Clair-obscur

Le clair-obscur, dans une peinture ou une estampe, est le contraste entre zones claires et zones sombres. Dans une œuvre figurative, il suggère le relief en imitant par les valeurs l'effet de la lumière sur les volumes. On dit qu'un tableau est « en clair-obscur » quand ce contraste est important[1],[2],[3],[4],[5]. Plus rarement et anciennement, « un clair-obscur » est une œuvre qui ne joue que sur les valeurs, synonyme de camaïeu[6].

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Avec le clair-obscur, les parties plus ou moins éclairées sont claires ou dans l'ombre. En fonction de la surface éclairée, lisse ou anguleuse, et si cette lumière est plus douce ou plus vive, si l'ombre est plus profonde ou les contrastes plus intenses, le clair-obscur produit des transitions imperceptibles, plus nettes ou brutales et par plans juxtaposés, la luminosité d'ensemble pouvant être claire ou obscure. Cela consiste, en général, à réaliser des gradations sombres sur un support plus ou moins clair mais parfois, à l'inverse, par des couleurs claires sur un support sombre.

Le procédé du clair-obscur était pratiqué dans la peinture de la Grèce antique, au moins à la fin du IVe siècle avant notre ère, avec la peinture hellénistique. Le Moyen Âge l'abandonne ; il est à nouveau employé dès les débuts de la Renaissance. Le Caravage puis Rembrandt développèrent la pratique, aussi bien dans le dessin et la gravure que dans la peinture. Les artistes et les amateurs disputent de son importance du XVIIe au XIXe siècle, en regard de la ligne de contour, que le clair-obscur peut rendre indistincte. Dans ces discussions proches de la querelle du coloris[7], le modelé désigne la façon dont l'artiste a réussi cette représentation des volumes, avec plus ou moins de clair-obscur[8].

Le XIXe siècle développe les arts graphiques. La lithographie offre un procédé d'expression imprimée fondé sur les valeurs de gris. L'impressionnisme renonce au clair-obscur, s'attachant plus aux variations de teinte pour exprimer la lumière. À partir des années 1840, la photographie se base elle aussi sur le « noir et blanc » ; lorsque la photographie se reconnaîtra comme un art autonome au XXe siècle, elle définit l'ampleur des écarts entre les hautes lumières et les ombres comme contraste.

Galerie d'exemples

Rapt de Perséphone par Hadès, peinture murale (v. 350 avant notre ère), tombe dite de Perséphone, Vergina (Grèce du Nord).
Giovanni Bellini, Retable de san Giobbe (vers 1497), huile sur bois (471 × 259 cm), galeries de l'Académie (Venise).
Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers (1503-1506), huile sur bois (189,5 × 120 cm), National Gallery.
Léonard de Vinci. Tête de jeune fille échevelée ou La Scapigliata, huile sur panneau de bois (v. 1508), galerie nationale de Parme[9].
Le Caravage, Le Martyre de saint Matthieu (1599-1600, 323 × 343 cm), chapelle Contarelli, église Saint-Louis-des-Français de Rome.

Histoire : arts graphiques, peinture et photographie

Giotto, modelé sans clair-obscur, en relation avec les conseils de Cennino Cennini, fresque (v. 1304), église de l'Arena (Padoue).

Antiquité

La découverte des tombes macédoniennes à partir de 1977 présente, à l'évidence, la preuve d'une très grande maîtrise du clair-obscur par les plus grands peintres de la Grèce antique[10]. En cela, l'art grec hellénistique se distingue de peintures sans clair-obscur qui ont précédé : les céramiques à figures noires et celles à figures rouges, solutions graphiques plus que picturales, qui constituent l'essentiel des peintures grecques actuellement conservées. Les figures y sont tracées, par des traits incisés, gravés ou peints et de larges à-plats noirs en constituent soit la forme, soit le fond. Le clair-obscur est, par contre, visible dans les peintures hellénistiques avec un modelé par des couleurs nuancées et par des hachures, suivant une méthode bien différente de l'époque moderne : comme on peut le constater sur le bras de Perséphone, dans la tombe de Vergina.

Du Moyen Âge à la Renaissance

Selon le procédé traditionnel au Moyen Âge, encore conseillé par Cennino Cennini (1370-1440), le modelé se fait soit par saturation de la couleur locale, soit par changement de couleur dans l'ombre (le (it) cangiantismo), comme on le voit dans la fresque de Giotto à Padoue. Après lui, Alberti fait de la « réception des lumières » la troisième partie de la peinture, ce qui annonce Léonard de Vinci par l'importance qui est accordée aux ombres[11]. Selon André Chastel[12], pour Vinci, « la préoccupation du “relief” entraine le sacrifice de la couleur au profit du modelé. Mais elle prépare […] le conflit du contour et des reflets qui commence à se formuler de bonne heure et qui a sa conclusion dans le (it) sfumato ».

Daniel Arasse développe ce moment[13] où, plutôt que de parler de « contour », il évoque l'inscription des figures par la géométrie perspective et son principe unificateur, lequel va être remplacé par l'ombre comme principe unificateur du tableau plus important que la perspective. Et que la couleur « vraie » est un impossible à percevoir[14]. Le clair-obscur ((it) : chiaroscuro) que l'on constate sur une étude de draperie de 1500-1508 atteint l'aspect poli de la pierre, par un travail complexe au pinceau, encre noire et lavis gris, rehauts de blanc sur un papier lavé bleu-clair (un lavis bleu-clair)[15]. Dès le début du XVIe siècle, le dessin en clair-obscur s'effectue sur un papier teinté en demi-teinte, et pour les parties les plus claires avec des rehauts clairs.

Âge Baroque

À l'inverse, on parle de ténébrisme lorsque des parties claires côtoient immédiatement et sans dégradé des parties très sombres, créent des effets de contrastes, et que l'ombre domine l'ensemble du tableau. C'est notamment le cas dans l'œuvre du Caravage, qui en développera la pratique au début du XVIIe siècle. La systématisation du clair-obscur le plus accentué, a une signification dans la peinture du Caravage : le monde terrestre est plongé dans l’obscurité, dans l'ignorance, tandis que l’intrusion divine se signale par la lumière sur une action significative. Ce procédé permet d’augmenter la tension dramatique, de figer les attitudes à un moment précis, de donner l’illusion du relief avec un volume fortement marqué — qui témoigne du savoir-faire de l'artiste.

Le caravagisme, particulièrement visible dans les peintures du Français Valentin de Boulogne, n'est pas à considérer seulement sous l'angle des effets de lumière, du clair-obscur dramatique[16]. La méthode que le suiveur de Caravage, Bartolomeo Manfredi, a mise au point, prend en compte certains sujets privilégiés, comme les groupes de musiciens en costumes d'époque, peints à l'échelle un (1/1), en vue rapprochée, etc. Quelques peintres hollandais qui ont fait le voyage en Italie, et que l'on rassemble en une école d'Utrecht, Honthorst, ter Brugghen, Baburen, ont adopté cette méthode. En Flandres, le phénomène est plus limité et interprété avec une bien plus grande liberté car ces artistes n'ont pas fait le voyage en Italie, en dehors de Louis Finson, mais qui a fait l'essentiel de sa carrière en Italie puis en France. L'artiste le plus célèbre aujourd'hui de ces Flamands étant Jordaens, mais il est très distant du caravagisme. Une vague lointaine parviendra, mais d'une manière plus complexe et diffuse jusqu'à Jan Lievens et Rembrandt, voire Vermeer. Mais tous ces artistes pratiquent évidemment le clair-obscur, comme tous leurs contemporains.

Époque classique

Comme la plupart des concepts de la peinture, le clair-obscur est en France l'objet d'âpres discussion. Le classicisme français condamne les contrastes des caravagesques, parce qu'ils nuisent à la présentation d'une forme noble, idéale. En 1765, Diderot, aussi bien que Watelet[17], définit le clair obscur comme un problème technique et esthétique : « la juste distribution des ombres et des lumières »[18]. Il réprouve les « effets de lumière », et exalte une « distribution graduée », et la « vérité des lumières ». Le clair-obscur, dans un paysage, comprend la perspective atmosphérique[19] ; dans le portrait, il crée l'illusion du volume[20].

Photographie XIXe et XXe siècle

La photographie, dès qu'elle est mise au point, vers 1850, n'est que clair-obscur. Ce phénomène se reproduit jusqu'aux pictorialistes qui se plairont à produire des effets proches de la peinture et du dessin. Leur méthode consiste à jouer de tous les paramètres possibles du dispositif photographique : l'appareil et son objectif, la lumière par rapport au sujet cadré, les papiers et les composants photosensibles, le travail en laboratoire et les retouches toujours possibles. Alfred Stieglitz a été un des grands promoteurs de cette pratique de la photographie. Mais son Entrepont manifeste un clair-obscur classique, tout en nuances. La photographie entre dans la modernité par l'expression claire de la situation sociale dans le choix du cadrage et avec la partie claire du pont supérieur réservé aux voyageurs aisés, et le pont inférieur et ses zones obscures, réservé aux migrants démunis. Dès lors, il n'est pas exclu de tenter de faire disparaitre le clair-obscur, avec des contrastes extrêmes.

Le contre-jour, dans le portrait de Rodin par Edward Steichen, réserve le clair-obscur au fond, sur lequel la figure se détache en silhouette totalement noire. Paul Strand (Wall Street. New York City [1915]), et plus encore Walker Evans, dans ses vues de façades[21], vers 1929, en sont deux bons exemples exceptionnels où le clair-obscur a été quasi totalement évacué. Les Polaroïds d'Andy Warhol et l'exploitation de photos en peinture par sérigraphie[22] relèvent du même procédé qui fait disparaître les nuances du clair-obscur, pour ne conserver que des à-plats de couleurs ou noir, unis.

Quant à Degas photographe, dans ses clichés, ses portraits ne peuvent se comparer aux portraits pictorialistes, « ses clairs-obscurs semblent annoncer les portraits réalisés par Edward Steichen, vers 1900-1905[23] ».

Degas, Portrait d'Henry Lerolle et de ses deux filles (1895-1896), impression à l'albumine.
Degas, Louise Halévy faisant la lecture à Degas (automne 1895), tirage argentique d'après un négatif au gélatino-bromure d'argent (7,9 × 9,3 cm).
Steichen, Portrait de Rodin (1902), tirage au platine.
Steichen, Portrait de Rodin (1900-1903), photogravure dans Camera Work.
Paul Strand, Wall Street. New York City (1915), publié dans Camera Work, 1916
Alfred Stieglitz, L'Entrepont (1907), photogravure (33 × 26 cm).

Peinture XIXe et XXe siècle

La question de la représentation de la lumière et de l'ombre a trouvé d'autres solutions dans l'art moderne avec les peintures des impressionnistes et des post-impressionnistes qui exploitent la valeur tonale des couleurs. On a aussi modernisé d'anciennes solutions, comme lorsque Franz Marc applique une couleur arbitraire à la forme qu'il représente et simplifie la représentation du modelé. Cela s'est fait auparavant, dans la peinture de Giotto, par exemple, mais alors que Giotto employait éventuellement une autre couleur, en fonction de sa valeur tonale, Marc utilise simplement la même couleur, qui est plus « sombre » tout en restant « pure ».

Claude Monet, Essai de figure en plein-air. Femme à l'ombrelle tournée vers la gauche (1888, 131 × 88 cm), musée d'Orsay.
Henri-Edmond Cross, Après-midi à Pardigon (1907, 80 × 65 cm), musée d'Orsay.
Franz Marc, Les Grands Chevaux bleus (1911, 102 × 160 cm), Minneapolis, Walker Art Center.

Voir aussi

Notes et références

  1. Ségolène Bergeon-Langle et Pierre Curie, Peinture et dessin, Vocabulaire typologique et technique, Paris, Editions du patrimoine, , 1249 p. (ISBN 978-2-7577-0065-5), p. 46 « Clair-obscur »
  2. Anne Souriau (dir.), Vocabulaire d'esthétique : par Étienne Souriau (1892-1979), Paris, 3, coll. « Quadrige », (1re éd. 1990), 1493 p. (ISBN 978-2-13-057369-2), p. 413-414 « Clair-obscur »
  3. Nouveau Larousse universel
  4. Jules Adeline, Lexique des termes d'art, nouvelle ed., (1re éd. 1884) (lire en ligne), p. 102 « Clair-obscur »
  5. Claude-Henri Watelet, Beaux-arts, t. 1, Panckoucke, coll. « Encyclopédie méthodique », (lire en ligne), p. 105-107 « Clair-obscur ».
  6. André Béguin, Dictionnaire technique de la peinture, , p. 169 « Clair-obscur ».
  7. Souriau 2010.
  8. Adeline 1900, p. 290 « Modelé ».
  9. Daniel Arasse, 2003, p. 310-312.
  10. Angeliki Kottaridi, Sophie Descamps-Lequime (dir.) et musée du Louvre (Paris), département des antiquités grecques, étrusques et romaines (éditeur scientifique) (actes du colloque de mars 2004), Peinture et couleur dans le monde grec antique, 5 Continents et musée du Louvre (isbn erroné), , 240 p. (ISBN 978-2-901785-68 (édité erroné), 978-88-7439-375-6 et 88-7439-375-X), p. 28 dans L'épiphanie des dieux des Enfers dans la nécropole royale d'Aigai.
  11. Daniel Arasse, 2003, p. 296.
  12. André Chastel avec la collaboration de Robert Klein, Léonard de Vinci : la peinture, Hermann, coll. « Miroirs de l'Art », , 200 p., p. 86. Sur la lumière et l'ombre : p. 90-95.
  13. Daniel Arasse, 2003, p. 300.
  14. Daniel Arasse, 2003, p. 303.
  15. Françoise Viatte et Varena Forcione, Léonard de Vinci : dessins et manuscrits, Paris, Réunion des musées nationaux, , 495 p. (ISBN 2-7118-4589-3), p. 139-141.
  16. Sébastien Allard, « Valentin de Boulogne : un caravagesque mélancolique », Grande Galerie, le Journal du Louvre, no 39, mars-avril-mai 2017, p. 52 (ISSN 1959-1764).
  17. Watelet 1791.
  18. Denis Diderot, Essai sur la peinture pour faire suivre au Salon de 1765, (lire en ligne), p. 28.
  19. Diderot 1791, p. 30-33.
  20. Diderot 1791, p. 34.
  21. Elevated Train Steps and Railings on Wall Street, New York City, sur le site du Metropolitan Museum of Art.
  22. Autoportrait, 1966 au Museum of Modern Art.
  23. Sylvie Aubenas dans Malcolm Daniel, Eugenia Parry et Théodore Reff (trad. de l'anglais), Edgar Degas photographe : Catalogue de l'exposition, BNF 1999, Paris, Bibliothèque nationale de France, , 143 p. (ISBN 2-7177-2080-4), p. 13-14.
  • Paul Augé (dir.), Nouveau Larousse universel : dictionnaire encyclopédique en 2 volumes, t. 1, Larousse, , 1076 p., p. 379.
  • Daniel Arasse, Léonard de Vinci : le rythme du monde, Paris, Hazan, (1re éd. 1997), 543 p. (ISBN 2-85025-878-4), p. 296.

Articles connexes

Les peintres
Le clair-obscur au XXe siècle
La littérature

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