Chlorpromazine

La chlorpromazine est historiquement le premier médicament antipsychotique. Vendue sous forme de chlorhydrate de chlorpromazine, elle fut initialement surnommée la « lobotomie chimique » par le Dr Heinz Lehmann[2] en raison des effets similaires avec cette pratique neurochirurgicale controversée. Le surnom de « camisole chimique » fut par la suite généralisé en raison de son effet narcotique. Elle possède un effet anxiolytique, hypnotique, antihypertenseur, antiémétique et anticholinergique. Elle est aujourd'hui considérée comme un antipsychotique typique.

Chlorpromazine
structure de la chlorpromazine
Identification
Nom UICPA 2-chloro-10-[3(-diméthylamino)
propyl] phénothiazine
No CAS 50-53-3
No ECHA 100.000.042
No EC 200-045-8
Code ATC N05AA01
Propriétés chimiques
Formule brute C17H19ClN2S  [Isomères]
Masse molaire[1] 318,864 ± 0,022 g/mol
C 64,03 %, H 6,01 %, Cl 11,12 %, N 8,79 %, S 10,06 %,
Données pharmacocinétiques
Biodisponibilité de 10 à 70 %
Métabolisme hépatique
Demi-vie d’élim. 16 à 30 heures
Excrétion

bile et urine

Considérations thérapeutiques
Voie d’administration orale, rectale, IM, IV

Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire.

Classée comme antipsychotique de 1re génération, elle est utilisée dans le traitement des psychoses aiguës et chroniques, comme la schizophrénie et certaines phases maniaques du trouble bipolaire. On l'utilise aussi dans le traitement de la porphyrie, du tétanos, de certains problèmes liés à la croissance chez l'enfant, et comme préanesthésique.

Histoire

La chlorpromazine est issue de recherches sur la famille des phénothiazines menées par le laboratoire Rhône-Poulenc. À partir du noyau de phénothiazine, c'est toute une série d'antihistaminiques (antiallergiques) qui ont été mis au point, comme le Phénergan (prométhazine), l'Antergan, etc. Ces produits présentent un effet secondaire sédatif.

Après la découverte par Henry Dale, en 1910, du rôle de l'histamine dans le choc anaphylactique, les chercheurs s'intéressèrent aux antihistaminiques de synthèse. Les premiers résultats essentiels furent atteints dans le laboratoire de chimie thérapeutique d'Ernest Fourneau, à l'Institut Pasteur[3]. Dans le prolongement de ces découvertes et des travaux de chimistes américains, Mosmier et Halpern obtinrent, en 1942, la phenbenzamine, médicament actif et peu toxique. Et c'est en 1951 que Paul Charpentier mit au point la chlorpromazine (Largactil), d'abord utilisée en chirurgie par Henri Laborit en association avec la prométhazine (Phénergan). L'année suivante, en 1952, « J Delay et P Deniker virent dans le Largactil, médicament psychotrope, le prototype du médicament psychiatrique ». La voie était ouverte à la chimiothérapie des maladies mentales[4].

Henri Laborit (1914-1995), chirurgien de la Marine, alors en poste au Val-de-Grâce, menait des recherches, depuis la guerre, sur le choc, ou maladie post-opératoire. C'est en plaçant des cochons d'Inde, fragiles au niveau tissulaire, en état de choc traumatique pour lutter contre ce syndrome, qu'il débute l'utilisation d'antihistaminiques (antihistamine libérée dans les états de choc) dont les échantillons lui sont fournis par Rhône-Poulenc[réf. nécessaire].

Utilisés seuls, ces produits ne peuvent rien contre le choc. Laborit, avec l'aide de Pierre Huguenard, un des fondateurs de l'anesthésie moderne en France, mélange différents antihistaminiques dans ce qu'ils appellent désormais des « cocktails lytiques ». Laborit remarque que ses patients sont détendus avant l'opération, de laquelle ils récupèrent parfaitement, et qu'en outre, l'usage de ses cocktails lui permet d'opérer quasiment sans anesthésique, ce qui le met sur la voie de l'anesthésie sans anesthésique (neuroleptanalgésie) et de l'anesthésie potentialisée.

Très intrigué par ce qu'il décrit comme « un effet de désintéressement », il demande à Rhône-Poulenc une molécule qui présenterait cet effet non pas en effet secondaire, mais en qualité centrale. Il s'agit du 4560 RP, écarté par Rhône-Poulenc (car trop sédatif et pas assez antihistaminique). Laborit l'expérimente en 1951 avec une collègue psychiatre, Cornélia Quarti, mais cette expérience restera inédite.

Laborit, qui comprend l'intérêt de cette molécule pour la psychiatrie[5], demande à Hamon, Paraire et Velluz, psychiatres au Val-de-Grâce, d'essayer la molécule. Les psychiatres ne disposent alors que des cures de sommeil par les barbituriques ou des thérapies de choc pour tenter de traiter des patients qui, le plus souvent, sont destinés à passer leur vie à l'asile. Les psychiatres du Val-de-Grâce essaient la molécule en association avec des cures de sommeil et ratent l'effet central de la molécule.

Le gendre de Pierre Deniker, assistant de Jean Delay à Sainte-Anne, assiste aux réunions hebdomadaires que Laborit tient au Val-de-Grâce et où il expose ses résultats. Il sensibilise Deniker aux promesses du 4560 RP. Delay et Deniker commencent alors à effectuer des tests systématiques avec la molécule et ils observent des effets spectaculaires : les catatoniques reprennent la parole et deviennent accessibles à la psychothérapie, les agités maniaques se calment, cessent de hurler et s'alimentent normalement : les asiles, lieux de bruits et de fureur, se transforment radicalement[6].

C'est le début de ce qui deviendra le premier neuroleptique et qui va, dans un premier temps, se propager en Europe. Deniker sillonnera les asiles d'Europe avec des échantillons de chlorpromazine. Par la suite, sous l’impulsion de Heinz Lehmann, les États-Unis adopteront la molécule, commercialisée sous la dénomination de thorazine.

Son nom commercial « Largactil » signifie « large action ». Il est commercialisé dès 1952 alors que la molécule est encore en test en psychiatrie. Elle n'est à cette époque pas utilisée comme un médicament spécifique du traitement de la psychose. Ses premières indications sont vastes, elles s'étendent du prurit du nourrisson aux règles douloureuses. Néanmoins, l'usage de la chlorpromazine amène Deniker et Delay à repenser totalement la catégorisation des molécules à effet psychotrope et à inventer le terme de « neuroleptique ».

Cette découverte majeure des qualités centrales d'une molécule issue des phénothiazines ne fera pourtant pas l'objet d'un prix Nobel pour Henri Laborit. Il partagera le prix Albert-Lasker (petit Nobel américain) avec Lehman et Deniker en 1957, tandis que Daniel Bovet obtient le prix Nobel la même année pour la découverte des antihistaminiques[7].

Effets indésirables

Les effets indésirables sont notamment extrapyramidaux : tremblements, dyskinésies précoces, tardives et invalidantes. Les symptômes extrapyramidaux apparaissent lorsque le taux d'occupation des récepteurs D2 striataux dépassent 80 % (Nyberg et al. 1998). Ces effets secondaires apparaissent moins fréquents lors de l’utilisation d’antipsychotique atypique tel la clozapine du fait d'une moindre occupation des récepteurs dopaminergiques et d'une activité antagoniste 5-HT2 sur les récepteurs sérotoninergiques ; fréquence d'apparition du SEP supérieure à 10 %.

Hyperprolactinémie par inhibition de la voie dopaminergique tubéro-infandibulaire entraînant une sécrétion inappropriée d'une hormone : la prolactine, potentiellement responsable d'une impuissance réversible chez l'homme et d'une aménorrhée et d'une galactorrhée chez la femme.

Dyslipidémie possible, avec prise de poids et risque de développement d'un diabète de type 2.

Effets anticholinergiques fréquents : dysurie en cas d'hypertrophie bénigne de la prostate, aggravation d'un glaucome pré-existant, sécheresse buccale et infection associée. Mydriase et trouble de l’accommodation.

Abaissement du seuil épileptogène potentiellement responsable de crises épileptiques. Recherche d'antécédents épileptiques éventuels et EEG de surveillance à prévoir si traitement indispensable.

Chimie

La chlorpromazine est un dérivé de la phénothiazine.

Fonctions physiologiques

La chlorpromazine est un antagoniste des récepteurs dopaminergiques D2 uniquement, mais pas des récepteurs sérotoninergiques 5HT2A caractéristiques des antipsychotiques atypiques plus récents.

100 mg de chlorpromazine équivaut 2 mg d'halopéridol, autre antipsychotique typique de la famille des butyrophénones.

Spécialités

Chlorpromazine
Noms commerciaux
  • Chlorazin (Suisse),
  • Thorazine (États-Unis),
  • Largactil (France),

N'est plus commercialisé en Belgique

Classe antipsychotique
Autres informations Sous-classe : phénothiazines

Divers

La chlorpromazine fait partie de la liste des médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la santé (liste mise à jour en avril 2013)[8].

Évocations artistiques

Le nom commercial de la chlorpromazine, "thorazine" en anglais, est déformé en "thorizene" dans la chanson Kill your sons de Lou Reed : « (…) when they shoot you up with thorizene on crystal smoke / you choke like a son of a gun (…) »

Le groupe de métal canadien The Agonist a écrit une chanson nommée Chlorpromazine sur l'album Lullabies for the Dormant Mind..

Le groupe de punk-rock américain The Ramones a également réalisé plusieurs chansons qui évoquent la thorazine, l'auteur-compositeur et bassiste du groupe, Dee Dee Ramone, ayant été atteint de troubles bipolaires. Dans ce registre se trouve notamment We're a Happy Family sur l'album Rocket to Russia, sorti en 1977.

Dans le film Shutter Island et dans le roman Shutter Island, le docteur Cawley fait part de l'utilisation de la chlorpromazine dans l'hôpital psychiatrique.

Dans l'épisode 22 de la saison 1 de la série X-Files, une petite fille au pouvoir surnaturel est soignée à l'aide de thorazine.

Dans l'épisode 2 de la saison 1 de la série LORE (Amazon prime video) la thorazine est évoqué comme remplacent avantageux de la lobotomie.

Sur son album « Arise » sorti en 1985 sur l’etiquette « alternative tentacles », le groupe punk britannique Amebix joue la pièce « largactyl ».

Dans leur mini album "New Orleans", le groupe punk français Ludwig von 88 chante une chanson intitulé "4560RP".

Dans l'épisode 10 de la saison 6 de Dexter, Debra trouve une boîte de Chlorpromazine prescrite à l'antagoniste principal de la saison.

Notes et références

  1. Masse molaire calculée d’après « Atomic weights of the elements 2007 », sur www.chem.qmul.ac.uk.
  2. (en-GB) Benjamin Chin-Yee, « Heinz Lehmann and the dawn of psychopharmacology », sur hekint.org (consulté le 26 mars 2017)
  3. « Avec son équipe, Fourneau orienta ses travaux sur l’étude des amino-alcools et de leurs dérivés, qui aboutirent aux premiers adrénolytiques et aux premiers antihistaminiques de synthèse, dont dérivent tous les médicaments anti-allergiques. Il découvrit le premier neuroleptique majeur, la chlorpromazine. » (Dominique Kassel, conservateur des collections d'histoire de la pharmacie de l'Ordre national des pharmaciens, « Ernest Fourneau (1872-1949) », dans Des pharmaciens dans leur siècle. Le XXe, avril 2002, consulté le 5 décembre 2010.)
  4. Judith P. Swazey, « Chlorpromazine in Psychiatry. A study of Therapeutic » (consulté le 23 mars 2010), dans Revue d'histoire des sciences, 1977, 30 × {{{2}}} × {{{3}}}, no 2, p. 189-190.
  5. Laborit, Henri, Pierre Huguenard, et R. Alluaume, « Un nouveau stabilisateur neuro-vegetatif, le 4560 RP » Presse médicale 1952;60:206-208.
  6. Delay et Deniker, 38 cas de psychoses traitées par la cure prolongée et continue de 4560 RP, comptes-rendus du Congrès d'aliénation et de neurologie de langue française, Paris, Masson, 1952, p. 497-502.
  7. Daniel Bovet, Une chimie qui guérit, Paris, Payot, 1989.
  8. (en) WHO Model List of Essential Medicines, 18th list, avril 2013

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Noël Missa, Naissance de la psychiatrie biologique : Histoire des traitements des maladies mentales au XXe siècle, Presses universitaires de France, Paris, 2006.

Liens externes


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