Élisabeth Decrey Warner

Élisabeth Decrey Warner (née le à Lausanne), Élisabeh Reusse-Decrey jusqu’en 2006, est une femme politique suisse et une militante dans le domaine humanitaire, spécialement avec les groupes armés non étatiques. Elle est cofondatrice et a été présidente de l’organisation humanitaire internationale « Appel de Genève » jusqu’en 2017.

Études et famille

Élisabeth Decrey est née et a grandi à Lausanne. Elle a travaillé comme monitrice de ski et a suivi une formation de physiothérapeute[1].

Elle est mère de six enfants, dont quatre adoptés, et dix petits-enfants (en 2016[2]). Elle épouse en 2007 en secondes noces le politologue américain Daniel Warner[3].

Engagement politique

Élisabeth Decrey est députée socialiste au Grand Conseil de la République et canton de Genève (le parlement cantonal) de 1989 à 2001 (trois législatures. Elle est présidente du Grand Conseil du au [1].

Elle écrit en 2003 un article sur la place et l’absence des femmes en politique[4].

Engagement humanitaire

L’engagement d’Élisabeth Decrey concerne plus particulièrement les groupes armés non étatiques, les réfugiés, la torture et les mines antipersonnel.

Élisabeth Decrey accepte en 1995 de reprendre la coordination de la Campagne Suisse contre les mines antipersonnel, au départ pour deux mois[5],[6]. À ce titre, elle fait partie de la délégation suisse à Ottawa lors de la signature de la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel en 1997. Ce traité est considéré comme une « victoire historique », car quelques années auparavant il semblait encore utopique : « On ne touchait alors pas aux joujoux des militaires » dit-elle[7].

Élisabeth Decrey a créé la Fondation suisse d’aide aux victimes de mines antipersonnel[5].

Elle a été membre de plusieurs conseils d'administration et conseils consultatifs, notamment du Centre pour le contrôle démocratique des forces armées - Genève (DCAF) et du Centre international de déminage humanitaire - Genève (GICHD). Elle est membre associée du Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), membre du conseil d'administration de Leaders pour la Paix - Paris, et membre du conseil d'administration de Terre des hommes - Suisse[8].

Elle est aussi membre de Femmes pour la paix.

Appel de Genève

Ne doit pas être confondu avec l’Appel de Genève de 1996, anti-corruption.

Élisabeth Decrey est surtout connue pour avoir cofondé en 1998 l’organisation humanitaire internationale « Appel de Genève » (anglais Geneva Call). L’organisation commence réellement son travail en 2000 (date donnée comme date de fondation par certaines sources). Élisabeth Decrey en assure la direction générale (avec le titre de « présidente exécutive ») jusqu’à fin 2017, elle est ensuite membre du Conseil de fondation de l’organisation[9].

Lors de la signature de la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel en 1997, certains font remarquer que dans leurs pays, la Colombie, les Philippines, « ce n’est pas l’armée qui pose les mines ! », et que la Convention est sans effet car les groupes armés non étatiques ne peuvent pas adhérer à ce mécanisme international. L’idée vient de proposer des engagements humanitaires à ces groupes. Élisabeth Decrey s'adresse au conseiller fédéral Flavio Cotti (la Suisse étant dépositaire des Conventions de Genève) et au directeur du CICR, Cornelio Sommaruga, mais autant la Suisse que le comité de la Croix-Rouge ne peuvent pas s’engager dans un tel projet. D’où la création d’une association dédiée. Les groupes armés non étatiques sont tenus de respecter le Droit international humanitaire, mais sont dans l’impossibilité de le signer. En leur proposant d’adhérer volontairement à une norme humanitaire, selon Élisabeth Decrey, « Cela devient leur décision. Ça change tout ! » : ils sont appelés à se l’approprier et c'est un facteur clé pour la réussite du processus[10],[11].

L’Appel de Genève a pour but d’améliorer la protection des civils dans les zones où des acteurs armés non-étatiques (ou d’États non reconnus) sont actifs ou contrôlent le territoire. Élisabeth Decrey est active dans cette organisation jusqu’en 2018. En vingt ans, l’Appel de Genève serait entré en discussion avec environ 110 groupes armés non étatiques, dont 63 auraient signé au moins un des trois « Actes d’engagement » humanitaires : contre les mines antipersonnel, pour l’interdiction des enfants-soldats, et contre les violences sexuelles. Il y avait 42 signataires en 2012, du Burundi, de l'Inde, de l'Iran, de l'Irak, de la Birmanie, des Philippines, de la Somalie, du Soudan, de la Turquie et du Sahara occidental[12]). L’organisation organise des formations sur le droit humanitaire, propose des alternatives aux jeunes démobilisés, reçoit les rapports des groupes, organise si nécessaire des missions de vérification, propose des engagements limités comme de mettre la limite pour le recrutement à 16 ans dans un premier temps, ou la pose de panneaux « Attention: terrain miné ! »[10],[11].

Les engagements des groupes armés sont contresignés par le canton de Genève lors d’une cérémonie se déroulant dans la salle de l’Alabama, où a été signée la première Convention de Genève en 1864[1].

Il est prévu pour 2018 un budget de 8 millions de francs suisses et un total de 80 employés[10]. En 2012, l’organisation comptait 17 permanents à Genève et 2 ou 3 sur le terrain, avec un budget de 3 millions de francs financés par la Confédération (environ 850 000 francs), d’autres États, et par le canton de Genève (200 000 francs)[1].

Publications

  • (en) Mathew Pountney (ed.) et Elisabeth Reusse-Decrey (ed.), Geneva Call, Mine Action in the Midst of Internal Conflict : A report on the workshop organised by Geneva Call and the International Campaign to Landmines Non-State Actors Working Group, Zabreg, 27 November 2005, Geneva, Geneva Call, , 54 p. (lire en ligne)
  • (en) Elisabeth Reusse-Decrey, « The role of nonstate actors in securing and developing human rights », dans Menschenrechte und Wirtschaft, Stämpfli, coll. « Menschenrechte und Wirtschaft im Spannungsfeld zwischen State und Nonstate Actors » (no 233), , 311 p. (ISBN 3727228210), p. 233-235
  • Élisabeth Reusse-Decrey, « Quelques réflexions d’une ancienne Présidente du Parlement de la République et canton de Genève », dans Fenneke Reysoo et Christine Verschuur (dir.), On m'appelle à régner : Mondialisation, pouvoirs et rapports de genre, Graduate Institute Publications (OpenEdition Books 2016), coll. « Genre et développement. Rencontres » (no 8), , 258 p. (ISBN 9782882470522, lire en ligne), p. 139-144

Personnalité

Le texte de présentation publié en 2005 dans le cadre des « 1 000 femmes pour le Prix Nobel de la paix » pose ces questions : « Pourquoi une femme de 50 ans (…) gravit-elle seule une montagne du Kurdistan irakien pour rencontrer des chefs rebelles ? Que fait l'ancienne présidente du Parlement de Genève dans une prison de haute sécurité en Colombie, où elle mange des sauterelles frites avec le chef emprisonné de l'Armée de libération nationale ? ». Et plus loin : « Ses fortes convictions en matière de sécurité et de handicaps physiques, issues de sa formation de physiothérapeute, lui permettent de négocier avec succès avec des chefs armés, du Soudan du Sud aux Philippines. (Sa vision est celle d’un) monde où les normes humanitaires sont respectées et où les non-combattants innocents peuvent retrouver la liberté dont elle jouissait, enfant, dans les forêts de ses montagnes valaisannes »[6].

Lors de la remise du prix de la paix de Hesse en 2012, Thomas Gebauer (de), directeur de Medico international, témoigne : « j'ai toujours été profondément impressionné par la créativité, le courage, la persévérance et l'endurance dont Mme Warner a fait preuve dans son engagement »[12].

Dans un entretien accordé au Temps à l’occasion du prix de la Fondation pour Genève en 2016, elle est présentée comme « n’aimant pas les projecteurs ». Ces collègues lui feraient don de petites tortues, conservées dans son bureau : « une façon de lui dire gentiment qu’elle va trop vite ». Elle assure que le fait de ne pas être un homme n’a jamais été un inconvénient : « Qu’une femme fasse des heures de marche pour rencontrer un commandant, cela force le respect ». Elle insiste : « Si on ne discute qu’avec les gentils, cela ne va pas changer le monde ». Au début, des représentants de groupes non étatiques sont reçus dans son cabinet de physiothérapeute, elle témoigne : « Un jour, dans la salle d’attente, une petite dame de Plainpalais a demandé à un rebelle soudanais s’il avait mal au dos »[2].

Distinctions

Élisabeth Decrey a reçu plusieurs prix pour son engagement. Elle est nominée pour le prix Nobel dans le cadre du projet « 1 000 femmes pour le Prix Nobel de la paix 2005 »[6]. En 2006, elle a reçu le prix de la Société internationale pour les droits de l'homme. Elle est choisie en 2007 pour figurer dans le Forum des 100 personnalités qui font la Suisse romande. En 2012, elle a reçu le prix pour la paix de Hesse, doté de 25 000 euros (le grand-duché de Hesse est l’un des signataires de la Convention de Genève de 1864)[12]. En 2013, elle est nommée Chevalier de la Légion d'honneur[13]. L’université de Genève lui décerne en 2015 un doctorat honoris causa[14]. En 2016, elle reçoit le prix de la Fondation pour Genève, la directrice de l’UNESCO Irina Bokova prononce alors le discours d’éloge[5],[2].

Références

  1. (de) Rudolf Burger, « «Verhandelt man nur mit ‹Guten›, wird man die Welt nicht ändern» », Der Bund, , p. 2-3 (lire en ligne, consulté le ). Titre traduit : Si l’on ne négocie qu’avec les «bons», on ne va pas changer le monde.
  2. Simon Petite, « Élisabeth Decrey Warner, la diplomate des maquis », Le Temps, (lire en ligne, consulté le ).
  3. Francine Brunschwig, « Daniel Warner », Tribune de Genève, (lire en ligne).
  4. Reusse-Decrey 2003.
  5. « Cérémonie de remise du Prix de la Fondation pour Genève 2016 : Dossier de presse », sur www.fondationpourgeneve.ch, (consulté le ). Ce dossier présente des photographies d’Élisabeth Decrey avec des groupes armés d’Iran, de Syrie, du Kurdistan, des Philippines.
  6. (en) 1000 peacewomen across the globe, Zurich, Scalo, coll. « A Kontrast book », (ISBN 3-03939-039-2). Texte en ligne : (en) Geneva Call, « Elisabeth Decrey Warner », sur www.1000peacewomen.org, (consulté le ).
  7. Serge Garcia, « Mines antipersonnel : Ottawa est une victoire des petits et des victimes sur les puissants », La Liberté, , p. 5 (lire en ligne, consulté le ).
  8. (en) « Elisabeth Decrey Warner, Founder of the NGO Geneva Call », Experts, sur www.gcsp.ch, Geneva Centre for Security Policy (consulté le ).
  9. « Interview d’Élisabeth Decrey Warner, Présidente Exécutive de l’Appel de Genève », sur www.genevacall.org, (consulté le ).
  10. Allemand 2018.
  11. Appel de Genève… 2015.
  12. Verleihung des Hessischen Friedenspreises.
  13. Frédéric Thomasset, « La présidente d’une ONG genevoise reçoit la Légion d’honneur », Tribune de Genève, (lire en ligne, consulté le ).
  14. « Appel de Genève : une bonne idée dont personne ne voulait », Le journal, no 108, 8-22 octobre 2015, p. 16 (lire en ligne, consulté le ).

Bibliographie

  • Andres Allemand, « «Il faut être prêt à parler avec tous, même Daech!» », Tribune de Genève, (lire en ligne, consulté le )
  • « Élisabeth Decrey Warner », dans Bénédict de Tscharner, Inter Gentes : hommes d'État, diplomates, penseurs politiques, Pregny-Genève et Gollion, éd. de Penthes et Infolio, , 383 p. (ISBN 9782884746656), p. 376-383
    Aussi publié en allemand et en anglais.
  • (de) Verleihung des Hessischen Friedenspreises 2012 an Elisabeth Decrey Warner, Wiesbaden, Hessischen Landtag, coll. « Schriften des Hessischen Landtags » (no 20), , 35 p. (ISBN 978-3-923150-51-9, lire en ligne)
    Laudatio de Thomas Gebauer (de), directeur de Medico international.
  • Laurence Deonna (ed.) et Bénédict de Tscharner (ed.), « Élisabeth Decrey Warner », dans Femmes suisses dans le monde : du 17e au 21e siècle, Grand-Saconnex et Pregny, Eclectica et éd. de Penthes, , 197 p. (ISBN 9782940371211)

Articles connexes

Liens externes


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