Cherson (thème)

Le thème de Cherson (prononcer kerson ; en grec : θέμα Χερσῶνος) est une province civile et militaire byzantine anciennement dénommée Klimata[1],[2]. Le thème se situe au sud de la Crimée et sa capitale est l'ancienne ville de Cherson, à ne pas confondre avec la ville moderne homonyme[3],[2].

Pour l’article homonyme, voir Cherson.

Sources

Les sources sur la présence byzantine en Crimée sont variées et variables selon les époques. Parmi les références textuelles, les écrits de Constantin VII Porphyrogénète sont de précieuses sources d'informations, même si elles se réfèrent surtout aux temps de Dioclétien et de Constantin le Grand. Une éclipse importante concerne les périodes dits des siècles obscurs de l'histoire byzantine, entre le VIIe siècle et la fin du IXe siècle, quand les sources écrites deviennent moins abondantes[4]. L'archéologie est une aide précieuse pour suivre les évolutions de l'habitat et des fortifications dans la région, elle s'est notablement développée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La numismatique et la sigillographie aident aussi à l'appréhension de l'administration de cette province.

Histoire

Depuis l'émergence de la puissance romaine sur le pourtour de la mer Noire, la Crimée a connu une situation variable. Elle est alors une composante du royaume du Bosphore qui domine la région du nord de la mer Noire, autour de la mer d'Azov et des colonies grecques établies sur les routes commerciales que sont les grands fleuves du Don ou du Dniestr. Ce royaume n'a jamais été formellement une composante de l'Empire romain mais il a été un Etat client, dont Rome pouvait être considérée comme la suzeraine[5]. Néanmoins, quelques sites archéologiques romains ont été découverts en Crimée, en particulier celui de Charax. Avec les mouvements migratoires connus sous le nom d'invasions barbares, le royaume du Bosphore est détruit par les invasions des Goths poussés par les Huns vers le IVe siècle[6]. Les Goths de Crimée s'installent dans la péninsule et se dissocient des Ostrogoths et des Wisigoths. Le monde romain semble conserver quelques têtes de pont, dont la ville de Cherson qui devient la capitale des possessions byzantines en Crimée[7]. Sous Constantin le Grand, des mesures militaires sont prises pour en renforcer la défense avec un budget spécial d'entretien d'un corps de ballistraires, chargés de manipuler les balistes. Plus d'un siècle plus tard, sous Zénon, de l'argent est envoyé aux autorités municipales pour qu'elles restaurent les murailles face aux menaces des Huns. Justinien (527-565) tente de convertir au christianisme le chef des Koutrigoures, un peuple établi au sud de l'Ukraine actuelle. C'est un échec car dès son retour de Constantinople, le khan est éliminé par des éléments de son peuple qui refusent sa conversion. L'empereur réagit par l'envoi d'une flotte qui reprend Panticapée et rétablit l'alliance entre les Byzantins et les Goths de Crimée. Il se pourrait même qu'il ait fortifié la région sud au travers de ce que certains historiens ont nommé un limes tauricus[8].

Le maintien d'un contrôle plus ou moins fort sur tout ou partie de la Crimée s'explique par l'importance géostratégique et économique de la péninsule. Elle se situe au débouché de nombreuses routes commerciales qui permettent de connecter le monde méditerranéen à l'Europe du Nord. De même, elle permet à l'Empire d'être en contact avec les peuples de la steppe eurasienne et d'y entretenir une diplomatie dynamique.

A partir du VIIe siècle, ce sont les Khazars qui dominent une grande part de la steppe eurasienne, dont la Crimée, même si Cherson reste byzantine. L'empereur Théophile, qui entretient un grand intérêt pour le littoral nord de la mer Noire et notamment pour ses relations avec les Khazars, élève les possessions byzantines de Crimée au rang de thème. Les historiens datent classiquement la fondation du thème en se fondant sur un sceau daté de 833-834[2],[3],[9]. Toutefois, des recherches plus récentes ont relié la création du thème avec la mission byzantine envoyée pour construire la nouvelle capitale des Khazars de Sarkel en 839. Petronas Kamatéros, l'architecte de Sarkel, est identifié comme le premier gouverneur du thème (le stratège) en 840-841[10]. La nouvelle province est d'abord appelée Klimata mais du fait de l'importance de sa capitale, Cherson, elle est connue sous le nom de thème de Cherson dans les documents officiels à partir de 860, peut-être du fait de l'intégration plus tardive de la ville elle-même dans le thème. En réalité, l'autorité réelle du stratège ne dépasse guère les remparts de la ville de Cherson dont les alentours sont souvent l'objet de raids de la part des Khazars puis des Petchénègues[11]. La fin du IXe siècle voit donc un affermissement de la présence impériale qui n'est pas sans susciter des réactions parmi une population habituée à l'autonomie. En 892, elle se révolte contre le stratège Syméon qui est tué[12].

Cherson joue un rôle crucial dans les relations entre Byzance et les Khazars puis entre Byzance et les Petchénègues ou les Rus', le stratège byzantin informant régulièrement Constantinople de l'évolution de la situation dans la région. Cherson prospère du IXe au XIe siècle comme centre du commerce de la mer Noire malgré la prise de la ville par Vladimir Ier en 988/989. Longtemps, cet événement a été vu comme un acte d'hostilité envers l'Empire mais des recherches plus récentes ont revu la chronologie et estiment qu'elle est une conséquence de l'alliance nouée entre Vladimir et l'empereur Basile II, alors que ce dernier lutte contre la révolte de Bardas Phocas. Or, celui-ci bénéficie de soutien à Cherson et, en la prenant, Vladimir porte un coup à la cause de la rébellion[13]. Le débat reste ouvert[14].

Toujours sous Basile II, Cherson est de nouveau impliquée dans un acte de rébellion contre l'empereur, en la personne du stratège Georges Tzoulas, vers 1017-1018. Il est difficile de connaître le degré de soutien dont il dispose parmi la population mais une flotte impériale rétablit très vite l'ordre dans la cité.

Les Byzantins ont remporté vers 970 une importante victoire contre les Pétchénègues et les Russes qui permet à Byzance de consolider ses positions en Crimée. Le thème de Cherson devient alors l'objet de divisions en turmes à l'image des autres thèmes de l'empire comme l'atteste la découverte d'un sceau d'un tourmarque de Gothie[15].

Au même moment, peut-être après la défaite du Khazar Georgius Tzul (en) en 1016, le thème est étendu à la Crimée orientale comme le prouve la titulature d'un certain Léon Ataliatès, « stratège de Cherson et Sugdaia » en 1059.

C'est aussi vers le milieu du XIe siècle que la région devient un catépanat. Cette circonscription apparaît alors dans certaines régions de l'Empire, comme l'Italie byzantine et le catépan désigne généralement un gouverneur ayant autorité sur plusieurs thèmes. Une chronique slave mentionne que le catépan de Cherson empoisonne le prince Rotislav de Tmoutorakan vers 1065-1066. Dès lors qu'un stratège est attesté en 1059, le catépanat aurait été créé entre cette date et 1066[16]. La découverte d'un sceau d'un certain Nicéphore Alanos, catépan de Cherson et de Khazarie confirme cette évolution. Selon Zuckerman, le thème de Cherson aurait d'abord été étendu à Sougdié, avant de devenir un catépanat[17].

On ne connaît rien de la région au XIIe siècle, ce qui permet de penser que la région demeure tranquille sous une tutelle byzantine lointaine. Cherson et sa province restent sous le contrôle byzantin jusqu'à la quatrième croisade de 1204 et la dislocation de l'Empire byzantin qui s'ensuit. Le thème passe alors sous le contrôle de l'Empire de Trébizonde[3],[18].

Administration

Le thème de Cherson semble être organisé d'une façon classique et comporte l'ensemble des fonctionnaires que l'on rencontre dans les autres thèmes. Comme cela a déjà été mentionné, un tourmarque de Gothie est connu aux côtés des omniprésents kommerkiarioi (des fonctionnaires fiscaux)[19]. Toutefois, la cité de Cherson jouit d'un statut à part et d'une autonomie forte, qui date des premiers temps de la présence romaine la région[20]. La ville est en effet administrée par les magnats locaux (les archontes) dirigés par un proteuon le premier »)[3],[2],[10]. Il semble que ce premier magistrat est nommé pour une courte période, peut-être un an voire moins, car Constantin Porphyrogénète en mentionne plusieurs pour les règnes de Dioclétien et de Constantin Ier. En revanche, leur rôle exact est méconnu, étant entendu que les fonctions régaliennes, comme la sécurité de la cité ou la diplomatie, restent vraisemblablement aux mains des représentants de l'empereur[21]. De ce fait, il est probable que le conseil de la ville gère avant tout les affaires locales et que sa forme a évolué au fil du temps, jusqu'à la fin du Xe siècle[21]. Ainsi, au VIIIe siècle, il s'occupe d'affaires extérieures et des relations avec les Khazars, probablement du fait de l'affaiblissement général de l'Empire qui ne peut plus assurer correctement son autorité dans la région[22]. Théophane le Confesseur mentionne l'existence de sept prôtevontes et d'un prôtopolites du nom de Zoïlos, en plus de quarante citoyens éminents qui accueillent Justinien II lors de son exil, auquel cas il pourrait s'agir de l'ensemble du conseil de la ville[4].

Le protopolites semble détenir la dignité d’hypatos et de kyr, inconnue dans le monde byzantin. Il s'agirait alors d'une particularité de Cherson, que Sokolova associe à la fonction d'éparque de Constantinople, avec des attributions commerciales et financières. Nystazopoulou-Pélékidou estime qu'il faut apparenter le kyr à l'idée de chef ou de maître de la ville[23].

Cherson possède aussi le droit de battre sa propre monnaie, reprenant cette activité sous Michel III et restant durant une longue période le seul endroit de l'empire en dehors de Constantinople à pratiquer cette activité[19],[2]. Cette autonomie est aussi soulignée par le fait que le gouvernement impérial paie des subsides annuels (pakta) aux chefs de la cité à la manière de dirigeants étrangers. En outre, sur le conseil de Constantin VII Porphyrogénète dans son De Administrando Imperio, adressé au stratège local et concernant le risque d'une révolte de la cité, il doit cesser le paiement de ces subsides et les transférer à d'autres cités dans le thème. À la fin du XIe siècle, le thème est gouverné par un catépan[18].

La création d'un thème à part entière par l'empereur Théophile permet de raffermir l'autorité impériale sur la Crimée byzantine mais les détails restent imprécis sur le déroulé des événements. En effet, les archontes ne disparaissent pas immédiatement et semblent cohabiter avec le stratège du thème, au moins jusqu'à la fin du IXe siècle car les archontes apparaissent dans le Taktikon Uspensky, liste de dignités byzantines, mais pas dans le Klétérologion de Philothée daté de 899, tandis que leurs sceaux disparaissent à cette date. Tant Sokolova que Nystazopoulou-Pélékidou émettent l'hypothèse que le thème recouvre d'abord les Klimata à l'exclusion de Cherson, avant d'intégrer la ville elle-même. Les archontes et autres magistrats municipaux sont alors cantonnés à des fonctions purement municipales sans pour autant disparaître car des prôtevontes sont mentionnés jusqu'à la fin du Xe siècle[24].

Notes et références

  1. Kazhdan 1991, p. 1133
  2. Nesbitt et Oikonomidès 1991, p. 182-183
  3. Kazhdan 1991, p. 418-419
  4. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 9.
  5. Vasil’evič Podosinov 2012, paragraphe 45.
  6. Aleksandr Vasil’evič Podosinov (trad. Laurent Auberson), « Le royaume du Bosphore Cimmérien aux époques grecque et romaine : Un aperçu », Études pontiques, vol. 1-2, (lire en ligne), paragraphes 54 à 57.
  7. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 2.
  8. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 3.
  9. Pertusi 1952, p. 182-183
  10. Papageorgiou 2008, Chapitre 1
  11. Alekséenko 1996, p. 271
  12. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 21.
  13. Pour cette thèse, voir (en) Andrezj Poppe, « The Political Background to the Baptism of the Ru' », Dumbarton Oaks Papers, vol. 30, , p. 197-244
  14. (en) Catherine Holmes, Basil II and the Governance of the Empire (976-1025), Oxford University Press, , p.  511 (note 173).
  15. Alekséenko 1996, p. 274-275
  16. Zuckerman 2017, p. 312-313.
  17. Zuckerman 2017, p. 314.
  18. Papageorgiou 2008, Chapitre 4
  19. Papageorgiou 2008, Chapitre 2
  20. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 4.
  21. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 7.
  22. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 13-14.
  23. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 10-12.
  24. Nystazopoulou-Pélékidou 1998, paragraphe 19-20.

Bibliographie

  • (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re éd., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208)
  • (en) John W. Nesbitt et Nicolas Oikonomidès, Catalogue of Byzantine Seals at Dumbarton Oaks and in the Fogg Museum of Art, vol. 1 : Italy, North of the Balkans, North of the Black Sea, Washington, Dumbarton Oaks Research Library and Collection, , 233 p. (ISBN 0-88402-226-9)
  • (it) A. Pertusi, Constantino Porfirogenito : De Thematibus, Rome, Rome : Bibliotheca Apostolica Vaticana,
  • N. A. Alekséenko, « Un tourmarque de Gothie sur un sceau inédit de Cherson », Revue des études byzantines, vol. 54, , p. 271-275
  • Constantin Zuckerman, La Crimée entre Byzance et le Khaganat khazar, Paris, Monographies du Centre de recherche d’Histoire et Civilisation de Byzance 25,
  • (en) Angeliki Papageorgiou, « Theme of Cherson (Klimata) », Encyclopaedia of the Hellenic World, Black Sea, Foundation of the Hellenic World, (lire en ligne)
  • (en) Constantin Zuckerman, « Two Notes on the Early History of the thema of Cherson », Byzantine and Modern Greek Studies, vol. 21, , p. 210-222
  • (en) Constantin Zuckerman, « The End of Byzantine Rule in North-Eastern Pontus », Materialy po istorii, arheology i etnografii, vol. 22, , p. 311-336
  • Nicolas Alekséenko, L'administration byzantine de Cherson : catalogue des sceaux, Kiev/Paris, Amis du centre d'histoire et civilisation de Byzance, , 268 p. (ISBN 978-2-916716-36-7)
  • Marie Nystazopoulou-Pélékidou, « L’administration locale de Cheron à l’époque byzantine (IVe-XIIe s.) », dans Mélanges offerts à Hélène Ahrweiler, Paris, Publications de la Sorbonne, , 567-579 p. (lire en ligne)
  • Marie Nystazopoulou-Pélékidou, La Chersonèque taurique à l'époque byzantine, Paris,
  • I.V. Sokolova, « Les sceaux byzantins de Cherson », Studies in Byzantine Sigillography 3, Washington,
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