brigade portugaise sont divisés en deux groupes : le premier, composé du 2e bataillon du 5e, du 77e et du régiment d'infanterie portugais no 21, occupe une hauteur où passe la route reliant Ciudad Rodrigo à Fuenteguinaldo. Le second — 2e bataillon du 83e, 94e et régiment d'infanterie portugais no 9 — forme l'aile gauche de la division au nord-est. Les cinq escadrons de cavalerie de la brigade Alten prennent position au centre, accompagnés de deux batteries portugaises sous le commandement du major von Arentschildt[13].

Carte de Ciudad Rodrigo et de ses environs en septembre 1811. El Bodón est au sud-ouest, à 15 km de la ville.

C'est le maréchal Marmont qui est à l'origine des agissements de Montbrun. Soupçonnant l'existence de réserves derrière les corps de Wellington ainsi dispersés, le duc de Raguse a en effet chargé son subordonné d'une mission de reconnaissance afin de trouver l'ennemi et d'évaluer sa force. Montbrun attaque donc sur la route de Fuenteguinaldo les éléments anglo-portugais qu'il voit devant lui, soit le 2e bataillon du 5e Regiment of Foot, le bataillon du 77e, le régiment portugais no 21 et l'artillerie de Arentschildt, l'ensemble couvert sur son flanc droit par la cavalerie de Alten. Ces troupes ont reçu l'ordre de tenir aussi longtemps que possible afin de couvrir le repli des unités installées à Pastores et El Bodón. Le combat se déroule sur plus d'une heure. Montbrun s'avance en trois colonnes chacune composée d'une brigade, une autre formant la réserve. L'affrontement est bientôt acharné sur toute la ligne. À maintes reprises, les escadrons d'Alten chargent de front la force d'attaque avant de se retirer à l'abri de leur infanterie (manœuvre qui est répétée huit à neuf fois de suite pour chaque escadron) si bien qu'au bout de quarante assauts, les Français n'ont toujours pas réussi à atteindre les hauteurs[14].

Cependant, au cours de l'action, une brigade de cavalerie française réussit à atteindre les canons portugais et à s'emparer de quatre d'entre eux, en dépit des pertes provoquées par la mitraille et le courage des artilleurs qui ont tenu leur position jusqu'au dernier moment. Positionné tout près des pièces, le 2e bataillon du 5e Regiment of Foot, commandé par le major Ridge s'élance sur les dragons français et les repousse, récupérant les canons dans la foulée[15]. Abandonnant l'idée d'une nouvelle attaque frontale, Montbrun jette une brigade entre le lieu des combats et le village d'El Bodón. La garnison de la localité — 1ers bataillons des 45e et 88e Regiments of Foot — et les unités déployées sur Pastores — 1er bataillon du 74e Regiment of Foot et trois compagnies du 5e bataillon du 60e — se dirigent alors vers Fuenteguinaldo par deux routes différentes. Le premier contingent tombe sur l'attaque française et menace d'être coupé du reste des troupes. À ce moment, Wellington donne l'ordre à toutes les troupes du secteur de battre en retraite sur Fuenteguinaldo. L'artillerie portugaise décroche la première, soutenue par le régiment portugais no 21 jusque-là tenu en réserve, suivi par le 2e bataillon du 5e et le 77e formés en carré pour résister à une éventuelle charge de cavalerie. Chargés de tenir les hauteurs aussi longtemps que possible, deux escadrons de la King's German Legion quittent la position en dernier[16].

Sitôt constaté le repli des forces anglo-portugaises, Montbrun ordonne la poursuite. Les deux escadrons de hussards de la KGL, confrontés à un adversaire largement supérieur en nombre, doivent se replier à proximité du 21e régiment portugais. En conséquence, le carré formé par le 2e bataillon du 5e et le 77e régiment d'infanterie se retrouve directement exposé et est attaqué simultanément de trois côtés par la cavalerie française. L'infanterie britannique conserve cependant sa discipline et n'ouvre le feu qu'à une trentaine de pas sur les assaillants, causant des pertes importantes aux dragons français qui se retirent vers l'arrière pour se réorganiser. Entre-temps, le 21e régiment portugais prend position légèrement en retrait, formé lui aussi en carré. Montbrun décide alors de ne plus employer ses dragons, préférant utiliser son artillerie pour pilonner l'infanterie alliée en retraite. Malgré l'efficacité du tir des canons français, cette dernière parvient à reculer en bon ordre sur plus de km, aidée par les dragons de Grey venus de Fuenteguinaldo. Les troupes anglo-portugaises parviennent à rallier la 4e division dans cette localité peu après[16].

Lors des combats entre Carpio et El Bodón, les Alliés ont perdu 151 hommes (dont 12 à Carpio), essentiellement parmi les hussards de la King's German Legion. Les pertes de la cavalerie française ne sont pas connues avec précision mais Oman les estime à au moins 200 hommes[17].

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (en) Charles Oman, A History of the Peninsular War, vol. 4, Londres, Greenhill Books, (1re éd. 1911).
  • (en) Michael Glover, The Peninsular War 1807–1814 : A Concise Military History, Penguin Classic Military History, .
  • (en) Richard Patridge et Michael Oliver, Napoleonic Army Handbook, The British Army and her Allies, Grande-Bretagne, Constable and Company Limited, .

Notes et références

  1. Oman 2004, p. 542 et 543.
  2. Glover 2001, p. 169 et 170.
  3. Glover 2001, p. 173.
  4. Oman 2004, p. 547.
  5. Oman 2004, p. 640.
  6. Oman 2004, p. 564.
  7. Oman 2004, p. 557.
  8. Oman 2004, p. 556.
  9. Oman 2004, p. 644 à 647.
  10. Oman 2004, p. 351, 354 et 355.
  11. Patridge et Oliver 1999, p. 76 et 90.
  12. Oman 2004, p. 563 à 564.
  13. Oman 2004, p. 565.
  14. Oman 2004, p. 566 à 567.
  15. Oman 2004, p. 567 et 568.
  16. Oman 2004, p. 568 à 570.
  17. Oman 2004, p. 570.
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