Yanomami

Les Yanomami sont un des peuples indigènes parmi les plus nombreux des forêts d’Amérique du Sud, à la fois au Brésil et au Venezuela. Ils constituent un ensemble linguistique et culturel divisé en quatre sous-groupes parlant des langues mutuellement intelligibles. Leur population est estimée à 32 000 personnes, dans laquelle les Yanomami occidentaux représentent près de 50 % de l’ethnie. Bien que chaque communauté se considère comme autonome sur les plans politique et économique, elles entretiennent un vaste réseau social qui émaille de part en part tout le territoire yanomami.

Indien Yanomami

Ethnonyme

Le nom Yanomami a été créé par les anthropologues qui ont travaillé avec ce groupe au Venezuela.

En yanomami occidental, yanõmami tëpë signifie « êtres humains ». Cette catégorie s’oppose à yaropë qui désigne le gibier et à yai thepë : ce qui est non-humain (esprits chamaniques, les entités maléfiques et les revenants). Elle s’oppose dans un autre contexte à napëpë, qui se rapporte aux étrangers et aux ennemis.

Les Yanomami étaient appelés auparavant Guaharibos[1]. On les a aussi nommés Sanima, Shiriana ou Waika.

Langues

Les Yanomami ignorent l'écriture et possèdent un vocabulaire d’environ 4 000 mots. En revanche, ils savent nommer à peu près 400 animaux et plus de 300 plantes. Ils emploient le langage gestuel lors des chasses en forêt : il s'agit de se comprendre entre soi sans effaroucher le gibier.[réf. nécessaire]

Situation géographique

Localisation du peuple yanomami

Le peuple yanomami constitue le plus vaste territoire autochtone forestier du monde et est situé au cœur de la forêt tropicale humide.

Leur territoire s'étend du Brésil sur 9,6 millions d’hectares (soit le double de la superficie de la Suisse) jusqu'au Venezuela, où ils vivent dans la réserve biosphère de l'UNESCO, l’Alto Orinoco-Casiquiare, dont la superficie est de 8,2 millions d’hectares [2]. La démarcation des terres au Brésil a été définitivement homologuée en 1992 et sont considérées comme une région prioritaire en matière de protection de la biodiversité amazonienne.

Il est impossible de certifier depuis combien de temps les Yanomami occupent ce territoire. Cependant, comme la majorité des peuples autochtones sur le continent américain, on estime qu’ils ont traversé le détroit de Bering reliant l’Asie à l’Amérique il y a environ 15 000 ans, puis qu’ils ont lentement migré vers le sud du continent.

Aujourd’hui, leur population totale est estimée à 38 000 personnes[2], contre 27 000 individus répartis en 188 villages et maisons collectives en 2003[3].

Couvert d'une épaisse forêt et traversé par de nombreux cours d'eau, dont le grand fleuve Orénoque[4],[5], le relief de leur territoire est marqué par des sommets ennuagés et des cascades pouvant atteindre un dénivelé de 900 m. Les Yanomami se méfient de l'eau, ils préfèrent les buttes montagneuses boisées. Depuis ces dernières années et sous l'influence des missions chrétiennes, quelques groupes se sont cependant approchés des fleuves. Ils troquent gibier ou curare contre des pirogues fabriquées dans des troncs d'arbre et les plus jeunes apprennent même à nager. Ils fabriquent leurs propres arcs, utilisés aussi bien pour la pêche que pour la chasse.

Vus d'avion, leurs villages affectent la forme d'un immense abat-jour posé sur le sol[6]. Cet auvent collectif, doté d'une place centrale, se nomme le shabono (en), ce qui correspond simultanément au pourrissement des bois de charpente, à l'épuisement des jardins — où ils cultivent la banane plantain, le maïs, le manioc, la canne à sucre, la papaye, le tabac et certaines plantes dites magiques — et aussi à l'appauvrissement des zones de chasse, qui s'étendent sur un rayon de 10 km environ autour de la grande maison.

Microbiome, génétique et vulnérabilité

En 2009, un groupe de Yanomami vivant dans « un village sans aucun contact antérieur documenté avec des occidentaux » a fait l'objet d'une étude microbiologique qui a amené deux découvertes :

  • le microbiote (intestinal, buccal et cutané) de ces Yanomami « héberge un microbiome contenant la plus grande diversité de bactéries et de fonctions génétiques jamais répertoriées dans un groupe humain », dont possiblement « des bactéries potentiellement bénéfiques » encore inconnues et qui pourraient disparaitre avec l'occidentalisation de ces tribus ;
  • de manière surprenante, le microbiote de ces Yanomami (communauté a priori peu confrontés à des antibiotiques) contenait aussi des bactéries (E Coli généralement) dotées de gènes AR (gènes d'antibiorésistance, c'est-à-dire connus pour coder des protéines impliquées dans les processus de résistance à certains antibiotiques), plus que chez certains cas témoins venant de communautés rurales du Venezuela et du Malawi)[7]. Ces gènes - sûrement en partie originaires d'autres régions du monde, supposant être rapportés par des oiseaux migrateurs ou à la suite de contacts indirects - sont probablement ici « silencieux », mais il pourraient être mobilisés par la sélection naturelle en cas de contacts répétés de ces populations avec des antibiotiques[7].

En tant que population longtemps « isolée », les Yanomami comme la plupart des peuples amérindiens sont vulnérables à diverses épidémies.

En 1967, ils rencontrent pour la première fois le virus de la rougeole. Venu de Manaus, le virus est transmis par la fille d'un missionnaire, alors âgée de 2 ans, et introduit dans un village brésilien situé près de la frontière vénézuélienne sur les rives du Tootonobi. Principalement peuplé de Yanomami, la quasi-totalité de ce village - comprenant alors 150 indiens - a contracté la rougeole, et 17 en sont morts.

Pour des raisons immunitaires et génétiques, les Amérindiens sont vulnérables aux microbes et aux nouveaux virus les contractants. Ceci explique des séries d'épidémies, dont l'épisode, en 2009, du virus H1N1 (Mexique, Bolivie). Outre l'absence d'immunité acquise, les natifs des Amériques (Nouveau Monde) posséderaient un système immunitaire plus restreint vis-à-vis des microbes de l'Ancien Monde que celui des habitants de l'Ancien Monde (Européen moyen, Africain, à l'exception notable de certains peuples isolés de Sibérie). Si les archéologues sont divisés sur la date et les circonstances de l'entrée des « Indiens » en Amérique, la grande majorité des chercheurs s'accorde à penser que leur nombre initial serait modeste (la quasi-totalité des Indiens d'Amérique du Sud seraient de groupe sanguin O et les types de HLA sont aussi moins nombreux).

D'un point de vue évolutif, cette homogénéité génétique ne serait « ni bonne, ni mauvaise » en elle-même :

  • bonne, si l'on considère qu'avant Christophe Colomb, les Amériques auraient été à l'abri de la fibrose kystique, de la chorée d'Huntington, de l'anémie du nouveau-né, de la schizophrénie, de l'asthme et (sans doute) du diabète sucré de l'enfant. Leur homogénéité génétique aurait épargné aux Amérindiens de grandes souffrances avant l'arrivée des colons.
  • mauvaise : ces peuples autochtones n'auraient qu'un spectre de réactions très limité au vaccin étudié (rougeole) et cela pour une raison génétique (groupe tissulaire HLA).

Mode de vie

Habitat

Shabono yanomami

Les Yanomami du Venezuela du Sud (et du nord du Brésil) vivent dans de grands logements communautaires circulaires appelés shabono (en). Construits dans des clairières en pleine jungle, les shabono traditionnels sont fabriqués de feuilles de palmier, de chaume et de bois. Ils peuvent être de forme conique ou rectangulaire, et entourent un espace central ouvert : cette zone est utilisée pour des activités telles que les rituels, les fêtes et les jeux.

Certains shabono peuvent abriter jusqu'à 400 personnes, bien qu'ils soient en général moins grands. Chaque famille possède, dans la partie couverte périphérique, son propre foyer. Les membres y dorment dans des hamacs disposés en bandoulière près du feu[8].

Après quelques années, quand la charpente commence à pourrir, que le gibier commence à manquer sur le territoire, et que les jardins s'épuisent ou sont envahis par les mauvaises herbes, le village déménage. Sinon le bâtiment est reconstruit et son diamètre revu en fonction de la taille de la communauté[8].

Alimentation

Sur une zone d'environ 10 kilomètres autour de leur village, les Yanomami se nourrissent de la chasse, de la pêche, et la cueillette. Ces activités contribuent à fournir une alimentation très diversifiée et équilibrée et sont réparties entre les sexes.

Les hommes chassent le pécari, le tapir, le cerf et le singe, et utilisent souvent le curare (un extrait de plante) pour empoisonner leurs proies. La chasse est considérée comme la plus prestigieuse des compétences et la viande est très appréciée de tous. Cependant, elle compte pour seulement 10% de leur nourriture : le reste de leur alimentation provient de jardins (implantés dans des zones défrichées de la forêt) où environ 60 espèces sont cultivées par les femmes. Entre autres banane plantain, maïs, manioc, cacahuètes, canne à sucre, papaye, tabac et plantes psychotropes, ces cultures sont utilisées dans l'alimentation, le reste servant à l'artisanat, à la pharmacopée de leur guérisseurs, sorciers chamans ou à la fabrication d'objets utiles et rituels.

Les femmes recueillent également des noix, crustacés, amphibiens, insectes et larves d’insectes, et une quinzaine de sortes de miel sauvage différents, alors très prisé par les Yanomami[8]. La collecte de plantes comestibles concerne plus de 130 espèces végétales (fruits, tubercules, champignons). Cueilleurs infatigables, les Yanomami ont imaginé une technique astucieuse pour atteindre les fruits savoureux du palmier rasha dont le tronc, haut parfois de 30 m, est hérissé de longues épines. Ils utilisent deux paires de perches croisées, attachées par des lianes, qu'ils propulsent vers le sommet de l'arbre en les coinçant du genou et de leurs pieds nus.

Les Yanomami pratiquent l’agriculture sur brûlis itinérante. Activité essentiellement masculine, elle fournit plus de 75 % des calories de leur diète. Chaque communauté ouvre chaque année entre 3 et 6 hectares de nouvelles cultures qui serviront pendant environ 3 ans, avant d'être abandonnées à la régénération naturelle. Bien que basée sur le défrichement et le brûlis, l’agriculture yanomami ne produit pas d’effet à long terme sur l’environnement car ses jardins sont de petite taille et très espacés. On observe peu d’érosion et les arbres environnants trouvent là des conditions idéales pour se développer.

Dans la forêt, le gibier est uniquement prélevé par les chasseurs à l'arc pour se nourrir avec respect et reconnaissance envers « l'esprit de la forêt ». Le résultat de la chasse est toujours échangé entre les voisins et les familles : celui qui a tué ne consomme pas le résultat de sa chasse mais reçoit sa part d'un autre chasseur. La chasse fournit à elle seule 55 % des protéines de l’alimentation yanomami. Elle est pratiquée par les hommes de l’adolescence à la cinquantaine d'années.

Les Yanomami chassent environ 35 espèces de mammifères, 90 espèces d’oiseaux, et une quinzaine d’espèces de reptiles (dont 6 sortes de tortues). Les armes de chasse habituelles sont l’arc et les flèches, même si l’on note une certaine pénétration des fusils, souvent obtenus, dans un passé récent, auprès des chercheurs d’or. Le gibier est généralement pisté mais des appeaux et imitations sont aussi fréquemment utilisés pour l’attirer.

La pêche est pratiquée à la ligne ou à la nivrée, et concerne plus d’une centaine d’espèces de poissons.

Recherches ethnographiques

En 1965, la photographe anthropologue et humaniste engagée suisse alémanique Barbara Brändli a vécu un long séjour parmi eux et a profondément étudié leur culture et leur mode de vie. Elle a rapporté de superbes photos et films ainsi qu'un témoignage poignant sur ce peuple qui pourrait bien être parmi les derniers peuples non occidentalisés de la planète, ayant su garder un parfait équilibre de vie harmonieux et équilibré entre la nature et eux-mêmes.

Elle expose les résultats de ses recherches partout dans le monde et entre autres à la Fondation Cartier de Paris du au pour faire connaitre la civilisation yanomami à l'humanité.

La photographe Claudia Andujar, présente à cette même exposition, cofondatrice de la CCPY (Commission pour la Création d'un Parc yanomami), qui participe à la défense de leurs droits depuis le début des années 1970, présente en 2009 à la Maison de la Photographie Robert Doisneau de Gentilly l'exposition « Brésil, symphonie humaine », où l'on peut voir ses images des Yanomami, issues d'années de vie partagée avec eux. Un ouvrage rétrospectif Yanomami: a casa, a floresta, o invisivel («Yanomami: la maison, la forêt, l’invisible»), qui rassemble une partie de ces photos, a été publié en français sous le titre «Yanomami, la danse des images» (Editions Marval, 2007).

Les Yanomami ont des chefs mais ceux-ci n'ont qu'un pouvoir relatif. Les dissensions internes sont fréquentes et les guerres continuelles : s'ils sont tranquilles aujourd'hui, c'est qu'ils en ont payé le prix hier.

Des centaines d'heures d'entretien ont été menées de 1989 au début des années 2000 entre Davi Kopenawa, chaman yanomami, et Bruce Albert, un ethnologue belge. Elles ont débouché sur plusieurs publications et finalement sur une somme ethnologique : La chute du ciel, publiée en 2010[9]. L'ouvrage est cosigné par le chaman et l'ethnologue[10].

En 1989, Survival International chargea le porte-parole yanomami, Davi Kopenawa, de recevoir le prestigieux Right Livelihood Award, connu comme le Prix Nobel alternatif, en son nom. La visite de Davi en Europe, sa première hors du Brésil, fut très médiatisée et donna une forte impulsion, dans l’arène internationale, à la campagne pour la protection du territoire yanomami. Ce fut certainement un élément décisif pour obtenir l’accord final du gouvernement à la création du parc yanomami trois ans plus tard.

Ethnologie

Spiritualité

Les Yanomamis orientaux attribuent leur origine à la copulation du démiurge Omama avec la fille d’un monstre aquatique Tëpërësiki, le maître des plantes cultivées. Ils prêtent à Omama l’origine des règles sociales et culturelles en usages, ainsi que la tutelle des esprits chamaniques.

Les communautés yanomami croient en l'esprit de la forêt qui leur donne tout ce dont ils ont besoin pour vivre et avec laquelle ils essaient de vivre en meilleur harmonie et osmose possible, en ne prélevant que le minimum vital pour ne pas lui nuire et la préserver du mieux possible. Les Yanomami ont des guérisseurs, sorciers chamans, pour leur permettre de se soigner et de communiquer avec « l'esprit de la forêt » par l'intermédiaire des plantes psychotropes magiques. Le chamanisme est, avec les rites funéraires et guerriers un des piliers culturels de la société yanomami. Les sessions chamaniques individuelles ou collectives y constituent une activité aussi régulière que spectaculaire. La plupart des maisons collectives comptent plusieurs chamans. On dit qu’un futur chaman est habité depuis l’enfance par des rêves étranges induits par le regard des esprits posés sur lui. Il devra, une fois adulte, apprendre à les voir et à les appeler. L’initiation se déroule sur plusieurs semaines. Jour après jour, ils inhalent un puissant hallucinogène : la poudre yakoana. Durant cette transe, leur corps est dépouillé, mis en pièces, lavé et orné par les esprits xapiripë, avant d’être retourné puis recomposé. Ils apprennent alors sous la conduite des anciens à répondre aux chants des xapiripë, et à les enrôler à titre d’esprit auxiliaire. Ces esprits sont représentés sous la forme d’humanoïdes miniatures, couverts d’ornements cérémoniels colorés et lumineux. Ils sont en majorité des « images » des ancêtres animaux du temps des origines (pas les animaux actuels). Les images-esprits peuvent être aussi des végétaux, des personnages mythologiques (animaux ou non), des entités cosmiques telles que la lune ou le soleil, mais encore aussi des xapiripë domestiques comme le chien ou le feu.

« Nous, les Yanomami, nous apprenons avec les grands shapiri (esprits chamaniques). Nous apprenons à les connaître, à les voir, à les écouter. Seuls ceux qui connaissent les shapiri peuvent les voir parce qu’ils sont très petits et brillent comme des lumières. Il y en a beaucoup, beaucoup, pas qu’un peu mais des quantités, des milliers comme des étoiles. Ils sont beaux, décorés avec des plumes de perroquet, peints avec du roucou (pâte rouge extraite d’une baie). D’autres ont des pendants d’oreille et sont peints en noir. Ils dansent très bien et chantent différents chants. Les Blancs croient que lorsque nous faisons des séances de chamanisme nous chantons. Mais nous ne chantons pas; nous accompagnons la musique et les chants. Ce sont des chants différents : ceux de l’ara, du perroquet, du tapir, de la tortue, de l’aigle, et ceux des oiseaux, qui ont tous des chants différents. C’est comme ça que sont les shapiri. Il est difficile de les voir. » « Qui que soit le chamane, il doit les accepter, les connaître. Tu dois tout quitter, tu ne peux plus manger ta nourriture, tu ne peux plus boire de l’eau, t’approcher des femmes, de la fumée du feu ou des enfants qui jouent et qui font du bruit – parce que les shapiri veulent vivre en silence. Ils vivent autrement que nous, ce sont d’autres gens. Certains vivent dans le ciel, d’autres sous la terre, d’autres dans les montagnes couvertes de forêts et de fleurs. Certains vivent dans les rivières, dans la mer, dans les étoiles ou dans la lune ou le soleil. Omame (le créateur) les a choisis parce qu’ils sont bons pour le travail, pas le travail dans les jardins mais le travail du chamanisme, de la guérison des maladies des gens. Ils sont beaux mais très difficiles à voir. Les shapiri veillent sur tout, les shapiri veillent sur le monde. » Davi Yanomami, chamane de la communauté Watoriki-Theri (les gens de la montagne venteuse).[réf. nécessaire][11]

Danse de l'alliance des enfants de la lune

Brandissant leurs armes, des guerriers invités dans un village qu'ils ont combattu pendant des années exécutent une danse de paix. Ils entendent ainsi s'unir avec les ennemis d'hier pour lutter contre ceux de demain. Un groupe de chamans décida de délester la lune qu'ils savaient gorgée de sang. La flèche d'un chaman toucha l'astre qui se mit à saigner. Les gouttes de sang retombèrent sur les têtes des Yanomami, pénétrèrent dans leur corps et les rendirent forts. C'est pourquoi, les Yanomami se prétendent les « fils de la lune ».

Parures végétales d'un bonheur encore naturel

Les femmes yanomami usent de fines baguettes dont elles se transpercent le nez, la lèvre inférieure, les commissures des lèvres et qui se balancent au moindre mouvement. Souvent, elles fixent à l'extrémité de ces ornements des fleurs de lys sauvage. Elles dessinent sur leur corps, avec de « l'onoto », une teinture végétale rouge, de longues lignes ondulées qui symbolisent les animaux mythologiques du monde aquatique.

Leurs prétendants (on compte 8 femmes pour 10 hommes chez les Yanomami) sont tenus d'approvisionner leurs parents en gibier et en fruits et de porter leurs fardeaux avant de passer aux épousailles. En échange, ils reçoivent de la nourriture et du tabac roulé dans la cendre. Les Yanomami chiquent, qu'ils fassent l'amour ou la guerre ou qu'ils chassent les lucioles pour les appliquer sur leur corps pour le rendre phosphorescent dans l'obscurité.

Paradis artificiels d'un dialogue avec les esprits

La drogue communautaire, la parika fait partie du quotidien. Au moyen d'un long roseau creux, les Yanomami s'insufflent mutuellement dans les fosses nasales plusieurs doses de cette poudre grise. Sous le choc de cet hallucinogène puissant, le cerveau vacille et apparaissent des visions fantastiques. Ici, les maladies ont toujours une cause magique et résultent de différents sortilèges. Le sorcier s'unit à des énergies surnaturelles. Puis, à l'aide de ses seules mains, il tente d'extirper le mal en profondeur.

Purée de bananes aux cendres du défunt

Une ombre noire qui erre çà et là sur la terre, secoue les hamacs, renverse les arbres, menace les enfants. Cet esprit mauvais cesse ses agissements et devient amical lorsque les cendres du défunt, délayées dans une purée de bananes, sont absorbées par ses proches parents en présence de tout le village.

La maison du Ciel et de la Terre enfin réconciliés

Le shabono (en) est la maison collective en bois et feuilles des Yanomami. Elle correspond à la représentation qu'ils se font de l'univers. Au centre, la grande place découverte symbolise le plus haut des cieux. À l'intérieur du shabono, toutes les familles suspendent leurs hamacs confectionnés avec de minces lianes. Les enfants s'y blottissent pour dormir contre leur mère. Ce n'est qu'après le sevrage, dans leur 4e année, qu'ils reçoivent un hamac personnel. La chaleur du corps maternel est remplacée par celle du feu qui brûle toute la nuit sous le grand auvent.

Influence destructrice des chercheurs d'or et aide internationale

La publicité donnée à la fin des années 1970 au potentiel minier du territoire yanomami y déclenche au cours des années 1980, un mouvement progressif d’invasion d’orpailleurs, qui finit par prendre la forme, en 1987, d’une véritable ruée vers l’or. Entre 1987 et 1990, quelque 90 pistes d’aviation clandestines ont été ouvertes dans la région du Serra Parima, où de 30 000 à 40 000 chercheurs d’or exploitaient des placers. Leur nombre, dans l'État du Roraima, représentait cinq fois la population yanomami. Cette invasion massive eut un impact épidémiologique et écologique dramatique. Le paludisme, les infections respiratoires causèrent la disparition d’environ 13 % de la population yanomami du Brésil. La destruction et la pollution à grande échelle des rivières (par le mercure notamment, qui empoisonne les poissons et une partie la chaine alimentaire) entraînèrent des dommages considérables pour l'écosystème et les ressources naturelles exploitées par les indiens.

Les Yanomami auraient la réputation d'être farouches et violents. Il y a une trentaine d'années, les premiers voyageurs (qui les appelaient aussi Samina, Shiriana ou Waika) en faisaient un portrait terrifiant. Le cannibalisme et l'usage du curare n'arrangeaient rien. La peur réciproque des Blancs et des Indiens, fondée sur des malentendus, des fantasmes ordinaires où chacun s'accuse des pires crimes, a souvent été à l'origine des violences. Il n'est pas indifférent de savoir que le nom Yanomami, par lequel ils se désignent eux-mêmes, veut dire être humain, alors que le nom « nabe », par lequel ils désignent les non-Yanomami, signifie tout à la fois « étranger » et « ennemi ».

Après une très importante et longue campagne de communication et tournée mondiale d'un de leur grand chef chaman Davi Kopenawa, qui avait appris le portugais du Brésil pour demander de l'aide amicale aux hommes blancs amis, et de pression d'associations humanistes internationales, leur territoire fut enfin cadastré en 1992, le Parc yanomami créé et les orpailleurs expulsés.

Mais le Brésil refuse toujours de leur reconnaître la propriété de leurs territoires, malgré le droit international dont ce pays est signataire. Dans la classe dirigeante brésilienne, nombreux sont ceux qui voudraient réduire le territoire yanomami et l'ouvrir aux chercheurs d'or et à la colonisation. L'armée veut aussi maintenir sa présence dans la région et projette de construire de nouveaux camps militaires.

En , une note décousue parvint au bureau de la FUNAI de Boa Vista, capitale de l'État du Roraima, au nord de l’Amazonie. Écrite par une religieuse missionnaire au village yanomami de Xidéia, elle disait : ‘Les Indiens (de Haximú) sont tous ici... ils ne veulent pas s’en retourner à cause des chercheurs d’or qui sont allés dans une maloca (maison communautaire) voisine, ont tué sept enfants, cinq femmes et deux hommes et détruit la maison.’ Il fallut un mois pour que la nouvelle de la tuerie atteigne le monde extérieur.

L’affaire avait débuté plusieurs mois auparavant, quand les orpailleurs avaient assassiné d’autres Yanomami dont les parents s’étaient vengés par la suite en tuant deux mineurs. C’est alors qu’un groupe d’orpailleurs lourdement armés avait décidé de ‘donner une leçon’ à la communauté de Haximú, à la frontière du [Venezuela]. Il fallut longtemps pour connaître les circonstances de la tuerie. Dès leur arrivée, les orpailleurs ouvrirent le feu sur la maloca où se trouvaient surtout des femmes et des enfants, puis ils entrèrent et l’incendièrent. Des Indiens réussirent à s’enfuir et une poignée de survivants se réfugia dans la forêt. Une vieille femme aveugle resta en arrière, les mineurs la tuèrent à coups de pied. Un bébé dans un hamac qui avait survécu aux coups de feu fut massacré à la machette. Quand ce fut fini et que les orpailleurs furent partis, les survivants rampèrent jusqu’à la maloca et incinérèrent les corps, emportant les cendres de leurs parents dans le village voisin. Seize Yanomami trouvèrent la mort au total.

Après des délais qui parurent interminables, l’affaire fut portée devant un tribunal à la fin de 1996 et un juge inculpa cinq orpailleurs de génocide. Quoique des peines de 19 à 20 ans aient été prononcées, deux hommes seulement se retrouvèrent en prison, les autres étant en fuite. C’était la deuxième condamnation au Brésil pour génocide. La précédente, intervenue deux ans auparavant, avait frappé un collecteur de caoutchouc, coupable du ‘crime une tribu disparaissait tous les deux ans durant le XXe siècle suprême’ à la suite de l’assassinat, en 1963, de huit Indiens Oro Uim – principalement des femmes et des enfants. Il avait organisé une attaque du groupe et avait emmené les survivants à sa plantation où ils étaient réduits en esclavage. Dans les années 1990, les Oro Uim n’étaient plus que 55.

Depuis 2015 la présence des orpailleurs a repris. En 2019, des milliers d'orpailleurs clandestins poussés par la pauvreté affluent sur les terres indigènes et mettent en danger plusieurs tribus isolées d'Indiens yanomami en apportant avec eux maladies mortelles, bagarres, et pollution au mercure. Ces chercheurs d'or, encouragés par le discours du président Jair Bolsonaro promettant d’en finir avec la sanctuarisation des territoires indigènes et par l’incurie des agences de l’État, voient leurs activités soutenues par des entreprises et des politiciens corrompus[12]. S'ajoutent à eux les trafiquants de bois et les exploitants agricoles menant paître leur bétail dans les zones réservées.

Aujourd'hui, le territoire du peuple yanomami est toujours menacé au Brésil. Davi Kopenawa, porte-parole de ce peuple, continue la lutte et dénonce le pouvoir local : « Les autorités au Brésil ne nous ont jamais consultés [au sujet des] décisions qui concernent notre forêt »[13].

Bibliographie

  • Jacques Lizot, « Aspects économiques et sociaux du changement culturel chez les Yanomami », L’Homme, 1971, vol. 11, n °1, p. 211-232.
  • Jacques Lizot, « Population, ressources et guerre chez les Yanomami », Libre, 1977, no 2, p. 111-145.
  • Catherine Ales, « Violence et ordre social dans une société amazonienne. Les Yanomami du Venezuela », Études Rurales, 1984, no 95-96, p. 89-114.
  • Jan Reynolds, Au pays des Yanomani, Paris, Circonflexes, coll. Couleurs du monde (documentaire jeunesse),
  • Bruce Albert, « La fumée du métal : Histoire et représentations du contact chez les Yanomami (Brésil) », L’Homme, 1988, vol. 28, no 106, p. 87-119.
  • Luigi Eusebi, A barriga morreu! : o genocídio dos Yanomami, São Paulo, Loyola, 1991. 149 p.
  • Alexandra Aikhenvald, R.M.W. Dixon, « La catastrophe des Yanomami : un aperçu, de 1979 à aujourd'hui », Société de Recherches Américaines au Québec, vol. 22, no 4, 1992/1993, p. 70-104 p.
  • Bruce Albert, « Indiens yanomami et chercheurs d'or au Brésil », Passerelles, Printemps 1993, no 6, p. 93-99.
  • Catherine Ales, « Violencia y orden social ; Conflictos y guerra entre los Yanomami de Venezuela », Folklore Americano, 1993, no 55, p. 75-106.
  • Etorre Biocca, Yanoama, le récit d'Elena Valero, enlevée à 12 ans par des Indiens yanomami, et qui vécut 22 ans à leurs côtés. Collection Terre Humaine, Plon, 1993.
  • Bruce Albert, « Indiens yanomami et chercheurs d’or au Brésil. Le massacre de Haximu. Journal de la Société des Américanistes, 1994, no 80, p. 250-257.
  • Collectif, « Dépossédés, Les Indiens du Brésil », Ethnies, no 28, printemps 2002.
  • Patrick Tierney, Au nom de la civilisation : Comment anthropologues et journalistes ont ravagé l'Amazonie ; Éditions Grasset, 2003 (Premier chapitre en ligne)
  • Davi Kopenawa et Bruce Albert, Yanomami : L'esprit de la forêt, Éditions Actes Sud, 2003.
  • Robert Taurines, Yanomami Fils de la Lune, Éditions du Mont, 2006 http://www.passiondulivre.com/livre-27588-yanomamis-fils-de-la-lune.htm
  • Christine Ales, « Le goût du miel » : le nouvel ordre politique dans l’Amazonie vénézuélienne et la participation yanomami », Journal de la Société des américanistes, 2007, tome 93, no 1, mis en ligne le , consulté le .
  • Pierre Gemme, Animal Totem, Éditions Volpilière, 2009, roman jeunesse dont le héros est un adolescent yanomami.
  • Davi Kopenawa et Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d'un chaman Yanomami, Paris, Plon (2010), coll. « Pocket », , 1010 p. (ISBN 978-2-266-25259-1).
  • Suzanna Monzon, Yanomami, Encyclopædia Universalis. [lire en ligne]
  • Catherine Alès. « Les Yanomami à la lumière de Mauss et réciproquement », Revue du MAUSS, vol. 36, no. 2, 2010, pp. 155-170.[lire en ligne]

Voir aussi

Filmographie

  • Yanomami, fils de la lune - film documentaire (Résumé du film)
  • La Maison et la Forêt, Volkmar Ziegler, 1994.
  • Les Yanomani : la vie au jour le jour, film documentaire de Junichi Ushiyama, Japon, 30 min (tourné en 1974)
  • Yanomami : une guerre d'anthropologues - film documentaire de José Padilha, France 2010

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Alain Gheerbrant, Orénoque-Amazone : 1948-1950, Paris, Gallimard, , 435 p. (ISBN 2-07-032698-5 et 9782070326983, OCLC 463620751, lire en ligne).
  2. (en) Survival International, « Yanomami », sur www.survivalinternational.fr (consulté le ).
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  6. Douce Cahute, « Shabono : un logement communautaire circulaire au Brésil et au Venezuela », sur Douce Cahute, (consulté le ).
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  8. Douce Cahute, « Shabono : un logement communautaire circulaire au Brésil et au Venezuela », sur Douce Cahute, (consulté le ).
  9. Bruce Albert et Davi Kopenawa, La chute du ciel : paroles d'un chaman Yanomami, Place des éditeurs, , 745 p. (ISBN 978-2-259-21571-8, lire en ligne).
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  11. (en) Survival International, « Yanomami », sur www.survivalinternational.fr (consulté le ).
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