Blouza (Algérie)
La blouza, blousa, blouza Sidi Boumediene, blouza oranaise (en arabe : بلوزة - بلوزة وهرانية) est une robe traditionnelle d'Algérie originaire des villes d'Oranie, la ville d'Oran en a fait sa tenue traditionnelle[1],[2].
La blousa tire son origine de la abaya, une tenue citadine ancienne, elle s'est enrichie de plusieurs techniques modernes de couture. Elle est à la fois une robe ethnique portée par les femmes urbaines du nord-ouest de l'Algérie et une robe qui évolue avec la mode. Née au début du XXe siècle à Tlemcen, elle s'est modernisée dans la ville d'Oran, et s'est propagée ailleurs.
Étymologie
Le mot blouza ou blousa dérive du nom « blouse », c'est le nom donné à la abaya moderne, une tenue ancienne de Tlemcen, qui a connu des mutations durant la colonisation française[3]. Certains chercheurs y voient une influence espagnole[4].
Aujourd'hui, la blouza est appelée « blouza oranaise » en hommage à Oran[1] qui en a fait sa tenue par excellence et l'a modernisée[5]. Mais, il existe également d'autres variantes : la blouza tlemcenienne et la blouza mostaganémoise[4].
Dans d'autres région d'Algérie, d'autres termes sont employés pour évoquer « la robe » sans manches : gandoura dans le Constantinois, binouar à Sétif et blouza naïli dans le Hodna[4].
Évolution
À l'origine, cette robe provient de la ville de Tlemcen. Puis avec le temps, de nombreux couturiers de cette ville se sont installés dans la ville d'Oran, capitale régionale de l'Oranie, ils ont ainsi exporté leur savoir-faire. Elle est devenue la tenue préférée des femmes d'Oran et du reste de l'Oranie en général[6].
L'ancêtre de la blousa, la robe abaya, dérive d'une tunique médiévale portée dans les villes algériennes anciennes, comme Tlemcen à l'ouest et Constantine à l'est du pays[7]. C'est une robe plus courte de la blouza moderne, laissant apparaître le kholkhal (anneau de cheville). Au début du XXe siècle, la première transformation de l'abaya a eu lieu. Puis, les femmes l'abandonnent progressivement dans les années 1940[7].
La blousa est ainsi une tenue innovante apparue au début du XXe siècle avant d'être adoptée comme tenue traditionnelle. Toutefois, elle n'est pas statique, contrairement à la plupart des autres costumes de cérémonie de la femme de Tlemcen[8]. Mais elle est en changement constant comme la robe à la mode occidentale, sa variabilité suit un cycle d'un à deux ans. Elle est à la fois une robe ethnique et une robe qui évolue avec la mode[9].
Le blousa précoce suit la forme géométrique et lâche de l'abaya du XIXe siècle, mais de nouveaux détails sur les côtés du vêtement confirment la tentative de rentrer la taille, elle était aussi courte[7]. La diversification des textiles requis pour sa réalisation entraîne une plus grande liberté dans le choix des couleurs[10]. Les blouzas du début du XXe siècle conservées au musée national Zabana d'Oran sont faites de soies, de satins légers en brocart ou de tulles brodés, et ornés de volants et de rubans[7]. La robe abandonne également la ceinture en soie lamée, le hzam, en faveur d'une ceinture formée de louis d'or et d'une boucle en or, ajourée[11].
Dans les années 50, les plis sont progressivement remplacés par des fils élastiques cousus mécaniquement[7]. Depuis la seconde moitié des années 1960, le style de la blousa a de nouveau changé, suivant des cycles de tendance plus courts[5]. Dans les années 1980, la différence entre les styles de la blousa quotidienne et celle de cérémonie est devenue plus évidente. Ce changement stylistique a été favorisé par la montée en puissance des premiers créateurs de mode algériens dont le statut est récemment passé de kheyyata (couturière) à styliste[5].
Le col de la blousa est devenu de plus en plus orné de rubans, perles et paillettes. Elle est également devenue plus brillante et colorée en raison de l'influence croissante de la mode d'Oran, contrairement au style plus raffiné et sans ostentation de la blouza aristocratique tlemcénienne[5]. À la fin du XXe siècle, le plastron devient fixé à la robe après avoir été entièrement brodé de volutes dorées ou argentées[11].
Histoire des costumes traditionnels
Genèse à Tlemcen
Sous les Zianides, la capitale Tlemcen accueille de nombreux artisans andalous et son élite imite l'habillement des familles nobles immigrées[12]. C'est à cette époque que la robe tunique en soie, appelée 'abaya, qui équivaut à la joubba ou gandoura de l'Algérie orientale, est introduite[13]. Durant la période ottomane, la nouvelle capitale, Alger, a gardé des liens particulièrement forts avec Tlemcen, sa tenue masculine et féminine intégrait de nouveaux éléments vestimentaires tels que des caftans en velours, des vestes et des gilets[8].
À la fin du XIXe siècle, la abaya était encore similaire à la djoubba constantinoise [3]. À cette époque, la région de Tlemcen est la première région algérienne à encourager la scolarisation des jeunes filles (1882 à Nedroma). La blousa va remplir la fonction d'intégration de la population féminine autochtone au cœur du système éducatif colonial. Cette volonté politique sera suivie en 1904 avec la montée du mouvement des Jeunes Algériens ayant une double culture occidentale et islamique[14]. Au début du XXe siècle, on trouvait le modèle abaya mdjounah dépourvu de manches et fait de satin broché d'or[15].
La blousa apparaît probablement entre 1900 et 1920 en tant que signe de changement et comme un conservateur de la tradition. Elle est conçue par les femmes de la ville qui ne voulaient pas être exclues de la modernité, mais qui, néanmoins, voulut imposer une démonstration d'authenticité culturelle dans le contexte de la colonisation[16]. L'évolution décisive de la blousa à Tlemcen s'est produite dans l'entre-deux-guerres qui coïncide avec les réformes kémalistes en Turquie. Les Tlemcéniens étant attachés au monde ottoman et certains grandes familles revendiquent des origines turques[16]. La transformation de la robe abaya traditionnelle en une blousa moderne semble en quelque sorte avoir été renforcée par les principes kémalistes pour la modernisation de la société[10].
Les noms blousa et jeltita, ainsi que la prédilection des femmes pour la dentelle suggèrent qu'une esthétique espagnole pourrait également avoir influencé le style de la robe. La communauté espagnole était importante en Oranie[16]. Toutefois à Tlemcen, le succès de la blouza ne nuit pas au costume nuptial traditionnel qui conserve sa panoplie complexe de vêtements anciens[11].
Modernisation à Oran
Au XVIIe siècle, le costume d'Oran, alors sous occupation espagnole semble marginal par rapport à ceux d'autres villes d'Algérie, au moment où les emprunts aux costumes morisques et levantins stimulent la renaissance du patrimoine vestimentaire citadin[17]. Après le rattachement de la ville à la Régence d'Alger, le transfert de familles notables citadines, véhicule des habitudes vestimentaires encore méconnues à Oran[18].
À l'aube du XIXe siècle, le caftan de velours brodé au fil d'or figure dans le costume de fête, en particulier dans la tenue nuptiale[18]. La colonisation française mène d'abord à une pénétration plus marquée des modes algéroises. Mais cette tradition, finit par s'effacer avant le milieu du XXe siècle[19].
L'alternative choisie par les Oranaises est celle de la blouza. En effet, des familles tlemcéniennes se sont installé à Oran, attirées par les opportunités professionnelles offertes par la ville maritime[19]. Et au début de l'entre-deux-guerres, des commerçants de Tlemcen l'ont introduit[16]. Ce rapprochement conduit les blouzas des deux villes à évoluer simultanément[19]. Ainsi, la blousa sera adoptée au profit de la abaya et Oran jouera un rôle primordial dans son évolution[16]. Puis dans les années 1980, la mode blousa d'Oran atteint sans précédent les niveaux de l'extravagance et de l'enjouement. Les concepteurs de cette tenue le transforment sous ses formes les plus innovantes[5].
Propagation
Tout comme à Oran, le même phénomène de propagation de la blousa se fera pratiquement dans toutes les villes de l'Oranie[16]. L'histoire du costume citadin en Algérie occidentale découle de l'addition de plusieurs histoires locales, parfois focalisées sur des périodes et des courants culturels distincts[20]. Les deux cités historiques, Mostaganem et Nédroma, conservaient encore le costume féminin ancien durant la conquête française. Puis, le costume de fête s'oriente vers le modèle de la blouza en supplantant les robes et les caftans de jadis [20].
Ancienne capitale du Beylik de l'Ouest, Mascara se distingue par une histoire du costume qui se concentre essentiellement au tour de la période ottomane, elle avait par conséquent, des liens rapprochés avec Alger, le caftan et toutes les formes de vestes et de gilets d'inspiration levantine y parviennent plus aisément que dans les autres villes de l'Ouest. Suite aux événements de la conquête coloniale, la ville subit un déclin important, la blouza est alors accueillie, encore plus favorablement, par les habitantes du Mascara moderne[20].
À Ténès, le costume subit l'influence des modes morisques puis turques. Plus tard, les habitantes se convertissent simultanément au Karako d'Alger et à la blouza de l'Oranie[21]. La blousa est aussi introduite dans les villes coloniales de l'Ouest algérien telles que Sidi Bel Abbès et Saïda[8].
Puis, comme la djebba constantinoise, la blouza parvient à conquérir d'autres villes algériennes. Elle figure souvent parmi les tenues des différentes mariées d'Alger[11]. Les femmes revêtent de la robe à Constantine et à Sétif lors des fêtes[22]. Elle s'est également propagée chez les communautés berbères d'Algérie et du Maroc[23], notamment dans les Aurès[24] et au Mzab[25].
Une tenue contemporaine
La blousa est une robe longue à manches courtes, porté par les femmes urbaines du nord-ouest de l'Algérie. Elle était conçue et développée dans les villes de Tlemcen et d'Oran. Elle combine les traditions locales avec des styles de différentes cultures[26]. Ses transformations illustrent comment les femmes algériennes ont résisté à l'assimilation culturelle par l'habillement tout en s'appropriant les textiles, les techniques et l'esthétique d'Europe occidentale dans leurs vêtements, pendant la colonisation française. La blousa est ainsi perçue dans les villes algériennes comme une interface entre tradition et modernité[26].
La blouza s'est modernisée, en se distinguant des tenues du Maghreb. Les artisans oranais introduisent plusieurs éléments nouveaux et variés et s'adaptent aux modes. Elle s'ouvre facilement à la modernité. Ainsi, de nos jours, elle se fait en strass, en perles, en sequins et en broderie fine. Les tissus nobles ont fait leur entrée comme la dentelle de Calais et la soie[5].
Elle se porte dans la vie de tous les jours, ou bien pour les cérémonies et fêtes traditionnelles. Les dames âgées aiment la porter simple, blanche, assortie à un châle de la même couleur. Avec l'arrivée des tenues étrangères, la robe blouza traditionnelle du quotidien a commencé quelque peu à se décliner[27]. Mais elle reste la robe typiquement de l'Ouest algérien que toute mariée se doit d'ajouter à son trousseau.
La blouza est traditionnellement portée par les femmes mariées et d'âge mûr. Elle est longue et cousue en une pièce ou deux, cette doublure porte le nom de jeltita (le mot pourrait dériver d'une forme raccourcie de giraldita en espagnol, du latin girare « tourner ou faire tournoyer »), car elle est faite de dentelle ou de soie transparente en mousseline de soie[8]. Elle est cintrée à la taille, se porte avec des manches courtes, le décolleté et le dos sont travaillés en perles et en broderies traditionnelles raffinées cousues sur ce qu'on appelle le sder qui est la partie recouvrant toute la poitrine et la face arrière est appelée dhar (respectivement « poitrine » et « dos » en arabe algérien)[8].
Variantes
Il existe une palette diversifiée de blayez, chaque blousa est réservée à des moments uniques dans la vie d'une jeune fille ou femme[28] :
- la blouset el mensouj, confectionnée traditionnellement dans un type de soie dit mensouj, très prisée dans la ville de Tlemcen, se caractérise par des bandes verticales dorées, argentées et parfois colorées. Elle fait partie intégrante du trousseau de la mariée, elle est tissée selon des techniques héritées de la période médiévale[29]. Tlemcen est parvenue à sauvegarder cette pièce tissée manuellement par les artisans de la soie, appelés les harrar[30] ;
- la blousa ntaa lewqer (« du deuil »), est une blousa spéciale pour les événements tristes comme les funérailles, elle est de couleur brunâtre et en soie opaque[31] ;
- la blousa nechfa (« sèche »), doit être portée l'année suivant la mort d'un défunt, sa soie est non-transparente et ses couleurs sont ternes[31] ;
- la blousa ntaa esmaq, est ornée de paillettes[7];
- la blousa ntaa essutadj, du français soutache, une tresse décorative [32] ;
- la blousa el-korsi, réservée à la mariée et se fait avec des broderies fetla ou mejboud[4] ;
- la blousa el-kbarate, réservée aux dames âgées[4] ;
- la blousa ed-dar, se porte au quotidien[4] ;
- zaim, djouhar, akik : sont des variantes de la blouza de la ville de Mostaganem[33].
Dans la chedda de Tlemcen, une blouza est posée sous le caftan, qui en laisse apparaître que le bas de celle-ci[34].
Notes et références
- « Pour la sauvegarde du patrimoine vestimentaire », sur Djazairess (consulté le )
- « Un patrimoine identitaire en danger », sur Djazairess (consulté le )
- Belkaïd 2003, p. 93.
- (ar) « البلوزة الوهرانية وعادات الزواج في منطقة وهران » [« Blousa oranaise et coutumes du mariage dans la région oranaise »], sur www.cnrpah.org (consulté le )
- Belkaïd 2018, p. 74.
- « Blouza wahrania ! une Merveille de L'Oranie - Dziriya.net », sur dziriya.net (consulté le )
- Belkaïd 2018, p. 68.
- Belkaïd 2018, p. 62.
- Belkaïd 2018, p. 64.
- Belkaïd 2018, p. 73.
- Belkaïd 2003, p. 95.
- Belkaïd 2003, p. 83.
- Belkaïd 2003, p. 84.
- Belkaïd 2018, p. 71.
- Pichault 2007, p. 54.
- Belkaïd 2018, p. 72.
- Belkaïd 2003, p. 98.
- Belkaïd 2003, p. 99.
- Belkaïd 2003, p. 100.
- Belkaïd 2003, p. 104.
- Belkaïd 2003, p. 105.
- Pichault 2007, p. 95.
- Musée royal de l'Afrique centrale et Ivo Grammet, Splendeurs du Maroc : Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 1998, Plume, , 400 p. (ISBN 978-2-84110-078-1, lire en ligne), p. 164
- Pichault 2007, p. 126.
- Pichault 2007, p. 157.
- Belkaïd 2018, p. 60.
- Belkaïd 2018, p. 78.
- Belkaïd 2018, p. 65.
- Belkaïd 2018, p. 66.
- Belkaïd 2003, p. 87.
- Belkaïd 2018, p. 67.
- Belkaïd 2018, p. 70.
- REPORTERS, « Mostaganem/patrimoine : 35 costumes traditionnels locaux inventoriés », sur REPORTERS ALGERIE, (consulté le )
- Pichault 2007, p. 62.
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
- Leyla Belkaïd, Costumes d'Algérie, Layeur, , 143 p. (ISBN 2-911468-97-X et 978-2-911468-97-1, OCLC 52429324, lire en ligne)
- Pascal Pichault, Le costume traditionnel algérien, Paris, Maisonneuve et Larose, , 206 p. (ISBN 978-2-7068-1991-9 et 2-7068-1991-X, OCLC 190966236, lire en ligne)
- (en) Leyla Belkaïd, « Investigating the Blusa: The Cultural and Sartorial Biography of an Algerian Dress », Costume, (DOI 10.1179/0590887613Z.00000000038, lire en ligne, consulté le )
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