Céroplastie
La céroplastie, ou céroplastique, est l'art de modeler la cire.
Cires votives et funéraires
Pline l’Ancien (23-79 av. JC), rapporte dans son Histoire naturelle, livre XXXV, que Lysistrate de Sicyone fut : « celui qui, le premier de tous, fit un portrait d’homme avec du plâtre, en prenant un moulage sur le visage même, puis imagina de verser de la cire dans ce moule en plâtre, cire sur laquelle il procédera à des retouches »[1]. Ce procédé est repris chez les romains dans les domaines du culte votif et de l’art mortuaire[2]. La cire est utilisée à la fin dès la fin du Xe siècle pour réaliser des effigies funéraires, commémorative ou religieuses, notamment royales ou de saints. Les offrandes votives connaissent une forte popularité à Florence du XIIIe au XVIIe siècle[3]. En 1568, dans la seconde édition des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, Giorgio Vasari se livre ainsi à l'éloge d’Orsino Benintendi (it), le plus illustre représentant dans la sculpture votive en cire de grandeur naturelle de son époque[4]. À la basilique de Saint-Denis on conservait jusqu'à la Révolution des bustes des rois de France en cire yeux ouverts, réalisés par les artistes de la cour, à partir du masque mortuaire et du moulage des mains réalisés dès la mort du souverain. On peut toujours voir le Portrait funéraire d'Henri IV par Michel Bourdin (Musée Carnavalet) ou celui dû à Guillaume Dupré au Musée Condé. Ces usages conduiront leurs praticiens à créer, à partir du XVIIIe siècle[2], des cabinets puis des musées de cire.
Le buste de profil en cire du roi Louis XIV, réalisé vers 1705 par Antoine Benoist, qui le premier réalisa une exposition de mannequins de cire en public, a été acquis par le musée de Versailles en 1856[5].
Cires anatomiques
Selon Blaise de Vigenère, le premier modeleur de cires anatomiques serait un "maître Jacques natif d'Angolesme" encore mal identifié - il pourrait s'agit du sculpteur Pierre Jacques (1520?-1596) né et mort à Reims, qui séjourna un temps à Angoulême et se trouvait à Rome dans la deuxième partie du XVIe siècle : « & de luy encore sont ces trois grandes figures de Cire noire au naturel, gardées pour un tres-excellent joyau,en la librairie du Vatican, dont l'une montre l'homme vif, l'autre comme s'il estoit escorché, les muscles, nerfs ,veines, arteres, & fibres, & la troisiesme est un Skeletos, qui n'a que les ossemens avec les tendons qui les lient & accoupplent ensemble[6] ».
La céroplastique se développe en tant que sous-discipline de l'anatomie avec les travaux de l'abbé sicilien Gaetano Zumbo, en particulier à compter du moment où il s'associe avec le chirurgien français Guillaume Desnoues. Sa Tête de vieillard de 1701, présentée au musée de l'Homme à Paris est considérée comme l'acte de naissance de l'art anatomique à vocation scientifique avec celle antérieure conservée au musée de la Specola de Florence[2]. L'essor rapide de la céroplastie anatomique la conduit à se transformer en proto-industrie à Bologne, puis surtout Florence au milieu du XVIIIe siècle. Aidé par des artistes comme Clemente Susini, Felice Fontana y travaille pendant vingt ans à l'établissement de véritables collections qui deviennent une étape obligée des voyageurs de passage dans la ville.
Les machines anatomiques de la Chapelle Sansevero (Naples), datant de 1763-1764 environ, se présentent sous la forme de deux corps avec leur système cardio-vasculaire en fils métalliques, fibres et cires colorées, et de quelques organes que l'on pense faits à base de bois et cire.
Une (éphémère) "Ecole de préparations anatomiques" en cire, ou "école d’anatomie artificielle" fut créée à Rouen, avec à sa tête Jean-Baptiste Laumonier, qui a laissé des pièces anatomiques conservées au Muséum d'histoire naturelle de Rouen. François Merry Delabost rendit hommage à ce dernier : « La France ... a aujourd'hui l'honneur de surpasser l'Italie dans l'art des représentations anatomiques ; mais cet art n'y est jusqu'à présent possédé que par le seul M. Laumonier dans ce degré de perfection. » Il rappela ensuite les noms de quelques élèves prestigieux de cette école, notamment Jules Cloquet et son frère Hippolyte, Emmanuel Rousseau, Flaubert père[7], qui, en 1831, fit dont au Cabinet d'histoire naturelle dirigé par Félix-Archimède Pouchet (qui étaitson ancien élève à l'école de cérosplastie) de l'écorché de Laumonier.
Par la suite, portée par l'engouement de l'époque pour la monstruosité, la céroplastie bascule de la représentation du normal à celle du pathologique, ce qui entraîne finalement sa relégation aux champs de foire, où elle disparaît en tant que filière au début du XXe siècle, à l'exception notoire du musée du docteur Spitzner, dont les collections étaient encore visibles jusqu'au milieu des années 1970, notamment à la Foire du Midi à Bruxelles.
Parmi les céroplastes célèbres, on peut également citer Caspar Bernhard Hardy, les artistes exposés au musée de la Specola à Florence : Clemente Susini, Luigi Calamai (1800–1851) et son élève Egisto Tortori (1829–1893), ainsi que Paolo Mascagni (1755–1815).
Histoire des modeleurs parisiens
Les modeleurs de cire, ou modeleurs anatomiques réalisaient des pièces anatomiques artificielles : le précurseur fut Jean-Baptiste Laumonier.
André-Pierre Pinson (1746-1828) est connu surtout pour ses cires anatomiques réalisées à la fin du XVIIIe siècle pour le cabinet de curiosité du duc d'Orléans, dont La Femme à la larme conservée au musée de l’Homme à Paris. Dans les premières années du XIXe siècle, il façonna plusieurs centaines de champignons en cire. Il est aussi l’auteur de portraits en cire.
La riche collection de moulages phrénologiques (en plâtre ou en cire) réunie par Franz Joseph Gall fut légué au Museum d'Histoire naturelle en 1832, rejointe plus tard par celle d'Alexandre Dumoutier, qui avait ouvert en 1837 un Musée phrénologique rue de Seine. Guy aîné, prédécesseur de Vasseur, publia en 1845 dans une Anatomie en cire, anatomie humaine et comparée, phrénologie, histoire naturelle la liste des modèles en cire que l'on pouvait voir chez lui.
La Maison Tramond, créée vers le milieu du XIXe siècle au 9, rue de l'École-de-Médecine, était spécialisée dans les modèles anatomiques et ostéologiques. P. G. Tramond présenta aussi des bustes moulés sur des types ethniques divers, des squelettes d'animaux… Il travailla avec un dénommé Vasseur (Tramond successeur) en 1877, contemporain de Talrich fils.
Louis Auzoux créa de nombreux modèles d’anatomie « clastique » (comportant des pièces démontables). La Maison Auzoux, reprise par la Veuve Auzoux (assistée d’un Monsieur Montaudon) était installée 56, rue de Vaugirard à Paris et vendit de très nombreuses pièces, très utilisées dans l'enseignement secondaire et supérieur (médecine humaine et vétérinaire).
Jules Baretta, au 40, rue Bichat (dans un angle du jardin de l’hôpital Saint-Louis), est connu pour des pièces d'anatomie en « pâte plastique » représentant les maladies de la peau. Elles sont exposées au musée des moulages dermatologiques de cet hôpital[8]. Baretta était autorisé à en faire des copies qu'il vendait, notamment à l'étranger, sans doute au musée créé par William James Erasmus Wilson (en).
Jules Talrich (1826-1904) « modeleur de la faculté de médecine de Paris » au 97, boulevard Saint-Germain, réalisa des « modèles d'anatomie et travaux d'art en cire résistante et Staff-Peint ». Il possédait en outre une collection de cires artistiques : des bas-reliefs, des portraits (dont celui d'Adrienne Lecouvreur, qui pourrait être d'Antoine Benoist), des hauts-reliefs et des figurines.
Cires botaniques
André-Pierre Pinson (1746-1828) fabriqua des champignons en cire inspirés de gravures dues à Pierre Bulliard (1742-1793).
Entre 1771 et 1799, le naturaliste allemand Carl Schildbach confectionne une bibliothèque de bois dont chaque volume est conçu comme une petite vitrine d'un bois différent, fermée par un couvercle coulissant, montrant un arrangement en trois dimensions de matériel séché et de modèles en cire de rameaux, de feuilles, de fleurs et de fruits, retraçant le cycle de vie de l'espèce, avec ses parasites éventuels[9].
Louis Marc Antoine Robillard d’Argentelle (1777-1828) rentra de l’île Maurice en 1826, rapportant 112 fruits et plantes tropicaux en cire, en taille réelle, qu’il avait fabriqués dans les années 1803-1826 et qui furent exposés (sous le nom de Carporama) en 1829 au no 2 rue de la Grange Batelière: un catalogue (consultable sur Gallica) des objets exposés fut alors édité[10].
Né à Pont-l'Évêque le , de Louis Adrien Robillard d'Argentelle et Anne Renée Le Prevost, il participa aux campagnes d’Italie et y découvrit sans doute les œuvres de céroplastes italiens (c’était l’époque de Clemente Susini). Il participa ensuite à l’expédition (menée par Decaen) qui arriva en septembre 1803, à l’île de France.
René Primevère Lesson, chirurgien et naturaliste à bord de la Coquille, qui rendit visite à Robillard d’Argentelle en octobre 1824, fut admiratif : « […] L'exécution de chacun des fruits est telle qu'elle ne laisse rien à désirer au botaniste le plus scrupuleux. L'artiste a su trouver une composition qui joint au brillant, à la fraîcheur, à l'air de vérité que peut prendre la cire, la solidité d'un métal susceptible d'assurer la conservation durable de ces fruits. » Et déjà l'auteur émettait le souhait que cette collection aille « décorer les musées de Paris, et servir de modèle aux peintres, et d'objet d'étude aux botanistes sédentaires. »[11].
Les botanistes Cassini, La Billardière et Desfontaines (directeur du Muséum national d'histoire naturelle) firent un rapport enthousiaste sur ces plantes « représentées en tout ou en partie, de grandeur naturelle et avec une perfection telle, qu’elle peut faire illusion aux yeux d’un botaniste exercé. Ces plantes artificielles sont très-supérieures à tout ce qu’on connaît en ce genre ; elles sont dignes de figurer honorablement dans toute collection ouverte au public, où elles procureraient facilement la parfaite connaissance d’objets intéressans. » La Revue des Deux Mondes, après avoir cité ce rapport, concluait que : « Les amis de la science et des arts doivent désirer qu’elle soit jointe au Muséum d’histoire naturelle ou au Musée maritime »[12]. La collection ne fut acquise par le Museum qu’en 1887.
Robillard d’Argentelle est, par ailleurs, l’oncle maternel du photographe Louis Adolphe Humbert de Molard.
Musées
- En Autriche
- En France
- Maison-Alfort : musée Fragonard.
- Montpellier, université de Montpellier : musée Spitzner et musée d'anatomie Delmas-Orfila-Rouvière (disparus en 2011).
- Paris :
- musée d'histoire de la médecine.
- musée des moulages dermatologiques de l'hôpital Saint-Louis[8],[13].
- campus de Jussieu de Sorbonne Université : musée Dupuytren (disparu en 2016).
- En Italie
Notes et références
- Georges Didi-Huberman, « La matière inquiète. (Plasticité, viscosité, étrangeté) », Lignes, vol. 1, no 1, , p. 206-223 (DOI 10.3917/lignes1.001.0206, lire en ligne, consulté le ).
- Elena Taddia, « « Une teste de cire anatomique » Un sculpteur à la cour : Gaetano Giulio Zumbo, céroplaste, de la Sicile à Paris (1701) », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, (consulté le ).
- Latour 2021, p. 4.
- Valeria Motta, « Les effigies votives grandeur nature en Italie (xve-xviie siècles) », Techniques & Culture, vol. 2, no 70, , p. 98-119 (DOI 10.4000/tc.9648, lire en ligne, consulté le )
- Musée de l'Histoire de France : Portrait en buste de profil de Louis XIV, vers 1705.
- Traduction (agrémentée d'"arguments et annotations", de Les Images ou Tableaux de platte peinture des deux Philostrates sophistes grecs et les Statues de Callistrate, de Philostrate de Lemnos, 1615, p. 855 : ark:/12148/bpt6k62260767
- Laumonier, les Flaubert, simple esquisse de trois chirurgiens de l'Hôtel-Dieu de Rouen pendant un siècle (1785-1882) : lecture faite à l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen par le Dr Merry Delabost (1836-1918)
- Musée des moulages dermatologiques de l'hôpital Saint-Louis, site bium.univ-paris5.fr.
- (de) Anne Feuchter-Schawelka, Winfried Freitag et Dietger Grosser, Alte Holzsammlungen : Die Ebersberger Holzbibliothek : Vorgänger, Vorbilder und Nachfolger, Stuttgart, Deutscher Sparkassen Verlag GmbH, coll. « Der Landkreis Ebersberg Geschichte und Gegenwart » (no 8), , 143 p., (Beilage, 40 p.) (ISBN 3-933859-08-5, présentation en ligne).
- Monique Keraudren-Aymonin, « Le Carporama de L.M.A. Robillard d'Argentelle », Bulletin du museum national d'histoire naturelle, 4e série, Paris, vol. 1, , p. 117-149.
- « "Note sur une collection précieuse de fruits équatoriaux, modelés, avec une composition secrète", par M. Dargentel, de l'Ile-de-France ; par M. Lesson », in Bulletin des sciences naturelles et de géologie, tome 6, Paris, 1825.
- Revue des Deux Mondes, Période initiale, tome 1, 1830 (p. 521-525) (https://fr.wikisource.org/wiki/Annonces,_1er_trim._1830/02).
- Musée des moulages dermatologiques de l'hôpital Saint-Louis, site hôpital-Saint-Louis.aphp.fr.
Annexes
Bibliographie
- Rafael Mandressi, Le regard de l'anatomiste : dissections et invention du corps en Occident, Seuil, coll. « L'Univers historique », , 350 p. (ISBN 2-02-054099-1)
- Le Voyage d'Italie, dictionnaire amoureux (article "Zumbo", p. 663 à 666), Dominique Fernandez, Éditions Plon, Paris, 1997.
- Nathalie Latour (postface Nicolas Delestre), Céroplastie, corps immortalisés, Nantes, Editions du Murmure, , 254 p. (ISBN 978-2-37306-041-6).
- Julius von Schlosser (trad. de l'allemand par Valérie Le Vot, Édouard Pommier, postface Thomas Medicus), Histoire du portrait en cire, Paris, Macula, coll. « La littérature artistique », (1re éd. 1911), 236 p. (ISBN 978-2-86589-053-8, présentation en ligne).
Articles connexes
- Musée de cire
- Musée de la Specola
- Photographies de modèles anatomiques au musée d'histoire naturelle de l'Université de Florence
- Cires habillées nancéiennes
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