Économie des médias

L'économie des médias est une branche des sciences économiques appliquée à l'étude des médias de masse. L'économie des médias a démarré avec l'étude du développement de la presse populaire, s'est affinée avec l'avènement de la radio, puis de la télévision. Elle est aujourd'hui renouvelée par le succès du web.

Elle a principalement concerné trois courants de pensée : des historiens des médias qui se sont intéressés à leur économie[1],[2], des économistes classiques[3],[4] et des enseignants d'écoles de journalisme[5],[6],[7] qui l'ont étudiée du point de vue de l'économie industrielle, et enfin un courant privilégiant une approche critique d'économie politique[8],[9].

Histoire économique des médias

« Dès l'origine, l'imprimerie apparut comme une industrie régie par les mêmes lois que les autres industries, et le livre une marchandise que des hommes fabriquaient avant tout pour gagner leur vie » précise le chapitre 4 du livre fondateur des historiens français du livre[10]. Paul Starr (en) ajoute[11] :

« L'activité de publication est associée au capitalisme en partie parce que l’industrie elle-même était un premier exemple du développement capitaliste. Il fallait un capital considérable pour financer non seulement le matériel d'un magasin, mais également le papier et autres coûts de production en attendant les ventes, qui tardaient souvent. La dépendance vis-à-vis du capital a attiré l’imprimerie dans les villes où le financement était disponible et a créé des pressions pour adapter la forme physique et culturelle du livre à des marchés plus vastes. »

Starr souligne qu'il existe des moments ou des choix décisifs pour la constitution des médias. Il en repère trois catégories :

« premièrement, les règles juridiques et normatives générales concernant des questions comme la liberté d’expression, l’accès à l’information, la vie privée et la propriété intellectuelle ; deuxièmement, la forme particulière des supports de communication, la structure des réseaux et l'organisation des industries ; et troisièmement, les institutions concernées par la création du capital immatériel et humain : l'éducation, la recherche et l'innovation. »

Frédéric Barbier et Catherine Bertho-Lavenir distinguent trois périodes dans leur histoire des médias : la « seconde révolution du livre » (1751-1870), les médias de l'universel (1870-1950), et un monde en réseau (1950-2003)[1].

Après la première initiée par Gutemberg, la seconde révolution du livre est celle de son industrialisation. « la grande majorité des imprimés mis en circulation vise désormais le public de masse. »[1] La période voit l'émergence des intermédiaires. L'éditeur doit sélectionner les manuscrits, définir le niveau du tirage, calculer le prix de revient et fixer celui de la vente, estimer le niveau et la rapidité de la diffusion. C'est aussi un financier qui discute ses investissements avec les banquiers. À ses côtés, la position des producteurs de contenu : journalistes, critiques, publicistes et écrivains, évolue.

Les médias de l'universel (1870-1950)

La deuxième période (1870-1950) est marquée par la mondialisation de la communication. La mise en place ou le perfectionnement des réseaux postaux, du télégraphe, du téléphone puis de la radiodiffusion modifie radicalement les coûts et les opportunités du transports de l'information. Cette période est considérée par beaucoup d'historiens comme celle de « l'âge d'or de la presse »[2]. C'est le moment où la presse écrite accroit considérablement son lectorat après avoir fixé un peu plus tôt son modèle économique. Celui-ci, mariant les revenus issus des lecteurs et des annonceurs, est initié pratiquement conjointement aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France où Emile de Girardin écrit en 1836[1] :

« Le produit des annonces étant en raison du nombre des abonnés, il faut réduire le prix des abonnements à sa plus extrême limite, pour élever le chiffre des abonnés à sa plus haute puissance. C'est aux annonces de payer le journal. »

Le développement est accompagné par des innovations techniques, comme la rotative pour faciliter les tirages, et des innovations de contenu avec le journalisme d'information qui rend compte des évènements et un nouveau genre littéraire : le roman-feuilleton ou aux États-Unis les dime novels.

La période voit aussi l'émergence et le succès rapide de deux nouveaux médias, favorisés par des innovations techniques : le cinéma et la radio. Leur modèle économique est sensiblement différent. Le premier s'inspire du music-hall, des cafés-concerts ou des cabarets, très nombreux à la fin du XIXe siècle et devient rapidement une industrie[1] :

« Industrie, le cinéma l’est à plusieurs titres. Il articule une structure de production, de distribution et de consommation qui s’est conformée, historiquement, au schéma usuel de l’activité capitaliste, passant de la phase initiale de l’activité entrepreneuriale à petite échelle à la formation de monopoles à grande échelle. Ceux-ci assurent leur position en mettant en place une structure intégrée, couvrant tous les secteurs de la production à la distribution. Le cinéma appartient aussi à l’industrie en ce qu’il organise la production autour de la notion de division du travail, appliquée à Hollywood de façon très élaborée. Enfin, comme industrie, le cinéma s’appuie sur les techniques de la publicité de masse. »

Alors qu'au début du XXe siècle le cinéma italien et surtout français avec les firmes, intégrées du matériel cinématographique jusqu'aux salles en passant par la production de films, Pathé et Gaumont ont pris une place importante sur leur marché national et à l'international, la première guerre mondiale leur portera un coup fatal, laissant Hollywood et le cinéma américain dominer sans partage. L'organisation du cinéma en monopole est analysée par Henri Mercillon au début des années 50[12].

La domination du cinéma américain sera symbolisée en France par l'accord Blum-Byrnes signé en 1946 qui, à la faveur d'une aide globale américaine, comprend un volet permettant la diffusion en nombre de films américains dans les salles françaises. Au même moment, la Motion Picture Export Association of America, dérivée de la Motion Picture Association of America qui défend les intérêts des Majors, est fondée pour faciliter l'exportation de films américains sur les marchés européens fermés par la guerre[13]. Et toujours à la même époque le Centre national de la cinématographie est mis en place pour soutenir l'industrie nationale, tandis qu'un système de redistribution des recettes des salles, toujours en vigueur est organisé pour réguler le marché et protéger la production de films.

La radio a d'abord été développée à des fins militaires, ce n'est qu'après la guerre de 14-18 qu'elle devient progressivement un média de masse. Patrice Flichy présente ainsi la genèse de son modèle économique aux États-Unis[14] :

« Différentes solutions sont alors imaginées. Certains envisagent un financement analogue à celui des équipements culturels ou éducatifs : subventions municipales, dons de personnes privées. D'autres comme le patron de RCA, envisagent une taxe parafiscale gérée par les constructeurs. In fine, les grands groupes industriels qui créent les principales stations choisissent deux autres schémas économiques. Le premier vient principalement des fabricants et consiste à financer les programmes avec les profits obtenus grâce à la vente des récepteurs (..). Le deuxième schéma est mis en œuvre par ATT (..) 'Chaque personne qui veut adresser un message au monde ou proposer un divertissement doit venir et payer, comme elle le ferait si elle utilisait un téléphone pour s'adresser à un large public'. Ce péage radiophonique deviendra petit à petit un système de financement publicitaire. »

A partir des années 30, les grands réseaux commerciaux américains, NBC et CBS, se mettent en place. A peu près au même moment dans le monde, l'histoire de la radio comme média de masse démarre avec des variations de son modèle économique selon les contextes politiques depuis un financement complètement public jusqu'à uniquement commercial.

Comme les autres médias de masse, la radio doit séduire le public populaire tout en tenant compte de la censure et des exigences des élites. Elle vit de la publicité et doit gérer l'information politique sans provoquer de distorsions trop visibles. Elle intègre le star-system et dépend des mesures d'audience[1]. Ces dernières conduisent à organiser les programmes en fonction de la gestion du temps des auditeurs. Ainsi l'après-midi, les femmes à la maison sont les plus touchées et les feuilletons, baptisés soap operas du nom de leur financeurs, les vendeurs de lessive, connaissent un immense succès aux États-Unis.

Dans le même temps, une économie de la publicité se développe. Les premières agences ont été fondées à la fin du XIXe siècle, N. W. Ayer & Son (en) aux États-Unis, Havas en France. Au moment de l'entrée dans la première guerre mondiale des États-Unis, les méthodes de fabrique du consentement sont mises au point par Edward Bernays et théorisées en 1920 par Walter Lippmann.

Un monde en réseau (1950- )

Après la seconde guerre mondiale, deux médias vont apparaître, tous deux construits sur un réseau électronique : la télévision à partir des années 1950, puis Internet et surtout sa déclinaison dans le web à partir des années 1990. Les médias plus anciens devront s'adapter à cette concurrence nouvelle.

Le petit écran de la télévision concurrence le grand du cinéma qui avait déjà été fragilisé aux États-Unis par l'interdiction de compagnies intégrées verticalement en 1948 et en Europe par la domination de Hollywood. La baisse de fréquentation des salles est repérable dans tous les pays développés[15]. Le cinéma va réagir d'un côté aux États-Unis par une surenchère technique comme le cinémascope ou le cinérama et sur le contenu avec les blockbusters, et de l'autre en Europe par des films de genre à petits budgets, la nouvelle vague en France ou en Allemagne, en Italie ou en Espagne des films reprenant les thèmes des séries B hollywoodiennes.

La télévision trouve très vite son public dans tous les pays où elle s'installe. Son modèle suit plusieurs étapes[16] que Jean-Louis Missika et Dominique Wolton ont décrites en trois phases[17] :

« - La première correspond à une diversification des programmes dans un cadre traditionnel de télévision de masse. La diversification tient compte de la diversité des publics.

- La seconde correspond à la fragmentation de la télévision. Les supports se multiplient (câble, cassettes, disques...) et des programmes adaptés à ces supports apparaissent.

- La troisième correspond à l'interactivité... »

La télévision de masse se construit dans tous les pays autour d'un nombre très limité de chaînes. Aux États-Unis trois principaux réseaux commerciaux se partagent l'audience : ABC, CBS et NBC et des liens étroits se tissent avec l'industrie du cinéma qui produit pour la télévision. En Europe, et dans un très grand nombre d'autres pays, la télévision a été construite en relation étroite avec l'administration nationale, soit selon un monopole de service public, soit dans un régime mixte privé-public dont l'organisation et le financement varie selon les contextes[18].

Après les câbles et les satellites, dans les années 2000 les supports de la diffusion de la télévision se sont considérablement élargis avec l'arrivée de la télévision numérique terrestre. Ainsi en France, « Entre 2005 et 2014, l’offre de télévision gratuite s’est fortement développée. Le nombre de chaînes est passé de 6 à 25 et le volume horaire de programmes diffusés a doublé, passant de 102 000 heures à 210 000 heures. »[19]

Économie industrielle

Télévision

Le Centre national du cinéma et de l'image animée fait régulièrement une synthèse de l'économie de la télévision française. La publication de 2016[19] remarque :

« La structure des recettes des chaînes de télévision dans le monde laisse apparaître différents modèles de financement :

- La publicité représente la principale source de revenus des chaînes en Amérique latine (52%), en Asie -Pacifique( 51%) et dans la zone Afrique - Moyen-Orient (45%).

- Les abonnements constituent la majorité des recettes des chaînes en Amérique du Nord (59%) et en Europe (42%).

- Les financements publics composent entre 1% (en Amérique) et 23% (en Europe) des financements des chaînes selon les régions. »

Plateforme

Les médias sont perçus dans l'analyse économique comme des marchés biface où le média représente un intermédiaire entre deux clientèles très différentes, à savoir les annonceurs et les clients:

  • Les annonceurs payent pour mettre de la publicité dans le journal en espérant qu'il y ait le maximum de client pour les voir.
  • Les clients achètent le journal mais ne souhaitent pas être submergés de publicité.

Il y a donc des externalités de réseau dans la mesure où le média doit choisir le nombre suffisant de publicité pour maximiser son profit tout en faisant attention à ne pas perdre trop de clients, nombre de clients qui va lui-même déterminer le nombre d'annonceurs.

Courant critique


Notes et références

  1. Barbier et Catherine Bertho-Lavenir, Histoire des médias : de Diderot à Internet, Paris, A. Colin, , 396 p. (ISBN 2-200-26599-9 et 9782200265991, OCLC 300266528)
  2. Ivan Chupin, Ivan et Nicolas Kaciaf, Histoire politique et économique des médias en France, Paris, La Découverte, , 126 p. (ISBN 978-2-7071-7371-3 et 2707173711, OCLC 800777505)
  3. Marc Bourreau, Michel Gensollen et Jérôme Perani, « Les économies d'échelle dans l'industrie des médias », Revue d’économie industrielle, vol. 100, no 1, , p. 119–136 (ISSN 0154-3229, DOI 10.3406/rei.2002.987)
  4. (en) Jean-Charles Rochet et Jean Tirole, « Platform Competition in Two-Sided Markets », Journal of the European Economic Association, vol. 1, no 4, , p. 990–1029 (lire en ligne).
  5. Francis Balle, Médias et sociétés : édition, presse, cinéma, radio, télévision, internet, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso éditions, , 889 p. (ISBN 978-2-275-04246-6 et 2275042466, OCLC 952701280)
  6. Nadine Toussaint, L'économie des médias, Paris, Presses universitaires de France, , 127 p. (ISBN 978-2-13-058611-1 et 2130586112, OCLC 717031364)
  7. Nathalie Sonnac, L'industrie des médias à l'ère numérique, Paris, La Découverte, , 125 p. (ISBN 978-2-7071-7588-5 et 2707175889, OCLC 858189746)
  8. Michèle Mattelart, Penser les médias, La Découverte, (ISBN 2-7071-1619-X et 9782707116192, OCLC 417650520)
  9. Bernard Miège, Les industries du contenu : face à l'ordre informationnel, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, , 120 p. (ISBN 2-7061-0892-4 et 9782706108921, OCLC 300457598)
  10. « Lucien FEBVRE et Henri-Jean Martin, L'apparition du livre », sur texte, (consulté le )
  11. Starr, Paul, 1949-, The creation of the media : political origins of modern communications, Basic Books, (ISBN 0-465-08193-2, 9780465081936 et 0465081940, OCLC 53215713, lire en ligne)
  12. Henri Mercillon et Henri Guitton, Cinéma et monopoles : le cinéma aux États-Unis : étude économique, Imprimerie nationale, (lire en ligne)
  13. Mingant Nolwenn, « La Motion Picture Export Association de Jack Valenti (1966-2004), corps diplomatique des majors hollywoodiennes à l'étranger », Revue française d’études américaines, 2009/3 (n° 121), p. 102-114.
  14. Patrice Flichy, « Technologies fin de siècle : l'Internet et la radio », Réseaux. Communication - Technologie - Société, vol. 18, no 100, , p. 249–271 (DOI 10.3406/reso.2000.2221, lire en ligne, consulté le )
  15. Bonnell, René, 1945- ..., Le cinéma exploité, Ed. du Seuil, (ISBN 2-85956-522-1 et 9782859565220, OCLC 464344857, lire en ligne)
  16. Miège, Bernard, Pajon Patrick et Salaün, Jean-Michel, L'Industrialisation de l'audiovisuel : des programmes pour les nouveaux médias, Paris, Aubier, , 284 p. (ISBN 2-7007-1845-3 et 9782700718454, OCLC 461843329, lire en ligne)
  17. Missika, Jean-Louis et Wolton, Dominique, La folle du logis : la télévision dans les sociétés démocratiques., Paris, Gallimard, , 338 p. (ISBN 2-07-022605-0 et 9782070226054, OCLC 417136875, lire en ligne)
  18. Bourdon Jérôme, « Le service public de la radiotélévision : l'histoire d'une idéalisation  », Les Enjeux de l'information et de la communication, 2013/2 (n° 14/2), p. 15-26.
  19. Nicolas Besson et Benoît Danard, L'économie de la télévision : financements, audience, programmes, Paris, CNC - Etudes prospectives, , 43 p. (lire en ligne)

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