Tupolev Tu-114

Le Tupolev-114 est un avion de ligne soviétique à quatre turbopropulseurs construit par Tupolev dans les années 1950 et produit à 32 exemplaires. Il était conçu à partir bombardier stratégique Tu-95, mais avec un fuselage totalement différent. Présentant des caractéristiques exceptionnelles pour un avion à hélices en matière d'altitude et de vitesse, il fut pendant plusieurs années le plus gros avion de ligne existant dans le monde.

Tupolev Tu-114

Tu-114 d'Aeroflot.

Rôle Avion de ligne
Constructeur Tupolev
Équipage 12
Premier vol
Retrait 1976
Client principal Aeroflot
Production 32
Dérivé de Tupolev Tu-95
Dimensions
Longueur 53 m
Envergure 51,1 m
Hauteur 15,5 m
Aire alaire 311,1 m2
Masse et capacité d'emport
Max. à vide 93,5 t
À vide 131 t
Max. au décollage 173,5 t
Passagers 220
Fret 25 000 kg
Motorisation
Moteurs 4 turbopropulseurs Kouznetsov NK-12 de 14 800 ch chacun
Puissance unitaire 11 000 kW
(15 000 ch)
Puissance totale 44 000 kW
(60 000 ch)
Performances
Vitesse de croisière maximale 770 km/h (Mach 0,72)
Vitesse maximale 870 km/h (Mach 0,88)
Autonomie 6 200 km
Altitude de croisière 12 000 m
Charge alaire 421 kg/m2
Puissance massique 168 W/kg

Origine du projet

Au début des années 1950, l'industrie aéronautique soviétique, ayant concentré ses efforts sur les activités militaires, ne propose qu'une offre limitée en matière d'avions de ligne. Les lignes intérieures soviétiques sont principalement assurées par des Il-14, petits avions bimoteurs, qui doivent effectuer des escales pour traverser l'immense territoire soviétique et ne transportent que 28 passagers au maximum[1]. Plusieurs projets de nouveaux avions de ligne sont lancés, dont celui d'un grand appareil long courrier, qui doit être une vitrine technologique. L'avion doit aussi servir aux voyages diplomatiques : Nikita Khrouchtchev, dans le cadre de sa politique de coexistence pacifique, compte multiplier les visites à l'étranger[2].

Pour concevoir un tel avion, le bureau d'études Tupolev décide de travailler à partir de son bombardier stratégique Tu-95 (Bear), qui a effectué son premier vol fin 1952. Le Tu-95 est un bombardier à très long rayon d'action, propulsé par quatre énormes turbopropulseurs Kouznetsov NK-12. Les turboréacteurs sont encore très consommateurs en carburant à cette époque, et même si il ne faire de doute pour personne que l'avenir à long terme est aux jets, le turbopropulseur est une solution de transition raisonnable, en particulier pour un long courrier[3],[4].

Tupolev lance deux projets distincts sur la base du Tu-95. Le Tu-116, qui ne dépassera pas le stade de prototype, se veut une modification très simple du bombardier. Un compartiment pressurisé, pour 24 passagers VIP, est aménagé à l'intérieur de la soute à bombes, accessible par une rampe ventrale[5]. Le Tu-114 est un véritable avion de ligne : son fuselage est totalement différent de celui du bombardier, de plus grand diamètre, pressurisé, et doté de hublots. Les ailes du bombardier y sont greffées, mais en position basse. Les moteurs, les hélices, l’empennage et le train d’atterrissage principal sont repris quasiment sans modifications[6]. En revanche, un nouveau train avant plus haut est développé : les ailes étant passées de la position haute à la position basse, le 114 a une garde au sol bien plus grande que le 95[7].

Cette façon de concevoir un avion de ligne sur la base d'un bombardier n'est pas une nouveauté pour Tupolev. Le premier avion de ligne à réaction soviétique, le Tu-104, un court-courrier biréacteur a été dérivé du bombardier léger Tu-16 selon une démarche très similaire. Juste après la seconde guerre mondiale, Tupolev avait également développé le Tu-70, sur la base de son bombardier Tu-4 (copie du B-29 Superfortress), même s'il n'a pas été produit en série[8].

Caractéristiques

Le Tupolev Tu-114 demeure le plus grand et le plus rapide des avions de ligne à turbopropulseurs jamais construit. C'est un très grand appareil pour son époque : en classe unique, capable d'emporter 224 passagers, une quarantaine de plus qu'un Boeing 707. Le diamètre du fuselage était remarquable : 420 cm, ce qui permettait d'avoir une cabine plus spatieuse que celle d'un 707 ou d'un DC-8[9]. C'est le plus grand avion de ligne du monde à sa sortie, et le demeure jusqu'à l'arrivée du Boeing 747 en 1969. Sa vitesse de croisière normale est de mach 0,72, exceptionnelle pour un avion à hélice[10]. Il était même capable d'atteindre Mach 0,88, surpassant bien des jets, mais au prix d'une consommation très supérieure, et cette vitesse n'était pas utilisée commercialement. Son altitude de croisière de 10 000 m et son aile en flèche à 35° étaient d'autre caractéristiques s'approchant des jets[11]. Néanmoins, il subit les inconvénients de son mode de propulsion : le niveau de bruits et de vibration due aux turbopropulseurs est très élevé, rendant le voyage pénible[4].

Les moteurs NK-12, que le Tu-114 partage avec le Tu-95 dont il est dérivé, mais aussi avec le Tu-142 (patrouilleur maritime dérivé du Tu-95), le Tu-126 (avion-radar basé sur le 114), et l'Antonov An-22 (avion-cargo), affichent une puissance unitaire de 15 000 chevaux, et entraînent chacun deux hélices contrarotatives. Le NK-12 est le plus puissant turbopropulseur jamais construit en série. Pour comparaison, le plus puissant turbopropulseur en production en 2021, l'Europrop International TP400 qui anime l'Airbus A400M, développe 11 000 chevaux[12].

L'assemblage des avions est assuré dans l'importante usine d'aviation n°18 de Kouïbychev (aujourd'hui Aviakor à Samara)[13].

Utilisation

Le prototype du Tupolev Tu-114 effectue son premier vol le [14]. En 1959, Nikita Khrouchtchev se rend aux États-Unis, c'est la première visite d'un dirigeant soviétique dans ce pays. Khrouchtchev tient absolument à utiliser le Tu-114, bien qu'il s'agisse encore d'un prototype. Cette visite rend l'avion internationalement célèbre[15]. En 1961, le Tu-114 est présenté au salon du Bourget[3].

Dans les années suivantes, le Tu-114, qui sera construit à 32 exemplaires seulement, est utilisé pour des liaisons internationales, notamment vers La Havane et Tokyo. Sur cette deuxième destination, il est utilisé en partage de code entre Aeroflot et Japan Airlines, et reçoit même la livrée de la compagnie japonaise. Un seul autre avion turbopropulsé a assuré des liaisons transatlantique : le Bristol Britannia[11]. Il assure aussi des liaisons vers l'Europe et l'Afrique[7]. Dans ces prestigieux vols internationaux, le Tu-114 voit sa capacité réduite à 139 passagers, avec un aménagement en trois classes : 41 passagers en première classe, 48 en deuxième et autant en troisième. Les passagers de première classe disposent de couchettes et de services de luxe[4].

Avec l'arrivée du long-courrier à réaction Iliouchine Il-62, le Tu-114 perd son statut de vitrine technologique; il est retiré des lignes internationales, mais continue à servir sur les plus longues lignes intérieures soviétiques (avec un aménagement plus dense) jusqu'en 1976. Sa carrière aura donc été assez courte[7].

Fiabilité

Le Tu-114 a un bon bilan en matière de fiabilité. Deux appareils ont été perdus, mais à la suite d'erreurs humaines[16]. Le 7 Août 1962, à l'aéroport Moscou-Vnukovo, un appareil en maintenance est endommagé (au point d'être jugé irréparable) à la suite d'une erreur d'un ingénieur, qui a fait rentrer le train avant alors que l'avion était au sol[17]. Le 17 février 1966, un Tu-114 en partance pour Conakry sort de piste à l'Aéroport de Moscou-Cheremetievo, en raison d'un déneigement incomplet de la piste. L'avion prend feu, l'accident fait 21 morts[18].

Avions conservés

Au moins trois exemplaires de l'avion sont conservés :

Références culturelles

Philatélie

Un timbre d'une valeur de 40 kopecks a été émis par la Poste soviétique en 1958. Il représente un exemplaire de Tupolev Tu-114 vu de profil, devant un globe terrestre sur un fond bleu et surmonté de l'inscription en russe « Турбовой самолет Ту-114 » (en français : « Avion turbo Tu-114 »).

Galerie d'images et de vidéos

Notes et références

  1. George Kish, « Soviet Air Transport », Geographical Review, vol. 48, no 3, , p. 309 (DOI 10.2307/212254, lire en ligne, consulté le )
  2. (en) Steven E. Harris, « Dawn of the Soviet Jet Age: Aeroflot Passengers and Aviation Culture under Nikita Khrushchev », Kritika: Explorations in Russian and Eurasian History, vol. 21, no 3, , p. 591–626 (ISSN 1538-5000, DOI 10.1353/kri.2020.0029, lire en ligne, consulté le )
  3. (en) Kevin Richard Antcliff, « Investigation of the Impact of Turboprop Propulsion on Fuel Efficiency and Economic Feasibility », thèse, (lire en ligne, consulté le )
  4. Igor Rozin, « L’histoire du Tupolev Tu-114, avion phare de l’URSS », sur fr.rbth.com, (consulté le )
  5. « Tupolew Tu-116 », sur www.luftfahrtmuseum-hannover.de (consulté le )
  6. « Aerospaceweb.org | Aircraft Museum - Tu-114 Rossiya », sur www.aerospaceweb.org (consulté le ).
  7. « Tupolev Tu-114. A Flying Palace by O.Tchernikov and D.Samborski », sur www.rikoooo.com (consulté le )
  8. Vladimir Rigmant, OKB Tupolev : a history of the design bureau and its aircraft, Midland, (ISBN 1-85780-214-4 et 978-1-85780-214-6, OCLC 61177383, lire en ligne).
  9. « Tu-114 Cleat », sur www.globalsecurity.org (consulté le ).
  10. (en) Kevin Richard Antcliff, « Investigation of the Impact of Turboprop Propulsion on Fuel Efficiency and Economic Feasibility », vtechworks, (lire en ligne, consulté le )3
  11. (en) H.I.H. Saravanamuttoo, « Modern turboprop engines », Progress in Aerospace Sciences, vol. 24, no 3, , p. 225–248 (DOI 10.1016/0376-0421(87)90008-X, lire en ligne, consulté le ).
  12. (en) 2004-11-09T00:00:00+00:00, « Power station », sur Flight Global (consulté le ).
  13. « Kryvyi Rih Sights | Aviation Museum | Legendary USSR airplane TU-114 », sur ukraine-kiev-tour.com (consulté le )
  14. Le Fana de l'aviation, novembre 2001, p. 21.
  15. (en-US) « In 1959, Khrushchev Landed in Washington in the Famous Tupolev Tu-114 », sur finance.yahoo.com (consulté le )
  16. Harro Ranter, « Aviation Safety Network > ASN Aviation Safety Database > Aircraft type index > Tupolev Tu-114 > Tupolev Tu-114 Statistics », sur aviation-safety.net (consulté le )
  17. Harro Ranter, « ASN Aircraft accident Tupolev Tu-114D CCCP-76479 Moskva-Vnukovo Airport (VKO) », sur www.aviation-safety.net (consulté le ).
  18. Harro Ranter, « ASN Aircraft accident Tupolev Tu-114D CCCP-76491 Moskva-Sheremetyevo Airport (SVO) », sur aviation-safety.net (consulté le ).
  19. (en-US) « Tsentral’nyy muzey VVS », sur AviationMuseum, (consulté le )
  20. Muzey Grazhdanskoy Aviatsii aviationmuseum.eu. Retrieved: 1 oktober 2020.
  21. Aviation Kryvyi Rih Website of the city of Kryvyi Rih. Retrieved: 1 oktober 2020.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

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  • (en) Jean Alexander, Russian Aircraft since 1940, Londres, Putnam, , 555 p. (ISBN 0-370-10025-5 et 978-0-37010-025-8, présentation en ligne).
  • (en) Yefim Gordon et Vladimir Rigmant, Tupolev Tu-114 : The First Soviet Intercontinental Airliner, Shepperton (Royaume-Uni), Ian Allan Publishing, , 128 p. (ISBN 978-1-85780-246-7 et 1-85780-246-2, présentation en ligne).
  • (en) Bill Gunston, The Osprey Encyclopedia of Russian Aircraft 1875-1995, Londres, Osprey Publishing, (1re éd. 1995), 560 p. (ISBN 1-85532-405-9 et 978-1-85532-405-3, présentation en ligne).
  • (en) John William Ransom Taylor, Jane's All the World's Aircraft, 1969-70, Londres, Jane's Yearbooks, , 943 p. (ISBN 0-354-00051-9 et 978-0-35400-051-2, présentation en ligne).
  • (en) « Tu-114 Rossiya : Russia's Giant Turboprop Comes West », Flight International, Londres, vol. 76, no 2632, , p. 43-45 (ISSN 0015-3710, lire en ligne, consulté le ).
  • K. Yu. Kosminkov, V. N. Lavrov et M. B. Saukke (trad. A. Nicolsky), « Le Tupolev 114 : Superavion pour superpuissance, partie 1/2 », Le Fana de l'Aviation, Clichy, Éditions Larivière, no 384, , p. 16-29 (ISSN 0757-4169). 
  • K. Yu. Kosminkov, V. N. Lavrov et M. B. Saukke (trad. A. Nicolsky), « Le Tupolev 114 : Superavion pour superpuissance, partie 2/2 », Le Fana de l'Aviation, Clichy, Éditions Larivière, no 385, , p. 56-71 (ISSN 0757-4169).

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