Vexilla Regis
Vexilla Regis est une hymne latine du poète chrétien Venance Fortunat, évêque de Poitiers du VIe siècle. Il tient son nom de la première phrase : « Vexilla regis prodeunt, fulget crucis mysterium, quo carne carnis conditor suspensus est patibulo. »
Chantée pour la première fois le quand une relique de la Vraie Croix, envoyée par l'empereur byzantin Justin II à la requête de sainte Radegonde, fut transportée de Tours au monastère de Sainte-Croix à Poitiers, elle file une métaphore où la croix du Christ est assimilée à un arbre, plus précisément à l'arbre de vie, ainsi qu'aux vexilla impériales romaines.
Paroles
Paroles en latin | Traduction française en vers[1] |
---|---|
Vexílla Regis pródeunt, |
1. Aujourd’hui du grand Roi l’étendard va marchant, |
Cette version fut choisie, dans les années 1960 et 1970, par Dom René-Jean Hesbert qui traitait huit cents manuscrits. Dans son catalogue Corpus antiphonalium officii, celle-ci est classifiée comme CAO8410 (tome IV). Surtout, elle se trouve dans trois sur douze manuscrits grégoriens plus anciens et sûrs[3].
L'université de Waterloo ressemble plusieurs variations parmi de nombreuses manuscrits .
Partition
Histoire
Venance Fortunat était un poète italien depuis longtemps présent et célèbre dans les cours royales franques mérovingiennes. Il avait notamment écrit des poèmes en l'honneur des reines Brunehilde et Frédégonde. Là-bas, il fait la connaissance de la reine Radegonde, femme de Clotaire Ier roi des Francs. Fervente chrétienne et horrifiée par le meurtre de son frère par son mari, elle abandonne la cour et se réfugie à Poitiers. Venance Fortunat décide de la suivre. Elle y fonde en 552 le monastère Notre-Dame ou Sainte-Marie-Hors-les-Murs. C'est alors le premier monastère féminin de Gaule.
Désirant obtenir une relique pour son abbaye, Radegonde, profitant de son statut royal, demande à l'empereur romain d'orient Justin II et à sa femme Sophie un morceau de la Vraie Croix, ce qui lui est accordé : cinq petits morceaux montés ensemble pour former une croix patriarcale. Justin II en envoie aussi un autre morceau, plus grand, au Pape Jean III, également préservé et que l'on appelle Crux Vaticana. La relique arrive en France puis est amenée triomphalement à Poitiers au cours d'une grande procession partant de Tours, le . C'est pour cette occasion que Fortunat écrit et compose le chant Vexilla Regis, et l'abbaye prend le nom de Sainte-Croix. Venance Fortunat continue ensuite de se rapprocher de la religion sous l'influence de Radegonde, et rédige d'autres célèbres hymnes religieuses telles que Pange Lingua Gloriosi Proelium Certaminis. En 576 il est ordonné prêtre, puis devient évêque de la ville vers 600, et après sa mort est considéré comme un saint catholique, tout comme Radegonde et plusieurs autres de ses disciples.
Le chant est intégré au missel romain, et chanté le jour du Vendredi saint, quand le saint sacrement est mené en procession jusqu'à l'autel. Il est également présent dans la liturgie des Heures, le bréviaire romain l'assignant aux vêpres tous les jours depuis le samedi précédant le dimanche de la Passion, jusqu'au Jeudi saint, ainsi qu'aux vêpres du , fête de la Sainte Croix. Avant Vatican II, il était également chanté le et le .
Réforme d'Urbain VIII sous influence des humanistes
À la Renaissance, le pape Urbain VIII fit réviser, dans le cadre de la réforme tridentine, les hymnes qui étaient en usage dans le rite romain. En conséquence, fut sorti en 1632 son Breviarium romanum pour lequel les humanistes[4] du bréviaire réécrivent le texte[5], dans l'optique d'améliorer la prosodie. En retrouvant les textes latins classiques dans les écritures anciennes, ces humanistes étaient en train de critiquer les œuvres médiévales, qui n'employaient plus la quantité syllabique, mais d'autres esthétiques tel l'accent.
Cette version se distingue par sa septième strophe (doxologie) Te fons salutis Trinitas, qui était entièrement nouvelle. Mais les modifications y étaient nombreuses[6].
- Breviarium Romanum ex decreto Sacros Conc. Trid. Restitutum PII V Pont Max iussu editum & Clementis VIII Primum, nunc denuo Urbani PP VIII auctoritate recognitum, Rome 1632, p. 366 : [lire en ligne]
Usage divisé en France
En France, la Révolution affecta à l'usage de cette hymne, explicitement en raison du mot Regis. Dorénavant, certains fidèles ne chantaient ni la Vexilla Regis ni l'antienne Salve Regina[7]. D'autres exécutaient la Vexilla Regis, même en dehors de la liturgie, par exemple durant la guerre de Vendée en tant qu'hymne de reconnaissance et d'encouragement[8].
Or, une fois le culte restauré, Dom Prosper Guéranger, qui était occupé de la restitution correcte de la liturgie, présentait et recommandait cette hymne, pendant la semaine sainte, au moment de la prière de soir [9].
Composition musicale à l'époque de la musique romantique
Pratiquée toujours en monodie, l'hymne manque de composition en polyphonie. Néanmoins, on compte quatre grands compositeurs catholiques dans le répertoire de la musique classique. Il s'agissait d'abord de Niccolò Antonio Zingarelli dont l'œuvre était réservée à l'usage dans la liturgie, y compris sans doute à la chapelle du Vatican. Charles Gounod, Anton Bruckner et Giacomo Puccini aussi laissèrent leurs compositions. Or, au XIXe siècle où un grand nombre de motets religieux furent composés, le texte n'intéressa pas la plupart des musiciens.
Réforme liturgique de Pie X
La réforme de saint pape Pie X était remarquée par sa centralisation de la liturgie par le chant grégorien, selon laquelle l'Édition Vaticane était dorénavant obligatoire dans toutes les églises catholiques. D'abord en 1908, Dom Joseph Pothier, président de la commission, fit sortir son graduel romanum qui adoptait la version quo carne (voir Paroles)[2]. En fait, il s'agissait d'une publication à la base du Liber gradualis de Solesmes selon les manuscrits les plus anciens, que Dom Pothier avait édité et fait publié en 1883. Or, avant sa démission, il fit publier l’antiphonale romanum en 1912, avec un autre texte. Cette fois-ci, l'Édition Vaticane adoptait le texte d'Urbain VIII[10]. Donc, pour le rite romain, ces versions furent officielles, toutes les deux, jusqu'au concile Vatican II. En d'autre termes, la version traditionnelle était réservée à la messe alors que la version tridentine était destinée à l'office.
Après le concile Vatican II
Même après le concile Vatican II, l'hésitation reste encore. En 1983, l'abbaye de Solesmes sortit son nouveau Liber hymnarius en édition critique. Dans ce livre, la version quo carne (p. 58)[11] et la version qua vita (p. 60)[12] sont respectivement adoptées.
Thèmes
La Croix comme vexillum
Le premier vers, qui donne son titre à l'ensemble, parle de Vexilla regis, ce qu'on traduit généralement par bannières ou étendards du Roi. Mais le vexillum romain, plus qu'un drapeau, correspond à l'objet entier en trois dimensions incluant ses supports et décorations, notamment l'aigle qui surmonte les étendards des légions. Le poème compare ainsi la Croix et le Christ qui y est cloué à un vexillum romain. Le sang coulant des blessures du Christ tel un ruisseau imbibe le bois et ses vêtements qui prennent une couleur rouge comparable à la pourpre impériale romaine et à celle de ses bannières.
Josse Clichtove explique que les vexilla du Christ sont non seulement la Croix mais les autres instruments de sa Passion (par exemple la Lance). Cela expliquerait le pluriel de vexilla. Johann Wilhelm Kayser pense plutôt que les vexilla font référence aux vraies bannières surmontées de croix utilisées par les Romains après Constantin, et probablement aux croix utilisées lors de la procession pour laquelle le poème a été rédigé.
La Croix comme arbre de vie
Le poème assimile beaucoup plus clairement la Croix à un arbre, sous-entendu à l'arbre de vie. C'est un thème ancien de la théologie chrétienne[13]. Des légendes apocryphes prétendent même que la croix de la Crucifixion est matériellement faite du bois de l'arbre de vie biblique.
La Croix est en bois, plantée dans le sol, et c'est par le bois que "Dieu a planté son empire". La forme même de la croix évoque une tige d'où sortent trois branches. L'arbre-croix aurait été "élu" par les cieux, seul digne de soutenir le corps du Christ. Cela indique qu'il ne s'agit pas d'un arbre ordinaire mais sacré. La version révisée des paroles renforce encore l'association à l'arbre de vie, en faisant de la Croix elle-même une source de résurrection et de vie éternelle (Qua vita mortem pertulit / Et morte vitam protulit).
Reprises et influences dans l'histoire de l'art
Littérature
- Dante Alighieri y fit référence dans la Divine Comédie (Enfer) : Virgile introduit Lucifer avec les mots latins Vexilla Regis prodeunt inferni (chant trente-quatrième).
- Dans le Portrait de l'artiste en jeune homme de James Joyce, le personnage de Stephen l'aborde au chapitre V dans le cadre d'une discussion sur la théorie esthétique (en).
- L'hymne latine a été adaptée en français par le frère dominicain André Gouzes.
Inscriptions et arts graphiques
- La salutation chrétienne ‘O Crux ave, spes unica’ (ou des variantes comme Spes Unica ou Ave Crux, spes unica) se trouve fréquemment inscrite sur des croix et calvaires publics. Ainsi à Bannoncourt, Chailly-lès-Ennery, Ennery, Hendaye, Louhossoa, Lemud, Raon-l'Étape, la croix de l'Évangile à Paris et d’autres. On la trouve également sur de nombreuses sépultures, notamment au cimetière du Père-Lachaise.
- L'artiste britannique David Jones a nommé Vexilla Regis une peinture aux couleurs ternes représentant un grand arbre majestueux entouré de plusieurs autres arbres ainsi que de buissons de roses, d'animaux et d'une colonne surmontée d'une aigle romaine visiblement sculptée à partir d'un tronc. On distingue en arrière-plan un temple romain et un cercle de pierres mégalithique évoquant Stonehenge, ainsi que quelques colonnes ruinées. Comme dans l'hymne, l'arbre central représente la Croix du Christ. À gauche, un arbre plus petit abritant un nid de pélican, symbole de charité, représente la croix du bon larron, et à droite l'arbre mort et sculpté pour former une colonne triomphale romaine représente celle du mauvais larron[14].
À la Renaissance
- Guillaume Dufay (vers 1400 - † 1474) : hymne à 3 voix pour la semaine sainte[15]
- Roland de Lassus (vers 1532 - † 1594) : motet à 4 voix[16]
- Antoine de Bertrand (vers 1540 - † vers 1581) : hymne (1582)[17]
- Tomás Luis de Victoria (1548 - † 1611) : hymne à 4 voix (1581)[18] [partition en ligne]
- Pierre de La Rue (vers 1460 - † 1518) : motet à 4 voix, dans le manuscrit 228 de la bibliothèque royale de Belgique[19]
- Francisco Guerrero (1528 - † 1599) : hymne à 4 voix (1584)[20] [partition en ligne]
Musique baroque
- Juan García de Salazar (1639 - † 1710) : hymne religieuse à 4 voix, dans le recueil de la cathédrale de Zamora[21]
- Francesco Durante (1684 - † 1755) : hymne pour chœur à 4 voix et instruments[22]
Musique classique
- Niccolò Antonio Zingarelli (1752 - † 1837) : hymne pour 2 ténors, basse et basse continue[23]
- Charles Gounod (1818 - † 1893) : hymne à 4 voix avec orgue (1873)[24] [partition en ligne]
- Anton Bruckner (1824 - † 1896) : motet pour chœur à 4 voix, WAB 51 (1892)[25] [partition en ligne]
- Giacomo Puccini (1858 - † 1924) : hymne de procession pour la semaine sainte[26]
Musique contemporaine
- François Vercken (1928 - † 2005) : œuvre à 6 voix (1994)[27]
Œuvre instrumentale
- Franz Liszt (1811 - † 1886) : œuvre pour piano, LW A226 (S185, R70) (1864), et version d'orchestre (LW G30)[28]
- Henri Dallier (1849 - † 1934) : Offertoire sur Vexilla regis pour orgue[29] [manuscrit en ligne]
- André Fleury (1903 - † 1995) : Choral sur Vexilla regis pour orgue[30]
Voir aussi
Liens externes
Notices
- Académie de chant grégorien : deux variantes avec traduction
- Université de Waterloo : liste de manuscrits
Note et références
- Réalisée par Michel de Marolles.
- Graduale Romanum, p. 191, 1908
- Université de Waterloo
- Pierre Paris, Les hymnes de la liturgie romaine, p. 74,
- Université de Waterloo
- Pour toutes les modifications, voir l'étude de George Warren McGrath, The Revision of the Hymns of the Roman Breviary under Urban VIII, p. 139 (chant n° 51)
- Gérard Guicheteau, Nouvelle histoire des guerres de Vendée, p. 64, 2017
- Jacques Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, p. 259, 2017
- Prosper Guéranger, L'année liturgique : La Passion et la Semaine Sainte, 4e édition, p. 37, 1875
- Antiphonale Sacrosanctæ Romanæ, p. 340, 1912 Sabbato ante Dominicam Passionis, Ad Vesperas (aux vêpres pendant la semaine sainte)
- Académie de chant grégorien
- Académie de chant grégorien
- Scholar search
- (en) « Vexilla Regis, 1948 – Collection Database – Kettle's Yard », sur Kettle's Yard (consulté le ).
- Notice Bnf
- Université d'Oxford
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Notice Bnf
- Portail du christianisme
- Portail du catholicisme
- Portail de la musique classique