Eucharistie

L'eucharistie /ø.ka.ʁis.ti/[1] (du grec ancien εὐχαριστία / eukharistía « action de grâce ») est un sacrement chrétien. Elle occupe une place centrale dans la doctrine et la vie religieuse de la plupart des confessions chrétiennes. Alors que les catholiques parlent d'eucharistie, le terme de Sainte-Cène est généralement utilisé par les protestants pour désigner le même rite.

Fra Angelico, La Communion des apôtres, musée San Marco.

L'origine de ce rite est commune à tous les chrétiens : selon le Nouveau Testament, en particulier la Première épître aux Corinthiens et les Évangiles synoptiques, il fut institué par Jésus-Christ, qui, la veille de sa Passion, distribua du pain et du vin aux apôtres en leur disant : « Ceci est mon corps […], ceci est mon sang […]. Vous ferez cela en mémoire de moi. »

Les catholiques et les orthodoxes décrivent l’eucharistie comme une véritable « actualisation », non sanglante, du sacrifice du Christ en vue du salut, par le ministère du prêtre. De leur côté, les protestants affirment que le texte biblique ne soutient pas la théorie de la transsubstantiation enseignée par l'Église catholique. Les luthériens emploient le terme de consubstantiation. La tradition calviniste professe la notion de présence spirituelle. Chez les chrétiens évangéliques, on parle d'un mémorial du sacrifice de Jésus-Christ.

Origines

À l'eucharistie on donne divers noms, par exemple « le repas du Seigneur, la fraction du pain, la Sainte-Cène, la Cène, la Divine Liturgie[2].

La fraction du pain

Le terme biblique est celui de « fraction du pain », employé plusieurs fois dans le Nouveau Testament, en Luc-Actes, soit comme substantif (Luc 24:35 ; Actes 2:42), soit comme verbe (Luc 24:30 et Actes 2:46 ; 20:7 ; 20:11 ; 27:35). Des allusions à la fraction du pain comme repas eucharistique se trouvent aussi dans des sources néotestamentaires plus anciennes, comme la Première épître aux Corinthiens (1 Co 11:24). Dans ces passages, le repas et l'eucharistie ne semblent pas différer : le repas précédé de la fraction du pain devait être suivi des bénédictions habituelles de la Birkat ha-mazon juive.

Cette pratique du Seder, repas rituel juif, est entendue dans un sens chrétien comme un renvoi à la Cène[3].

Les repas communautaires

Les repas communautaires anticipant l'avènement du Messie et l'arrivée du Royaume de Dieu existaient dans le judaïsme de l'époque, notamment chez les esséniens[4]. Le récit de ce repas de Jésus avec les Douze Apôtres, nombre symbolique des douze tribus d'Israël restauré selon l'eschatologie juive, va dans le sens de l'historicité de la Cène[4]. Ces repas se caractérisaient par la présence du pain et du vin, à titre symbolique[5]. Néanmoins, ce rapprochement est contesté[6].

Fondements bibliques

La Cène, dernier repas du Christ, est évoquée dans l'un des textes les plus anciens du christianisme : la Première épître aux Corinthiens, écrite dans les années 50. Pendant ce « repas du Seigneur » (en grec : Κυριακὸν δεῖπνον / Kyriakon deipnon[7]), Jésus rend grâces (εὐχαριστήσας / eucharistêsas) et rompt le pain :

La Cène, fresque du XVe siècle, Sofia, Bulgarie.

« Car j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné ; c’est que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et, après avoir rendu grâces, le rompit, et dit : Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. De même, après avoir soupé, il prit la coupe, et dit : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez[8]. »

La Cène figure également dans les trois Évangiles synoptiques : Matthieu, Marc et Luc[9],[10],[11],[12]. C'est pendant ce repas que Jésus institue l'eucharistie.

De son côté, l'Évangile selon Jean, qui mentionne ce repas (13:2-23), ne relate pas le récit de l'institution ; mais il évoque ailleurs la célébration eucharistique, particulièrement en 6:51, où Jésus se présente comme « le pain vivant descendu du ciel »[13]. Ce passage, nommé le « discours du pain », est généralement interprété comme une allusion directe à la Cène[14].

Ainsi, dans la tradition chrétienne, l'eucharistie fut instituée par Jésus-Christ le soir du Jeudi saint au cours d'un repas qui, selon les synoptiques, était un repas pascal, mais qui, selon Jean, fut célébré un jour avant la fête juive de Pessa'h[15],[16],[17].

Aspects sacramentels

Célébration de l'eucharistie (messe chrismale du Jeudi saint) en la basilique Saint-Jean-de-Latran, Rome.

Selon la doctrine catholique, la célébration eucharistique est « le sommet à la fois de l'action par laquelle, dans le Christ, Dieu sanctifie le monde, et du culte qu'en l'Esprit-Saint, les hommes rendent au Christ, et par lui, au Père »[18]. Le caractère propre de la messe réside dans l’actualisation du sacrifice du Christ accomplie par un prêtre.

Cette liturgie a pour finalité de manifester, concrètement et dans l’instant présent, le sacrifice du Christ sur la croix[19],[20],[21], avec cette différence que l’eucharistie est offerte de manière non sanglante[22].

La messe, en tant que célébration liturgique, peut se définir comme la participation de l’Église au sacrifice rédempteur de l'Alliance que le Christ offre à son Père, dans la consécration du pain en son corps et du vin en son sang.

Consécration

Dans les diverses confessions chrétiennes, le récit de l'institution relaté dans les Évangiles synoptiques et la première épître de Saint-Paul aux Corinthiens, chapitre 11, est prononcé par le prêtre ou le pasteur lors de la célébration eucharistique[23], en utilisant par exemple la formulation du rite romain :

« La nuit même où il fut livré, il prit le pain, et en rendant grâce il le bénit, il le rompit et le donna à ses disciples, en disant : "Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous." De même, à la fin du repas, il prit la coupe, et en rendant grâce il la bénit, et la donna à ses disciples, en disant : "Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela, en mémoire de moi." »

Dans la messe catholique, l’actualisation du sacrifice se traduit par la transsubstantiation du pain et du vin, qui deviennent le corps et le sang du Christ ; le pain et le vin changent de substance tout en conservant leurs caractéristiques physiques ou « espèces »[24]. La présence eucharistique du Christ commence au moment de la consécration et dure aussi longtemps que les espèces eucharistiques subsistent. Le Christ est tout entier présent dans chacune des espèces et tout entier dans chacune de leurs parties, de sorte que la fraction du pain ne divise pas le Christ[25].

Eucharistie et communion

Depuis la Première épître aux Corinthiens (1 Co 10:14-22), l’eucharistie est appelée « communion » au sang et au corps du Christ[26]. Dans ce passage, Paul opère une distinction entre la tradition ecclésiale de la Cène (terme utilisé ici dans le sens de l'eucharistie, non pas de la Cène, le dernier repas que Jésus-Christ prit avec les douze apôtres le soir du Jeudi saint) et les pratiques cultuelles du paganisme, désormais interdites[27]. Il ne parle pas des pratiques cultuelles en général mais concrètement des repas rituels à base de viande d'animaux offerts en sacrifice aux dieux païens, et il déclare que les chrétiens, qui s'unissent au Christ en participant à l'eucharistie, ne doivent pas participer aux banquets idolâtres par lesquels ils entreraient en communion avec les faux dieux[28],[29].

Il ne peut y avoir de messe sans communion, puisque le prêtre communie nécessairement, mais la communion des fidèles n’est pas obligatoire[30]. Inversement, la communion est possible en dehors de la messe (par exemple, pour les malades), mais les espèces sont nécessairement consacrées au cours d’une messe.

Elle porte également le nom de « Saint-Sacrement », car elle est le sacrement par excellence, et ce terme est employé, par métonymie, pour désigner le pain et le vin consacrés qui deviennent respectivement le corps et le sang du Christ et qui s'applique particulièrement aux hosties consacrées conservées dans le tabernacle ou exposées à l'adoration eucharistique[31].

Dans l'Église catholique, seuls ceux qui sont en état de grâce, c'est-à-dire sans aucun péché mortel, peuvent recevoir l'eucharistie[32]. Cette doctrine se fonde sur 1 Co 11:27-29[33].

Les deux espèces

Les deux espèces dans une liturgie occidentale.

Dans les liturgies d'Occident (et contrairement aux liturgies orientales, qu'elles soient catholiques ou orthodoxes), les hosties qui sont consacrées sont du pain azyme, c'est-à-dire sans levain, à base de farine de blé. Ainsi, elles se conservent bien et prennent peu d’espace. Les fidèles ont libre choix de recevoir l'hostie sur la langue ou dans la main[34].

Depuis plusieurs siècles, dans l’Église latine on utilise généralement, mais non pas exclusivement, du vin blanc pour des raisons purement pratiques, le vin rouge risquant de tacher les linges blancs ; mais on reconnaît une plus grande valeur symbolique au vin rouge dans la célébration de l'eucharistie[35], et le Vatican n'a toujours utilisé que du vin de messe rouge[36].

Les deux espèces dans une liturgie orientale

La communion est valable sous l’une ou l’autre des espèces, ou sous les deux. En Occident, elle se limite souvent au pain, sous forme d’hostie. La communion au sang du Christ, sous forme de vin, soulève des questions d’hygiène (boire avec le calice les uns après les autres). Il existe aussi la communion par « intinction », où le prêtre trempe une partie de l'hostie dans le « précieux sang » et la dépose aussitôt sur la langue du communiant.

Après la communion, le prêtre doit finir le vin consacré, et procéder à une purification des récipients vides pour en éliminer les traces de matière consacrée. S’il reste des hosties, elles peuvent être placées dans un ciboire couvert, que l'on enferme dans le tabernacle. À l'exception des processions du Saint-Sacrement, ou encore dans le cas de la custode (une petite boîte) destinée à la communion des malades, il est rigoureusement prohibé de faire sortir une hostie consacrée de l’église où elle se trouve. Si le prêtre ne peut placer les hosties consacrées dans le tabernacle, il doit les consommer, ou les faire consommer à des fidèles.

Débats théologiques

Littérature patristique

Alors que la Didachè, à la fin du Ier siècle, évoque des repas communautaires sans se référer explicitement à l'eucharistie des premiers chrétiens, la période anténicéenne voit plusieurs auteurs aborder les questions théologiques et sacramentelles de la célébration eucharistique, comme Ignace d'Antioche (v. 35-110) dans ses lettres aux Smyrnéens et aux Philadelphes, Justin de Naplouse (v. 100-165), Irénée de Lyon (v. 130-202) avec son Adversus hæreses (v. 185), Hippolyte de Rome (v. 170-235) ou Cyprien de Carthage (v. 200-258). L'époque suivante est marquée par les Sermons d'Augustin (354-430).

Moyen Âge

La question de la « présence réelle » du corps et du sang du Christ est soulevée tout au long du Moyen Âge. Les « réalistes », qui défendent cette idée (comme Paschase Radbert dans son De partu Virginis) se voient opposer les résistances des « symbolistes » comme Ratramne de Corbie.

Le débat se durcit au XIe siècle. Bérenger de Tours affirme, en se référant à Augustin, qu’une présence « intellectuelle » s’ajoute au pain et au vin sans se substituer à eux[37]. Il trouve l’opposition de théologiens comme Lanfranc de Pavie (vers 1010-1089) et Hildebert de Lavardin (1056-1133)[38], qui défendent l’idée d’un changement de substance : la « transsubstantiation » telle qu’on l’appelle à partir du XIIe siècle.

Au IVe concile de Latran (1215), la présence réelle est pour la première fois proclamée lors d'un concile, sous la forme du dogme de la transsubstantiation, avec l'emploi du terme aristotélicien de « substance ». Au XIIIe siècle, Thomas d'Aquin précise le dogme dans sa Somme théologique. La fête du « Corps du Christ » ou « Saint-Sacrement » naît à la même époque. L’office en est composé par Thomas d'Aquin, et alors seulement est généralisée la pratique d’élever l'hostie et le calice pour les montrer aux fidèles.

Transsubstantiation et présence réelle

Au XVIe siècle, le concile de Trente affirme le dogme de la transsubstantiation, associé à l'aspect sacrificiel de l'eucharistie[39]. Le pain et le vin se transforment et cette transformation concerne la totalité de la substance : rien ne subsiste que les apparences (les « espèces ») du pain et du vin[39]. La présence du Christ est réelle et substantielle dans l'hostie, qui devient véritablement son corps lors de la consécration[39]. La messe répète, actualise le sacrifice du Christ et l'offre à Dieu[39].

Les catholiques et les orthodoxes professent cette présence réelle du Christ, en son corps et son sang, sous les « espèces » du pain et du vin.

Au moment de la Réforme protestante, le caractère sacrificiel de la messe est rejeté par plusieurs théologiens. D’autres, comme Laurentius Petri (Suède) et Thomas Cranmer (Angleterre), le conservent.

Consubstantiation

Comparaison entre luthériens et calvinistes, Hongrie, XVIIe siècle.

Les luthériens ont gardé l’essentiel de la liturgie catholique mais ont redéfini le dogme[40]. Ils parlent de consubstantiation : simultanément à la substance du pain et du vin consacrés, coexiste la substance du corps du Christ et de son sang, en une sorte de double substance[39]. D'autre part, les espèces ne deviennent le corps et le sang du Christ que sous l'action de la Parole de Dieu, qui est indispensable au sacrement : après la messe, les espèces consacrées redeviennent du pain et du vin ordinaires, car le luthéranisme ne reprend pas la notion de « réserve eucharistique » du catholicisme[39].

Enfin, Luther et Mélanchthon réfutent l'idée du sacrifice propitiatoire inhérent à l'eucharistie : ils « opposent le sacrement, œuvre de Dieu offerte à l'être humain, et le sacrifice, œuvre humaine offerte à Dieu »[39]. L'eucharistie est pour eux une action de grâce envers Dieu, un témoignage de reconnaissance, autrement dit un acte de louange et non pas un sacrifice destiné à obtenir la faveur de Dieu[39].

Présence spirituelle

Les réformés estiment avec Calvin que la notion de présence corporelle constitue « une grande erreur de l’Église catholique […], une confusion grave entre le signe et la chose signifiée », qui « trahit un manque de foi » : « Parce que l'on ne croyait plus au miracle de la foi saisissant le Christ et la réalité spirituelle, on a voulu le faire descendre dans les éléments de la sainte Cène, de façon magique et matérielle. On a cherché à toucher le Christ, ne pouvant monter au Ciel pour l'atteindre. […] On s'est arrêté à l'élément corruptible : on en a fait une idole »[41].

Calvin affirme, comme les catholiques et les luthériens, l'union réelle et substantielle du croyant avec le Christ lors de la Cène, mais en termes de « présence pneumatique » : le Christ est véritablement présent, mais de manière spirituelle et non pas matérielle. Les espèces sont de simples représentations du corps et du sang du Christ : elles sont uniquement « des signes que Dieu utilise pour atteindre le croyant, pour lui faire percevoir, sentir la présence du Christ »[39]. Le pain et le vin ne subissent ni transformation, ni consubstantiation, ni transsubstantiation[39].

Cette présence à la fois immatérielle et réelle est due à l'Esprit, et à lui seul, car « c'est lui qui nous met en communion avec le Seigneur et Sauveur et qui nous fait participer à sa grâce »[39],[42]. Pendant que l'officiant donne le pain et le vin, Dieu donne au croyant ce qu'ils représentent : « Le pain et le vin ne deviennent pas corps et sang du Christ, mais en recevant le pain, nous recevons le Christ »[39].

De manière plus radicale, Ulrich Zwingli, et aujourd'hui une large partie des évangéliques, considèrent que le sacrifice du Christ a eu lieu une fois pour toutes et que l'eucharistie n'en est que le mémorial[43]. La Cène est donc une action de grâce d'où est absente toute notion de sacrifice[39]. La présence du Christ n'est pas corporelle, mais uniquement spirituelle dans les espèces, qui ne font que la symboliser[39]. Par conséquent, la phrase « Ceci est mon corps » doit être entendue comme « Ceci signifie mon corps »[39].

Les Églises héritières de la Réforme protestante affirment généralement l'historicité de leur position en s'appuyant sur Béranger de Tours ou Ratramne de Corbie[44].

Eucharistie et œcuménisme

Dans toutes les confessions chrétiennes, on perçoit mieux aujourd’hui le lien avec les traditions juives de reconnaissance envers les œuvres de Dieu, et particulièrement dans les bénédictions pendant le repas, notamment celle du Chabbat (pain et vin). Cette origine commune et d'intenses discussions théologiques ont permis de remettre en perspective les pratiques de chacun. Un document essentiel fut publié en 1982 par la commission théologique du Conseil œcuménique des Églises. Le document s'intitule Baptême, Eucharistie, ministère[45].

Catholicisme et orthodoxie

Exposition du Saint-Sacrement à la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg lors de la Fête-Dieu le 2 juin 2013.

Catholiques et orthodoxes partagent la même doctrine au sujet de l’eucharistie et reconnaissent mutuellement la validité de sa célébration[46] dans l’une et l’autre Église. Il y a des différences dans la liturgie (communion sous une ou sous deux espèces, etc.) et dans les formes de dévotion (processions du Saint-Sacrement : pratique courante dans le catholicisme, non dans l’orthodoxie), ainsi que dans le vocabulaire (les catholiques parlent plutôt de « sacrement », les orthodoxes de « mystère »). L’intercommunion est possible dans les cas de nécessité exprimés dans le canon 844 du droit canon de l’Église romaine.

Réforme

De même chez les protestants, et malgré des divergences secondaires, les réformés et les luthériens sont, en Europe du moins, en pleine communion, et partagent sans problème l’eucharistie et leurs pasteurs.

En revanche, le désaccord est profond entre les catholiques et orthodoxes d'une part, et les protestants d'autre part, et les termes utilisés n’ont pas toujours la même signification.

Les points de désaccord

La question de la présence réelle (dans le sens où la célébration affecte la substance du pain et du vin, donc plus exactement la question de la transsubstantiation) demeure un point d’achoppement majeur, étayé par des conceptions divergentes de la prêtrise, avec des conséquences multiples qui rendent inconcevables pour l’Église catholique l’intercommunion entre protestants d’une part et catholiques et orthodoxes de l’autre. Même si la recherche actuelle des théologiens permet d'envisager de nouvelles manières de rendre compte d'un mystère[47], on bute sur des difficultés quasi insurmontables en raison des formulations médiévales héritières de la métaphysique classique. Dans plusieurs pays, les divergences n'empêchent pas des actions communes, ainsi que des prières communes, sans célébration du sacrement de l'eucharistie. La semaine de l'unité en janvier permet chaque année des échanges de chaire entre communautés, des moments de prière en commun et des rapprochements.

La problématique réside dans l'interprétation du terme grec éstin [il] est », du verbe être) utilisé par Jésus en Matthieu 26:26-28, dont le théologien bénédictin Jacques Dupont considère que le moyen « le plus naturel » de traduire serait : « Ceci signifie mon corps » ou « Ceci représente mon corps »[48]. Il indique : « Par la communion aux espèces sacramentelles, les disciples deviennent participants de l'Alliance que le Christ réalise par le sacrifice de son corps et de son sang sur la croix. Cette efficacité de la communion se comprend mal si l'on ne reçoit qu'un simple signe fictif du corps livré à la mort et du sang versé sur la croix. […] Un symbole ne suffit pas ; il est essentiel que ce soit la victime elle-même, sa chair et son sang »[49].

De plus, des divergences au sujet du sacerdoce (sacerdoce ministériel réservé aux hommes ou non, qui doivent être prêtres ordonnés ou non) et de l'organisation ecclésiastique (succession apostolique) élargissent le fossé sur la question de la présidence du sacrement.

Musique

Marc-Antoine Charpentier a célébré à de nombreuses reprises ce point culminant de la liturgie chrétienne. Vers la fin des années 1670, une Prose du Saint Sacrement H.14 pour 3 voix, 2 dessus instrumentaux, et basse continue. Il compose en outre deux Symphonies pour un reposoir H.508, pour cordes et H.515, pour cordes et basse continue (début 1670). En 1682, il compose Pour un reposoir : Ouverture dès que la procession parait H.523, pour flûtes, cordes, et basse continue. Vers 1690, il compose un grand motet pour solistes, chœur, 2 flûtes, et basses continue, Pour le Saint Sacrement, au reposoir Oculi omnium H.346. Il compose à la même date un Motet du Saint Sacrement, pour un reposoir H.348, pour 3 voix, 2 dessus instrumentaux, et basse continue. L'Hymne du Saint Sacrement H.64, pour solistes, chœur, flûtes, cordes, et basse continue date de la fin des années 1680. Plus tard, vers 1695, il met en musique Pour la seconde fois que le Saint Sacrement vient au même reposoir H.372, pour solistes, chœur, cordes et basse continue.

Michel-Richard de Lalande compose un Motet à deux voix pour le Saint Sacrement, S 91.

Louis-Nicolas Clérambault compose autour de 1700 douze Motets pour le Saint Sacrement, respectivement opus 66, 67, 68, 83, 84, 85, 86, 87, 106, 110, 128 et 131.

Notes et références

  1. Prononciation en français de France standardisé retranscrite selon la norme API.
  2. Document Baptême, Eucharistie, Ministère sur le site du Conseil œcuménique des Églises.
  3. Daniel Marguerat, Les Actes des apôtres (1-12), Labor et Fides, 2007 (ISBN 978-2830912296), p. 104
  4. Paula Fredriksen, De Jésus aux Christs, éd. du Cerf, 1992, p. 176.
  5. Étienne Nodet et J. Taylor, Essai sur les origines du christianisme, la secte éclatée, Paris, 1998, VII, cité par François Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien, Cerf, Paris, 2001, p. 80.
  6. Simon Claude Mimouni estime que l'hypothèse tendant à voir dans l'essénisme l'une des origines du christianisme « ne repose sur aucune source ». Cf. Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère : Des prêtres aux rabbins, PUF/Nouvelle Clio, 2012, p. 241.
  7. 1 Co 11:20-21.
  8. 1 Co 11:23-25. Traduction Louis Segond, 1910.
  9. Matthieu 26:26-29 ; Marc 14:22-25 ; Luc 22:19-20.
  10. (en) « Eucharist », sur Encyclopædia Britannica (consulté le )
  11. (en) Philip W. Comfort et Walter A. Elwell, Tyndale Bible Dictionary, , 1336 p. (ISBN 0-8423-7089-7)
  12. (en) F. L. Cross et E. A. Livingstone, Oxford Dictionary of the Christian Church, , 1800 p. (ISBN 978-0-19-280290-3, lire en ligne)
  13. (en) Francis Moloney, "A Hard Saying" : The Gospel and Culture, p. 109–130.
  14. Helmut Hoping, Mein Leib für euch gegeben – Geschichte und Theologie der Eucharistie 2., erw. Aufl., Herder, Freiburg i. B., 2015, p. 48-53.
  15. Charles Perrot, Jésus et l'histoire : JJC 11, Fleurus, , 292 p. (ISBN 978-2-7189-0783-3, lire en ligne), p. 72–73
  16. Jean Vallette, L'Evangile de Marc : Parole de puissance, message de vie. Commentaires, Éditions Olivetan, , 307 p. (ISBN 978-2-85304-069-3, lire en ligne), p. 202
  17. Jean-Marie Mayeur, Luce Pietri et André Vauchez, Histoire du Christianisme : Le nouveau peuple (des origines à 250, Fleurus, , 944 p. (ISBN 978-2-7189-0727-7, lire en ligne), p. 20
  18. Catéchisme de l'Église catholique, Le Sacrement de l'Eucharistie, Paris, Mame Plon, , n° 1325.
  19. Catéchisme de l'Église catholique #1362
  20. Catéchisme de l'Église catholique #1364
  21. Catéchisme de l'Église catholique #1366
  22. Catéchisme de l'Église catholique #1367.
  23. Toutefois, le récit de l'institution est absent dans le rite de l'Église assyrienne d'Orient lorsque est fait usage de l'anaphore de Thaddée d'Édesse et Mar Mari (cf. Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, « Orientations pour l'admission à l'Eucharistie entre l'Église chaldéenne et l'Église assyrienne d'Orient », 20 juillet 2001) ou dans les rites décrits dans la Didaché (cf. Maurice Jourjon, « Justin : Le Témoignage de la Ire Apologie - Le témoignage du Dialogue avec Tryphon », in Willy Rordorf et al., L'Eucharistie des premiers chrétiens, Beauchesne, 1976, p. 80) et dans la Première Apologie de Justin de Naplouse(Jourjon, ib.).
  24. Sur le plan liturgique, la messe trouve son accomplissement dans le mémorial eucharistique et la prière d’épiclèse, son sommet dans la doxologie finale accompagnée de l’élévation, et sa conclusion dans la communion sacramentelle du prêtre aux deux espèces, de sorte que, par cette dernière, l’Église reçoive la communication du Saint-Esprit en vue de l’édification de son unité par la rémission des péchés.
  25. Catéchisme de l'Église catholique #1377.
  26. Charles Perrot, Jésus et l'histoire, Mame-Desclée, (lire en ligne), p. 253
  27. Camille Focant et Daniel Marguerat (dir.), Le Nouveau Testament commenté, Bayard/Labor et Fides, 2012, 4e éd. (ISBN 978-2-227-48708-6), p. 745.
  28. Michael Schmaus, Dogma 5: The Church as Sacrament. Rowman & Littlefield; 2004. (ISBN 978-0-7425-3203-8), p. 117.
  29. Francis Baudraz, Les Épîtres aux Corinthiens : commentaire. Labor et Fides, 1965. p. 84.
  30. On distingue la communion de l'eucharistie au sens où l'expression de « ministre de l'eucharistie » ne peut s'appliquer qu'au prêtre, mais le diacre et même des laïcs peuvent être des « ministres extraordinaires de la sainte communion », cf. Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Instruction Redemptionis Sacramentum sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie, 154–156.
  31. Robert Le Gall, Dictionnaire de liturgie, Éditions CLD (lire en ligne), Saint-Sacrement
  32. Compendium du Catéchisme de l'Église catholique #291
  33. Catéchisme de l'Église catholique #1385
  34. Instruction Redemptionis Sacramentum #92 (2004).
  35. Pierre-Marie Gy, Le vin rouge est-il préférable pour l’Eucharistie ?, dans : Liturgia et Unitas. Études liturgiques et œcuméniques sur l’Eucharistie et la vie liturgique en Suisse. In honorem Bruno Bürki. Ed. par M. KLÖCKENER – A. JOIN-LAMBERT. Fribourg – Genève 2001, p. 178-184.
  36. Yves Mailloux, Petite histoire du vin de messe, dans Huffpost, le 15 septembre 2016.
  37. Dominique Poirel, article « Eucharistie » du Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, PUF, 2002
  38. Hildebert aurait été le premier à utiliser ce terme. Cf. Oxford Dictionary of the Christian Church, Oxford University Press, 2005 (ISBN 978-0-19-280290-3).
  39. « L'ecclésiologie dans le protestantisme, chapitre 15 : La Cène » par le pasteur André Gounelle.
  40. Annick Sibué, Luther et la Réforme protestante, Paris, Eyrolles, 2011, p. 123-124.
  41. Édouard Pache, « La Cène selon Calvin », Revue de théologie et de philosophie, 24e année (1936), cahier 101 .
  42. Cf. Édouard Pache, « La Cène selon Calvin », Revue de théologie et de philosophie, 24e année (1936), cahier 101 : « Si le Christ est présent réellement au milieu de nous, par sa vertu divine, il devient véritablement fondement et substance de la sainte Cène. Et c'est là tout ce qui fait la valeur du repas eucharistique. Si l’Église chrétienne a conservé, comme un trésor, au travers des siècles, la Cène du Seigneur, si celle-ci reste, malgré toutes les déformations dont elle a été l'objet, le centre du culte, c'est qu'elle apporte aux croyants une nourriture efficace et qu'elle est pour eux une raison de vie nouvelle. »
  43. W. P. Stephens, The Theology of Huldrych Zwingli, Oxford, Clarendon Press, 1986 (ISBN 0-19-826677-4), p. 218 sq..
  44. Guillaume Bourin, « La doctrine réformée de la Cène est-elle apparue au XVIe siècle ? », sur leboncombat.fr, (consulté le )
  45. Baptême, Eucharistie, Ministère (document de Foi et constitution no 111, « texte de Lima », 15 janvier 1982
  46. http://www.sacrosanctum-concilium.org/textes/dc/1971/629/629.php
  47. Par exemple les catégories de signes et symboles, cf. Arnaud Join-Lambert, Célébrer les sacrements : action et langage prophétique, in : Précis de théologie pratique. Éd. Gilles Routhier – Marcel Viau. Bruxelles – Québec – Paris, 2e éd. augmentée, 2007 (collection Théologies pratiques) p. 551-562
  48. Nouvelle Revue théologique, vol. 80, décembre 1958, Louvain, p. 1037.
  49. Jacques DUPONT o.s.b., « Ceci est mon corps », « Ceci est mon sang » en Nouvelle Revue théologique, vol. 80, décembre 1958, Louvain, p. 1037-1038.

Annexes

Bibliographie

  • Roger Beraudy, Sacrifice et Eucharistie. La dimension anthropologique du sacrifice dans la célébration de l'Eucharistie, éditions du Cerf, 1997.
  • Louis Bouyer, Eucharistie, 1966.
  • Bernard Cottret, Naissance et affirmation de la Réforme, Paris, PUF, « Nouvelle Clio », 2012. Collaboration Jean Delumeau, Thierry Wanegffelen.
  • André Gounelle, La Cène, sacrement de la division, Paris, Les Bergers et les Mages, 1996.
  • Arnaud Join-Lambert, Guide pour comprendre la messe, 250 p. Paris, Mame, 2002.
  • Ghislain Lafont, Eucharistie. Le repas et la parole. Paris, 2001.
  • Eugene LaVerdiere, s.s.s., The Eucharist in the New Testament and the Early Church, The Liturgical Press, 1996 (ISBN 978-0814661529).
  • Enrico Mazza, L’Action eucharistique. Origine, développement, interprétation. Paris, Cerf, 1999 (collection Liturgie 10).
  • Alexandre Schmemann, L'Eucharistie, sacrement du Royaume, Paris, YMCA-Press/O.E.I.L., 1985, rééd. YMCA-Press/F.X. de Guibert, 2008.
  • Max Thurian, Le Mystère de l’Eucharistie. Une approche œcuménique. Paris 1981 (collection Foi chrétienne).
  • Xavier Tilliette, Philosophies eucharistiques, de Descartes à Blondel, Cerf, 180 p., 2006, prix Humboldt 2006, prix Victor-Delbos 2006 (ISBN 2-204-08079-9)
  • Maurice Vloberg, L’Eucharistie dans l’art, 2 vol, tome 1 ill. 142 p., tome 2 ill. 317p., Arthaud, 1946.
  • Lee Palmer Wandel, The Eucharist in the Reformation, Cambridge University Press, 2006 (ISBN 9780521856799)
  • Eucharistia. Encyclopédie de l’Eucharistie, sous la dir. de Maurice Brouard, Cerf, 2002.

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