Bender (Tighina)

Tighina (Bender)

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Bender (signifiant « port » en turc) ou Bendery (translittération de l'orthographe russe Бенде́ры) sont les noms turc et russe de la ville moldave de Tighina (nom moldave, טיגינה Tiginh en yiddish). Tighina et Bender(y) ont été officiels à tour de rôle ou simultanément.

Situation

La ville est située sur la rive droite du Dniestr, en Bessarabie, et de jure elle ne fait donc pas partie des unités territoriales autonomes de la rive gauche du Dniestr à majorité russophone (Unitatea teritorială din stînga Nistrului). Mais de facto elle est contrôlée par la Transnistrie (autodésignée comme « république moldave du Dniestr », en russe : Приднестровская Молдавская Республика, en ukrainien : Придністровська Молдавська Республіка et en moldave/roumain Република Молдовеняскэ Нистрянэ/Republica Moldovenească Nistreană, abrégé en ПMP et PMH sur les cartes éditées par son gouvernement). La Transnistrie est un État sans reconnaissance internationale, majoritairement russophone, qui contrôle la rive gauche du Dniestr, mais aussi des portions de la rive droite, dont l'important nœud ferroviaire de Tighina, sous le nom turco-russe de Bender ou Bendery.

Dubăsari, Grigoriopol et Bender/Tighina sont les trois villes de Transnistrie ayant le plus de populations moldaves. Tighina/Bender, contrôlée de facto par la république autoproclamée (en même temps que des parties limitrophes du raion officiel moldave d'Anenii Noi au nord, et de celui de Căușeni au sud), est considérée de jure par le gouvernement moldave comme une municipalité autonome. Lors du recensement de 1989, elle abritait 130 000 habitants.

Noms

Armoiries de la Bessarabie russe entre 1812 et 1856, plaçant l'aigle bicéphale des Tzars au-dessus de la tête d'aurochs moldave[1]. Les armoiries transnistriennes actuelles placent l'aigle russe au-dessus du lion tighinois.

Le nom autochtone médiéval de Tighina (Tигиɴα en cyrillique moldave) est mentionné au début du XVe siècle comme poste de douane dans un privilège accordé par le hospodar moldave Alexandre Ier de Moldavie (Alexandru cel Bun) aux marchands de Lwów (Lviv) le . Le document est écrit en latin, et l’endroit est appelé Teghenaccio (selon l’orthographe génoise, les génois ayant eu des comptoirs en mer Noire et sur les fleuves affluents)[2]. Le nom figure aussi comme Tiahiń ou Tehinia sur les chartes polonaises. Tighina est aussi le nom d’un ținut (comté) de la Principauté de Moldavie (1359-1538), qui apparaît ensuite dans des documents de la seconde moitié du XVe siècle et reste officiel au début de la période russe ("Тигина" ou "Тишиная", 1812-1836). C’est également le nom d’un județ (département) de la République démocratique moldave (1917-1918), de la Roumanie (1918-1940 et 1941-1944) et à nouveau de la Moldavie (1998-2001 sous les gouvernements non-communistes).

Le nom turc de Bender (بندر) apparaît avec l’Empire ottoman à partir de 1538. Au XVIIIe siècle, la citadelle et la ville s’appellent Tighina pour les chrétiens (moldaves, polonais, russes…) et Bender pour les musulmans (turcs et tatars)[3]. Bender dénomme aussi une raya ottomane, puis un ouïezd du Gouvernement de Bessarabie (1836-1917) et enfin un raion (arrondissement) de la République socialiste soviétique moldave (1940-1941 et 1944-1991), tous situés autour de la ville, qui en était le chef-lieu. Bender est seul officiel de 1792 à 1812 (période turque), de 1836 à 1918 (seconde partie de la période russe), en 1940-41 et 1944-1991 (période soviétique) et de 2001 à 2009 (Moldavie sous gouvernement communiste). La translittération Bendery ou Bender’ est dominante en français à l’époque soviétique.

Depuis l’indépendance de la Moldavie en 1991, le nom de la ville est devenu un enjeu symbolique dans la controverse identitaire qui traverse le pays. Au fil de la vie politique du pays, les autorités moldaves ont fluctué quant au nom officiel de la ville : elles ont officialisé tantôt seulement le nom moldave de Tighina, tantôt seulement le nom turco-russe de Bender, et tantôt les deux. De 2001 à 2020, grâce à la majorité parlementaire pro-russe, seul le nom turco-russe fut officiel[4] bien que de nombreux documents officiels moldaves emploient toujours le nom moldave de Tighina[5].

De facto, pour les autorités transnistriennes comme pour la coalition pro-russe PCRM-PSRM, première force politique au parlement de Moldavie, Bender seul est officiel : les gouvernements issus de cette coalition ont tous rappelé cela[6] et affirmé que l’utilisation de Tighina serait, selon eux, une « manifestation du fascisme roumain »[7].

De jure, Bender et Tighina sont tous deux officiels dans le cadre du bilinguisme admis par la législation moldave pour la « Région autonome » russophone de la rive gauche du fleuve („Unitatea teritorială din stînga Nistrului”)[6]. Pour la Cour constitutionnelle moldave et pour les autochtones de Moldavie, utiliser Tighina c’est exprimer du « respect pour l’identité moldave de la Moldavie », tandis que vouloir exclure ce nom au profit du seul Bender est, selon eux, une « manifestation de l’influence russe et de la nostalgie de l’URSS »[8].

Histoire

Timbre moldave figurant la forteresse médiévale de Tighina.
Billet moldave de 100 lei figurant la forteresse.

Le site est occupé depuis le paléolithique. Proche d’un gué du Dniestr mais aussi port fluvial accessible depuis la mer Noire, la cité a eu de nombreux maîtres au cours des temps : Cimmériens, Scythes, Gètes, Grecs antiques et Carpes dans l’antiquité ; Goths, Huns et Gépides dans l’antiquité tardive ; Avars et Bulgares au VIe siècle, Khazars au VIIIe siècle, Russiens et Magyars au IXe siècle, Grecs byzantins et Petchénègues au XIIe siècle, Coumans puis Tatars au XIIIe siècle, Italiens génois en 1315, Moldaves en 1359, Turcs en 1538, Russes en 1812, Moldaves en 1917, Roumains en 1918 et Soviétiques en 1940.

En 1538, le sultan ottoman Soliman le Magnifique conquiert la forteresse. Au XVIIIe siècle, celle-ci est agrandie, et le port est aménagé et approfondi par le prince de Moldavie Antioch Cantemir, vassal des Ottomans. En 1713, la forteresse accueille Charles XII, roi de Suède réfugié ici après l’échec de son attaque contre la Russie.

Tighina/Bender tombe aux mains des Russes pendant la guerre russo-turque de 1806-1812, et est annexée avec la Bessarabie par la Russie impériale au terme du conflit, au traité de Bucarest (1812). La voie ferrée reliant Chișinău à Odessa pour écouler les productions bessarabiennes, passe par Tighina/Bender et franchit le fleuve sur un pont métallique, augmentant son importance stratégique. En 1917, pillée par les armées débandées à la suite de la révolution russe, la Bessarabie devient une République démocratique moldave qui, menacée par le Traité de Brest-LitovskLénine la livre aux Allemands, appelle à son secours l'armée franco-roumaine et proclame en 1918 son rattachement à la Roumanie, Tighina comprise. Craignant que les « interventionnistes impérialistes franco-roumains » n'attaquent la « patrie du prolétariat », les bolchéviks de la république soviétique d'Odessa font ensuite sauter le « pont de Bender »[9]. Dans le cimetière mémorial de Bender, situé non loin de l’arc de triomphe de la ville, parmi d’autres carrés militaires, une plaque de marbre très dégradée porte une épitaphe dédiée à vingt-cinq soldats et officiers d'un régiment d'Avignon, tombés en 1919.

Sous l’administration roumaine, Tighina devient le siège de l’Office international Nansen pour les réfugiés qui tente de secourir les Russes blancs, anciens aristocrates, bourgeois, marchands (dont un grand nombre de Histoire des Juifs en Russie|juifs russes), soi-disant « koulaks », intellectuels, indépendantistes ukrainiens, anarchistes, paysans affamés qui essaient de passer le Dniestr à la nage ou sur la glace, mitraillés par les garde-frontière soviétiques, tous étant indistinctement classés comme « éléments contre-révolutionnaires ». Certains parviennent à passer, surtout de nuit, mais bien rares sont ceux qui parviennent à emporter quelque bagage, et beaucoup sont tués, noyés, ou capturés et envoyés au Goulag : parmi ceux qui s’échappent, plus d’un est rançonné par les garde-frontière roumains avant d’être pris en charge par l’Office Nansen[10].

Conformément aux protocoles secrets du pacte germano-soviétique, fin juin 1940 l’URSS occupe la région et le NKVD déporte la plupart des Tighinois roumains/moldaves[11]. Lors de l’attaque nazie contre l'URSS, l’armée du régime fasciste Antonescu, alliée du Troisième Reich, reprend Tighina jusqu’en 1944 et ce sont cette fois les juifs Benderiotes, accusés d’avoir soutenu l’occupant soviétique, qui sont déportés en Transnistrie, d’où la plupart ne sont pas non plus revenus, de sorte que la ville est sévèrement dépeuplée et ruinée lors du retour de l’Armée rouge en 1944. L’URSS récupère Tighina à l’issue de la seconde guerre mondiale et intègre Bender au sein de la république socialiste soviétique moldave. La ville se repeuple de Moldaves venus des campagnes affamées mais surtout de colons russes ou ukrainiens venus construire des usines, des logements et pour relever le pont.

À l’indépendance de la Moldavie l’été 1991, les russophones de Transnistrie occupent la ville et exigent son maintien dans l’URSS, mais lors de la dislocation de l'URSS en décembre, ils font sécession et depuis, Tighina/Bender se trouve sous leur contrôle. Pendant la guerre de Transnistrie, la plupart des combats se déroulent autour de la ville et sur le pont, à 10 km de Tiraspol. Tighina / Bender est officiellement démilitarisée depuis le conflit de 1992, mais reste sous contrôle la Transnistrie, dont les forces de police et autres ne sont pas officiellement des militaires, mais patrouillent néanmoins casquées et armées de kalachnikovs.

Personnes célèbres

Statue de Pouchkine, élevée en 1980. Le grand poète russe a vécu quelque temps en Bessarabie.

Les personnalités natives de Bender/Tighina comprennent :

Jumelage

Notes et références

  1. Source :
  2. Dinu Poștarencu, Din istoria Tighinei (Histoire de Tighina), éd. Universitas, Chișinău 1992, 152 pp., (ISBN 5-362-00876-5), page 84.
  3. Dinu Poștarencu, Din istoria Tighinei (Histoire de Tighina), éd. Universitas, Chișinău 1992, 152 p., (ISBN 5-362-00876-5), page 85.
  4. Un exemple : le billet 100 Lei moldaves : .
  5. Législation moldave sur .
  6. Florilège de déclarations d’Igor Dodon, d’Inna Choupak, de Grigori Petrenko, d’Igor Touliantsev, de Renato Usatîi, d’Irina Vlah ou de Vladimir Voronine, personnalités russophiles de Moldavie ; tout autre point de vue est systématiquement gommé de Wikidata.
  7. La Cour constitutionnelle moldave a jugé le 5 décembre 2013 par son arrêt no 36 que les glossonymes et toponymes autochtones figurant dans la déclaration d'indépendance du pays, priment sur les formes russes et soviétiques, fussent-elles écrites en graphie roumaine, adoptées après 1992 ( et ).
  8. Gilles-Emmanuel Jacquet, Histoire du conflit moldo-transnistrien, Paris, Connaissances et Savoir, , 454 p. (ISBN 9782753904842, lire en ligne)
  9. Anthony Babel, La Bessarabie, éd. Félix Alcan, Genève et paris, 1932 et Anatol Petrencu, Les déportations staliniennes, Journal de Chisinau, no 294 du 2 juillet 2004.
  10. Nikolaï Théodorovitch Bougaï, Informations des rapports de Béria et de Krouglov à Staline, éd. de l’Acad. de sciences de Moldavie nr. 1, Chișinău, 1991 (Н.Ф. Бугай «Выселение произвести по распоряжению Берии…» О депортации населения из Молдавской ССР в 40-50- е годы – Исторические науки в Молдавии. № 1. Кишинев, 1991. 1.0), Déportation des peuples de Biélorussie, Ukraine et Moldavie, éd. Dittmar Dahlmann et Gerhard Hirschfeld, Essen, Allemagne, 1999, p. 567-581 (Депортация народов из Украины, Белоруссии и Молдавии : Лагеря, принудительный труд и депортация. Германия. Эссен. 1999. 1.3) et « К вопросу о депортаций народов СССР в 30-40х годах… » Étude sur la déportation des peuples soviétiques dans les années 1930-40 - ISSSR (1989).

Voir aussi

Bibliographie

  • (ro) Dinu Poștarencu, Din istoria Tighinei, Chișinău, Universitas, , 152 p. (ISBN 5-362-00876-5).

Articles connexes

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